十 | dix

Les mains abîmées du soldat glissèrent lentement contre les parois de l'échelle, son corps se laissait presque tomber de désespoir jusqu'au sol déshydraté. KyungIl ne savait plus quoi penser de lui, il voulait simplement se laisser périr dans le sable pour ses actes du passé, qu'il venait de réaliser avec la personne qu'il affectionnait tant dans ce monde. Il avait ôté la vie à la personne la plus importante et vitale aux yeux de cette adolescente. Il voulait mourir, mourir de honte, de déshonneur et d'amour.
Après des heures d'errance, le jeune homme rentra au camp sali, il était couvert de boue à cause de ses nombreuses chutes et rechutes. Alors que le garçon s'affala dans la pièce du dortoir, Nine demeurait immobile sur le petit tabouret de la salle commune. Son visage était particulièrement froid et figé. Elle avait scruté avec maigre intérêt l'arrivée de son bien-aimé sans ciller. La demoiselle qui, d'habitude, se serait jetée dans ses bras pour le couvrir de baisers et le détendre, restait sans aucune expression apparente. Après quelques instants, elle se leva d'un chaste geste et partit en direction de la chambre, pour affronter le grand homme en position défaitiste contre la rambarde de la mezzanine.

« KyungIl, lâcha-t-elle stoïquement dans le plus assourdissant des silences, qui est-ce ? »

Les épaules du soldat se contractèrent.

« Cette jolie inconnue, à qui tu offres d'abord des crayons de couleur ... »

Ses doigts fins s'approchèrent du menton tremblotant du garçon.

« Puis un splendide rouge à lèvres que tu me dérobes ... Pour aller promettre un amour sincère à une femme plus attirante que moi ? »

Le regard insolent de Nine s'encra dans les yeux humides et vitreux de l'homme, raisonné à tenir tête face à son interlocutrice. Elle finit par sourire avant d'encrer cette fois-ci ses lèvres contre la bouche gercée de KyungIl, cramoisi par un étrange sentiment d'humiliation.

« Ah ... Quel vilain garçon tu fais KyungIl, soupira-t-elle entre deux baisers. Tu es tellement désirable que tu fais de grands malheurs. »

Nine, après de longues minutes d'embrassades à l'amer goût de vengeance, boucla ce scénario d'un douloureux suçon sur une parcelle du cou du garçon avant de quitter la pièce sombre.
Trahis par le silence de mort, on pouvait entendre de sourds sanglots depuis les chambres. KyungIl pleurait ce soir-là ; les nuits suivantes aussi.


C'était une journée de novembre, un vent sec et violent frappait la région aride, ce qui ne dérangea aucunement le soldat pour émerger sa tête de l'entrée. Cela faisait six jours qu'il n'avait ni parlé ni bougé, excluant ses déplacements lents pour se nourrir de quelque peu. Ce matin, il avait décidé de se prendre en main. Pendant cette courte période, il n'avait eu que de remords, et essentiellement envers la petite Lune. Il devait aller lui annoncer la vérité, malgré le mal qui le rongeait de l'intérieur, mais il ne pourrait plus vivre avec cela ; il était temps d'assumer ses actes. Suite à de longues heures d'hésitation, il finit par se préparer pour une ultime rencontre avec la demoiselle. Le jeune homme serra sa ceinture de fonction, remonta son bas au niveau du nombril et cala son arme à son dos, une misérable esquisse aux lèvres. Après avoir revêtu son couvre-chef, il déverrouilla la porte blindée et avança d'un rythme solennel, sans même refermer cette dernière ; Nine s'était elle aussi préparée discrètement pour enfin trouver cette inconnue, elle passa le pas de la porte silencieusement, se munit elle aussi d'une arme, le regard obsédé de curiosité.
Sans se soucier de la moindre ombre, KyungIl avançait en direction du refuge perché entre les nuages. Une étrange vague d'émotion le submergeait en s'approchant progressivement de la cabane, il se sentait à la fois si heureux de revoir la belle jeune fille et si grave à l'annonce de son pêché. Le soldat finit par s'arrêter suite à une dizaine de kilomètres pour lever la tête ; l'habitacle où logeait Lune n'avait pas cillé malgré les intempéries, il semblait l'attendre du haut de ses quinze mètres. Nine choisit de se dissimuler derrière les végétations jaunâtres, elle attendrait ici, le fusil à lunette en position qu'elle avait emprunté sans jamais en avoir utilisé.

KyungIl arrivait enfin devant la petite entrée de la cabane. La tristesse finit par l'envahir, il ne voulait pas frapper, il s'apprêtait à blesser une enfant. Le jeune homme devait pourtant mettre terme à ce lourd mensonge. Il hésita encore et encore durant un temps incalculable. Nine, depuis sa cachette, s'impatientait.

Puis, dans tout le désert endormi on entendit un léger cliquetis. Le judas de la porte boisée s'était ajusté, un œil gris apparut furtivement dans la commissure avant que le cache ne se referme. La porte grinça, elle s'ouvrit lentement. Le cœur du soldat allait éclater sous le suspense que laissait à découvrir l'action ; Lune avait laissé sa petite tête dépasser et à la vue du grand homme elle lui attrapa les mains et l'attira dans la minuscule cabane.
La porte se referma sèchement, le garçon sentit un parfum familier lui parcourir le corps, des mèches violines vinrent lui chatouiller le torse ; Lune était dans ses bras. Les lèvres du garçon soupirèrent d'aise, le soldat avait enfin retrouvé son paradis terrestre. Quelques gouttes salées vinrent caresser son cou, la demoiselle ne dit rien, elle s'extasiait simplement de bonheur. Tous deux se contentèrent de contempler l'autre un bon moment, puis KyungIl réfléchit avant d'annoncer à la demoiselle :

«  Lune, j'ai une chose à te dire. »

La jeune fille sourit amoureusement, le cœur du pauvre soldat rata quelques battements.

«  Mais pour que tu comprennes bien, j'aimerais que l'on sorte, toi et moi. Ne t'inquiète pas ! Je sais bien que tu as peur, mais c'est une information que tu dois absolument connaître, compris ? Et puis je serai avec toi, pour te protéger. »

Après un long silence, Lune finit par scruter les yeux à la fois graves et rassurants du garçon, et finit par acquiescer de manière mal assurée. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas vu le grand soldat, la jeune fille souhaitait donc combler ce vide mais également connaître ces mystérieux dires. Elle était grande désormais, maman avait peut-être disparu mais était-ce peut-être en sortant qu'elle la retrouverait ?

« Soleil, allons-y ! »

Même ce nom était un mensonge, pensa lugubrement KyungIl. Plus il réfléchissait à son sujet et plus il comprenait qu'il ne méritait pas l'amour de cette adolescente. Il souleva alors Lune en la hissant et la serrant contre lui ; ils se dirigèrent vers sa plus grande peur ; l'extérieur.

« Alors laisse-moi te raconter cette fameuse histoire Lune. Et je suis persuadé que tu n'as jamais pu lire celle-ci dans ta belle bibliothèque, murmura-t-il dans les oreilles de l'intéressée.  »

« C'est l'histoire d'un grand soldat envoyé en guerre dans une zone désertique. Étrange, non ? »

« Un jour, rongé par l'ennui, il décida d'inventer un jeu susceptible de l'occuper ; il chasserait les rares populations présentes dans cette zone en les tuant. »

Lune écoutait le récit sans bouger. Seuls ses sourcils oscillaient en fonction de ses réactions.
KyungIl s'arrêta un instant devant la porte.

« Quel monstre, n'est-ce pas ? J'espère que tu n'en croiseras plus jamais sur ton chemin. Un beau jour, il se retrouva nez-à-nez avec une femme totalement splendide. Malgré la beauté qui émanait de cette belle personne, le soldat la tua d'un coup d'arme blanche. Elle te ressemblait beaucoup, Lune. Je pense qu'elle était ta maman.
— Ma maman ? Mais comment le sais-tu, Soleil ? demanda innocemment Lune. »

Avant de répondre à la question fatale de l'enfant, le garçon ouvrit la porte et laissa baigner la pièce des lumières de l'aube. La demoiselle semblait effrayée, elle se crispa mais se raisonna à rester calme. Le sourire de KyungIl parvint à l'apaiser, ils franchirent alors le pas de la porte. Le soldat lui répondit enfin, en rejoignant l'échelle :

« Je le sais car je suis ce soldat, Lune. Et je suis désolé. »

L'enfant n'eût le temps de réagir, une minuscule balle vint transpercer le poitrail de Soleil ainsi que le sien en une fraction de seconde.

Tandis que les deux corps enlacés chutaient lentement dans le vide, Nine renifla contre son fusil à lunette, figée et choquée ; son acte de vengeance s'était simultanément retourné contre son désir ; garder pour elle seule son bien-aimé, désormais défunt. La jeune femme n'attendra plus personne ce soir. Lune et Soleil terminèrent tel deux êtres opposés assemblés ; s'aimant, se possédant, se blessant, s'obsédant.

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