9.Le contrat
Lorsque nous gravissons les marches du double escalier de marbre qui donne sur le hall, je sens peu à peu mes forces me revenir. Ce n'est pas tous les jours qu'une déesse d'un autre âge tente de vous sucer l'âme par la moelle, mais je trouve, toute modestie mise à part, que je ne m'en sors pas trop mal. En tout cas, je ne suis pas repartie sur un brancard, et c'est déjà une petite victoire à cocher dans la très courte liste des choses s'étant bien déroulées pendant cette journée apocalyptique. Je compte les heures jusqu'au moment où je pourrai me délasser dans mon bain moussant afin de doubler le score.
Arrivés en haut de la seconde volée de marches, nous nous retrouvons face à un bureau derrière lequel siège une autre secrétaire/standardiste/possible et très probable déesse aztèque.
Concentrée sur l'écran de son ordinateur, elle nous accueille sans même relever les yeux. Sur le verre de ses lunettes à monture « écailles de tortue », j'aperçois le reflet d'un Solitaire. Apparemment, même les secrétaires Surnat' s'ennuient comme des poissons rouges dans un verre d'eau. Enfin une chose universelle. Du menton, elle désigne une porte-miroir sur notre droite.
— Il vous attend.
On peut difficilement faire plus laconique et moins chaleureux.
Keziah, imperturbable dans son rôle, lui sourit néanmoins, ses belles dents blanches luisantes tels des phares dans la brume. Elle l'ignore et je réprime un sourire en coin. Le visage de l'incube exprime la frustration un bref instant puis son masque de bonne humeur se remet en place. Il s'efface pour me laisser passer en premier. Son attitude de pseudo gentilhomme frôle la névrose. Mais je dois bien avouer que ses manies désuètes possèdent quelque chose de rafraîchissant dans une société où le mâle pense qu'être féministe, c'est refuser qu'un homme vous tienne la porte.
Nous nous retrouvons face à la porte close. Elle est marquée d'un large écriteau à la calligraphie empâtée. Je plisse les paupières, déchiffrant le nom qui y est inscrit.
« Satan Vaderet, directeur général du Bureau des Tentations, Âmes et Cie. »
La surprise me fige sur place. J'agrippe la manche de l'incube, les yeux rivés sur les lettres noires et rutilantes qui s'étalent sur la plaque argentée.
— Keziah...
Ma langue est sèche comme si je venais tout juste de sortir d'une retraite silencieuse. Il glisse un regard interrogateur vers moi. Je ne dis plus rien. Mon cerveau tourne à mille à l'heure.
— Vous allez bien ? me demande-t-il.
Non.
— Votre « boss », c'est... Satan ?
Il passe une main dans sa nuque, l'air ennuyé.
— Pour le moment, oui. Pour faire court, j'ai été... prêté à Vaderet. C'est... un peu compliqué.
— Pourquoi ne pas me l'avoir dit ?
— Qu'est-ce que ça aurait changé ?
Tout, putain ! Tout ! Je ne suis pas prête !
Mais je garde mes pensées pour moi, contrôlant mon hystérie intérieure. J'ai attendu ce moment toute ma vie. J'ai seulement été prise de court – chose que je déteste. Je sais exactement ce que j'ai à dire. Ce que j'ai à faire.
Je dresse le menton vers lui, un sourire s'affiche sur mes lèvres, je suis même certaine qu'il pousse jusqu'à mes yeux.
— Pas grand-chose. Allons-y.
L'atmosphère est feutrée. Les murs sont recouverts d'un lambris sombre en bois luxueux. Des rideaux en brocard bleu nuit et argent masquent de hautes et étroites fenêtres. Un lustre en cristal tombe en une pluie chatoyante du plafond moulé et le sol en chêne massif est recouvert de plusieurs tapis berbères et persans. Deux gros fauteuils club en cuir font face à une vaste cheminée en brique, tandis qu'un bureau marqueté style Art nouveau trône au centre de la pièce, complétant la décoration cosy. Un homme debout nous attend derrière le bureau, ses doigts écartés posés sur la surface transparente.
Il est à la fois terrifiant et terriblement séduisant. À la manière d'un jouant le nazi dans Inglorious Basterds.
Ses cheveux châtains gominés miroitent à la lueur du feu qui crépite dans l'âtre Son corps mince, mais athlétique, est fusé dans un costume trois pièces gris à fins carreaux blancs, rehaussé par une cravate en soie bordeaux, un mouchoir de la même couleur et des chaussures parfaitement cirées valant sans doute le PIB du Bangladesh.
— Monsieur, fait Keziah en penchant humblement tête et buste. Je vous ai ramené l'humaine que vous m'aviez envoyé chercher.
— Qu'est-ce qui t'a pris autant de temps, incube ?
L'intonation n'est ni plus ni moins celle de l'interrogation, mais j'ai appris à déceler la menace sous toutes ses formes. La voix est celle d'un homme qui n'a pas l'habitude d'être déçu. Ou plutôt, qui ne laisse personne en vie assez longtemps pour le décevoir. Je vois presque Keziah tortiller sa grande masse sur place tandis qu'il cherche une réponse appropriée... ou un trou pour s'y planquer.
— Nous avons eu un... contretemps. On m'a tiré dessus et j'ai dû recharger mes batteries à la hâte.
Je me demande pourquoi il passe sous silence que je lui ai tiré dessus et que je lui ai rechargé ses batteries à la hâte, mais je me garde de le corriger. J'observe et j'emmagasine pour ce qui va suivre. La connaissance est souvent la meilleure de toutes les offensives.
« Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux », a dit Sun Tzu. Et c'est exactement ce que je compte faire.
Je reporte mon regard derrière le bureau. Il ne dit rien.
À le voir mutique, hautain, je sens monter une haine tenace, une rage et une colère nourries par les années.
— Autre chose, incube ?
Keziah secoue la tête, mains dans les poches, tête enfoncée dans les épaules.
— Tu peux sortir. Reste néanmoins dans les environs. Tu raccompagneras l'inspecteur Defontaine lorsque nous aurons fini d'évoquer les détails de sa mission.
Est-ce que le démon vient d'exécuter une révérence ? Il recule vers la porte et je capte un instant son regard. Puis il disparaît derrière le battant avant que j'aie eu le temps de déchiffrer son expression.
Satan contourne son bureau et y pose une fesse, jambes et bras croisés. Je reste plantée face à lui. Son attention est désormais focalisée sur moi, me détaillant comme une pouliche dans une enchère équestre. Ce qui est aussi agréable que je me l'étais imaginé.
Je serre les mâchoires, réussissant difficilement à soutenir son regard acier. Je m'étais promis de faire passer un sale quart d'heure à celui qui a détruit ma vie et celle de ma famille, mais, alors qu'il me fixe avec une intensité presque brûlante, je sens mes genoux mollir.
Merde ! Je suis inspecteur de la BMS ! Je ne suis pas arrivée là en caressant des chatons, bon sang ! J'oblige mes jambes à se raffermir et soutiens son regard inquisiteur.
— J'ai lu votre dossier, reprend-il après une minute de silence. Il paraît que vous êtes la meilleure dans votre domaine.
Il n'y a aucune interrogation dans sa phrase ; pourtant, je sens que je dois me justifier et, tout à coup, je ne suis plus aussi sûre de mes capacités.
— L'êtes-vous, inspecteur Defontaine ? Je dois en être absolument certain. Nous ne pouvons pas laisser n'importe qui...
— Je ne suis pas n'importe qui.
Ses yeux se plissent par-dessus un sourire suffisant.
— Voilà qui me rassure. Maintenant que cela est dit, permettez-moi de...
— Je souhaite passer un marché, le coupé-je de nouveau.
Cette fois, je sens poindre un léger, mais néanmoins décelable, agacement. Je parade intérieurement. Chapeau en carton et cotillons sont de sortie.
— Un marché ? demande-t-il, intrigué.
— N'êtes-vous pas versé dans ce domaine ?
Il hoche le menton puis, attrapant une poussière imaginaire sur sa veste de costume, la laisse tomber sur le sol avant de reporter ses yeux froids sur moi.
— Puis-je vous demander de quelle sorte ?
— Je souhaite récupérer les droits sur mon âme.
Le sourire de Satan dévoile ses dents. Elles sont tout à fait dans la norme, mais je jurerais les avoir vues rayer le parquet.
— Dois-je comprendre qu'Arthur Defontaine n'a pas su garder sa langue dans sa poche ?
Je ne réponds rien, ravalant une colère qui pousse mes larmes au coin de mes cils. Je ne veux pas parler de mon père. Pas avec lui. Pas avec celui qui a causé sa mort.
— Mon âme en échange de la résolution de cette enquête.
Il quitte son assise pour se diriger vers un bahut sur lequel est posée une véritable collection de carafes en cristal. Après quelques secondes de réflexion, il en choisit une et verse une boisson ambrée dans deux verres. Du rhum ou du whisky, vraisemblablement.
Il me tend l'un d'eux avant d'enfin mettre un terme à sa torture silencieuse.
— Pourquoi devrais-je passer un tel marché alors que vous mènerez l'enquête quoi qu'il en soit ?
Tu peux toujours te brosser !
Je ne suis pas Arthur Defontaine. Jamais je ne me vendrai pour une avancée de carrière ! Je me suis construite seule. Ce que je suis, je ne le dois à personne et encore moins à un pacte satanique.
– ce qu'il m'a fait. Ça aura mis des années. Par contre, lui, c'est une autre histoire.
— Qu'est-ce qui vous rend si confiant ? demandé-je d'une voix atone.
Il hausse les épaules, le verre toujours suspendu au bout de son bras.
— Votre nature profonde, Claire. Vous souffrez du syndrome de l'héroïne couplé à un besoin pathologique de reconnaissance.
— Vous vous trompez.
— Peut-être, admet-il avec un sourire. Mais je sais que vous prendrez cette affaire. Parce qu'il y a eu des morts et qu'il y en aura encore si vous ne faites rien.
Je le toise. Cette fois, il comprend que je n'ai aucune intention d'accepter son coup à boire. Il pose le verre sur son bureau avant de porter le sien à ses lèvres. Un soupir de contentement lui échappe.
— La Favorite, cuvée spéciale de la Flibuste, commente-t-il comme si nous nous trouvions à un salon du vin. Ce rhum a votre âge, Claire. Vous devriez au moins y goûter.
— Je ne bois jamais en mauvaise compagnie.
Le rire qui lui échappe est si frustrant que j'en grogne presque. Ne peut-il pas s'étouffer de rage dans son alcool hors de prix ?
Dans ses yeux s'efface soudain tout amusement.
— Vous êtes divertissante, Defontaine. Mais prenez garde à ne pas franchir la ligne qui vous rendrait agaçante.
Cette fois, je sens la peur s'insinuer jusque dans ma moelle osseuse. Je fais bonne figure, le visage neutre, mais je sens dans son regard qu'il n'est pas dupe. Il porte de nouveau son verre à ses lèvres, me dévisageant par-dessus.
— Saviez-vous, Claire, que le contrat qui lie Arthur Defontaine à l'Enfer ne fait ni mention du prénom de l'enfant ni de sa date de naissance ?
Ses mots baignent de suffisance. Ce qu'il vient de lâcher, c'est une bombe. Elle me ravage l'intérieur et il en a parfaitement conscience.
Une sueur froide dévale mon échine tandis que je prends conscience avec un effroi non dissimulé de ce que cela implique : n'importe lequel de mes frères et sœurs pourrait se voir réclamer par Satan.
— C'est une menace ?
Ma voix est ferme, mais je n'en mène pas large. S'il s'en prend à ma famille, je ne jure plus de rien. Il ne peut pas. Ils sont tout pour moi. Tout. Je ne laisserais personne, pas même le seigneur des Enfers, mettre la main sur eux. Plutôt crever en essayant de l'arrêter.
— Un bâton, plutôt.
Cette fois, il m'a perdue. Et pas uniquement parce que je manque cruellement de sommeil.
— Quel est le rapport ?
— Vous n'êtes pas très métaphore, n'est-ce pas ? Je vous ai laissée choisir, Claire. À travers mon offre plus que généreuse, votre commissaire vous accorde une avancée de carrière inespérée pour la résolution de cette enquête. C'est ma carotte. Mais si cela ne vous motive pas plus que ça, j'ai d'autres outils à ma disposition. Vous vous doutez que le bâton en fait partie.
— Vous êtes un être abject.
Il secoue tristement la tête, faisant tournoyer le rhum dans son verre. À la lueur du feu, ce dernier semble prendre vie.
— Je ne suis qu'un commerçant soumis à l'offre et la demande. J'offre uniquement lorsqu'il y a demande. Et pour un prix ridicule, qui plus est. Vous seriez surprise de savoir combien l'humanité déprécie la valeur d'une âme. L'une d'elles m'a été proposée en échange d'un camion rempli de pizzas hawaïennes. Triste, mais vrai.
Mon sens aigu de la justice ne peut s'empêcher de répondre à ma place. Je sais que c'est inutile, mais protester m'aide à garder la tête froide.
— Vous ne pourrez pas toujours vous en tirer.
— J'ai déjà chuté une fois, Claire Defontaine, je n'ai pas l'intention de recommencer.
Satan me quitte un instant du regard pour poser ses yeux sur la main qui pend le long de mon flanc.
— Il ne vous sera d'aucune utilité, lance-t-il d'un ton monocorde.
Je baisse à mon tour les yeux sur ma main. Entre mes doigts blanchis et crispés, repose mon arme de fonction. Je ne me suis rendu compte de rien. Malgré l'avertissement de Satan, je lève soudain le bras et pointe le canon vers lui.
— Je ne suis pas un pion que l'on peut déplacer à sa guise sur un échiquier.
Il n'a pas l'air plus ébranlé que ça par le canon de mon Smith & Wesson et je hais instantanément le sourire satisfait qu'il affiche, car il n'indique pas vraiment l'envie de me déposer un baiser affectueux sur le front pour me souhaiter une bonne nuit. L'habitude tend mes muscles. Sous mes doigts, mon arme me démange.
— J'aimerais vous montrer quelque chose, lâche-t-il en posant son verre puis me contournant.
Chacun de mes os me hurle que je ne vais pas aimer, néanmoins je baisse mon arme.
Satan s'approche d'une sorte de bénitier en granite que je n'avais pas vu jusque-là et qui repose dans un coin du large bureau. Après avoir retiré, plié et accroché sa veste à une patère avec minutie, il relève la manche de son impeccable chemise puis plonge la main à l'intérieur. Il en ressort une petite boule de lumière blanche qui ondule dans l'air et tourne sur elle-même à un souffle de sa paume tendue. Il me la présente.
— Qu'est-ce... qu'est-ce que c'est ? soufflé-je, le cœur palpitant.
Il hausse un sourcil. Dans sa grimace complaisante, je peux lire : « Ne t'en doutes-tu pas ? »
Alors que la réponse chemine à toute vitesse dans mon esprit, m'enserrant la gorge et me fauchant presque les jambes, je fais tomber mon propre couperet.
— Mon... âme.
Satan replace doucement, presque avec tendresse, la petite boule de lumière dans le bassin et reboutonne sa manche.
— J'accepte votre marché, m'informe-t-il en revenant à son bureau et tapotant le plateau du bout des doigts. La pleine liberté de votre âme contre la résolution de l'enquête. Et comme je suis bon joueur, vous aurez, malgré votre gourmandise, droit à cet avancement de carrière promis par votre commissaire.
— N'essayez pas de m'entourlouper.
Je n'aime pas ce qui est trop beau pour être vrai. Les croisières cinq étoiles en Méditerranée gagnées via des concours postaux, ça n'a jamais fait autre chose que de sentir le poisson.
— Néanmoins, reprend-il, si vous échouez...
— ... elle est à vous.
J'ai besoin de le dire. Ça me terrorise, mais ma peur me sert de carburant. Et puis, après tout, je n'ai rien à perdre.
— J'y appose toutefois une condition, me prévient-il.
Je l'aurais parié.
— L'enquête doit être résolue en dix jours à compter de ce soir minuit.
— Pourquoi ? demandé-je avec méfiance.
Une deadline n'est jamais de bon augure et cache bien souvent une belle anguille.
— J'ai été chargé de cette affaire par le Conseil. Ils sont sur les dents, et la communauté surnaturelle bien plus encore. Je crains donc des débordements. Et croyez-moi, vous ne voudrez pas être en première ligne dans votre jolie combinaison lorsqu'une horde de harpies se mettra à saccager les rues autant par peur que par vengeance. Si vous n'attrapez pas le coupable sous peu, je ne pourrai rien faire pour retenir les plus véhéments.
Je hoche le menton, déjà focalisée sur ma demande.
— J'ai également une condition.
Il lève son verre comme pour porter un toast et le finit d'un trait.
— Je n'en attendais pas moins.
— Le contrat entre vous et mon père doit préciser le nom de l'enfant. Si j'échoue, je veux que vous preniez mon âme.
— Je pense pouvoir m'y plier.
Voyant qu'il ne dit rien, je change de jambe d'appui, mal à l'aise.
— Et maintenant ? Vous claquez des doigts, un rouleau de parchemin apparaît et je le signe avec mon sang ?
Il me sourit comme si j'étais une petite fille mal informée. Dans ma tête, j'entends presque Keziah me murmurer, sardonique, que j'ai vu trop de nanars fantastiques.
— Ma secrétaire se chargera de vous faire parvenir le contrat dans les plus brefs délais. Nul besoin de sang, un bon vieux Bic fera amplement l'affaire. Et inutile de vous préciser que cette affaire est hautement sensible et donc confidentielle. Votre seule liaison avec les humains se fera par le biais du commissaire Lefèvre. Les miens ne sont pas encore prêts à faire leur coming out, comme on dit sur Terre. Vous m'écrirez un rapport journalier. Je veux connaître votre avancée heure par heure. Est-ce entendu ?
— Oui, oui. Parfait.
J'ai l'esprit ailleurs. Je sais que je ne devrais pas, mais... je ne peux m'empêcher de penser que c'est peut-être ma seule chance.
Ses yeux gris se posent sur moi, il ne dit pas un mot pendant de longues secondes, m'observant sans se dérober.
— Vous pouvez me poser la question qui vous consume, Claire.
Je n'ai pas besoin de parler pour qu'il sache exactement ce que je veux. Je me demande pourquoi j'en suis encore étonnée.
Je me racle la gorge. Je dois savoir.
— Où est mon père ?
— Dans l'endroit qu'il mérite.
— Ce n'est pas une réponse, m'insurgé-je.
— Et pourtant, c'est celle que je vous donne.
Je croise les bras pour que ma main ne s'aventure pas de nouveau vers mon flingue. Si je veux avoir une chance de réponse, je dois me contenir.
— Je voudrais lui parler.
— Ce n'est pas dans notre contrat.
— Vous ne faites jamais rien sans ? demandé-je avec plus d'effronterie que je n'en possède réellement à cet instant.
En vérité, sa réponse m'a fauché les jambes. Malgré son suicide, j'ai toujours pensé que mon père finirait dans un meilleur endroit. Pas forcément au Paradis – je n'y ai jamais vraiment cru – mais dans un Au-delà de paix.
« L'endroit qu'il mérite. »
Je réprime une folle envie de fondre à chaudes larmes tandis que mes ongles s'enfoncent dans mes paumes.
De son côté, Satan ignore ma question. Il aime mener la danse. Son visage feint la sollicitude tandis qu'il penche la tête sur le côté.
— Si vous vouliez parler à votre défunt père, Claire, vous auriez dû le faire mentionner dans notre accord. Vous parliez d'échiquier tout à l'heure... On gagne rarement une partie contre un adversaire plus expérimenté sans stratégie et sans savoir exactement où placer ses pions. Ayez toujours un coup d'avance, inspecteur, et vous gagnerez toutes les parties.
La frustration me pousse au silence tandis que mon cerveau carbure façon Corvette.
— Qu'adviendra-t-il de moi si je ne parviens pas à résoudre l'enquête dans le temps imparti ?
Il hausse les épaules.
— Rien de bien méchant. À votre mort, vous viendrez me servir en Enfer.
Je me retiens de lui balancer une insulte à la gueule. J'ai ce que je suis venue chercher : une chance de reprendre ma vie en main et d'empêcher Satan de poser ses sales pattes sur l'âme de mes frères et sœurs. Je dois avouer que je lui aurais néanmoins bien visité le cerveau d'une balle, mais je suppose que les anges, même déchus, ne se dézinguent pas avec du calibre .38.
— Bien. Si vous en avez fini, j'ai une foule de réunions du comité de direction qui m'attend.
Avant que le bureau ne disparaisse, j'ai juste le temps de voir Satan, le bras levé qui fend l'air comme s'il chassait un nuisible volant.
Lorsque mes pieds touchent de nouveau le sol, deux choses sont certaines : je ne suis plus dans les Limbes et je vais sans doute finir par vomir mes intestins si l'on continue à me trimballer de Monde en Monde.
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