Chapitre 29



Les longs doigts forts du cheikh se refermèrent sur le verre qu'il porta à ses lèvres. Jane était totalement pétrifiée mais ressentait toujours cette excitation monter. Habillée d'une belle robe caramel accompagnée d'une étole blanche, Jane éprouvait des bouffées de chaleur suite aux nombreux regards intenses posés sur elle. La tour dans laquelle ils dînaient donnait une vue d'ensemble sur la capitale de cette grande île aussi mystérieuse que celui qui en était le garant.

Il portait une veste qui lui rappelait le style londonien qu'il avait adopté dans ce paysage enneigé qui lui manquait tant. Il était terriblement séduisant et c'était presque impossible de ne pas se sentir totalement captivée.

- Alors ? Est-ce que ça te plaît ? Demanda-t-il d'une voix tendue.

À elle oui mais lui ne semblait pas dans son élément.

- C'est magnifique mais j'ai comme l'impression que ce n'est pas un environnement que tu affectionnes particulièrement.

À Londres aussi elle l'avait remarqué.

- Dîner ? Me vêtir avec élégance et ressembler à un homme d'affaires ? Non en effet Jane, ce n'est pas moi.

- Dans ce cas pourquoi m'avoir proposé de dîner ?

- Parce que tu le mérites, tu as le droit d'être traitée avec un peu d'élégance et de raffinement même si ces deux termes sont loin de me correspondre, dit-il sans la quitter des yeux.

- Tout ce que je veux c'est apprendre à connaître le père de mon enfant, je me moque de l'opulence Hadjar.

Un éclat se mit à briller dans son regard sauvage.

- Je doute que tu sois prête à camper au beau milieu du désert avec un sauvage qui serait plus que ravi de t'imposer l'une des plus vieilles traditions de mon pays, répliqua le cheikh d'une voix gutturale et qui brûlait d'envie.

Jane frémit sous le regard de l'arabe embrasé de promesses mystérieuses.

- Il y a au moins une chose que je ne peux pas te reprocher c'est ton honnêteté.

- À quoi bon mentir ?

- Pourtant c'est...

- Je ne t'ai pas menti Jane, la coupa-t-il sur un ton posé. Je t'ai dit que j'étais en possession d'un secret mais qu'il était trop tôt pour te le révéler. J'ai été honnête.

Frappée par la vérité, Jane se mordit la lèvre.

- Si tu veux, on peut partir.

- Non, c'est ton moment, je te l'ai promis et j'honore toujours mes promesses.

Il tira sur sa cravate et fit coulisser sur son col pour la retirer. Son corps impressionnant semblait étouffer dans ce costard. Sous le coup d'une intense réflexion Jane embrassa le restaurant du regard avec un sentiment désagréable.

Ce n'était pas ce qu'elle voulait. Ce qu'elle voulait c'est découvrir l'homme qui l'avait enlevée, l'homme avec qui elle avait un bébé. L'homme à qui elle avait donné sa virginité.

- Ce n'est pas ce que je veux, murmura-t-elle d'une voix enrouée qui aussitôt fit réagir le guerrier.

- Alors que veux-tu Jane ?

- Je veux découvrir qui tu es, parvint-elle à dire la bouche sèche. Tu m'as enseigné la théorie, mais je n'ai pas la pratique.

C'était un jeu extrêmement dangereux auquel jouait la jeune femme. Hadjar n'était pas seulement agacé de jouer un rôle qui ne lui correspondait pas. Il était ivre de désirs pour elle.

Ses cheveux relevés en chignon, dévoilant sa nuque délicate. Quelques mèches rebelles tombaient autour de son visage pâle tandis que le rouge courait sur ses pommettes.

Hadjar faillit déchirer la nappe blanche à la force de ses poings crispés dessus. Elle voulait qu'il reste lui-même, seulement il y avait un prix.

Le prix qu'elle ne puisse pas supporter sa vie de loup solitaire, très enraciné dans les traditions de son pays.

En l'amenant ici, Hadjar s'était dit qu'il ne courait aucun risque, mais Jane semblait vouloir se plonger au cœur du danger. Un exercice redoutable tant par sa complexité que par le risque qu'il prenait à la dégoûter totalement de lui.

Hadjar devait garder en tête qu'elle avait toujours à l'esprit le sentiment d'être sa captive.

Aussitôt il se maudit d'apprécier cette pensée car ce n'était pas l'homme civilisé qui venait de le penser.

Il se leva lentement et elle le suivit des yeux, l'air dérouté.

- Tu es sûre que tu désires découvrir un endroit où j'aurai voulu t'emmener plutôt qu'ici ? Demanda-t-il d'une voix grave en lui tendant sa main.

Jane posa son regard sur cette grande paume halée qui attendait la sienne. Rien en lui indiquait qu'il désirait la rassurer. Elle lui avait demandé et il était prêt à s'exécuter.

Quel risque prenait-elle à accepter ?

Elle glissa sa main dans la sienne et eut peine à réprimer un frisson quand ses doigts se fermèrent sur les siens.

Elle se leva non sans redouter la suite mais déterminée à connaître ce cheikh à la redoutable réputation.

Une vingtaine de minutes plus tard, il roulait en dehors de la ville, précisément vers une route déserte entourée par les dunes de sable. Il tourna vers la gauche et s'enfonça dans un chemin encore plus sombre.

- Je n'aime pas l'obscurité.

- Je sais, murmura-t-il d'une voix chargée de compassion. Bientôt tu verras des lumières apparaître. Ce n'est plus très loin et je suis là. Tu n'as rien à craindre.

Légèrement rassurée elle se cala contre le siège en cuir en tournant son regard vers lui.

- Où allons-nous ?

- Hazama, un village très reculé et qui a souffert. J'ai pensé que ça pourrait te plaire pour un début.

La douleur du passé se mit à briller dans ses yeux sombres. Jane reporta son attention sur la route et vit ces fameuses lumières apparaître enfin.

Il s'arrêta à l'entrée du village et descendit de la voiture pour lui ouvrir la portière.

À peine descendue du véhicule, le cheikh prit sa main pour l'entraîner avec lui.

Un élan de panique lui coupa l'air quand des hommes et des femmes se précipitèrent vers eux. Le cheikh échangeait avec eux dans leur langue alors que par centaine, ils gravitaient autour d'eux, l'observant avec intérêt. Jane attrapa le bras du cheikh en baissant les yeux.

- Lève la tête, ils désirent te voir, dit-il d'une voix plus haute que la foule qui s'animait autour d'elle.

Peu à peu, la panique se dissipa et Jane commença à mieux distinguer ce qu'il se passait réellement. Le cheikh était adoré. Ils le réclamaient avec des visages émus, cherchant à lui serrer la main.

Prise de court, elle se laissa tenter par la ferveur et accepta de serrer les mains tendues vers elle.

Ensuite, il l'entraîna dans une tente où un vieil homme demeurait silencieux, assis sur un tapis, un sourire à peine visible aux lèvres.

- Voici le chef du village, lui expliqua-t-il en retirant ses chaussures et en l'aidant à se débarrasser des siennes.

Un dialecte arabe s'ensuivit et il ne lui était pas nécessaire de comprendre pour savoir qu'ils parlaient d'elle.

- Il est très ému de te rencontrer.

Dans la précipitation du moment elle sourit en guise de réponse, trop intimidée pour lui répondre.

- Souad a combattu à mes côtés pour sauver son village. C'est un vieil homme sage qui n'en a pas totalement fini avec la vie. Il a échappé à la mort quatre fois.

- Un peu comme toi.

Il croisa son regard et elle frissonna sous l'intensité de son regard.

- C'est le premier à qui j'ai annoncé mon mariage, reprit-il en l'invitant à s'asseoir sur le tapis.

Jane s'installa en face du vieil homme qui la scrutait avec attention. Elle avait l'impression de subir un interrogatoire silencieux. Soudain Souad se tourna vers Hadjar pour lui échanger quelques paroles qu'elle ne comprit pas.

- Il dit que ton enlèvement est une bonne chose pour toi.

- Hein ? S'enquit Jane éberluée.

Bien sûr le cheikh lui, n'était pas stupéfait mais plutôt ravi et aucun sourire ne fut nécessaire pour le prouver. Les lueurs dans ses yeux étaient parlantes.

- Ne me demande pas comment il fait Jane, mais Souad ressent les choses et j'ai commencé à écouter ses paroles sages le jour où il m'a dit que mon trône et mon règne seront amenés à subir les foudres d'un traître qui fera couler le sang de l'innocent. Ce jour-là, moi aussi j'ai eu du mal à y croire et trois mois plus tard, mon oncle apportait le chaos et la destruction.

- Il t'a aussi prédit que tu allais gagner ?

Il hésita un moment dans lequel il posa son regard sur le vieil homme qui faisait couler le thé chaud avec précision.

- Il m'a dit que la guerre allait m'affecter et que je perdrai mon humanité pour sauver mon pays et il avait raison, dit-il sombrement en plongeant son regard dans le sien.

Jane perçut dans ses yeux le poids de douloureux souvenirs.

Puis Souad se remit à parler en arabe.

- Il dit que ta captivité est ta renaissance et que ce paysage venteux laissait tes ennemis t'enfermer dans l'esprit qu'il voulait de toi.

- Qu'est-ce que ça veut dire ? S'enquit Jane inquiète et bouleversée.

- Il parle de Londres et des personnes qui n'étaient pas accès sur ton bonheur mais plutôt sur le leur.

Jane déglutit la bouche sèche.

Hadjar n'avait pas traduit la suite car elle le concernait.

- Méfie-toi du danger qui rôde, lui dit Saoud.

- Quel danger ?

Il regarda Jane avec inquiétude.

- Ne la laisse pas partir ou l'ennemi te la prendra avant que tu n'aies eu le temps de le tuer. Trouve-le avant. Parfois l'être aimé qui semble proche est celui que l'on peut déceler derrière la confiance qu'on lui a accordé.

Hadjar serra les poings, glacé de l'intérieur.

- Tu deviendras encore plus cruel et tu parviendra à gagner encore là où le sang t'attendra.

Cette dernière prédiction le rassura mais pas autant qu'il l'aurait voulu. Saoud lui, se mit à sourire, l'air confiant et serein.

- Elle enfantera à nouveau et tu auras un fils.

- Mais qu'est-ce qu'il dit bon sang ! Ça m'inquiète ! S'agaça la jeune femme dont il avait totalement oublié la présence.

- Il dit que tu seras heureuse ici et que tu vas...

Hadjar s'interrompit en la dévisageant.

- Je vais quoi ?

- Tu finiras par m'apprécier, mentit Hadjar pour la première fois de sa vie.

- Je t'apprécie déjà, le soucis c'est que tu es un livre fermé et je te crains principalement pour cette raison. Ça me fait peur. Tu peux lui traduire ça ?

Il faillit sourire car elle semblait animée par une fascination redoutable et il céda.

Saoud partit dans un éclat de rire qui la fit rougir.

- Il dit que tu aimes cette peur.

Jane cligna des paupières un peu confuse mais percée à jour.

- Il dit que c'est un mal pour un bien, conclut le cheikh en soulevant la tasse de thé pour lui donner. Bois pendant que c'est chaud. Assez de prédictions pour ce soir.

- Ou...oui, balbutia-t-elle mal à l'aise. Je suis d'avis que l'on arrête.

Saoud était doué, un peu trop même. Car il était vrai qu'elle était tout aussi craintive que submergée par le sentiment d'être en sécurité avec lui.

Ce petit voyage nocturne lui avait fait énormément de bien. Elle avait passé le reste de la soirée à en apprendre plus sur la culture du pays et avait dégusté la cuisine locale. Enchantée par toutes ces découvertes, Jane cherchait encore le point négatif de ce voyage.

- Je ne comprends pas pourquoi tu craignais de me faire découvrir...

- Parce que tu es une étrangère, je ne voulais pas prendre le risque que tout ceci t'effraie.

- Alors tu t'es trompé, même si Saoud est disons...son don est un peu effrayant.

- En effet, il l'est, murmura-t-il d'une voix grave alors que son regard sombre rivé sur la route paraissait inquiet.

Jane se mordit la lèvre en baissant les yeux sur ses mains jointes posées sur ses cuisses en se posant une seule question.

Une fois rentrée, était-elle prête à dormir à ses côtés.

La nuit dernière elle avait prétexté veiller sur Naya depuis le petit lit de sa chambre, mais ce prétexte n'avait déjà plus de valeur.

Comment allait se passer cette première nuit ?

Jane ne lisait pas dans l'avenir contrairement à Saoud, mais eut la sensation étrange qu'elle serait livrée à une lutte intérieure.

Un combat qui semblait déjà perdu d'avance car dès qu'elle releva son regard sur lui, son cœur s'emballa, dans l'incapacité de la tromper sur l'évidence porté par des battements de plus en plus intenses.

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