Chapitre 23




Une légère brise de vent souleva quelques grains de sable sur la dune alors qu'il observait l'étendue de son désert avec sérénité. Masqué de son keffieh, où seuls son regard était visible, Hadjar inspira lentement en serrant les rennes de son étalon. Il aimait ce silence qui l'aidait à mieux réfléchir, mais surtout il aimait cette obscurité qui donnait tant de beauté à son palais qu'il pouvait déceler à l'autre bout du désert grâce à ces faibles faisceaux lumineux qui provenaient des torches enflammées.

Un mois et trois semaines venaient de s'écouler et bien que la jeune femme acceptait peu à peu la réalité, Hadjar continuait de livrer bataille avec détermination. Il avait dû s'absenter à de nombreuses reprises et pour la première fois de sa vie, il n'avait pas apprécier s'éloigner de son palais. Désormais, il se fit la promesse de ne plus le quitter. Ses nombreux voyages n'avaient qu'un seul objectif et il était le seul à en connaître les raisons.

Il avait suivi la tradition, préservé les coutumes, mais sans la jeune femme qui aurait dû se trouver à ses côtés. Hadjar savait que très bientôt, Jane aurait encore une autre raison de le détester, mais il ne regrettait en rien cette décision.

Il n'éprouvait aucune forme de culpabilité bien au contraire, il se sentait ravivé de cette force qui s'était dissipée après la guerre.

Perdu dans ses pensées, Hadjar n'entendit pas tout de suite le bruit des sabots qui se rapprochaient de lui à pleine vitesse. Il fronça des sourcils avant qu'un mauvais pressentiment le pousse à descendre la dune pour rejoindre le visiteur.

Puis son regard épris de sévérité s'évanouit pour laisser place à la crainte quand il reconnut l'un de ses hommes.

C'est en arabe, qu'il lui annonça ce qu'il avait crains de rater pendant ces voyages de ces dernières semaines.

Jane était sur le point d'accoucher.

Il n'avait pas attendu toutes les explications de son garde, il fonçait déjà dans le désert, les yeux fixés sur son palais.

Il tenta de ravaler son inquiétude mais celle-ci affluer en lui comme du poison.

Pendant des semaines, Hadjar avait suivi les conseils précieux de Charik et s'était éloigné de la jeune femme pour qu'elle puisse vivre ces dernières semaines de grossesse sans que l'angoisse et la peur s'en mêlent. Alors il s'était contenté de lui rendre de brèves visites de courtoisies mais à la nuit tombée, il l'avait veillé sans qu'elle s'en doute.

Aujourd'hui sonnait le glas d'un nouveau chapitre. Désormais, sa mission était terminé et son enfant à naître ouvrait la voie à une autre page où l'encre attendait d'en esquisser les premières lignes.

C'en était fini d'être à distance de cette jeune femme qui l'obsédait tant. C'en était fini d'être condamné à craindre de faire du mal involontairement à leur enfant.

Ivre d'inquiétude pour elle, Hadjar sauta de son étalon encore au galop quand ce dernier passa les grilles du palais. Il se précipita dans l'escalier extérieur qui menait au balcon de ses appartements privés pour gagner du temps et se hâta de rejoindre le couloir qui conduisait à sa chambre.

Tout semblait trop calme.

Il arracha son keffieh en marchant comme un fou jusqu'à la porte gardée par deux femmes.

Il ordonna qu'on lui ouvre et se précipita à l'intérieur. Hadjar se devait de rester impassible mais il en fut incapable quand il la découvrit sur le lit, l'expression étirée de douleur, le front en sueur.

- Je veux tout savoir, vite ! Ordonna-t-il à l'adresse d'Aïcha qui se tenait entre les jambes de la jeune femme en souffrance.

- Il est trop tard pour l'emmener à l'hôpital, le bébé arrive d'une minute à l'autre.

- Le terme était prévu dans deux semaines, que s'est-il passé ? S'enquit-il en faisant le tour du lit pour rejoindre la jeune femme qui respirait avec difficulté.

Jane garda en elle le soulagement que venait de soulever le cheikh à son apparition.

Sa présence aurait normalement dû la faire paniquer mais étrangement elle avait besoin qu'il soit là.

Il ne s'était pas montré très présent pendant des semaines et Jane n'avait aucune information sur cette vie de nomade qui avait fait de lui un homme très absent. En réalité elle ne voulait pas le savoir au risque d'être submergée d'une nouvelle désillusion.

Son bébé était sur le point d'arriver, c'est tout ce qui comptait à ses yeux.

Pouvoir le prendre dans ses bras et lui promettre de l'aimer jusqu'à son dernier souffle.

- Ce bébé a tout simplement décidé de sortir maintenant.

Jane serra les dents quand une autre contraction arriva, mais cette fois-ci bien plus forte.

Elle poussa alors que la douleur lui était devenu insupportable. Une main se glissa dans sa nuque pour maintenir sa tête et l'autre main hâlée se glissa dans la sienne. C'est dans cette paume chaude qu'elle sentit toute la nervosité du cheikh.

- Je suis là, respire, c'est bientôt fini.

Il essayait d'être rassurant, mais ça ne semblait pas être son point fort, remarqua-t-elle alors que la douleur amplifiait à mesure qu'elle sentait son bébé arriver.

- Je n'ai même pas de prénom, je n'ai pas encore trouvé...

- Poussez ! L'encouragea Aïcha.

Jane poussa au-delà des forces qui lui restaient, mais ça ne semblait pas suffisant.

L'inquiétude la gagna.

- Tu auras tout le temps de lui en trouver un, fais-moi confiance.

Hadjar se sentait impuissant, et ce fut pire quand elle devint blême, épuisée, le front moite. Le bébé était à mi-chemin, mais le temps semblait compter. Cet accouchement à la maison sans aide médical accentuait ses craintes qu'il lui arriver malheur.

Un malheur qu'il ne se pardonnerait jamais.

- Regarde-moi ! Ordonna-t-il en posant une main sur sa joue brûlante.

Son visage épris de douleurs se retrouva face au sien.

- Tu peux le faire Jane, tu es forte, tu es à quelques minutes de prendre ton enfant dans tes bras, je t'en prie ne lâche pas maintenant !

Hadjar s'était exprimé avec force et douceur mêlées. Dans les yeux larmoyants de la jeune femme, une lueur d'espoir se ranima et elle se remit à pousser encore et encore jusqu'à ce qu'un cri se propage dans la pièce comme le début de la délivrance.

Jane se retint de fondre en larmes, les yeux rivés sur Aïcha qui souriait en attrapant le nouveau-né.

- Il est là ! C'est une petite-fille ! S'exclama-t-elle avec joie en lui tendant son bébé qui imposait sa présence par des pleurs libérateurs.

Jane le prit, les larmes aux yeux et le posa sur sa poitrine, le souffle encore erratique.

La souffrance disparut, laissant place à des émotions bouleversantes et qui déjà, remplissaient son cœur d'une joie pure.

- Contactez le médecin en urgence.

- C'est déjà fait votre Altesse, il est en route, déclara Aïcha en se levant sans se départir de sa joie.

Puis elle s'éclipsa afin de les laisser seuls.

Ce fut seulement à cet instant qu'elle détacha son regard de sa fille pour détailler la réaction de cheikh.

Bien sûr, son expression était préservée par ses traits ciselés et inexpressifs, mais il fixait sa fille avec un regard empli de lueurs proches de la joie mêlée à une émotion propre à lui et qui resterait un mystère.

- Est-ce que tu te sens bien ? Tu as mal ? Demanda-t-il en passant une main dans ses cheveux humides, l'air inquiet et pour la première fois déstabilisé.

- Je...crois que oui, murmura-t-elle en reportant son attention sur son bébé si petit et si fragile qui avait cessé de pleurer en laissant place à un paisible silence.

- Elle te ressemble, dit-il d'une voix basse et émotive.

- Elle est magnifique, murmura-t-elle d'une voix enrouée par la joie alors qu'une larme roulait sur sa joue.

Ce moment demeura une parenthèse inoubliable et Jane mit de côté tous les griefs qu'elle avait avec le cheikh. Pendant cette parenthèse, tout ce qui comptait c'était leur enfant né en bonne santé. Il ne s'agissait plus de savoir comment cet enfant avait été conçu, ni même dans quelles conditions elle s'était retrouvée à devoir accoucher dans ce lit. Il s'agissait seulement et uniquement de sa fille.

Le reste pouvait attendre.

Deux heures plus tard Hadjar raccompagna le médecin jusqu'à l'entrée du palais, soulagé.

Jane allait bien et n'avait pas de complication lié à cet accouchement qui n'aurait jamais dû se passer au palais. Sa fille se portait aussi bien que possible.

Tout était parfait et pourtant, Hadjar ne pouvait pas s'empêcher de s'inquiéter.

Il retourna dans la chambre et trouva Jane endormie, les doigts accrochés au berceau de leur petite-fille.

Depuis qu'elle était au monde, Hadjar s'était contenté de regarder sa fille sans jamais réclamer de la porter.

Il craignait de blesser cet être si fragile et innocent.

Ce fut seulement quand il se pencha au-dessus du berceau qu'il prit conscience qu'il était père et que sa nouvelle mission était de les protéger toutes les deux. Épris d'une émotion indicible, Hadjar glissa ses deux mains sous sa fille et la souleva pour la déposer dans le creux de son bras.

Il sentit alors une brûlure dans ses yeux qui s'apparentait à des larmes qui se figèrent sans jamais tomber sur son visage et qui pourtant semblait prêt à les accueillir.

Il posa sa main sur son petit corps sans jamais quitter des yeux les siens qui peinaient encore à s'ouvrir.

Il murmura en arabe, des mots qu'il était le seul à en connaître le sens.

- Naya.

Hadjar redressa la tête en direction du lit pour arrimer ses yeux dans ceux de la jeune femme.

Épuisée, elle trouva tout de même la force de se redresser malgré les conseils du médecin.

- Elle s'appellera Naya, reprit-elle les yeux cernés, mais le sourire aux lèvres.

- Tu es sûre ?

Elle acquiesça en se rallongeant, le revers de sa main contre sa joue, les yeux rivés sur sa fille.

Jane éprouva une profonde joie qu'elle tenta désespérément de ne pas montrer de peur que le cheikh décèle que cette joie était pour lui.

Elle éprouvait du bonheur de le voir avec sa fille dans ses bras lui qui n'avait pas cacher sa crainte de la porter.

Dans son bras musclé, elle était minuscule mais protégée par la force qui en découlait. Jane devait l'admettre. Le souverain était la meilleure protection dont puisse bénéficier son bébé sans défense et qui tristement, la ramenait à son enfance.

- C'est un prénom magnifique pour une princesse héritière au trône, lui dit-il d'une voix basse mais qui de sa force naturelle en imposait.

- Tu as été exceptionnelle malgré les circonstances, ajouta-t-il d'une voix sincère. Tu as mis au monde notre enfant avec courage et je suis plus que fier.

Jane accueillit ce compliment avec le cœur battant car elle savait qu'une nouvelle page allait s'écrire et qu'elle en ignorait totalement les premières lignes que le cheikh avait déjà sûrement écris.

Cette parenthèse inoubliable allait bientôt prendre fin et désormais Jane n'était plus protégée par sa grossesse.

Désormais elle allait devoir faire face à cette chaleur qui courrait en elle chaque fois qu'il la regardait avec à l'esprit que le cheikh au regard pénétrant n'avait plus aucun obstacle devant lui pour s'empêcher de céder totalement à ce désir constant qu'elle-même avait du mal à faire semblant d'ignorer.

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