Chapitre 29 - Premier contact
« Bonjour... Déclaré-je d'une voix incertaine.
— Tu m'entends bien ? »
A vrai dire je ne sais même pas lequel des quatre Abyssaux me parle. C'est assez troublant. Par contre, je peux percevoir quelques changements de tonalité de voix. Heureusement car sinon je ne pourrai pas du tout interpréter les réactions de mes interlocuteurs. J'acquiesce donc en leur expliquant mon problème.
« C'est Syntrofos qui parle, celui qui lève le tentacule. C'est ce que nous ferons à chaque fois que nous prendrons la parole, comme ça tu sauras qui s'exprime. »
Je remercie mon maître pour son idée somme toute assez ingénieuse. Il me fait ensuite les présentations. Lui-même, Synotrofos, le plus grand de tous. Therapei, avec son espèce de cicatrice sous l'oeil, que je connais déjà. Gynaika, un Abyssal dont l'un des tentacules est anormalement court. Et Gyros, le plus petit qui ne doit pas dépasser les cinq mètres de haut. Je suppose donc, par homologie avec la race humaine, que Syntrofos et Gynaika sont les parents de Gyros. Quand je leur demande lequel est un mâle et lequel est une femelle, il me regardent avec l'air de ne pas comprendre ma question, comme si elle avait été particulièrement absurde.
« Ce concept n'existe pas chez eux. Intervient Revi. Ils sont tous hermaphrodites. »
Je suis extrêmement surprise de l'apprendre mais au moins je ne me tromperai pas sur ce point là ! Ils me confirment par contre qu'ils sont bien les parents du petit Abyssal et je suis un peu soulagée de voir que nous ne sommes pas si différents que cela.
« En tous cas nous sommes très heureux de t'accueillir chez nous depuis ces quelques mois ! Déclare Gynaika avec enthousiasme.
— J'avoue que c'est un peu moins joyeux pour moi mais bon si ça peut vous faire plaisir... Répliqué-je avec un sarcasme non dissimulé. »
J'avais décidé d'être diplomate avec mes maîtres mais la tentation a été trop forte ! Je vais probablement avoir beaucoup d'occasions de faire culpabiliser les Abyssaux et je me suis jetée sur cette première. Je vois d'ailleurs les créatures s'agiter un peu, troublées par ma réaction teintée d'une agressivité latente.
« Et bien, il est vrai que tu n'as pas vraiment été amenée ici de ton plein gré mais... Nous faisons tout pour te rendre heureuse... Bafouille Syntrofos.
— C'est vrai qu'elle ne voulait pas venir chez nous ? Demande Gyros. »
Sa voix est identique à celle des autres à cause du traducteur mais je ressens en elle une certaine innocence, caractéristique de l'enfance, qui m'attendrit. Cependant, j'attends avec impatience la réponse de ses parents.
« Pas vraiment. Admet Gynaika. Mais, maintenant, nous nous occupons d'elle donc tout va bien. C'est pour évoluer plus vite. Tu comprends ?
— Oui géniteur... Souffle le petit même s'il ne paraît pas tout à fait convaincu. »
Le mot utilisé me surprend mais je comprends bien que les mots 'père' et 'mère' n'existent pas dans leur langue. Le traducteur a sûrement dû trouver un équivalent mixte et finalement, ce n'est pas si incohérent.
« Bon, j'espère que tout va bien se passer. Annonce l'Ambassadeur en interrompant la discussion. Eulalie, sois sage, je te reverrai dans deux semaines pour une visite de contrôle. Sache que si tes Abyssaux ne sont pas satisfaits de ton comportement, des sanctions seront prises. N'oublie pas que tu es ici pour les servir et rien d'autre. »
Les paroles dures du Primaire me vexent profondément. Je comprends aisément que mon opération n'a eu lieu que parce qu'elle profitait à ses gigantesques créatures préférées et non pour que j'aille mieux. Je suis un peu déçue car j'espérais que Revi, en apprenant à me connaître, développerait un peu d'empathie à mon égard. Je me trompait. Dépitée, je me sens soulevée par un tentacule et je lève la tête pour savoir à qui il appartient. Je croise le regard balafré de Therapei et je suis un peu soulagée. Mes maîtres semblent clairement me considérer comme un objet ou une sorte de peluche mais j'ai encore un petit espoir en ce soigneur. Celui-ci m'emmène dans la salle de bain tandis que les autres rejoignent le hall d'entrée. Je me souviens alors que je suis complétement nue : j'ai été tellement troublée que ce détail m'était un peu sorti de l'esprit. Maintenant que j'en suis de nouveau consciente, j'ai hâte de pouvoir récupérer des vêtements. Avant cela, l'Abyssal me fait prendre un bain et s'occupe des soins réguliers.
Puis il me propose de choisir ce que je vais me mettre sur le dos. Je suis un peu surprise mais plutôt contente. Il sort donc un tas de tissus d'un placard et je suis autorisée à fouiller dedans pour trouver quelque chose à ma taille et qui me plaît. Il y a tellement de variété que je me retrouve vite noyée sous les robes, les jogging, les costumes, les loques informes et les pyjamas. Au milieu de tout ce bazar hétéroclyte, j'arrive à trouver un jean et un t-shirt à la couleur délavée. Ils sont un peu larges mais je préfère cela plutôt que d'être serrée. Je déniche aussi des sous-vêtements corrects.
« Est-ce que vous avez des chaussures ? Demandé-je soudainement. »
Le soigneur me lance un regard perdu et je lui décris ce que je souhaite. Ses grands yeux semblent s'illuminer et il sort plusieurs paires de baskets, talons et ballerines. Je choisis les premières chaussures à ma pointure qui semblent confortables et les enfile rapidement. Je n'ai jamais aimé les talons : à mes yeux, c'est de la torture inutile. En tous cas, je suis bien contente d'avoir enfin des semelles sous les pieds. Je vais pouvoir marcher beaucoup mieux maintenant. J'explique d'ailleurs à la créature qui s'occupe de moi qu'il serait bien d'en offrir aussi à mes congénères.
« Je crois que monsieur Revi a bien fait de vous implanter ce traducteur. Grâce à toi, je vais pouvoir améliorer la vie de tous les Exons1998 ! S'exclame Therapei. »
J'acquiesce silencieusement, satisfaite de sa réaction : lui, au moins, semble se soucier du bien-être des êtres-humains. Cela me laisse espérer que si je leur prouve que je suis un être sensible doué d'intelligence, je pourrai peut-être rallier mes propriétaires à ma cause. En effet, ils paraissent plutôt insensibles mais je suis sûre que c'est parce qu'ils n'ont pas conscience de ce que je vit. Ils me voient probablement comme un petit animal faible, inférieur, sans attache. Ma nouvelle mission est de leur prouver le contraire. Sans cela, je n'obtiendrai jamais leur soutien pour m'évader. Je pense notamment persuader Gyros assez vite car il a déjà émis des doutes quant à la légitimité de m'utiliser pour évoluer. Son esprit enfantin est plus apte à s'adapter à une nouvelle réalité que ses parents qui font confiance aux Primaires. Eux, cela ne va pas être facile de les convaincre.
En tous cas, quand je suis ramenée vers eux, ma décision est prise : je vais tout faire pour les attendrir, même si pour cela, je dois feindre de les considérer comme ma famille.
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