Chapitre 20
Elle quitta des yeux le désert qui commençait à s'effacer sous un magnifique crépuscule quand un bruit lourd résonna au loin derrière elle.
Elle ferma les yeux, puis les rouvrit en posant une main sur son ventre. Sa présence semblait loin mais parvenait à l'envelopper tout entière. La dernière fois qu'elle l'avait vu, sa rage avait été si froide qu'elle s'était sentie pâlir. Ses traits ciselés démontraient sans cesse qu'il ne reculerait pas et elle avait été stupide de croire qu'en jouant avec le feu elle s'en sortirait.
En restant dans ce manoir, si proche de lui, mettant sans cesse son secret en danger, Jane avait l'impression d'être aussi coupable que lui l'était aujourd'hui.
Mais derrière la froideur de l'inconnu qui se dressait devant elle, Jane sentit son cœur palpiter à la simple pensée de savoir qu'il l'avait recherché et ce pendant des mois.
Il n'était pas resté à Londres pour affaires, mais pour la retrouver.
Bien sûr cela n'enlevait rien à la peur qui persistait en elle, mais qui malgré tout ne l'empêcha pas de se retourner.
Son regard sévère semblait quelque peu adouci, mais son air impassible lui, demeurait toujours un obstacle pour elle. Et c'est ce même obstacle qui l'avait empêché de savoir qu'il avait découvert son secret.
La salle de réception était spacieuse, et des mètres de distance les séparaient encore, jusqu'à ce qu'il les comble d'une démarche qui semblait volontairement lente. Il ne portait pas les mêmes vêtements qu'à Londres. Il était chez lui et le faisait clairement savoir. Ses bottes usées de cavalier, ce pantalon noir en passant par cette large chemise qui laissaient respirer son impressionnante carrure.
Jane dévia son regard sur le carrelage en essayant vainement d'échapper aux rougeurs qui lui montaient aux joues au souvenir de son corps chaud contre le sien et de cette barbe rêche contre sa peau.
- Aïcha m'a informé de votre malaise plus tôt dans l'après-midi, déclara-t-il en terminant de combler les derniers mètres. Le docteur passera demain matin pour vous examiner.
Elle nota un ton plus amène mais qui demeurait toujours implacable.
- Je vais bien.
- C'est à moi d'en décider, dit-il simplement en posant une main dans son dos. Venez vous asseoir, nous devons parler.
Effectivement, il le fallait car Jane mourrait dans l'incertitude, mais surtout elle avait des questions à lui poser qui ne pouvaient plus attendre.
- Pour commencer, j'aimerai m'excuser pour mon comportement, il n'avait pas sa place dans un moment aussi pénible. Seulement, je ne peux guère échapper à ce que je suis.
- En effet, il y avait d'autres manières plus délicates de m'informer que j'étais retenue captive.
Jane s'était exprimée sur un ton doux mais quelque peu amer. Aussitôt les yeux pénétrants du cheikh se voilèrent sombrement.
- Comme je vous l'ai dit, il y avait pire comme destin que d'être emmenée ici, sous la protection d'un homme qui se trouve être le père de votre enfant.
Il y avait pire ?
Jane tenta de s'expliquer la colère qui gravitait dans le regard du souverain mais encore une fois, son aisance à se fermer à toutes formes d'expressions l'empêcha de comprendre.
- Ce qu'il s'est passé entre nous ne doit pas vous obliger à faire...
- Personne ne m'oblige à rien Jane, je suis le propre maître de mes décisions et n'allait surtout pas croire que je fais ça par pitié.
Jane soutenait son regard avec difficulté.
- Si je suis resté à Londres c'était uniquement pour vous retrouver afin de m'assurer que la femme qui avait partagé mon lit était en bonne santé, mais surtout, mettre un visage sur l'inconnu qui m'a rongé d'inquiétude pendant des mois. Je ne regrette pas de l'avoir fait.
- Et ensuite ? Si le bébé n'avait pas existé ? Qu'auriez-vous fait ?
À travers le vacillement des bougies sur la table, Jane sentit son visage brûler en décelant une lueur sauvage traverser ses yeux.
- J'aurai fait mon devoir.
- Votre...
Jane s'interrompit en glissant un faible rire qui n'était pas de circonstance. Puis elle pâlit sous la gravité qui sillonnait le visage sculptural du cheikh.
Bien sûr il parlait de sa virginité qu'il avait prise et de sa responsabilité envers elle.
- Nous vivons dans un monde opposé.
- Au contraire Jane, il n'est pas si opposé que vous le pensez, répliqua-t-il posément. Je suis juste un homme barbare dont l'essentiel repose ici, sur mes terres, là où j'ai tout appris.
- Écoutez, si vous faites ça parce que vous vous sentez responsable de moi je assure que ce n'est pas la peine.
- Essayez toutes les tentatives que vous voudrez Jane cela ne marchera pas, car il ne s'agit plus de responsabilité, et je pensais avoir été ferme sur ce point.
Il se leva soudain, avec une lenteur redoutable et s'avança pour tirer la chaise qui se trouvait sur sa droite.
Jane inspira profondément, repoussant tant bien que mal les rougeurs qui caressaient déjà son visage de le voir si proche.
- Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour vous protéger même si le prix et de vous voir me haïr, reprit-il sans cesser de la dévisager. Je préfère ça que de vous perdre dans ce monde auquel vous n'avez pas votre place.
- Comment le savez-vous ?
- Pourquoi vous êtes-vous abandonné à moi Jane ?
Cette question, elle se l'était posée des centaines de fois.
- Parce que...j'en avait envie, bredouilla-t-elle en baissant les yeux.
Son silence assourdissant l'obligea à relever les yeux et trouva un homme impassible qui attendait avec une patience feinte, la vérité.
Comment lui dire ?
Comment avouer à ce redoutable chef barbare qu'elle s'était sentie protégée dans ses bras et qu'elle avait aimé chaque parcelle de ses gestes purement possessifs et redoutables.
- Je me suis sentie protégée, finit-elle par dire en détournant les yeux pour fuir sa réaction.
- Ce que vous n'aviez jamais ressenti auparavant, ce qui me conforte que cette vie de solitaire au cœur trop généreux n'est pas celle qui vous mènera à ce que vous cherchez réellement.
Elle remonta ses yeux dans les siens, et elle ne pouvait déjà plus respirer.
- Essayez-vous de me mettre à l'esprit que ma vie à Londres est misérable pour que j'accepte mieux l'idée d'être ici ? Demanda-elle en serrant le poing.
- Trouvez-moi un seul point positif et j'essaierai peut-être de le considérer avec intérêt, dit-il en inclinant légèrement la tête.
Jane ouvrit la bouche puis la referma, prise au piège.
Si elle devait se montrer honnête avec elle-même, Jane n'en avait aucun à lui fournir de valable et surtout pas depuis que son appartement avait été réduit en miettes.
- J'avais un bon travail, et j'aime Londres, j'adore Londres.
Le premier point positif était tout aussi pitoyable que si elle lui avait dressé une liste chargée d'inepties. En revanche elle aimait vraiment Londres.
Impassible, il ne dit rien et se pencha en arrière pour se caler dans le dossier de la chaise qui se mit craquer sous l'effet du poids.
- Je vais tâcher d'en tenir compte même si vous mentez sur le premier point.
- Je suis une excellente menteuse comme vous avez pu le constater.
- Une piètre menteuse.
- Vraiment ? Pourtant sans Ellie vous n'auriez rien su, répliqua Jane en le défiant.
- Sans Ellie, vous seriez ici quoiqu'il arrive, renchérit-il d'une voix voilée d'un lourd mystère qu'elle ne comprit pas.
- Comment ça ?
- En ce qui concerne Londres, nous trouverons un compromis qui saura résoudre le problème, lui dit-il en évitant de lui répondre.
Jane aurait voulu insister, mais décida d'en rester là pout le moment, car il était clair que l'homme au regard cendré ne lui dirait rien.
- Un compromis ? Quel genre de compromis ?
Ses yeux se remplirent d'une lueur indescriptible.
- Ce n'est pas encore le moment de parler de Londres, nous avons beaucoup à discuter avant d'envisager un séjour en Angleterre.
Sa voix n'était pas forte mais la puissance qui s'en émanait constamment était plus qu'inquiétante.
- J'ai une question à vous poser, parvint-elle à dire alors que son sang quittait déjà son visage.
- Je vous écoute.
- Est-ce que c'est vous qui l'avez tué ? S'enquit-elle la gorge serrée.
Il se rembrunit, comme si l'éclat de sa colère venait d'être ranimée, mais elle ne semblait pas lui être destinée.
- J'ai fait ce que j'avais à faire, répondit-il simplement.
Jane pâlit, et détourna le regard de peur de lire de la pitié dans son regard. Comment avait-il su ? Comment avait-il réussi à accéder à son passé ?
Mais surtout pourquoi il s'était charger de le tuer ?
Elle frissonna, le sang glacé alors que les articles de presse décrivant l'horreur de ce meurtre défilaient devant ses yeux.
- Comment...comment avez-vous eu vent de mon passé qui est d'ordre privé ?
- J'ai ordonné à mes hommes de faire des recherches sur vous et il se trouve qu'un nom différent de celui que vous portez est apparu dans les fichiers.
Jane dévia son regard dans le sien.
- Au début j'ai crû que vous étiez une délinquante en fugue avant que votre avocate m'informe sur les circonstances de ce changement d'identité.
Son avocate ?
Jane grimaça, blessée.
- Essayez de ne pas trop lui en vouloir, je suis un homme qui sait se montrer persuasif, reprit-il en se levant pour disparaître derrière elle, laissant son odeur se propager autour d'elle.
- Pourquoi l'avoir tué ? Je n'étais qu'une employée à vos yeux à ce moment-là.
- Il faut croire que non, mais je l'ignorai encore, répliqua le cheikh d'une voix pensive et éloignée
Jane pivota sur la chaise pour guetter ce qu'il faisait. Il était dos tournée à elle, en face d'une longue console orientale.
- Votre avocate ne vous a rien dit pour vous protéger mais il se trouve qu'il cherchait en vain un moyen d'obtenir un procès. Non pas parce qu'il pensait avoir une infime chance de sortir mais pour vous forcer à témoigner.
Jane vit des petits points noirs danser devant ses yeux et son corps devint inerte et glacé. Soudain elle sentit une main se plaquer sur son front pour ramener ses cheveux en arrière.
Ce geste chaud anima en elle la force nécessaire pour survivre à la suite.
- Ouvrez la bouche, ordonna-t-il sans élever la voix.
Des fourmillements sur le visage alors que ses doigts reposaient sur ses lèvres dans l'attente qu'elle les ouvre, Jane entrouvrit la bouche et sentit le sucre se déposer sur sa langue.
- Buvez maintenant.
Jane se plia aux injonctions du cheikh dont le regard n'exprimait rien d'autre qu'une extrême gravité.
Il reposa le verre et reprit sa place alors qu'elle sentait le sucre fondre dans sa bouche.
- Elle a dit que vous n'aviez aucune chance de survivre à ce procès s'il devait avoir lieu alors j'ai réglé le problème, mais si j'avais su qui vous étiez à ce moment-là, je pense très certainement que je ne me serais pas contenté de le dépecé.
Elle frémit sous le regard menaçant de l'homme qui n'éprouvait aucune pitié à lui révéler l'esquisse de cette barbarie qui coulait dans ses veines.
- Et même en sachant que...
- N'allez pas sur ce terrain là Jane, vous allez glisser, dit-il d'une voix doucereuse. Je ne suis pas cet assassin, et je ne fais pas de mal aux femmes. Votre enlèvement était le seul moyen de vous protéger et de vous ramener dans mon pays. Mon but n'est pas de vous faire du mal, et je crois que dans le fond vous le savez aussi.
Jane se retint de verser la larme coincée dans son œil.
Une larme de soulagement qu'elle refusait de lui montrer.
- Même si je ne suis pas l'homme que vous aviez en tête, je suis celui qui connaît chaque centimètre de votre peau, je suis celui à qui vous avez donné votre virginité et qui malgré la peur que vous avez ressenti à mon égard est tout de même restée au manoir tout en sachant le risque que preniez.
- Un homme qui n'a pas manqué à de nombreuses reprises d'exprimer son mépris pour les femmes, alors pourquoi vous embêter avec une jeune femme d'à peine vingt-quatre ans qui se remet à peine d'un traumatisme qui ne la quittera jamais et fait d'elle un problème permanent ?
- Parce que je veux cette femme et pas une autre, enceinte ou non, lâcha-t-il les mâchoires serrées, le regard plongé dans le sien.
Jane sentit son pouls s'accélérer au point qu'il tapait contre ses tempes.
- Et peu m'importe le temps que ça prendra, j'ai mené d'autres batailles bien plus sévère que celle-ci, reprit-il en se levant à nouveau.
Il la dominait désormais et ce fut pire lorsqu'il prit son menton dans ses doigts fermes.
- Je ne renoncerai pas à vous, encore moins à mon enfant.
La peur s'entrechoqua avec un désir semblable à celui qu'elle avait ressenti en Juillet. Redoutable, il lâcha son menton, et s'effaça dangereusement en laissant derrière lui son aura puissante comme souvenir.
Jane posa ses mains sur son ventre, à l'endroit précis où son bébé donna un coup de pied alors que son esprit l'emprisonnait dans un flot d'images d'elle entre les bras de cet homme qui ne céderait rien et qui malgré tout arrivait encore à la faire rougir d'un désir dangereux et interdit...
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