Chapitre 28
L'expression du Docteur Salma aiguisa ses nerfs à vifs. Pourtant, Hadjar se devait de rester imperturbable quant au verdict qu'elle était sur le point de lui donner.
- Vous avez eu raison de garder ça pour vous, conclut-elle avec peine en s'installant derrière son bureau. Votre femme n'est pas prête à entendre la vérité même si elle est persuadée du contraire.
- Que dois-je faire ? Demanda-t-il derrière ses dents serrées.
- Jane a basé sa guérison psychologique par le biais de la confiance qu'elle a accordé à ceux qui étaient censé l'aider. Elle est passé d'un stade de terreur à le ressenti d'être protégée. Elle a ensuite voué sa confiance avec le triste besoin de se sentir envelopper dans une chaleur psychologique. En d'autres termes plus définitifs et tristes à dire, la vérité, si elle devait se savoir replongera Jane dans la terreur et elle y verra une attaque contre elle. Elle se sentira alors meurtrie et vulnérable.
Hadjar croisa ses mains pour mieux les serrer jusqu'à sentir une légère douleur dans le creux de ses phalanges.
- Comment je fais docteur ? J'ai bien une méthode mais elle me rendra à ses yeux encore plus monstrueux.
Le docteur Salman le dévisagea et pendant ce temps, le cheikh examina les réflexions intérieur de la psychologue réputée pour avoir aidé des centaines de rescapés de la guerre à retrouver une vie à peu près normale.
- Elle a peur de vous votre Altesse ?
Hadjar répondit par un rire court et âpre.
- C'est pourtant ce qui peut l'aider et vous le savez.
Rictus aux lèvres, il détourna le regard vers la baie vitrée et aperçut son reflet. La psychologue avait bel et bien pensé à la même chose que lui.
- Dans son esprit douloureux vous êtes sans doute le seul à lui faire ressentir le danger auquel elle a été confronté ce soir-là. Même si physiquement l'attirance entre vous est indéniable, votre femme vous perçoit comme un danger et en a peur.
- Alors si je parviens à renverser cette situation, elle aura confiance en moi et se délaissera de ceux qui lui on offert la guérison c'est ça ? Je dois faire craindre ma femme encore un peu plus pour qu'elle lutte jusqu'à ce qu'elle n'ait plus peur de l'homme qui lui rappelle la nuit où ses parents sont morts ?
- Quelle a été sa réaction lorsqu'elle a su que vous aviez tué le meurtrier de ses parents ?
- Elle était terrifiée et soulagée, murmura Hadjar les sourcils froncés par ce souvenir qu'il gardait en mémoire.
- Ce qui signifie que Jane est entre deux sentiments et si vous parvenez à l'attirer vers ce sentiment de soulagement, Jane sera prête.
Hadjar notait le confiance du médecin mais lui, était loin d'être aussi serein. Pourtant elle avait raison.
Dans la tête de Jane, malgré cette attirance indéniable et l'enfant qui était né de cette union, il demeurait à ses yeux encore un monstre.
- Elle doit aimer un monstre pour se défaire d'un autre afin de connaître la vérité sur ceux en qui elle avait confiance.
- C'est horrible mais c'est comme ça que je vois la situation. Le profil détaillé que vous m'avez dressé pour la décrire me laisse penser que c'est seulement comme ça qu'elle pourra amortir le choc.
Hadjar aurait voulu qu'il y ait une autre solution mais il était prêt à prendre tous les risques pour pouvoir lui dire la vérité sans la perdre psychologiquement.
- Que cette conversation reste entre nous, la prévint-il d'une voix autoritaire en se levant. Merci docteur de m'avoir aidé.
- C'était un plaisir votre Altesse, dit-elle avec un large sourire. S'il y a le moindre soucis, surtout n'hésitez pas à m'amener Jane.
Hadjar eut un bref mouvement de tête puis quitta le bureau et l'enceinte de la clinique avec un goût amer dans la bouche. Le plus douloureux c'est quand il s'installa au volant de sa voiture avec le sentiment désagréable d'avoir échoué quelque part.
Non, ce n'était pas de sa faute, se dit-il intérieurement en quittant la ville. Au contraire il remerciait le ciel de l'avoir guidé jusqu'à elle.
De retour au palais il prit congé dans ses appartements afin de la retrouver. Il la découvrit sur le lit, assise en tailleur en train de consulter des libres de la bibliothèque. Naya à ses côtés.
Comment lui dire ?
À supposer que cette méthode marche, comment pouvait-il lui dire que ce n'était pas cette droguée de Tabitha Hewitt derrière ces hommes qu'ils avaient tué sur ce bord de route, mais le docteur Chapman.
Hadjar referma ses pensées quand elle releva la tête vers lui. Elle eut un petit sursaut à peine visible et ses yeux se noyèrent aussitôt dans un océan de peur et chaleur mêlées.
Comme si elle était à la fois heureuse et craintive de le voir.
Elle se leva du lit avec une précipitation qui ne lui ressemblait pas et c'est rongée d'inquiétude qu'elle marcha vers lui.
- Que se passe-t-il Jane ? Tu es pâle ?
- Charik est intervenu je suis désolée, je n'aurai pas du hurler comme ça, tout le monde va me prendre pour une folle maintenant je...
- De quoi tu parles ? La coupa-t-il en dévisageant son visage terrifié.
- Votre frère est ici votre Majesté.
Les yeux noirs alors qu'il tenait les bras de la jeune femme, Hadjar arrima son regard grave vers Charik dont l'expression l'était aussi.
- Malik est ici et il ne s'est pas comporté comme il l'aurait dû avec Jane, commença-t-il en prenant soin d'utiliser les bons mots. Il est arrivé au palais ivre et a proféré des...
Charik n'eut pas le temps de finir qu'il se précipitait déjà hors de ses appartements. Les poings serrées, les yeux mordus par la fureur du sang il descendit les étages ivre de rage.
- Du calme mon frère je...
Le crochet du droit fut si violent qu'il l'envoya un peu plus loin sur le sol.
Hadjar fronça droit sur lui pour le saisir par le col afin de le relever.
- Tu n'aurais pas dû faire ça ! Rugit-il en le soulevant.
- Lâche-moi ! Tu m'empêche de...
Il le jeta à terre sans aucune délicatesse tout en se retenant pour ne pas l'achever.
- Tu n'as rien à faire ici ! Continua Hadjar sur un ton sombre et rageur. De quel droit oses-tu t'en prendre à ma femme !
Malik essuya le filet de sang qui perlait dans le coin de sa bouche et tituba pour se relever.
- Depuis quand tu t'intéresses aux femmes ? Cracha-t-il avec haine qui ressemblait fortement à de la jalousie malsaine. Aucune femme est digne de toi rappelle-toi mon frère.
Hadjar écarta ses doigts pour mieux les fermer en poing.
- Ma vie ne te regarde en rien ! Siffla-t-il entre ses dents serrées.
- Tu l'as mis enceinte pour avoir un héritier, ai-je raison ?
Hadjar se rapprocha de son frère pour se mettre en face de lui, l'air menaçant.
- Pourquoi ? Aurais-tu toi aussi pour projet de me tuer ? La dernière personne qui a essayé a très mal fini mon frère, répliqua Hadjar d'une voix volontairement basse et menaçante.
- Avec lui, c'était nettement plus amusant ici, relança son frère dont l'haleine puait l'alcool fort. Au moins il y avait de quoi se divertir.
- Une vie misérable, articula Hadjar les yeux noirs. Tu ferais mieux de partir d'ici avec que quelqu'un ait vent de ton retour Malik. Tu as beaucoup d'ennemi ici et je n'éprouve plus l'envie de te protéger.
Malik changea d'expression.
- Je suis ton frère, tu ne peux pas...
- Si je le peux ! Le coupa-t-il en peinant à contenir la colère qui coulait en lui. Jusqu'ici tu ne m'as rien prouvé Malik, tu es un traître et tu n'aurais pas dû t'en prendre à ma femme.
- Elle te quittera, ricana Malik en reculant difficilement. Elle ne supportera pas longtemps de vivre avec un loup solitaire qui aime l'odeur du sang et qui n'aime pas s'amuser.
Ces mots n'étaient pas assez puissant pour l'atteindre mais ils furent suffisant pour lui faire craindre ce qu'il ne voulait surtout pas.
Que Jane trouve un moyen pour s'enfuir.
- Quitte le pays Malik avant que je m'en charge moi-même.
Son frère grimaça comme un enfant en colère qui n'avait pas obtenu ce qu'il était venu chercher.
De l'argent. Encore et toujours. Car il ne s'agissait que de ça.
Il fut escorté jusqu'à la sortie par ses gardes. De rage il se passa une main sur le visage en remontant les étages du palais pour rejoindre la jeune femme.
Visiblement toujours choquée, Hadjar se demanda aussitôt comment avait-il fait pour ne pas tuer son frère.
- Tu vas bien ?
- Non, murmura-t-elle les yeux emplis de colère. Tu comptais me parler de ton frère un jour ou tu pensais que...j'allais découvrir de moi-même qu'il est...fou !
- Malik est hors de ma vie depuis qu'il s'est associé à mon oncle pour prendre le pays, expliqua Hadjar en prenant soin de garder son calme.
La jeune femme s'éloigna pour pousser les battants qui séparaient leur chambre de celle de Naya puis revint vers lui.
- Et j'avais le droit de savoir ! Voilà encore une raison qui m'empêche d'être totalement sereine quand je suis avec toi. Tu es un livre fermé et j'ai l'impression...
- Il t'a fait du mal ?
Elle le dévisagea, l'air consterné.
- Tu détournes encore la conversation !
- Je veux savoir s'il t'a fait du mal ! Insista-t-il en saisissant ses bras.
- C'est toi qui me fait mal ! S'écria-t-elle en esquissant une légère grimace qui le poussa à la lâcher.
Jane vit un profond remord envahir les traits ciselés de l'homme. Il recula, l'air peiné avant que cette peine s'efface pour laisser place à un regard obscur.
- Malik était avec mon oncle pendant la guerre, expliqua-t-il rictus aux lèvres en lui tournant le dos. Il a préféré le sexe, les péchés, l'opulence plutôt que son peuple pris en otage.
Jane déglutit en baissant furtivement les yeux. Malgré la dureté du barbare elle sentit que cette trahison le touchait.
- Il a fait du mal à des femmes, poursuivit-il sans la regarder. Des femmes offertes par mon oncle en cadeau pour sa loyauté. J'aurai dû le tuer pour sa trahison mais les liens du sang m'ont arrêté dans mon élan. Des années plus tard, je le regrette et je regrette profondément que tu aies dû affronter sa perfidie et ses crises de colère.
Elle s'entoura de ses bras, profondément touché par les regrets qui pesaient lourdement dans sa voix rocailleuse.
Peut-être ne valait-il mieux pas lui dire que son frère hargneux avait tenté de l'embrasser avant qu'elle se mette à hurler.
Peut-être ne valait-il mieux pas qu'elle lui exprime l'horrible douleur qu'elle avait ressenti quand il s'était approché d'elle avec ce regard lubrique.
- Je suis désolé, ajouta-t-il plus bas.
- Et moi je regrette profondément qu'il n'y ait aucune communication entre nous.
- N'exagère pas Jane, répliqua le cheikh en se retournant complètement. Tu es la seule femme avec qui je communique sans éprouver le besoin de la congédier pour m'avoir lassé.
Jane eut un rire nerveux.
- Merci, je me sens maintenant très chanceuse, dit-elle avec sarcasme.
Il plissa les yeux, aiguisant les sombres reliefs de ses balafres.
- Aurais-tu oublier ?
- Que tu n'as pas l'intention de changer pour moi ? S'enquit Jane avec soutenant son regard. Non je n'ai pas oublié, mais si tu désires à ce point que je sois ta femme, sache qu'un mariage ne fonctionne pas sans communication.
- Malik n'est pas un sujet que j'aime particulièrement aborder, dit-il avec agacement et sur un ton inflexible.
- Moi aussi il y a des sujets que je n'aime pas aborder, d'ailleurs tu le sais.
Derrière cette façade de dureté, le cheikh resta silencieux et montra un regret.
- Je me suis excusé, dit-il calmement. Et crois-moi je ne suis pas un pas un homme qui cède facilement au regret.
Jane voyait clairement de l'agacement dans son regard mais elle n'avait pas l'intention de céder.
- Tu n'es pas un homme facile en effet.
- Je t'ai prévenu Jane, murmura-t-il d'une voix si basse qu'elle dut faire un effort pour l'entendre.
- Cela ne veut pas dire que je dois l'accepter, répliqua-t-elle désarmée par son avancé vers elle. Nous avons besoin...
- Tu as raison, dit-il soudain en s'arrêtant à mi-chemin. Je concède que je contrôle tout sans prendre en compte ce que tu peux ressentir. Je suis l'autorité dans mon pays et au sein du palais, oubliant que tu n'es pas l'un de mes hommes mais ma femme. Tu as besoin de réponses et nous devons impérativement prendre du temps pour nous.
Bouche-bée, Jane ne sut quoi répondre alors qu'il dardait un intense regard sur elle.
- Ce soir nous irons dîner à l'extérieur, cela te permettra peut-être de te sentir moins captive de ton impitoyable mari.
Dîner ? À l'extérieur ?
Jane n'en voulait pas autant et se mit aussitôt à rougir.
- Dîner ? En dehors du palais ?
Il dressa un sourcil tout en parcourant les derniers mètres qui le séparaient d'elle.
- Tu as pour projet de me défier ? Demanda-t-il d'une voix rauque.
Une peur légère la gagna avant que celle ci se transforme en un brasier.
- Je ne prendrai pas ce risque.
- Dans ce cas va te préparer, Naya sera gardée par Aïcha pendant notre absence.
Jane ouvrit la bouche mais aucune protestation ne put être émise car il était parti, la laissant totalement paniquée et excitée à la fois de quitter enfin le palais.
Hélas sans trop savoir où cette soirée imprévue allait la mener...
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