Chapitre 11



Le soleil se couchait sur un paysage figé de froideur à tel point que l'on pouvait entendre des petites gouttes de neige fondue tomber avec mélancolie sur le perron qui menait à la deuxième entrée du manoir. Hadjar ouvrit la porte sans aucune finesse, laissant sur la poignée une ébauche de ce qui venait d'achever cette journée si différente des autres. Bien plus sombre, comme il les aimait parfois.

Il monta l'escalier privé sans se presser car il savait que personne n'était autorisé à pénétrer dans cette partie privée.

Les muscles encore raides, les mâchoires toujours aussi crispées sans qu'il n'en ressente la moindre douleur, anesthésié depuis si longtemps, Hadjar ôta son manteau qu'il jeta sur le dossier du fauteuil et prit la direction de la salle de bains.

Il se plaça face au miroir et prit le temps pour étudier son visage. Un goût de satisfaction commença aussitôt à l'envahir. Bien sûr ce reflet le ramenait à une époque qu'il ne voulait pas oublier mais qui avait des plaies béantes et le sacrifice de vies humaines qui le poussait à se faire vœu de ne jamais oublier chacune d'entre elles.

Il suivit la ligne de sa cicatrice qui barrait une partie de son visage et sentit en lui ses gènes de conquérant renaître. Certains hommes auraient probablement été rebuté de renvoyer une telle image mais pas lui. Il portait ces balafres avaient fierté et ne regrettait pas la manière dont il les avait obtenu.

Ce soir encore moins.

Il fixa la goutte de sang qui perlait à l'extrémité de la balafre jusqu'à la voir tomber dans le lavabo.

Le cheikh détourna les yeux de son reflet pour fixer celui de Charik qui se tenait dans l'encadrement de la porte.

Il n'exprima aucune de ses pensées, demeurant impassible devant pourtant le renvoie d'une image assez effrayante de ce qu'il était.

Mais Charik avait lui aussi combattu à ses côtés et l'avait déjà vu dans des états bien pire que ça.

- Votre fin de journée s'est bien passée votre Altesse.

- Elle a été différente de ce que je mettais imaginé ce matin, répondit le cheikh en actionnant le robinet.

Charik regardait son roi sans trahir le cours de ses pensées. Couvert de sang, le cheikh ne le quittait pas des yeux alors que l'eau limpide dans l'évier se transformait en flaque écarlate qui tourbillonnait et qui à mesure qu'il frottait ses mains devenaient de plus en plus vive.

Sur son visage courrait le sang de l'ennemi et qu'il portait fièrement sans craindre le regard des autres...surtout pas le sien.

Sa chemise était tout aussi porteuse de ce qu'avait été la journée de son roi après l'avoir quitté. Tâchée aussi bien dans le dos que sur le devant, celle-ci témoignait à elle seule du massacre qui avait eu lieu.

Mais Charik n'était pas tant surpris par son apparence mais plutôt désireux de savoir comment il s'y était pris.

Comme avait-il réussi à agir avec autant de sauvagerie et sans pitié dans ce pays sans être remarqué.

- Puis-je savoir ce qu'il s'est passé ou plutôt comment avez-vous fait ?

Il coupa l'eau, attrapa une serviette pour essuyer ses mains et se retourna.

- Le système de sécurité des prisons de la belle Angleterre me semble quelque peu défectueux. Pénétrer à l'intérieur était un jeu d'enfant, aussi facile que de déverrouiller une portière de voiture, dit-il en jetant la serviette sur l'évier.

- Pour vous peut-être, nota Charik en inclinant légèrement la tête. Est-il mort ?

- Aussi mort qu'il est possible de l'être, affirme-t-il rictus aux lèvres. J'ai fait dérailler le système de surveillance, j'ai pénétré à l'intérieur de sa cellule et j'ai fait ce que j'avais à faire.

- Vous ne craignez pas...

- Je les mets au défi de découvrir que c'est moi, le coupa-t-il durement. Et quand bien même ça serait le cas, je doute que le premier ministre éprouve le désir de se dresser contre moi.

Charik inclina de nouveau la tête sans mot dire.

- Même si j'ai perdu de ma compassion pendant cette guerre, cette jeune femme ne méritait pas et ne mérite pas de perdre tout ce qu'elle a entreprit pout oublier ce...monstre.

- Je sais, murmura Charik en le dévisageant. Mais est-ce seulement la compassion qui vous a poussé à faire cela ou est-ce que vous, vous sentez coupable d'avoir été...

- Parfois même le plus dur des hommes peut ressentir de la culpabilité, la coupa-t-il d'une voix plus amène. Cela ne change en rien ce que je suis et tu en as la preuve ce soir.

Il marqua une pause dans laquelle son regard noir vrilla sur son reflet.

- J'ai commis une énorme erreur de jugement, elle ne méritait pas la froideur que je lui ai témoigné avant de partir ce matin. Ce qu'elle a vécu est affreux.

- Affreux oui, c'est le mot, confirma Charik à mi-voix.

Hadjar se détourna de son reflet en songeant à la jeune orpheline qui avait dû souffrir au-delà de l'impensable. Comme l'avait précisé Christine Coner, c'était un miracle qu'elle soit en vie.

La dernière phrase de l'avocate l'avait rendu fou de rage. Une rage qu'il avait gardé enfoui sourdement en lui.

Imaginer qu'elle puisse mourir ainsi que son bébé lui avait été impensable.

Et la seule solution pour que ça n'arrive pas c'était de tuer Robert Westford.

Maintenant la jeune Anglaise n'aurait plus jamais peur qu'il puisse sortir de prison, même s'il ne pouvait pas effacer la mort de ses parents et l'effroyable épreuve qu'elle avait dû surmonter.

Il ne vit pas son visage mais se surprit à sentir en expression douloureuse tirailler ses balafres.

- As-tu bien compris les conseils de l'avocate ? Dit-il vivement en réanimant la froideur de son visage. Il ne faut rien laisser paraître de ce que nous savons. Jane Wild a changé de nom pour vivre le plus normalement possible et éloigner la pitié des gens. Quand elle apprendra qu'il est mort il faut cependant se tenir prêt à la réaction qu'elle pourrait avoir sans montrer que nous sommes au courant. Il ne faut surtout pas qu'elle soit seule au moment où elle va l'apprendre.

- J'ai bien compris votre Majesté mais nous avons un problème car Jane Wild n'est plus au manoir.

Hadjar releva précipitamment la tête tout les sens en alerte.

- Comment ça elle n'est plus là ?

- Madeleine m'a informé qu'elle est partie tôt ce matin peu après notre départ étant donné qu'elle ne travaille pas le week-end.

- Elle l'a laissé s'en aller par ce temps ! Gronda-t-il. Sait-on au moins si elle est rentrée en toute sécurité ?

- Madeleine m'a rapporté que la jeune femme s'est montrée très insistante sur le fait de quitter les lieux au plus vite.

Hadjar ne savait pas si c'était le fait qu'elle soit partie au risque d'envoyer sa voiture dans le fossé ou parce qu'elle avait une fois de plus désobéi à ses ordres qui le mettait le plus en colère.

Puis il se rappela de la froideur avec laquelle il l'avait accueilli le matin même en sachant évidemment que ce détail avait peut-être un lien avec sa fuite.

Le cheikh serra les dents en étouffant un juron alors qu'il fixait son visage ensanglanté dans le miroir, et il sentit courir dans ses veines un sentiment étrange et très puissant qui chaque seconde un peu plus le nourrissait un peu plus de force.

Jane reposa le tournevis avec un soupir exaspéré en raflant la notice loin d'elle au milieu des tas de planches en bois. Elle se releva avec un peu de difficulté pour aller se passer un peu d'eau froide sur le visage. Elle était si en colère d'avoir été trompée par le vendeur qu'elle était prête à lui rendre ce fichu lit que les livreurs n'avaient pas accepté de monter.

- On est mal mon bébé, on est très mal, murmura-t-elle en retournant dans sa chambre pour ranger le chantier qu'elle avait elle-même créé.

Alors qu'elle s'apprêter à glisser la première planche dans le carton elle entendit deux coups assez fort retentir jusqu'à elle.

Son premier réflex fut de consulter son radio réveil qui affichait neuf heures du soir. Jane songea d'abord à Tabitha qui venait pour s'excuser avant de voir dans le judas de porte une silhouette si massive et grande qu'elle ne parvenait pas à voir son visage.

Son cœur s'affola quand de nouveaux coups se mirent à faire vibrer la porte.

- Qui est-ce ? Demanda-t-elle la main sur le verrou.

- Votre patron mademoiselle Wild.

Jane sentit ses joues s'empourprer avant de pâlir.

Bon sang mais que faisait-il ici à une heure si tardive !

Le cœur tambourinant contre ses tempes, Jane entrouvrit la porte en laissant la chaîne par sécurité.

Elle leva les yeux vers les siens qui étaient braqués sur elle avec une lueur différente de ce matin.

- Qu'est-ce que vous faites ici ? Demanda-elle la bouche sèche.

- Laissez-moi entrer Jane, je ne vais pas vous faire du mal, lui dit-il en la dévisageant avec une intensité déroutante.

Il avait prononcé son prénom pour la première fois et elle ne pouvait mentir sur les frissons étranges qu'elle venait de sentir contre sa nuque.

Elle hésita quelques secondes avant de déverrouiller complètement la porte. Toutefois paniquée par sa visite, Jane s'écarta avec une inquiétude peinte sur le visage et ce fut pire quand sa haute et impressionnante silhouette s'empara de son espace personnel.

Seuls une poignée de centimètres séparaient le plafond de sa tête et elle eut aussitôt l'impression que son appartement avait rétréci.

Il jeta un regard circulaire dans son modeste salon sans laisser entrevoir ce qu'il pouvait en penser.

- Vous êtes partie, lâcha-t-il sur un ton accusateur.

- C'est le week-end, j'avais des choses à faire.

- Vous n'avez pas contacté Madeleine ni Jacob pour leur dire si vous étiez bien arrivée.

Face à cette accusation quelque peu déroutante Jane ouvrit la bouche avec un moment de flottement.

- Et vous avez fait tout ce chemin pour me dire ça ?

- Et pour m'assurer que vous allez bien, confirma-t-il en la couvrant d'un regard indescriptible.

Stupéfaite et déroutée, Jane secoua imperceptiblement de la tête.

- Monsieur Al-Nashrar je ne comprends pas, je...

- Pour ce matin, je suis navré si mon comportement vous a disons...perturbé, déclara le cheikh d'une voix profonde et étonnamment douce.

Jane se questionna fébrilement sur la raison qui le poussait à lui présenter des excuses alors que la froideur exprimée ce matin n'était pas si différente des autres fois.

- Je m'y habitue, dit-elle doucement.

Sa réponse ne perturba aucunement cet homme taciturne qui au contraire de ce qu'elle avait redouté, inclina la tête légèrement avant de baisser les yeux..

Ses épais sourcils noirs semblables à ses cheveux noirs de jais se plissèrent.

- Je ne vous ferai aucun mal, inutile de garder ça dans vos mains.

Jane mit quelques secondes avant de comprendre et baissa la tête sur la planche qu'elle serrait dans sa main.

- Oh non ! Ce n'est pas...en fait j'étais en train...en réalité les livreurs m'ont dit qu'ils n'étaient pas payé pour faire ça alors j'essayais de monter le lit que j'ai acheté pour mon bébé.

Jane grimaça en cachant la planche derrière son dos.

- Essayer ne veut pas dire réussir, avez-vous des difficultés ?

- Aucune.

Hadjar suivit la fine couche qui recouvrait les pommettes de la jeune femme. Elle mentait et éprouvait sans doute le désir de le voir partir. Elle était différente de lorsqu'elle venait travailler au manoir. Encore plus belle encore.

Elle portait une longue chemise de nuit en coton, dévoilant innocemment le dessin de sa poitrine et un gilet fin de couleur bleu lagon qui faisait ressortir les nuances dans ses yeux.

Mais ce n'est pas tant ça qui l'avait saisi dès qu'elle s'était retournée pour le laisser entrer, mais plutôt ses longs cheveux blonds ramenés sur le côté, cascadant sur l'arrondi de son ventre.

Hadjar sentit un pli dur se former sur ses lèvres, maudissant son esprit pour la dérive de ses pensées. Il les réprima, et se concentra plutôt sur l'essentiel.

Dire qu'il ne la voyait pas différemment depuis qu'il connaissait son douloureux passé serait un mensonge, mais il ne devait pas lui donner une chance de découvrir qu'il le savait.

- Laissez-moi vous aider, dit-il en s'avançant pour glisser sa main dans son dos pour lui prendre la planche des mains.

Lorsque la main chaude du cheikh effleura les siennes, un tumulte de sensations se mit à l'envahir.

Jane redoubla de prudence quand elle sentit la chaleur de sa carrure imposante.

- Non, sincèrement ce n'est pas...à vous de faire ça, balbutia-t-elle en le regardant défaire son manteau.

- Qui d'autre alors ? S'enquit-il sans la quitter des yeux. Je ne vous donne pas le choix d'accepter de toute façon.

- Est-ce qu'un jour quelqu'un à réussi à vous tenir tête jusqu'à ce que vous cédiez ?

Impassible, il acquiesça.

- Oui et il en est mort, lâcha-t-il en se retournant pour poser son manteau sur la chaise de l'entrée.

Jane tressaillit alors qu'il s'emparait des lieux sans l'attendre, lui promettant une longue soirée qui allait mettre une fois de plus son secret en grand danger...

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