七 | sept

Le claquement de la porte d'entrée retentit dans le camp. La main jointe à la poignée, KyungIl s'était imposé sur le palier, plus resplendissant que jamais; en effet, un sourire aussi brillant que toutes les étoiles réunies rayonnait sur ses lèvres. Nine, installée dans la pièce principale comme à ses habitudes sursauta à l'arrivée fracassante de son collègue.

— Que t'est-il arrivé pour rentrer si joyeusement ? s'étonna la jeune femme. Le garçon ria un coup, l'air bête.
Rien de spectaculaire. Disons que j'ai ... vu un arc-en-ciel du côté Nord.

Nine arqua un sourcil tout en restant perplexe. KyungIl était-il un homme enfantin pour s'extasier autant à propos d'un simple phénomène naturel ? De plus que par ici, la pluie se faisait bien rare. La soldate se contenta d'un regard bref, et se leva pour venir enlacer le grand dos du jeune homme; après les ravageurs événements de la nuit dernière, Nine se sentait autorisée à se permettre ce genre de gestes. KyungIl ne réagit pas vraiment, il était encore perdu dans ses pensées aussi douces que des nuages de coton.

Dans son nez se promenait encore le nectar enivrant de sa petite poupée de porcelaine, dans ses paupières fermées étaient imprimées les couleurs pâles de sa silhouette, dans ses oreilles résonnaient les paroles enfantines et la voix mature de l'adolescente.
Dame Lune était devenue le bonheur quotidien de Sieur Soleil, et lorsqu'il lui avait offert le ... trésor. KyungIl ouvrit brutalement les yeux. Il avait à chercher le deuxième cadeau de Lune avant l'aube, et il avait peu de temps pour judicieusement le choisir. Il commença à analyser le salon dans lequel il se trouvait en se tournant dans tous les sens, tandis que Nine tentait tant bien que mal à restée accrochée à la combinaison sale de son bien-aimé, en vain. Elle finit par trouver refuge dans le dortoir, où elle s'enfuya sans un mot, en espérant sentir un bras la retenir — en vain pour une seconde fois.
KyungIl fut alors attiré par la maigre étagère de livres, en face de l'imposante cheminée. Il se contenta de feuilleter le premier qu'il vit. Le livre semblait avoir été écrit dans un langue locale, voire même une sorte de patois. Néanmoins, la couverture d'un violet-gris, ressemblant à la chevelure de la petite Lune fut la raison pour laquelle le grand soldat récupéra l'ouvrage poussiéreux entre ses mains abîmées, et décida que le deuxième trésor de sa protégée serait ce recueil de mots barbares.

« Saga, inquit, et divina, potens caelum deponere, terram suspendere, fontes durare, montes diluere, Manes sublimare, deos infimare, sidera extinguere, Tartarum ipsum illuminare. »

Lune savait lire cette langue. Soleil, installé entre deux coussins, l'admirait de plus en plus, il en devenait bientôt amoureux et cette fois-ci au-delà de sa beauté physique. Lorsque la jeune fille referma le livre et déposa l'ouvrage sur ses maigres genoux, le garçon remarqua la déception sur le faciès de l'adolescente. Comme redevenu gamin, le soldat se rapprocha de la petite princesse et demanda se qui n'allait pas. Lune lui répondit avec un sourire triste :

— Je te remercie pour ce beau cadeau, Soleil, mais je l'ai déjà.

KyungIl se sentit brutalement bête et coupable de ne pas avoir recherché un trésor plus original que celui qu'il avait apporté, et en devenait presque déçu pour la jeune fille. Alors qu'un silence de plomb allait prendre possession de l'endroit, l'adolescente prit avec précaution la grande main de son nouvel ami et l'incita à la suivre. Arrivés à l'un des quatre coin de la pièce, Lune s'accroupit et souleva un bout de l'immense tapis qui couvrait le parquet, pour dévoiler sous les yeux ébahis du soldat une mystérieuse trappe, qu'elle déverrouilla sans attendre.

Après avoir emprunté une échelle qui longeait le tronc de la grue abandonnée, les deux protagonistes arrivèrent à une sorte de sous-terrain, mais seigneur, quel fabuleux sous-terrain, pensa KyungIl. En effet, sous la minuscule trappe qu'ils avaient franchi se cachait une gigantesque bibliothèque, des plus immenses que le jeune homme n'avait jamais vu. Les murs d'une dizaine de mètres de haut étaient des étagères remplies à ras-bord de livres et recueils plus ou moins usagés et rangés dans un ordre bien spécifique. Tandis que le plus vieux voyait sa cervelle abriter des milliers de questions tout en observant l'immense librairie, la plus jeune se déplaça vers l'une des centaines d'étagères, pour venir dénicher une autre copie de l'ouvrage que le soldat lui avait apporté.

— Je me disais bien que j'avais déjà lu ce mythe quelque part, dit-elle en souriant discrètement.

KyungIl, juste avant de commencer son interrogatoire, se promit de ne plus jamais apporter un objet en rapport avec la littérature. Il prit ensuite la parole, dans le calme apaisant que la bibliothèque apportait.

— Tous ces livres sont à toi ?
— Pas tout à fait, ils sont à maman.

« Maman ». La voix de Lune avait trahi une faille à travers la prononciation de ce mot. KyungIl se souvint alors d'une des premières paroles qu'avait énoncé l'adolescente; la recherche de sa mère. Avait-elle disparu ? Où peut-être abandonné son enfant ici sans informer cette dernière ? Un nouveau mystère faisait son apparition. Malgré la tristesse qui commençait à naître sur son visage, Lune continua :

— Maman m'a raconté qu'elle avait eu envie de déménager, loin de papa, alors elle n'eut d'autre choix que de s'installer, ici, et m'a élevée seule. Lors de son déménagement, maman n'avait pas eu droit aux aides des autres, et c'est pour cela qu'elle m'a interdit de sortir de la maison. Les livres étaient les seuls objets que maman avait pu prendre avec elle lors de son déménagement, et nos principales occupations étaient des lectures et relectures à n'en plus finir, dans cette bibliothèque.

L'adolescente, lasse de se retenir, délivra finalement ses émotions, qui coulaient désormais le long de ses joues au fil de son récit. Le soldat la laissa se blottir contre lui, et resta muet.

Il comprit beaucoup de choses, en quelques minutes. Il comprit que Lune avait été élevée au milieu de livres bibliques, et c'était sûrement pour cela qu'elle arrivait à communiquer avec lui ; ses lectures étaient source d'indépendance et d'imagination. Mais Lune n'avait jamais pu connaître le goût de l'extérieur, n'avait jamais ressenti le vent lui caresser le visage, n'avait jamais pu voir l'horizon ni même les hautes et fraîches herbes, Lune était condamnée à rester cloîtrée ici, dans cette étrange cabane, apeurée par des images que sa mère lui avait raconté, par une phobie qu'elle n'avait jamais pu réaliser ; pour elle l'extérieur était dangereux, cruel voire mortel. Et la disparition brutale de sa mère avait sûrement dû renforcer cette peur effroyable.

KyungIl voulait lui prouver le contraire, en la faisant monter sur son dos et en lui dévoilant ce que pouvait être l'extérieur, afin que la jeune fille puisse se créer sa propre idée, mais il savait d'avance que jamais elle n'accepterait de franchir son palier perché dans les airs.
Alors le jeune homme se contentera de lui apporter d'autres trésors, et de combler cette enfant qui devait vivre seule dans sa cabane, et dont personne ne se souciait, même pas le cher Père Noël, même pas Dieu, et même plus sa mère.

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