Chapitre 16
Pour la énième fois, Jane plia et replia les serviettes de bains dans la petite salle de bains de cette chambre qui lui avait été attribuée. En réalité elle se cachait, éprouvant le besoin impératif de comprendre la réaction du cheikh qui s'était conduit d'une façon étrange depuis son retour au manoir.
Une bouffée de chaleur la gagna en sortant de la salle de bains pour jeter un coup d'œil à la pendule qui affichait l'heure qu'elle redoutait depuis qu'elle avait quitté son bureau.
Elle se colla au mur en regardant les paquets disposés sur le tapis. Il s'agissait de toutes ses affaires, soigneusement emballées avec soins.
Les lèvres pincées, dans un moment d'incertitude qui lui était familier, Jane se dirigea vers la porte pour l'ouvrir et ne put s'empêcher de hoqueter devant la masse sombre qui lui barrait la route.
- Est-ce que tout va bien ? Demanda-t-il d'une voix qui lui envoya des frissons dans la nuque.
- Ou...oui, bafouilla-t-elle gênée par le regard intense qu'il posait sur elle. J'étais justement en train de...
- Est-ce que toutes vos affaires sont là ? Mes hommes n'ont rien oublié ?
Réprimant à mal les rougeurs qui lui montaient au visage sous ce regard si perçant, Jane se passa la langue sur ses lèvres sèches avant de répondre.
- Oui, il me manque seulement mon passeport et ma carte d'identité, je suis très inquiète à ce sujet.
- Vous avez l'intention de partir quelque part ?
Déroutée par la force de sa question, Jane secoua de la tête en fronçant des sourcils.
- Non, ce n'est pas dans mes projets, mais je tiens à les récupérer c'est essentiel d'avoir ses papiers d'identité sur soi.
Il s'écarta en lui prenant le poignet.
Jane eut un léger mouvement imperceptible qui ne passa pas inaperçu et au lieu de libérer son poignet, le cheikh resserra son emprise.
- Je ferais en sorte de les retrouver au plus vite, maintenant suivez-moi, le dîner nous attends.
Il s'était exprimé avec une douceur inhabituelle qui lui fit battre le cœur.
En entrant dans ses quartiers privés, ce fut pire. Jane déglutit, n'ayant guère le choix que de le suivre jusqu'à cette table dressée pour deux et quand il lui tira la chaise, elle hésita.
Dans ce moment d'hésitation, le cheikh au regard autoritaire n'eut aucun mal à lui faire savoir qu'il n'était plus possible de se dérober.
Alors elle s'installa non sans lui cacher sa nervosité.
- Est-ce que je peux connaître les raisons de ce dîner ? Osa-t-elle demander alors qu'il s'affairait à la servir.
- Parce que j'en ai décidé ainsi, dit-il sur un ton rauque qui se mêla au son mystérieux des flammes qui dansaient dans la cheminée au style victorien.
- Un roi n'autorise jamais un refus ?
- Je ne parlerais pas au nom des autres monarques existants mais pour ma part, vous connaissez déjà la réponse, répondit-il en prenant place en face d'elle sans arrogance manifeste.
Jane essaya de lire en lui, mais chaque fois elle se heurtait à un regard impassible. Alors elle baissa les yeux sur son assiette en se pinçant les lèvres. Jusqu'ici la grossesse ne lui avait pas posée trop de problèmes, mais à la vue du poisson qui pourtant semblait délicieux, Jane affaissa ses épaules en esquissant une légère grimace.
- Il y a un problème ?
Elle secoua de la tête avec un sourire forcé.
- Non, tout va...
- .....Mal ? Laissa-t-il supposer sur un ton agacé. Arrêtez de mentir Jane, vos yeux ne trompent personne ou en tout cas ils ne me trompent pas. Si quelque chose ne va pas, il suffit de le dire, je ne vais pas vous manger.
<< C'est déjà fait >> songea-t-elle en ouvrant la bouche pour mieux la refermer.
Mais sous le magnétique regard du cheikh, Jane abdiqua.
- Le bébé n'aime pas le poisson ou du moins me le fait savoir avec des nausées qui sont sur le point de...d'interrompre...
Il se pencha aussitôt et échangea son assiette contre la sienne.
- Et là c'est mieux ?
Jane consulta ce qu'il y avait dans l'assiette et l'odeur de poulet lui fit hocher la tête.
- Est-ce que vous avez d'autres ennuis de santé avec cette grossesse hormis celle que je connais déjà ? La questionna-t-il en la fixant le regard fermé.
- Non, enfin je veux dire j'ai quelques désagréments comme n'importe quelle femme enceinte mais je...
- Vous mentez encore Jane, dit-il d'une voix trop calme pour ne pas cacher autre chose de bien plus inquiétant.
- Je vous demande pardon ?
- J'ai consulté votre dossier médical laissé par mégarde sur votre table et vous avez une forte carences en vitamines.
- Que je soigne depuis peu avec des médicaments, répondit-elle en le dévisageant avec un frisson figé dans sa nuque.
Malgré son explication, il ne paraissait ou très peu convaincu. Un ruissellement de colère caressait dangereusement la noirceur de ses yeux.
- Est-ce que je peux avoir votre parole là dessus ou dois-je m'attendre à découvrir qu'il s'agit d'un mensonge ?
- Je ne mens pas, je ne suis pas une menteuse, je garde pour moi ce qui ne regarde personne d'autre que moi, se justifia-t-elle en sentant son bébé bouger.
Automatiquement elle posa ses mains sur son ventre.
- J'ai...je ne suis pas le genre de femme à quémander de l'aide, surtout pas à mon patron, ajouta-t-elle en baissant le regard.
- Pour quelle raison ?
- Je ne veux plus être prise en pitié, je ne veux pas être prise pour une pauvre fille en détresse et je...
- Je ne vois pas en quoi c'est mal d'être secouru lorsqu'on en a besoin, la coupa-t-il fermement. Demander de l'aide n'a rien avoir avec de la pitié. Et j'estime qu'un homme à le devoir de protéger une femme.
- Est-ce l'homme moderne qui parle ou l'autre ? Osa-t-elle demander en guettant sa réaction.
Mais lui aussi la scrutait avec intérêt et Jane fut prise de bouffées de chaleur. Il lui était impossible de nier à quel point elle se sentait secrètement chanceuse d'avoir été dans les bras de cet homme à la fois séduisant et intimidant.
- Les deux, avoua-t-il simplement de sa voix de gorge relevée d'un accent chaud. Cela semble vous poser un problème je me trompe ?
Jane suivit sa main saisir le verre d'eau qui dans cette large paume paraissait incongrue.
- Disons que vous n'êtes pas un homme normal à bien des égards, c'est à la fois fascinant et intimidant.
- Et encore, vous n'avez rien vu jusqu'à présent, dit-il d'une voix énigmatique qui la fit frémir.
Il pointa son assiette du menton.
- Mangez s'il vous plaît, vous avez besoin de forces.
Hadjar tâcha de ne pas être trop autoritaire mais c'était malheureusement impossible de ne pas l'être puisque cela faisait partie de lui.
Mais il remarqua que c'était pire depuis qu'il savait enfin la vérité. Un élan possessif le contraint à serrer les dents tandis qu'il ne parvenait plus à la quitter des yeux.
Il savait pertinemment les raisons qui poussait la jeune femme à ne pas demander de l'aide afin de ne pas se sentir prise en pitié. Parce que pendant des années avant de pouvoir changer de nom, son histoire avait fait la une des journaux, l'obligeant à partager son chagrin avec l'Angleterre mais aussi avec le monde entier qui s'était saisi de cette affaire. Son nom avait été utilisé pour faire les gros titres. Les détails effroyables sur les circonstances de son enlèvement et la mort de ses parents avaient été relayés encore et encore comme une plaie béante qui ne cicatrise jamais. Pendant des années jusqu'à l'âge de dix-sept ans, Jane Carpenter avait dû subir les regards de compassion avant que ces derniers se transforment en pitié.
En changeant de nom, Jane avait tout simplement voulu se faire oublier et aujourd'hui encore elle essayait de se fondre dans le décor en évitant de se faire remarquer.
La jeune femme voulait tout simplement disparaître au point de se mettre en danger.
- Vous auriez dû m'appeler pour votre appartement, je serais intervenu immédiatement.
- Je ne voulais pas risquer...
Elle s'interrompit soudain et Hadjar savait très bien pourquoi.
- De les faire revenir dans votre appartement pour qu'ils se vengent de vous ? Je sais tout Jane.
- Comment...
- Vous ignorez à qui vous avez affaire, la coupa-t-il en la gratifiant d'un regard implacable. Il m'a suffi d'un seul coup de fil pour savoir ce qu'il s'est réellement passé et les personnes impliquées dans cette sordide affaire.
Elle pâlit.
- Je n'y suis pour rien.
- Je le sais, se hâta de dire le cheikh en se levant lentement. Cependant ce sont ces circonstances qui m'ont amené à prendre la décision de vous garder ici.
Hadjar se dirigea vers le placard du salon privé pour en sortir un châle et alla le poser sur ses épaules.
Elle eut un léger sursaut mais le laissa faire, lui permettant rien qu'un instant d'être proche d'elle.
- Vous pensez que je suis en danger ?
- Je ne veux pas prendre de risques, c'est pour cette raison que vous allez rester ici jusqu'à ce que je découvre qui sont ces hommes et que je me charge d'eux.
En réalité Hadjar considérait que ces hommes étaient déjà mort à ses yeux. Ce n'était qu'une question de temps avant de les retrouver.
Il utilisait seulement cet argument pour qu'elle n'ait aucun soupçon sur ses réelles motivations à la garder ici.
- D'accord, murmura-t-elle d'une voix enrouée, la même qui le hantait depuis des mois.
Hadjar se recula légèrement, afin de contrôler cette pulsion qu'elle animait en lui.
Il fit le tour de la table pour reprendre place en face d'elle. C'est avec un geste assez timide qu'elle repoussa son assiette à peine terminée. Les coudes appuyés sur la table, les mains jointes, Hadjar décida de ne pas intervenir.
Du moins pas pour le moment.
- Vous pensez que ça va prendre longtemps ?
Bien sûr il comprit sans mal qu'elle voulait le fuir. Encore. Seulement désormais il connaissait les raisons.
- Ma présence vous est à ce point désagréable pour vouloir sans cesse me fuir ?
- Oh bien sûr que non ! C'est juste que je ne suis pas très à l'aise et je suis certaine que vous le comprenez votre Altesse.
- Dites-vous simplement que c'est pour votre sécurité et celle de...votre bébé.
Elle esquissa un sourire en coin en peinant à soutenir son regard. Pour lui, il s'agissait d'une torture qui comme une lame, creusait sa chair et il allait devoir se complaire dans cette douleur jusqu'à ce qu'elle soit dans son pays.
- Vous devriez rejoindre votre chambre pour vous reposer, dit-il précipitamment car ses pensées prenaient un vaste tournent innarêtable.
Elle se leva avec une lenteur qui paraissait délibéré et mordit cette lèvre qu'il avait lui-même mordu des mois plus tôt.
Il serra le poing pour refouler ce souvenir.
- Je suis désolée, lâcha-t-elle en relevant les yeux vers lui.
La sincérité profonde qui noyait le regard de la jeune femme adoucit subitement la tension palpable sur les traits de son visage.
- Pour quelle raison ?
- Le lit, je suis désolée que vous ayez dû voir ça, murmura-t-elle d'une voix qui paraissait émue. Vous, vous êtes donné tellement de mal pour le monter.
La culpabilité fut la seule chose à laquelle Hadjar se raccrocha en fixant ses beaux yeux bleus qui ne trompaient pas. Ils étaient brillants, laissant comprendre qu'elle retenait son émotion. Cette culpabilité éprouvée par la jeune femme renforçait la sienne et il dut serrer les dents pour qu'elle ne prenne pas forme sur son visage.
- Ce n'est pas votre faute, finit-il par dire d'une voix très basse mais qui émanait une puissance alors méconnue. Je vous en achèterai un autre, encore plus spécial.
Ce détail souleva une lueur incrédule dans ses yeux puis elle les baissa comme si elle cherchait à le fuir.
Encore.
Hadjar la laissa faire et attendit qu'elle referme la porte pour extirper de sa poitrine une respiration animal alors que le doute s'installait dans son esprit.
Allait-il tenir jusqu'à la fin du mois alors que tout son être brûlait de faire éclater la vérité ?
Rongé par l'envie de savoir ce qui l'avait poussé à garder ce secret, Hadjar craignait que sa nature dominante et implacable détruise son plan et il lui restait un seul et unique moyen d'apaiser son esprit douloureux.
Sinon, Hadjar craignait de ne pas pouvoir se retenir et mettre à mal tout ce qu'il essayait d'éviter à tout prix.
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