Chapitre 13
Jane écarta le rideau pour observer l'allée encore enneigée avec un sourire aux lèvres.
Oui, elle souriait pour le moindre détail même parfois le plus insignifiant. Chaque jour un peu plus elle se sentait revivre et commençait tout juste à apprécier de ne plus ressentir cette peur si paralysante qu'elle avait eu tant de mal à faire disparaître.
En effet, sous un ciel gris et monotone, c'est dans le bureau de Sophie Chapman que Jane avait appris la mort de ce monstre qui même après un long combat pour le faire taire avait toujours gardé une certaine emprise sur son esprit.
Robert Westford était mort.
Depuis trois semaines Jane était livrée à de nouvelles émotions qu'elle ne parvenait pas totalement à maîtriser.
La peur sans doute que ceci ne soit qu'un rêve.
Et chaque fois qu'elle doutait, Jane sortait son téléphone portable pour effacer les doutes de son esprit.
" Le 21 novembre 2022, Robert Westford a été tué dans sa cellule de la prison de Wandsworth "
En lisant le titre de cet article datant de plus de trois semaines, Jane lâcha un soupir de soulagement. Il était bel et bien mort mais chaque fois que Jane poursuivait cette pénible lecture, elle ne pouvait pas s'empêcher de frissonner.
Personne ne savait qui était à l'origine de sa mort mais les médias avaient rapporté qu'il s'agissait d'une mort sanglante au point que certains rapportaient qu'il avait été dépecé comme un animal.
Jane était connu pour sa compassion et son cœur si grand, mais en lisant cette partie, elle n'arrivait pas à éprouver la moindre pitié pour ce monstre qui lui avait ôté sa vie de petite fille innocente, qui l'avait arraché à ses parents qu'il avait tué de sang froid. Et il y avait ces petites filles innocents qui elles, n'avaient pas eu la chance de survivre à ce monstre.
Elle ferma l'article de son téléphone en effaçant la larme solitaire qui glissait sur sa joue mais aussi en se faisant la promesse de vivre et de profiter de chaque instant pour ses parents qui lui manquaient tant.
Elle baissa la tête pour ranger son téléphone tout en avançant pour quitter le salon mais se heurta à quelque chose d'aussi dur que l'acier. Une paire de mains solides l'avaient alors saisi par les bras et lorsqu'elle releva la tête son cœur martela aussitôt ses tempes.
Le cheikh qui venait d'émerger de nulle part baissa les yeux sur elle, l'infligeant de sa hauteur vertigineuse et de sa carrure enfermée dans un long manteau sombre.
Depuis trois semaines maintenant, le cheikh se faisait rare dans le manoir, lui permettant ainsi de ne pas sentir son cœur s'emballer chaque fois qu'elle croisait son regard sévère et animal. Amélia Lancaster avait laissé entendre que le roi d'Halkhara était occupé à nouer des relations diplomatiques avec les îles Britanniques et que ses réunions se finissaient jusqu'a tard le soir.
Jane sentit le poids de son regard sur elle alors qu'elle fixait son torse enfermé dans un pull opaque.
- Est-ce que tout va bien ?
Sa voix de gorge la fit frémir tandis qu'elle rejetait la tête pour atteindre sa paire d'yeux sombre.
- Oui, tout va bien, dit-elle en ne pouvant s'empêcher de humer son parfum épicé.
- Et vous ? Ajouta-t-elle poliment.
Il relâcha ses bras et fit un pas en arrière.
- On ne peut pas dire que je passe des semaines agréables, dit-il sur un ton qui laissait entendre qu'il était plus qu'agacé d'être encore Angleterre.
- Votre pays vous manque ?
- Et je manque à mon peuple, confirma-t-il en masquant sa première main dans un gant en cuir.
- Dans ce cas pour quelle raison êtes-vous encore ici ? Osa-t-elle demander.
Il braqua son regard dans le sien visiblement irrité par sa question.
- Pour des raisons d'ordre privées mademoiselle Wild, répondit-il en mettant le second gant sans la quitter des yeux. Dois-je comprendre que ma présence vous dérange ?
- Oh non ! Pas du tout ! Je voulais juste...il s'agit d'une curiosité mal placée voilà tout, bafouilla-t-elle. Je vais vous laisser.
Mais alors qu'elle le contournait pour partir à la hâte, le cheikh lui imposa son bras qui effleura avec mégarde son ventre pour l'arrêter.
- Je n'ai pas été très présent ces dernières semaines alors je voulais savoir si vous allez bien.
Le cœur battant à la chamade elle leva la tête dans sa direction pour le dévisager, la bouche sèche.
- Je vais très bien, merci votre Altesse, murmura-t-elle d'une voix qui trahissait les émotions qui l'envahissaient peu à peu sans même pouvoir les déterminer.
- Avez-vous besoin que je vous raccompagne en ville ? Madeleine m'a dit que vous deviez faire un saut chez vous pour voir un ami.
Jane fronça imperceptiblement des sourcils car elle aurait pratiquement juré qu'il s'agissait plutôt d'un interrogatoire qu'une proposition bienveillante.
- Mon ami va venir me chercher dans quelques minutes, mais je vous remercie pour votre proposition, dit-elle avec un sourire en coin.
- Serait-ce le père de cet enfant ?
- Non ! Se hâta-t-elle de dire. Il s'agit de Aron, un ami de longue date qui m'a gentiment proposé son aide pour déménager mes affaires.
- Vous changez d'appartement ?
Non, songea-t-elle en s'efforçant de garder le menton levé.
En réalité tout avait été saccagé et la responsable n'était autre que Tabitha et les personnes malveillantes qui étaient devenus ses nouveaux amis. Jane se souvenait encore de l'effroi qui l'avait submergé avant d'être anéantie quand elle était entrée dans son appartement retourné, ses affaires éparpillés sur le sol, son matelas déchiqueté. Ellie l'avait pourtant prévenue mais Jane n'avait pas voulu entendre que Tabitha puisse être accroc à la drogue au point d'envoyer des dealers chez elle pour récupérer des sachets qu'elle avait caché dans son appartement. Tabitha s'était présentée à elle en évoquant comme excuse qu'elle avait oublié l'endroit où elle les avait planqué, expliquant ainsi le saccage de son appartement. Elle lui avait rigolé au nez lorsqu'elle avait fondu en larmes pour le lit de son bébé complètement brisé.
Ces dealers ne s'étaient pas contenté de fouiller son appartement à la recherche de cette drogue, ils avaient laissé une empreinte indélébile, laissant penser qu'à tout instant ils pourraient revenir.
Jane quitta cette pénible torpeur et eut terriblement besoin de fuir cette pièce incapable de regarder le cheikh plus longtemps.
- Oui, le bébé arrive dans trois mois alors il me faut un appartement plus grand, mentit-elle en osant à peine le regarder.
- Où ça ? S'enquit-il d'une voix qui fit battre son cœur un peu plus.
Il doutait et Jane avait l'impression d'être dans une impasse.
- Trois rues un peu plus loin, plus proche du centre-ville.
Jane déglutit en soutenant son regard et pour parfaire son mensonge elle lui sourit avec une gaieté forcée.
- C'est bientôt noël, je dois impérativement être installée avant, c'est ma fête préférée.
- Dans ce cas je serais ravi de visiter votre nouvel appartement très prochainement.
- J'en serais ravie votre Altesse, lui dit-elle sans se départir de son sourire.
Impassible, ne laissant rien transparaître sur son visage, pas même l'ébauche d'un sourire en retour du sien, il s'effaça du salon d'un pas assez rude et quitta le manoir avec Charik.
Jane expira tout l'air bloqué dans sa poitrine quand elle fut certaine qu'il n'était plus là avant de se maudire à voix haute.
- Encore un mensonge Jane ! Tu es...stupide ! Se dit-elle à elle-même en quittant le salon.
Qu'allait-elle faire maintenant ?
Quel autre mensonge encore plus grand allait-elle inventer pour se sortir de là ?
Espérant au plus profond d'elle que le cheikh abandonne l'idée de venir dans cet appartement qui n'existait même pas, Jane quitta à son tour le manoir pour retrouver Ellie et Aron pour récupérer ses dernières affaires.
- J'ai essayé d'emballer du mieux possible, lança Ellie en glissant le carton à l'arrière de la voiture.
- Merci Ellie.
- Il faut que tu portes plainte, insista Ellie en l'empêchant de passer.
- Non, je refuse de prendre ce risque, répondit Jane sur un ton définitif. J'ignore qui sont ces personnes qui se sont introduites dans mon appartement. Imagine un peu qu'il s'agisse d'un dealer extrêmement dangereux avec des réseaux un peu partout. Si jamais ils me retrouvent pour me faire payer ma plainte...seigneur !
Jane se retint à la portière de voiture alors que le pire défilait sous ses yeux.
- Ellie a raison, lança Aron depuis le coffre de la voiture qu'il ferma. Si tu ne portes pas plainte, le propriétaire de l'appartement compte le faire. Si tu mettais plus de poids avec...
- Non ! Dit-il comme un cri venant du cœur. Vous ne pouvez pas comprendre mais je vous assure que c'est mieux comme ça.
- Ah oui tu trouves ? Répliqua Ellie agacée et peinée. Tabitha devrait payer pour ce qu'elle t'a fait Jane. Ta propre meilleure amie qui se sert de toi, qui cache de la drogue dans ton appartement et qui envoie des malfrats récupérer leur business de peur de subir leur foudre. Imagine si tu avais été dans l'appartement ? La vieille femme du troisième étage les a entendu clairement dire " Où est-elle "
Le matin même, Jane avait mis de côté le saccage de son appartement pour inspirer profondément de bonheur car Robert Westford était mort, essayant de se persuader que désormais elle ne craignait plus rien.
Ellie venait de gâcher ce bonheur avec une froide vérité qui l'empêcha de respirer.
- Pense à ton bébé Jane ! Insista Ellie. Tu ne vas tout de même pas rester dans une chambre d'hôtel alors que tu pourrais exiger des réparations.
- Non...non, je refuse de prendre ce risque, je suis désolée Ellie si je te déçois mais, je ne peux pas.
- Tu ne me déçois pas mais...
- Je veux être heureuse, et cette plainte va encore m'enfermer dans une peur que je suis épuisée de ressentir. Je suis désolée.
Jane monta dans sa voiture et quitta ce quartier maudit en laissant derrière elle ses deux amis qui hélas ne pouvaient comprendre les raisons de son choix.
Quelques heures plus tard, dans l'hôtel luxueux de Londres, Hadjar siffla entre ses dents en se levant pour arpenter le bureau du directeur d'un pas menaçant.
Le désespoir s'affichait sur les traits de Charik et Charles Hanton, le directeur de l'hôtel tirait de plus en plus sur sa cravate en manque d'oxygène.
Au bout de deux heures d'interrogatoire, aucune des personnes convoquées l'avait aiguillé sur une piste. Tous avaient témoigné de leur soirée avec minutie mais aucun jusqu'ici était présent à l'étage de la suite Royale.
Hadjar avait détaillé chacune de ces femmes avec soin jusqu'à se concentrer sur leur voix avec l'espoir de trouver celle qui pourtant résonnait dans sa tête comme une douleur lancinante qui ne voulait plus le quitter.
Hadjar ne voulait pas se l'admettre mais c'était fini. Aucune de ces femmes était celle avec qui il avait passé la nuit. Charik avait peut-être raison. Cette inconnue ne voulait pas montrer et Hadjar s'obstinait à chercher quelqu'un qui ne voulait pas être retrouvé.
Ainsi serait son châtiment.
Il allait devoir vivre avec ces terribles questions obsédantes jusqu'à la fin de sa vie.
- Combien en reste-t-il ? Demanda-t-il d'une voix lointaine tandis qu'il regardait l'horizon depuis l'une des fenêtres.
- Deux votre Altesse, répondit Charles Hanton d'une voix où la crainte se faisait sentir.
Sans se retourner, Hadjar entendit la porte se refermer sur l'avant-dernier membre du personnel et ferma les yeux en serrant les dents.
- Nous vous avons convoqué parce qu'il se trouve que son Altesse royale le cheikh Al-Nashrar qui à séjourné dans notre hôtel en juillet a été volé dans la suite Royale et ce soir-là vous étiez responsable de cet étage mademoiselle Moretti.
- Il n'y a pas eu de vol, c'est impossible, répondit l'employée avec une fermeté qui le fit se retourner.
Hadjar rencontra le regard de la femme aux cheveux noirs coupés court et lut une défiance à son égard.
Ce n'était pas le moment, songea Hadjar en serrant les poings dans les poches de son pantalon.
- Seriez-vous en train d'insinuer que je suis un menteur Mademoiselle Moretti ? Lui dit-il sur un ton faussement calme.
Elle baissa les yeux sans doute intimidée par son visage marqué de froideur.
- Non, mais je vous dis que c'est impossible et je veux des garantis si je vous explique ce qu'il s'est passé ce soir-là, répondit-elle en se tournant vers son patron.
- Mademoiselle Moretti ! Gronda Charles Hanton l'air indigné. Vous n'êtes pas en position de marchander ici !
- Qu'est-ce que vous voulez ? Lança Hadjar curieux de savoir jusqu'où elle irait pour lui infliger un autre mensonge car hélas, ce n'était pas la première depuis deux heures qui avait tenté le coup.
- La garantie que je ne serais pas renvoyé si je dis la vérité car je suis contre mon gré impliquée dans cette affaire.
- Pas d'argent ? S'enquit Hadjar froidement.
- Si vous le proposez, répondit-elle en croisant les bras. Ma grand-mère est malade, j'ai besoin d'argent pour les soins médicaux et j'aimerai aidé la victime de cette mascarade, d'où mon silence prolongé.
Hadjar plissa les yeux en essayant de lire en elle s'il y avait une part de vérité.
- Vingt mille livres me paraît acceptable, mais prenez garde mademoiselle Moretti, commença le cheikh d'une voix sombre en sortant son chéquier. Ceci est mon septième chèque aujourd'hui et tous on été déchiré à la fin de chaque entretien où l'on a tenté de m'escroquer avec des mensonges mal pensés. Si jamais vous avez pour projet de me balader sachez que je serais impitoyable comme avec vos précédentes collègues.
Elle blêmit mais hocha tout de même de la tête, l'air déterminé.
- Je n'ai aucune raison de mentir, je veux cependant votre parole que je ne serais pas viré et je veux aussi une intervention de votre part pour arrêter des personnes qui sont une menace pour mon amie. Vous avez le bras assez long pour ça je suppose.
Hadjar dévisagea la femme de chambre avec un peu d'étonnement car sa demande ne correspondait pas aux précédentes.
Se pourrait-il qu'elle connaisse véritablement la vérité ?
Allait-elle mettre un terme à sa longue et pénible agonie ?
Hadjar n'y croyait pas, et serra les poings de colère avec la crainte qu'il les laisse s'abattre sur le bureau avant même que commence une nouvelle narration de calomnie...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top