Chapitre 18




Hadjar quitta le restaurant rassasié d'une pleine satisfaction car la jeune femme avait déjeuné avec bien plus d'appétit que la veille.

- Comment êtes-vous venu ?

- Jacob m'a déposé mais avec tout ça je ne l'ai pas rappelé.

- Ça n'a aucune importance je vous ramène, avait-il dit en posant sa main dans son dos pour la guider jusqu'à la voiture.

À son plus grand bonheur elle n'essaya pas d'émettre la moindre objection. Elle se laissa guider, certes maladroitement.

- Vous aimez Londres ? Demanda-t-elle subitement alors qu'il s'enfonçait dans le trafic.

- Votre question m'étonne, nota-t-il en tournant furtivement la tête pour lui jeter un regard interrogateur.

- Je voulais juste savoir.

Elle se tenait loin de lui, même dans cet habitacle fermé, elle trouvait le moyen de lui faire savoir qu'elle brûlait de le fuir et plus elle cherchait à le fuir, plus Hadjar éprouvait le besoin impératif de se rapprocher d'elle.

- J'aime Londres, mais je commence à me lasser, expliqua-t-il en s'arrêtant au feu qui venait de passer au rouge.

- Dans ce cas pourquoi...

- Rassurez-vous Jane, je m'en vais très bientôt.

- Oh...je...non, ce n'est pas...

Hadjar n'était pas vexé ni même en colère par cette insupportable attente qu'elle ressentait de le voir partir. Il devinait aisément qu'elle veuille à tout prix lâcher prise sur ce secret qu'elle gardait enfouie avec quelques maladresses.

Une dangereuse envie commença à noircir l'encre dans ses yeux, alors qu'il songeait à la façon dont il procéderait à son enlèvement.

- Je suis maladroite, ce n'est pas ce que je voulais dire, c'est juste que vous êtes tellement mystérieux sur votre présence ici.

Hadjar quitta ses obscurs pensées pour relever ses yeux noirs dans le rétroviseur et au moment de s'engager à droite, son instinct de guerrier le poussa à se méfier de la voiture qui suivait la même trajectoire que lui.

- Si vous voulez tout savoir je suis ici parce que je cherche quelque chose, lui dit-il sans quitter des yeux la Mercedes noire derrière lui.

- Ah oui ? Et vous avez trouvé ?

- Oui, lâcha-t-il d'une voix rauque en se penchant vers elle.

Jane hoqueta quand tout à coup il allongea son bras vers elle et vint poser sa main sur son ventre. Ce contacte fusa en elle comme des milliers de frissons qui remontèrent sur son échine. Sa main virile accrocha la ceinture de sécurité pour la remonter jusqu'au haut de son ventre et il se pencha ensuite vers la trappe du tableau de bord pour l'ouvrir.

Quand elle le vit prendre une arme à feu qu'il posa sur ses cuisses musclées, Jane sentit la peur lui glacer le sang.

- N'ayez pas peur, je vous demande juste de garder votre calme, annonça-t-il en accélérant, les yeux rivés sur la route.

- Que se passe-t-il ?

- Obéissez à mes ordres, ne vous retournez surtout pas, fit-il claquer dangereusement en serrant les dents. Nous sommes suivi.

Suivi ?

Jane faillit se retourner mais ne le fit pas. Son cœur battait si fort que sa vision devenait floue.

- Ils me cherchent, s'entendit-elle dire d'une voix à peine audible.

Le cheikh emprunta une route différente de celle qui menait au manoir.

- Votre amie Tabitha semble avoir une profonde rancœur envers vous, nota-t-il d'une voix posée en apparence alors que son visage exprimait tout autre chose.

Jane ne savait plus si elle devait s'inquiéter des hommes à ses trousses ou du cheikh dont les jointures de ses mains étaient en train de blanchir tant il serrait violemment le volant.

Le souffle court, Jane eut l'impression que la voiture était en train de ralentir et quand elle quitta le cheikh des yeux, ses craintes se confirmèrent.

- Faites-moi confiance, avait-il déclaré en s'arrêtant sur le bas-côté au milieu de nulle part.

Enchaînée par un étau de terreur alors qu'elle fixait la forêt qui les entourait, Jane secoua la tête alors qu'une crise d'angoisse remontait bien trop forte et incontrôlable.

- Non s'il vous plaît, il faut que je parte d'ici.

Il crocheta ses mâchoires d'une main vive et brûlante. Son cruel regard se déposa sur le sien et Jane fut saisi de violents frissons qui courraient déjà sur son visage.

- Je n'en ai pas pour longtemps et ensuite, je ferais ce que j'aurai dû faire depuis le début, dit-il d'une voix sévère et basse tout en détachant ses doigts de ses mâchoires.

Incrédule, déroutée par ce qui était en train de se passer, Jane sursauta quand il claqua violemment la portière tout en prenant soin de fermer verrouiller la voiture.

Le vision de plus en plus floue, elle se retourna sur le siège et aperçut dans le brouillard trois silhouettes dont une qui se détachait par la largeur de ses épaules.

Le visage glacé, elle se frotta les yeux pour tenter d'y voir plus clair mais le coup de feu qui venait de retentir lui coupa la respiration. Puis un autre s'ensuivit, encore plus bruyant que le premier. La respiration saccadée elle se retourna pour agripper la portière verrouillée.

Elle s'acharna dessus jusqu'à ce qu'elle ressente en elle une sorte d'abandon, comme si son corps et son esprit refaisaient de lutter.

Sa tête devint lourde et la seule chose à laquelle elle pensa avant de sombrer fut terrible, au point qu'elle sentit une larme rouler sur sa joue.

Était-ce la fin ? Le cheikh avait-il été assassiné ?

Serait-elle la prochaine ?

Jane préféra tomber dans l'obscurité totale plutôt que de faire face à la terrible réalité.

Et l'obscurité se prolongea, si bien que Jane s'efforça d'en sortir alors qu'une incessante torture psychologique la conduisait à faire des cauchemars affreux. Elle sursauta, et ses paupières se soulevèrent lentement. La vision encore floue, elle battit des cils pour y mettre de la netteté et quand ce fut le cas, Jane découvrit un immense plafond vouté avec des symboles qui le sillonnaient d'or.

Une grimace sur le visage elle sentit son cœur s'affoler et son corps semblait paralysé.

Jane n'avait pas besoin d'étudier plus longtemps ce plafond méconnu pour comprendre qu'elle se trouvait dans un endroit qu'elle ne connaissait pas.

La peur fusa en elle et la poussa à se redresser d'un bond. Deux colonnes de marbres étaient dressées, surplombant une arche à l'architecture très orientale. Elle se trouvait dans un lit à baldaquin recouvert de draps en soie bordeaux. En tournant la tête vers la grande fenêtre Jane leva sa main pour se protéger de la lumière vive tout en posant ses pieds sur le sol tapissé.

Par réflexe, elle posa ses mains sur son ventre en se rappelant avec effroi ce qu'il s'était passé dans la journée.

En réalité elle ignorait totalement ce qu'il s'était réellement passé mais se souvenait des coups de feu et du cheikh qui avait quitté la voiture sans jamais y revenir avant qu'elle ne sombre.

Mortifiée, elle se leva en jaugeant cette longue chemise blanche qu'elle portait et vacilla en se retenant à la colonne du lit.

Elle descendit les quatre marches et cherchant une issue de secours avant d'entendre un bruit résonner jusqu'à elle.

Sous l'effet de la panique elle recula d'un pas avant de voir apparaître le cheikh en personne, toujours aussi menaçant voire pire alors qu'il marchait à la hâte jusqu'à elle.

Il s'arrêta à mi-chemin, laissant deux bons mètres de distance entre eux. Son regard noir était composé de lueurs indescriptible mais l'une d'elle semblait dénuée de compassion.

- Je croyais...j'ai cru qu'ils vous avez tué.

- Il me faudra bien plus que deux trafiquants de drogue pour me tuer, dit-il sombrement sans la quitter des yeux.

La respiration saccadée, elle fut confrontée à une vague de frissons glaciales.

- Les coups de feu c'était vous ? Demanda-t-elle alors qu'elle connaissait déjà la réponse.

- Oui, et mon endroit pour les tuer était si bien choisi que les autorités n'ont toujours pas retrouvés leur misérables corps alors que ça fait deux jours maintenant.

Deux jours ?

Jane pâlit, se mit à battre des cils pour mettre un peu d'ordre dans son esprit mais tout était confus et le cheikh ne l'aidait en rien avec cette froideur affichée constamment sur ses traits.

- Deux jours ? Je n'ai pas pu...c'est impossible je ne comprends pas.

Impassible, il demeura silencieux et ce silence devint inquiétant tout comme l'étaient ses deux puissantes mâchoires serrées.

- Où suis-je ? Demanda-t-elle la bouche sèche.

- En sécurité, là où se trouve votre place.

- Ma place ? Je ne comprends pas ce que...

Jane s'interrompit pour embrasser la pièce d'une regard inquiet puis reporta son regard sur lui.

- Vous m'avez emmené avec vous ? Dites-moi que je me trompe.

Il ne dit rien, les yeux toujours fermement ancré dans les siens.

- Mais pourquoi ? S'enquit-elle l'air paniqué. Pou...pourquoi avez-vous fait ça ? Comment je suis arrivée ici sans...vous m'avez droguée ?

Un élan de rage brilla dans les yeux du cheikh qui semblait hautement blessé par cette accusation. Jane quant à elle, le dévisageait avec détresse et colère mêlées.

- Jamais je ne pourrai envisager ne serait-ce qu'une seconde de droguer mon enfant, fit-il valoir avec une force contenue.

À ces mots, qu'elle aurait voulu ne jamais entendre, le pire fut le regard du souverain. Tout devint noir autour d'elle, alors que son secret tombait en lambeaux devant elle. Tout ce qu'elle avait mis en œuvre pour le protéger était en train de s'effondrer sous ses pieds. Et alors que le sol commençait à se dérober, Jane avisa la porte sur sa droite, la respiration lourde.

Dans un mouvement désespéré elle se précipita vers celle-ci pour l'ouvrir mais avec une aisance souveraine mêlée à une puissance unique, le guerrier avait déjà posé sa main sur la sienne qui entourait la poignée tandis que l'autre s'était plaquée sur la porte.

Piégée, au bord du malaise, Jane refusa pourtant de céder totalement à la peur alors qu'elle était prisonnière de ce puissant corps qui à lui-même représentait une menace.

- Je vous ai dit dans la voiture que j'avais trouvé ce que je cherchais, dit-il d'une voix qui paraissait bien trop contrôlée pour être totalement sincère.

Jane dévisageait la porte qui sous les ombres du cheikh lui donnait l'impression d'être emprisonnée dans un étau qui lui seul pouvait défaire.

- Je ne comprends pas ce que vous dites, finit-elle par dire d'une voix à peine audible.

- C'est vous que je cherchais mademoiselle Wild, depuis des mois, jour après jour, depuis cette aube que je n'ai jamais oublié, dit-il la respiration désordonnée et presque sifflante. Je vous avais sous les yeux, depuis des jours sans même m'en rendre compte. Sans doute que ma détermination m'a détourné de la vérité.

Jane ferma les yeux, cherchant en vain un moyen de se sortir de là mais c'était trop tard, et même avec cette conscience, Jane s'y refusa.

- Ellie Moretti a cependant été d'une honnêteté impressionnante, reprit-il en posant une main sur son épaule pour la forcer à le regarder.

Elle se colla à la porte mais refusa de poser son regard sur lui.

- Vous pensiez sincèrement que j'aurai renoncé à vous retrouver après le souvenir que vous m'avez laissé dans ce lit ?

- À vrai dire oui, osa-t-elle dire sans le regarder alors que sa main se pressait sur la sienne...si chaude. C'est ce que les hommes à la recherche d'une nuit sans lendemain font en général.

- Regardez-moi, ordonna-t-il sur un ton impérieux qui la fit frémir.

Jane leva ses yeux sur les siens et vit la lueur dure qui flambait dans son regard. Elle tressaillit.

- Je ne suis pas un homme comme les autres, je pense que vous le savez Jane.

- Pourquoi me retrouver ? Quel intérêt à faire ça ? Qu'est-ce que vous cherchiez ?

- J'ai pris votre virginité ! Gronda-t-il entre ses dents serrées. Est-ce que vous avez une idée de ce que ça représente pour moi !

- Non, parce que...

- Non ? S'emporta-t-il en attrapant ses épaules pour l'attirer vers lui.

Jane hoqueta en dévisageant ses yeux fous de colère.

- Pourquoi ? S'enquit-il entre ses dents. Pourquoi vous me l'avez donné ?

Jane était trop pétrifiée pour répondre puis soudain elle vit son expression se creuser comme s'il était torturé de l'intérieur.

- Est-ce que...Est-ce que vous, vous êtes sentie forcée ? Est-ce que j'ai témoigné une quelconque violence qui vous a donné...

- Non ! S'écria-t-elle le visage à son tour douloureux.

Jane craignait cet homme mais elle était incapable de mentir sur un sujet aussi grave et le laissait penser qu'il l'avait forcé.

- Non, répéta-t-elle avec moins de force alors que le visage du cheikh semblait s'adoucir. Je ne me suis pas sentie forcée de le faire, je le voulais.

Il desserra sa prise sur ses épaules mais ne les lâcha pas pour autant.

Jane cligna des yeux pour refouler les larmes qui la menaçaient.

- J'ai aussi ma part de responsabilité, je n'ai pas réfléchie aux conséquences sur le moment et je...

- Je suis le plus responsable des deux, la coupa-t-il rictus aux lèvres. C'est moi qui ai la plus grande part de responsabilité, seulement je ne comprends pas pourquoi vous ne m'avez pas arrêté et surtout pourquoi vous êtes partie.

- Je viens de vous dire que je le voulais aussi mais quand la réalité m'a rattrapé, j'ai compris que j'avais commis une erreur qui aurait pu m'attirer des ennuis, alors je suis partie dès que je l'ai pu.

Il la relâcha subitement, les yeux marqués par une lueur amère et mécontente.

- Et ensuite ?

- Ensuite j'ai décidé d'arrêter d'être utilisée par celle que je croyais être mon amie. Quatre semaines plus tard j'ai découvert que j'étais enceinte.

- Et vous comptiez ne jamais me dire la vérité ? Je veux connaître les raisons.

Malgré la dureté de l'homme, Jane réprimait au mieux sa détresse parce qu'elle devait dire la vérité pour ne plus être rongée par celle-ci.

Elle comprit le cœur battant, que cette discussion était loin d'être terminée.

Au contraire, ce n'était que le commencement.

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