Je suis réveillée par une douleur intense à l'arrière du crâne. J'ai l'impression que ma tête est une enclume sur laquelle on frappe inlassablement. Je mets un temps fou à me rappeler comment j'en suis arrivée là et plus encore à pouvoir ne serait-ce qu'entrouvrir les yeux. Quand j'y arrive enfin, je suis surprise de voir que la pièce n'est que très peu éclairée. Je suis tellement habituée à la lumière vive que mon regard peine à s'accommoder. De toutes façons, j'ai trop peur de tourner la tête pour voir autre chose que le plafond uni. La douleur lancinante est trop insupportable pour que je tente le moindre mouvement.

« Alors ! Comment va la petite Exon1998 ? S'enquiert joyeusement Alanin en entrant dans la pièce »

Sa voix résonne dans mon crâne et j'en viendrais presque à préférer le sarcasme inexpressif de Revi. En plus l'utilisation de la troisième personne m'exaspère au plus haut point : j'ai l'impression de ne pas exister !

« Elle s'appelle Eulalie et elle sent mal... Grogné-je donc.

- Mais encore ?

- J'ai des nuages plein la tête et ils sont habités par des essaims d'abeilles en furie : j'ai mal et je n'arrive pas à réfléchir.

- Je vais arranger ça ! Affirme mon médecin d'un air enjoué. »

Il commence alors à chercher ce qu'il lui faut dans ses placards. Il s'approche ensuite de moi avec un pot contenant un gel d'un rose translucide assez joli. Alors qu'il y plonge la main pour m'en appliquer sur mon incision recousue, il me pose une question à laquelle je ne m'attendais pas vraiment :

« Quelle créature appelles-tu "abeilles" ?

- Hum... Et bien, ce sont de petits insectes rayés de noir et jaune. Vous ne connaissez pas la faune et la flore de ma planète ?

- Ce n'est pas mon métier ! M'explique Kirurg. Je laisse ce genre de chose aux zoologiques et aux biologistes. Et encore, même eux sont spécialisés sur une planète. »

Je suis presque fière de savoir quelque chose que ce Primaire, soi-disant plus intelligent, ne connaît pas. Finalement, ils semblent peut-être supérieurs parce qu'ils sont dans leur élément mais je crois qu'ils ne se débrouilleraient pas aussi bien que moi sur Terre. C'est un peu rassurant.

Pendant que je réfléchis, je sens la main d'Alanin enduite du gel se promener délicatement sur ma blessure. La substance est poisseuse et tellement froide que je ressens une horrible sensation de brûlure. Je gémis de douleur et demande à mon médecin d'arrêter mais il m'explique qu'il s'agit d'une crème cicatrisante. Je me mords donc la lèvre et serre mes poings, prenant mon mal en patience. Finalement, petit à petit, la douleur s'atténue, ne laissant qu'un souvenir désagréable mais éphémère. Je pousse un long soupir d'aise que je suspend soudainement en pensant à ce qui va suivre : ma première discussion avec des Abyssaux. Je demande donc à Kirurg quand cela arrivera et il me répond que je pourrai le faire dès aujourd'hui. Je ne sais pas si je suis heureuse ou au bord de la crise de panique, peut-être un peu des deux...

« Comment fonctionne ma puce ? M'enquiers-je car je me rends compte que je n'en ai pas la moindre idée.

- Tu dois simplement penser les mots "Traduction - Exon 2507 - Activée". C'est le même principe pour l'éteindre mais il s'agit de la "désactiver". Pour parler, fais le normalement et le traduction sera automatique. »

Je hoche doucement la tête, encore effrayée par la souffrance qui m'a pourtant quittée. Puis, je me relève lentement, aidée par Alanin. Quand je suis assise, je suis prise d'un léger vertige mais il me soutient et je reprends vite contenance. Ses bras passent ensuite sous les miens et me soulèvent pour me déposer avec délicatesse sur le sol. Lorsque mes pieds touchent par terre, mes jambes refusent de se tendre, se dérobent sous moi, et je m'affaisse lourdement. Heureusement, je suis rattrapée par Kirurg ce qui empêche ma tête de heurter le sol. Je me sens vraiment faible et je me demande si je ne devrais pas attendre un peu avant de quitter mon lit. Cependant, mon médecin n'est pas de cet avis et m'aide à me relever. Après plusieurs minutes où je titube, je finis par réussir à tenir debout toute seule. En sortant de la pièce, nous débouchons sur le sas que nous traversons rapidement. Nous traversons le couloir toujours aussi vide et nous arrêtons devant le bout de ce corridor.

« Bon, c'est ici que nos chemins se séparent. Nous ne nous reverrons qu'en cas de complications, autant dire jamais puisque c'est moi qui t'es opéré ! Déclare-t-il en m'adressant un clin d'oeil complice. J'ai vraiment été heureux de te connaître. J'ai rarement l'habitude de travailler avec des Exons et je trouve toujours cela très intéressant. »

Je suis un peu déçue de savoir que je ne le reverrai pas. Je le trouvais plus sympathique que Revi. Tant pis, je supporterai le caractère de ce Primaire grognon. Je remercie Alanin et, même si je n'ai pas beaucoup d'affection pour les extraterrestres de son espèce, je suis sincère. Son opération va changer ma vie et je lui en fait d'ailleurs part. Puis, Kirurg se recule et me salue avant de partir. Je le regarde s'éloigner quand une voix familière me tire de mes pensées :

« Bonjour jeune fille. »

Je souris doucement car il me semble que cette salutation est un peu plus vivante que d'habitude. Je le salue donc à mon tour en essayant de me montrer enthousiaste même en étant morte de peur à l'idée de communiquer avec mes maîtres pour la première fois.

« Je voulais être présent pour votre première conversation donc j'ai décidé de convoquer tes propriétaires. Ils ne devraient pas tarder. »

Quand il finit sa phrase, je contourne son bureau pour être en face de lui plutôt qu'à côté. J'ai beau le connaître de mieux en mieux, je préfère tout de même mettre une certaine distance entre nous. A peine ai-je rejoins ma place habituelle que la porte s'ouvre, révélant ma famille d'Abyssaux, accompagnée par Therapei. J'active immédiatement ma puce par la pensée et j'entends soudain une voix profonde et grave résonner directement à l'intérieur de ma tête, comme si elle venait de mon cerveau lui-même et non des créatures qui me font face.

« ...Jour Monsieur Revi. Bonjour Eulalie. »