La Géhenne

La Géhenne s'étendait à perte de vue, verte, étroite, profonde. Des chênes et des conifères verdissaient ses flancs, et une rivière serpentine et paresseuse y avait fait son lit. Des troupeaux paissaient ses herbes et fleurs sauvages, des vautours guettaient en cercles hypnotiques les brebis égarées susceptibles de glisser dans une ravine et de s'y briser le cou. Au loin, le hurlement d'un chacal doré cherchant compagne ; tout près le croassement rauque d'une corneille mantelée au bec fort et aux pattes robustes.

La vallée vivait paisiblement, à son rythme ; un Éden planté de dattiers et d'oliviers, peuplé de mille et une vies – chacune essentielle à son équilibre.

La fin d'après-midi projetait sa brute chaleur sur la Géhenne. Un filet d'air embaumé d'amande rendait ce si chaud printemps supportable.

Ils avaient trouvé refuge sous un amandier en pleine floraison dont les boutons blanc rosé s'épanouissaient par grappes épaisses au-dessus de leurs têtes. Un tapis de fleurs virginisait l'herbe tout autour à l'image du voile immaculé qui couvrait la peau intouchée et intouchable des vestales romaines.

Elle était là, étendue, nue, belle à se damner. Sa peau laiteuse captant chaque rayon de soleil. Sa chevelure de feu capturant sa chaleur.

Une branche d'amandier à la main, il caressait de ses pétales la courbe d'un mollet, le vallon d'une cuisse, la butée d'une fesse, le ravin d'une chute de rein. Puis son voyage fut interrompu par un rire chatouilleur.

— Si tu continues, je te l'enfonce dans la gorge ! le menaça-t-elle, ses sourcils ombrageant la pointe de ses cils roux.

Mais ses yeux riaient. Et elle n'en pensait pas un mot.

Il choisit la plus belle fleur de sa branche, la cueillit du bout des doigts et la déposa derrière son oreille. Les pommettes de sa compagne rosirent.

— Sais-tu ce que représentent les fleurs d'amandier ? lui demanda-t-il.

Elle fronça le nez pour toute opinion et, dans un soupir, roula sur le côté, la tête posée dans sa paume pour l'observer.

— Des questions, tant de questions ! Pourquoi ne peux-tu pas simplement profiter de nos instants sans t'encombrer l'esprit de choses inutiles ?

Elle dut se contenter d'un sourire en coin avant qu'il ne répondît à sa propre question.

— Elles symbolisent l'amour et la virginité.

Elle gloussa.

— Vraiment ? Alors il n'y a qu'un seul de ses aspects qui puisse nous représenter.

— Tu es insupportable !

Il se pencha sur elle, la faisant basculer sur le dos. Elle fit mine de vouloir lui échapper, mais leurs bouches se capturèrent dans un baiser langoureux. Elle croisa ses chevilles sur ses reins, caressant son dos. Sous ses paumes, elle sentit les cicatrices d'un ancien combat dont elle n'ignorait rien. Les plaies étaient refermées, mais elle savait que, certains jours, elles pouvaient inexplicablement se mettre à saigner.

Il la pressa plus fort contre lui, comme s'il voulait qu'elle enfonce ses ongles dans sa chair meurtrie. Elle s'exécuta et il hurla d'une douleur teintée de plaisir.

Elle se cambra sous lui pour l'accueillir au creux de son corps et il la pénétra dans un râle impatient.

La vallée accueillit leur passion brûlante, pressée, affamée. Ils devaient aller plus vite, plus fort, plus loin.

Il lui mordit la chair au niveau de la clavicule, faisant enfler son plaisir.

Ses boucles brunes se mêlèrent à ses mèches rousses, peignant l'herbe de couleurs automnales. Ses va-et-vient redoublèrent de vigueur, leurs cris de plaisir gagnèrent en intensité, puis dans un ultime sursaut, leurs corps entiers se tendirent.

Elle emprisonna son visage dans ses mains, elle ne voulait rien perdre de son abandon tandis que l'orgasme le prenait comme une déferlante. Ce visage-là était à elle. Rien qu'à elle.

Il déposa un baiser sur ses lèvres.

— À quoi penses-tu ?

Elle plissa les paupières avant de lui embrasser le bout du nez.

— Ma première pensée ne te plairait pas, mais la suivante était qu'il nous faut trouver une autre fleur. Une qui puisse nous représenter. En existe-t-il une dans la vallée ?

Il sembla réfléchir un instant, puis s'assit dans l'herbe, jambes croisées. Elle l'imita et l'observa dessiner entre eux une arabesque de la main. Entre ses doigts apparut une fleur aux six grands pétales aussi flamboyants que la chevelure de sa compagne.

— Elle est magnifique ! s'exclama-t-elle. D'où vient-elle ?

— Je l'ai créée. Pour toi. Pour te représenter. Ses longs pétales parfaitement symétriques symbolisent ta beauté et ta majesté. Elle est le miroir de ta jeunesse et de ta féminité. Elle possède une robe aussi rouge que ton feu intérieur. Elle sera l'apologue de ton nouveau départ, de ta renaissance. C'est une promesse. Celle de mon amour éternel.

Elle saisit délicatement la fleur puis caressa du bout de l'index ses soyeux pétales.

— A-t-elle un nom ?

— Lys.

Elle sourit sans la quitter des yeux. Il l'avait nommée d'après son propre nom.

Il glissa une paume derrière sa nuque.

— Tu es le centre de mon monde, mon Lys.

— Mon Lys...

Elle fit rouler le mot sur sa langue en savourant la prononciation et la signification.

— Et si je ne voulais pas être seulement le centre de ton monde ?

— Que désires-tu ?

— Je veux être ton tout. Ton univers. Je veux que tu plantes des lys partout. Sur chaque continent, dans chaque monde. Que l'on se rappelle par-delà nos terres que tu es à moi comme je suis tienne.

— Je le ferai, mon Lys.

— C'est une promesse ?

— C'est une déclaration. Ma déclaration d'amour.

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