Chapitre 26



Profitant des jardins odorants, Jane poussa le landau dans l'allée en peinant à y croire.

Elle qui avait crû ne jamais pouvoir sortir de l'aile gauche du palais était enfin à l'air libre, pouvant s'offrir une bouffée d'oxygène bien mérité.

Jane ne put ignorer la beauté orientale qui se dessinait devant ses yeux chaque fois qu'elle empruntait une autre allée. C'était comme un labyrinthe tentaculaire qui livrait ses secrets dans silence apaisant. Elle pouvait entendre le bruit des ruissellements d'eau qui provenait des fontaines majestueuses.

- C'est magnifique n'est-ce pas mon petit cœur, murmura-t-elle en sortant Naya du landau pour s'asseoir sur le banc protégé par un arbre.

Son bébé était si doux qu'elle se sentait chanceuse de pouvoir profiter de chaque instant. Sa grossesse avait pourtant été le théâtre de nombreuses crises d'angoisses et pourtant...

Naya pleurait rarement, seulement pour réclamer son sein, et paraissait sereine.

- Mon bébé, chuchota-t-elle sourire aux lèvres en se balançant légèrement de gauche à droite pour la bercer.

Son cœur s'emballa, car elle se sentait observer depuis le début de cette promenade. Elle n'osait pas lever la tête vers les hauts balcons qui dominaient les jardins par leur architecture ancienne. Le cheikh était présent mais restait volontairement effacé. Et Jane savait les raisons qui le poussaient à rester dans l'ombre.

- Mademoiselle ? Vous avez besoin de quelque chose ?

Amina, l'une des dames d'Aïcha s'approcha timidement.

- Merci Amina, mais tout va bien, lui dit-elle avec un léger sourire.

Amina ne bougea pas pour autant, laissant comprendre qu'elle n'était pas là de son plein gré mais envoyée par Aïcha ou pire.

Le cheikh.

- C'est Aïcha qui vous envoie ?

- Non, c'est sa Majesté.

Jane releva précipitamment la tête pour la dévisager en cessant de bercer Naya.

- Pour quelle raison ? Demanda-t-elle en prenant soin de ne pas faire entendre le stress qui la gagnait.

- Il a suggéré que vous auriez peut-être envie d'une compagnie.

Amina était aussi jeune qu'elle l'était, et manquait de confiance ce qui laissait visible sur son visage de l'incertitude.

- Installez-vous alors, lui proposa-t-elle en reportant son attention sur Naya.

La puissance du cheikh était si intense qu'elle n'avait plus de doute et sentait le poids de sa paire d'yeux posée sur elle.

- Il me regarde n'est-ce pas ? Lança-t-elle sans relever la tête.

Amina ne répondit pas immédiatement, sans doute craintive de dépasser les limites.

- N'ayez aucune crainte, ça restera entre nous, murmura Jane sur un ton rassurant.

- Oui, le cheikh Al-Nashrar vous regarde depuis le balcon de ses bureaux privés.

Son rythme cardiaque s'accéléra indéniablement, comme une évidence qu'elle ne parvenait plus à combattre.

- Il tient beaucoup à vous, ajouta Amina timidement.

Jane releva la tête pour arrimer son regard au sien.

Ce fut au tour d'Amina de baisser les yeux avec un sourire timide.

- Vous n'êtes pas sans savoir que je suis ici...

- Il l'a fait parce qu'il tient à vous, la coupa Amina de sa douce voix. Vous êtes précieuse à ses yeux.

- Alors il a une façon étrange de le montrer, répliqua Jane en glissant son doigt dans la minuscule main de sa fille.

- Son Altesse n'est pas un homme normal et vous finirez par vous y faire.

- Vous semblez tous loyaux envers lui, nota Jane en espérant qu'elle lui en dise davantage.

- Nous adorons tous le roi, dit-elle avec une force légère. Il nous a sauvé, il a sacrifié sa vie pour son pays. Vous n'avez pas idée de ce qu'il a fait pour nous protéger.

Que dire à cela ?

Alors que la jeune femme avait les yeux larmoyants.

- J'ai eu vent de cette guerre qui s'est révélée impitoyable, murmura Jane.

- Elle a été horrible et beaucoup de personnes sont mortes.

Amina passa ses doigts sous ses yeux pour effacer les larmes qui menaçaient de tomber puis rajouta :

- Le cheikh a montré qu'il était le seul gardien de notre sécurité et rien ni personne ne pourra vous dire le contraire.

L'émotion était forte, et Jane posa sa main libre sur la sienne pour lui témoigner sa compassion.

- J'ignore encore beaucoup sur cette guerre mais je crois que...je crois que je comprends à quel point Hadjar est important pour vous tous.

Elle secoua imperceptiblement de la tête en reportant son attention sur Naya qui s'endormait dans ses bras.

- Seulement moi j'ignore tout de cet homme et il ne m'aide pas à le comprendre.

- Vous finirez par apprendre à le connaître, dit Amina l'air confiante. Le cheikh est un homme qui ne montre pas ses sentiments, mais il en a sinon jamais il se serait battu comme il s'est battu pour nous et son pays.

Comment ne pas se sentir touchée ou même prise d'émotions devant cette défense qui provenait du cœur ? La jeune fille en parlait avec une émotion dans la voix qui réussissait presque à la persuader que le cheikh n'était pas aussi cruel qu'elle le pensait.

- Je vais vous laisser, annonça Amina en se levant avec hâte.

Jane n'eut pas le temps de relever la tête qu'elle était déjà en train s'éloigner entre les longues colonnes d'arbres.

Surprenant une ombre sur le chemin dallé de fresques orientales, Jane exhala un soupir muet en pivotant lentement sur le banc.

L'intéressé, qui quelques minutes plus tôt l'observait depuis le haut balcon était là, dominant le jardin resplendissant.

- Serait-ce présomptueux de ma part de soupçonner que votre conversation me concernait ? Demanda-t-il en s'approchant lentement.

Elle se pinça les lèvres, l'air hésitant car elle ne voulait pas créer d'ennuis à Amina et lui avait promis.

- Elle t'a loué comme si tu étais le dieu des guerres, lui dit-elle en se levant pour mettre Naya dans le landau.

Puis elle se rapproche de lui en prenant le risque de perdre tout ses moyens.

- Tu me surveilles ?

- Non, je t'observe, n'ai-je pas le droit ? S'enquit-il d'une voix qui semblait vouloir la défier. Après tout tu es ma femme.

À ces mots, son ventre s'enflamma.

- Qu...quand vas-tu te décider à me parler de ce mariage ? Quand vais-je récupérer mon téléphone ?

- Pourquoi ? Qui veux-tu appeler ? Demanda-t-il d'une voix soupçonneuse qui allait de pair avec son impénétrable froideur.

- Jacob, Madeleine, je ne sais pas, n'importe qui ! S'agaça-t-elle sans trop élever la voix pour ne pas réveiller Naya. Je n'ai pas le droit de téléphoner à mes amis maintenant ?

- Ça dépend de quel ami nous sommes en train de parler, répliqua le cheikh calmement alors que ses yeux disaient tout le contraire. Si tu souhaites parler à Jacob ou Madeleine je suis d'accord.

- Mais pas les autres ? S'enquit Jane en levant un sourcil intrigué.

Enfermé dans son masque impassible, ses yeux cendrés se voilèrent d'un gris anthracite sous l'éclat du soleil.

- Non, laissa-t-il tomber sur un ton définitif.

Jane voulut pousser la conversation plus loin mais il ne la laissa pas faire. Il prit son coude, et de l'autre main agrippa le landau pour les entraîner vers le corridor entrelacé de plantes exotiques.

- Parle-moi Hadjar ou je jure que...

Ses mains...agrippèrent ses bras d'un mouvement si fluide qu'elle en eut le souffle coupé.

Comme si elle ne pesait rien, il la souleva pour mieux la déplacer jusqu'au mur contre lequel il la colla...tout ça dans un silence et une lenteur délibéré.

En revanche son regard lui...

Elle rejeta la tête contre le mur pour atteindre son regard et vit un muscle de sa mâchoire se crisper.

- Plus tard Jane, dit-il dans un sombre murmure.

" Restez avec moi "

Ce murmure sombre lui rappelait le même qui l'avait convaincu de rester avec lui dans cette suite Royale. Ce même murmure qui avait suscitait l'émoi en elle jusqu'à l'explosion de ce désir qu'elle n'avait jamais pu oublier.

Lorsqu'elle sentit sa prise sur ses bras devenir plus intense Jane exhala un long soupir qu'elle-même ne sut décrire.

Son odeur de cèdre commença à l'envahir, et lorsque son torse massif l'effleura elle crut défaillir.

- Plus tard, répéta-t-il d'une voix plus rauque.

Hadjar resserra son emprise sur les bras de la jeune femme, gagné par une irrépressible envie de l'embrasser. Un sentiment primitif le dévora de l'intérieur alors qu'il fixait ses belles lèvres entrouvertes.

- Ça ne t'arrive jamais de sourire ? Lança-t-elle soudain.

Elle trompait à nouveau ce qu'il pouvait clairement déceler dans ses iris. Hadjar l'attira à lui jusqu'à presser son corps contre le sien.

Il fixa sa bouche désormais fermée puis remonta lentement son regard vers ses yeux bleus.

- Parfois, répondit-il d'une voix de plus en plus rauque.

Un désir flanqué au creux de ses reins, Hadjar avait l'impression de ressentir la même sensation divinement agréable qui l'avait saisi des mois en arrière.

Incapable de résister une seconde de plus, il la ramena vers lui à la force de ses mains plaquées sur ses bras et plaqua sa bouche exigeante contre la sienne.

Enfin...

Enfin il put savourer le goût de ses lèvres et y retrouva la même innocence, le même désir de se laisser tenter par la découverte.

Jane sentit son souffle se rompre alors que cette bouche dure et impérieuse prenait possession de la sienne avec la même intensité que lors de cette nuit d'orage. Sa barbe noire caressait sa peau comme une doucereuse menace qui contrastait avec la chaleur étourdissante de son baiser.

Il relâcha ses bras pour glisser ses mains abîmées sur ses joues pour encadrer son visage. De là, le monde autour d'elle cessa d'exister.

Il insinua sa langue dans sa bouche pour capturer la sienne et elle pouvait entendre l'emballement sauvage de son souffle.

C'était si intense et impérieux qu'elle n'avait plus d'équilibre. Tout dans ce baiser la ramenait à cette nuit de Juillet. Elle avait l'impression d'être possédée jusque dans ses chairs si sensibles. Un feu jaillissant de nulle part la fit céder et ce qu'elle refusait d'admettre s'ouvrit au barbare, lui donnant à nouveau raison.

Hadjar enroula son bras autour de sa taille pour la soulever et posa sa main derrière sa tête pour faire barrage au mur contre lequel il la cloua aussitôt.

Il avait attendu ça depuis de si longs mois qu'il ne contrôlait plus son appétit vorace. Sa bouche douce était la sienne à présent et à cette pensée, Hadjar sentit ses muscles se régénérer d'une puissance indicible.

Derrière leur souffles mêlés, une petite plainte s'éleva et immédiatement, il rompit son baiser certes à contrecœur mais sa fille venait de lui rappeler qu'ils n'étaient pas seuls et Jane méritait mieux.

Tellement mieux.

Cet arrêt brutal lui permit de voir la jeune femme complètement captive de ses baisers, désireuse jusque dans ses yeux voilés et qui venait de confirmer ce qu'il savait depuis des semaines.

Secrètement satisfait, sa bouche s'ourla d'un sourire à peine visible alors qu'il la déposait sur le sol.

- Notre fille réclame quelque chose, dit-il en balayant son visage de sa main hâlé pour dégager quelques mèches sauvages.

Étourdie, la respiration saccadée, Jane dont les lèvres étaient encore brûlantes se déplaça avec difficulté jusqu'au landau. Naya souriait, en agitant ses jambes.

Il s'agissait de son tout premier sourire et Jane eut la drôle impression qu'il s'agissait d'un message personnel qui lui était adressé.

- Elle a faim, parvint-elle à dire alors qu'il se tenait tout proche d'elle. Il faut que...il faut que je remonte.

- Ce soir, nous aurons cette discussion que tu attends patiemment, annonça-t-il d'un murmure digne d'un conquérant victorieux.

Jane n'osa pas relever les yeux et sentit sa bouche se presser contre ses cheveux.

Puis il rajouta avant de disparaître.

- Même si l'essentiel vient d'être confirmé...

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