4.Le Surnat'
— QUOI ?! Mais vous débloquez ! C'est absolument hors de question !
Je me redresse d'un coup et bondis hors du lit comme s'il était habité par un serpent à sonnette. Ce qui, d'après ce que je viens d'entendre, n'est pas si loin de la vérité.
— Écoutez-moi, plaide l'homme.
Sa main se soulève un instant, puis retombe mollement sur le matelas. Je ne l'écoute pas, trop sonnée par sa demande.
Que croit-il ? Que je suis à vendre ? Qu'il peut disposer de moi à sa guise ? Que je lui dois une... faveur ?
Tandis que je sens la colère monter brusquement jusqu'à mes joues, je commence à faire les cent pas entre le lit et la porte de ma chambre. Je sais que je dois avoir l'air d'une folle. Mes cheveux humides sont presque secs et hérissés sur ma tête. Je sens que mes paupières sont lourdes et mes yeux gonflés. Et pour couronner le tout, ma nausée et mon mal de crâne ne m'ont pas quittée ; ils viennent même d'empirer. Pourtant, je suis si remontée qu'il me semble que je pourrais balancer l'inconnu sur mon épaule et le jeter au bas de mon immeuble sans effort. Méthode radicale, que je commence sérieusement à envisager.
— Vous savez où vous pouvez vous carrer votre faveur sexuelle ? grogné-je sans cesser de déambuler dans la chambre. J'aurais dû me douter que vous n'étiez qu'un pervers qui se sentait...
— Inspecteur, vous ne comprenez pas...
— ... au-dessus des lois. Je n'aurais jamais dû accepter de jouer cette vulgaire comédie. Vous ne pouvez pas rester ici, je...
— C'est le seul moyen de... me guérir...
— ... vais appeler l'hôpital. Et tant pis si j'en perds ma plaque. J'ai été stupide d'entrer dans votre jeu, je dois assumer mes responsabilités. Et vous, vous devez garder vos sales pattes là où je peux les voir.
Faisant le tour du lit, je me rapproche de la petite table de chevet en bouleau sur laquelle est posé mon smartphone.
— Moi qui pensais que cette putain de journée ne pouvait pas finir plus mal. Mon Dieu, je me suis tellement plantée. Il...
Cette fois, la voix du blessé se fait plus puissante. Il puise dans ses dernières forces, afin que ses mots franchissent la barrière que j'ai érigée et qui m'empêche d'entendre ce qu'il a à me dire.
— JE SUIS UN INCUBE !
Les doigts à quelques millimètres de mon écran, je me fige. Lentement, comme dans une scène filmée au ralenti, ma tête tourne vers l'inconnu dont les yeux brûlent de douleur, la tête inclinée dans ma direction.
Ai-je bien entendu ?
— Q...quoi ?
— Je suis un... incube, répète-t-il d'un filet de voix épuisé.
— Un incube, comme... comme dans : « Bonsoir, jeune pucelle, je suis un démon du... sexe » ?
Une étincelle d'amusement pétille derrière les prunelles du blessé, puis il ferme les paupières en gémissant. Une sueur épaisse macule désormais son visage.
— Je n'en ai plus... pour longtemps, inspecteur. L'ambulance... ne sera pas... là à temps.
Je repose mon téléphone. Il a raison. Appeler les secours est inutile. Les mots qui sortent de sa bouche sont à peine audibles. Il les murmure d'une voix rauque et entrecoupée. Sa poitrine se soulève péniblement et des tremblements parcourent ses doigts agrippés au drap. J'ai déjà contemplé de nombreux mourants, et l'homme allongé dans mon lit qui lutte avec la force du désespoir pour tenir quelques minutes, quelques secondes de plus, en est un.
— Je sais que c'est beaucoup à encaisser... mais...
Il s'interrompt, chaque syllabe lui coûte, chaque son qu'il émet le rapproche un peu plus de la mort. Mais je n'ai pas besoin d'en entendre plus.
— Je vous crois.
Une brève surprise éclaire son visage.
J'ai la prétention de pouvoir affirmer que je ne suis pas une femme impressionnable. Je ne crois pas en grand-chose si ce n'est mon badge et ce pour quoi je le porte, pourtant je le crois. Car je sais depuis l'enfance qu'il existe un monde de mythes et de légendes. Et que ce monde m'a pris mon père.
Une colère que je connais bien, qui me nourrit depuis des années, s'éveille et se met à ronronner dans mon ventre.
Si l'homme est un incube, alors c'est un démon. La question est donc : les démons peuvent-ils mourir ? Ne le sont-ils pas déjà ?
Je me masse les tempes. J'aurais dû être plus assidue lors de mes cours de catéchisme, au lieu d'enrouler ma langue dans la bouche de Roland au fond de la classe, planquée entre mon livre d'Éveil à la foi et ma Bible illustrée.
Tandis que je cogite, l'incube ferme les paupières un long instant, puis les rouvre dans un effort visible. La peur distille le bleu de ses yeux.
— Je ne... veux pas... mourir.
J'ai ma réponse : les démons peuvent mourir. Comment ? Pourquoi ? Mille questions se bousculent sous mon crâne. Je sens ma migraine gonfler.
Cette journée infernale ne finira-t-elle donc jamais ?
Je me mords la lèvre avant de m'agenouiller sur le matelas près de lui. Attrapant un oreiller, je le vide et place la taie sur la plaie. Il gémit, mais ne me quitte pas de ses prunelles turquoise. Malgré la souffrance qui y vibre, ce bleu luit d'une sauvagerie inexplorée.
— Merde, pourquoi a-t-il fallu que je tombe sur une saleté d'incube ? lancé-je à voix haute afin de tenter d'apaiser et ma colère et la brusque gêne qui vient de me rosir les pommettes.
Il hausse un sourcil, l'air de se demander quel être doué d'une libido active ne voudrait pas rencontrer la personnification de ses désirs les plus secrets, avant qu'une quinte de toux ne fasse tressauter son corps et éjecte un mince filet de sang d'entre ses lèvres sèches. Je l'essuie de mon pouce avant de prendre une longue inspiration.
Mon esprit cartésien a besoin d'éclaircissements avant de prendre une décision que je risque de regretter.
— Si je vous embrasse... vous guérirez ?
Il hoche la tête, désormais trop faible pour parler tandis que je réfléchis à toute allure, rassemblant les maigres informations que je possède sur les succubes et les incubes. Autant dire, une bonne grosse pelletée de conneries, tirées de divers films de seconde zone et de séries B.
— Et je perdrai des années de vie ? Ou mon âme sera damnée ? Vendue au... diable ?
Un frisson inconscient parcourt mes bras, ma colère sursaute au creux de mon ventre, ma nausée enfle. Je ne dois pas penser à lui. Je dois me calmer. Réfléchir de façon sereine et observer les événements à travers le prisme de ma pondération.
L'homme tourne lentement la tête de droite à gauche, puis ses yeux se ferment de nouveau. Je lui tapote légèrement la joue sans obtenir de réaction.
— Fait chier ! je jure en me rendant compte qu'il vient de sombrer.
Le temps me manque cruellement pour peser le pour et le contre, mais je suis certaine d'une chose : je ne supporterai pas de voir quelqu'un d'autre mourir aujourd'hui. Qu'il soit un inconnu à mes yeux, qu'il soit un cambrioleur, un violeur sanguinaire ou un... incube, je ne veux plus me sentir inutile. Coupable d'être en vie.
Sans réfléchir davantage, je pose mes lèvres sur celles du démon.
Sa bouche a un goût de bonbons avant le repas du soir. Le goût des échappées nocturnes après le couvre-feu. Des liaisons extra-conjugales. Des décolletés pigeonnants à la messe.
Le goût de l'ivresse.
Elle me fait revivre mon enfance, mon adolescence. Elle fait ressortir de cette petite boîte fermée à clef, mes désirs et mes envies cachées, oubliées – réprimées. Elle me donne envie de m'aventurer plus loin. De vivre plus fort.
De lâcher prise.
C'est si bon que je me sens prise de vertige.
Posant une main sur la joue de l'inconnu, je la caresse du bout des doigts, entrouvrant sa bouche avec la pointe de ma langue. Ce baiser me remplit et me vide, tout à la fois. Sans la voir, je sens mon énergie couler de ma bouche pour s'engouffrer en lui. La sensation est grisante et terrifiante ; par cette intimité qu'elle noue entre nos deux corps et par l'aisance avec laquelle j'accepte de m'abandonner. De m'offrir tout entière. Corps et âme.
C'est si vertigineux que j'abaisse le temps d'un baiser lascif le mur que j'ai construit brique par brique, déception après déception, autour de moi.
Lorsque l'incube ouvre enfin les yeux, une étincelle indomptée fait briller ses iris. Il glisse ses doigts derrière ma nuque et presse nos figures l'une contre l'autre, me rendant mon baiser, plus profondément. Il me teste, me goûte et me dévore.
À cet instant, je me fais la réflexion qu'il ressemble à un junkie du sexe et que je lui sers de fix. Mais cette idée ne dure qu'une poignée de secondes avant que mes sensations n'absorbent mes réflexions comme une terre depuis trop longtemps asséchée.
Mon excitation gonfle au creux de mon ventre et caresse une zone qu'aucun mâle n'a touchée depuis longtemps. Si je compte bien, cela fait plus de huit mois que je n'ai pas été au lit avec un homme, et même pour un bourreau de travail comme moi, qui a autant de vie sociale qu'un geek vivant dans le sous-sol de ses parents, ça commence à faire long. Je ne m'en étais pas rendu compte avant ce soir, avant de sentir le corps vigoureux du démon se presser avec envie contre moi. Assister à son empressement, assouvir sa soif en répondant à ses caresses avec autant de vigueur et me sentir désirée déclenche mon propre feu.
Il me fait me sentir plus femme que je ne l'ai jamais été.
Le temps m'échappe tandis que je sens les mains de l'incube me pétrir les hanches ; ses lèvres avaler ma bouche ; son sexe se presser contre mon pubis.
Ma peau s'embrase, mon corps s'enfièvre, mon monde vacille.
Sommes-nous encore dans ma chambre ? Je l'ignore. Je ne veux pas le savoir. C'est si bon que je me drape dans cette si bienvenue luxure sans plus avoir besoin de penser à des détails inutiles. À tout ce qui me crierait d'arrêter immédiatement.
L'obscurité qui nous enveloppe se lève et les couleurs s'enrichissent autour de nous. Nos corps accélèrent, nos respirations convulsent, nos muscles s'exaltent. Je sens sous mes doigts les frissons de plaisir qui piquettent sa peau ; sur ma bouche sa barbe naissante qui me griffe et me caresse. Sa main roule sur ma cuisse, joue avec le tissu éponge de ma serviette.
Est-ce que je viens de gémir ? De l'encourager ?
Alors qu'il m'agrippe les hanches et me retourne sans ménagement sur le lit, s'allongeant sur moi et m'écartant les jambes, mon désir se teinte soudain d'appréhension. L'incube me remonte les bras au-dessus de la tête, son corps fait pression sur le mien.
J'étouffe.
Je sens que ma réalité est sur le point d'éclater la bulle de verre que mon plaisir a érigé autour de moi.
Il ne me dominera pas. Il ne me possédera pas. Personne ne me possède, je me répète comme un mantra vieilli par des années moroses.
Une peur irraisonnée s'empare soudain de moi. Je cligne des paupières plusieurs fois. Je halète. Je refuse d'être possédée – c'est trop, trop tôt ! Ma panique gonfle dans ma gorge. Je laisse échapper un couinement.
L'incube se redresse, s'assied entre les draps froissés puis me juche sur lui. Il m'observe un instant, sans un mot ni un geste. Seuls ses yeux magnifiques parlent. J'y lis combien il me trouve belle et désirable. Et à cet instant je me moque de savoir s'ils peuvent mentir.
Je glisse mes doigts dans la soie bouclée des cheveux de l'incube. À leur contact, mon appréhension s'envole tandis que ma panique reflue. Je m'accroche à son regard et reprends peu à peu mes va-et-vient langoureux tandis qu'il se met à embrasser ma gorge. Il a l'air d'avoir retrouvé sa fougue en même temps que sa santé. Il marque ma nuque de ses lèvres et de ses dents, me faisant gémir et y laissant de petites fleurs violettes. Les muscles de mes cuisses se contractent et j'ondule du bassin cherchant un contact plus poussé. L'incube sourit devant mon laisser-aller, y répondant dans un nouveau baiser sauvage, me plaquant plus étroitement contre lui. La serviette entre le pouce et l'index, il tire le tissu, découvrant la courbe de mes seins.
Je cligne des paupières comme si je sortais d'un rêve. Ma chambre a repris ses fades couleurs. Mon cerveau se rallume et envoie une puissante décharge à travers les nerfs de mon bras sous la forme d'une gifle.
— Espèce de salopard !
Je me dégage puis saute du lit, plaquant mes bras contre ma poitrine. Ma tête tourne et j'ai du mal à focaliser ma vision sur un point précis.
Est-ce que je viens de rêver tout ça ? Est-ce l'effet des médicaments que j'ai pris avant l'intrusion du démon dans mon appartement ?
Ma gifle l'a tant surpris, qu'il reste un instant pantois avant de se frotter la joue en grimaçant.
— Ouch... Je n'avais pourtant pas la sensation d'être le seul à prendre du plaisir !
— Vous m'avez utilisée ! Je me défends en reculant contre mon armoire tandis qu'il hausse les sourcils.
— Avec votre accord, si ma mémoire est bonne.
— Vous... Vous avez usé de votre... votre mojo d'incube sur moi !
— Ah non... ! Ça, frú, ce sont vos qui en sont les principales responsables.
Je hoquette sous l'insulte.
— Espèce de...
— ... salopard ? Vous l'avez déjà dit.
Cette fois, je suis à court d'arguments. Je me suis fait moucher et je n'en ai pas l'habitude. Pire, je déteste ça. Ma migraine vient frapper sous mon crâne à grand renfort de marteaux et de casseroles.
Je fonce vers ma commode avec hargne et en sors les premiers vêtements qui me tombent sous la main – des sous-vêtements en coton crème, un chemisier blanc à fines rayures noires et un jeans brut – et, sans prendre la peine de me retourner, je disparais derrière la porte de ma salle de bain. Verrou enclenché.
Ouvrant mon armoire à pharmacie, j'en sors une aspirine et l'avale d'une gorgée d'eau, directement pêchée au robinet. La boîte de somnifères qui trône dans l'évier à côté de celle du Xanax me rappelle que j'ai déjà englouti quatre cachets un peu plus tôt. Un cocktail dangereux dont les premiers symptômes se sont déjà manifestés. Je me sens tout à coup nauséeuse et épuisée au-delà du possible.
Merde, merde, merde.
Si je ne pensais pas jusque-là que la phrase « ça ne peut pas être pire » dite à voix haute avait un réel pouvoir de karma, j'en suis désormais persuadée. Cette journée devenait pire à chaque instant.
Je fais partie du groupe des personnes calmes et rationnelles. J'ai toujours trouvé une solution dans les situations les plus désespérées. Celle-ci n'assombrira pas le tableau immaculé de mon sans-faute.
Récupérant un élastique posé dans ma corbeille à accessoires, je noue mes cheveux en une queue-de-cheval haute. Mon reflet me lance un regard de bulldog en colère.
— Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même ! lui rétorqué-je. Et ça ne se reproduira plus.
L'incube m'a prise par surprise. Mon corps a réagi instinctivement sous ses caresses. Mais désormais, je suis prévenue. Il gèlera en Enfer avant qu'il réussisse à me glisser dans son pieu.
La main sur la clenche, j'expire une dernière fois avant de m'engouffrer dans ma chambre.
L'incube est allongé sur le lit, les bras relevés et placés sous sa tête, il sourit. Son visage irradie presque dans la pénombre qui enveloppe la pièce aux volets clos. J'allume et ses paupières cillent. Sur son torse déserté par le peignoir, il ne subsiste rien d'autre que du sang séché, témoignant de sa blessure par balle.
— Je vais la garder, décrète-t-il avec bonne humeur. Comme un porte-bonheur.
Je le dévisage, étudiant ses traits. À la lumière des spots, il est encore plus beau que ce que je m'étais imaginé lorsque mes mains ont caressé les courbes de son visage.
Des boucles d'un roux chaud, presque chocolaté, tombent devant ses yeux, jouant et dissimulant ses iris turquoise, lui donnant un air tellement sensuel que je peine à contrôler mon bas-ventre qui se contracte.
Putain, Claire ! On n'est pas dans un documentaire animalier ! Tu peux contenir tes hormones !
Il plisse légèrement les yeux et je me pince les lèvres, tentant de retrouver une expression neutre. Visiblement sans grande réussite puisqu'il sourit en coin.
— Vous voulez remettre ça ?
— Plutôt m'enfoncer les yeux dans le crâne avec ma propre matraque.
Il se redresse, paumes sur le matelas.
— Vous savez... c'est une réaction naturelle.
Je hausse les épaules.
— Quoi donc ?
— Votre corps qui réclame le mien.
— Je ne... commencé-je dans un hoquet, incapable de continuer.
— Je suis un démon du sexe, vous vous rappelez ? Je sais quand un humain a envie de moi. Inutile de le nier. Je vois vos cuisses, serrées l'une contre l'autre. Cette petite veine qui palpite sur votre nuque. Vos yeux, qui dévorent mon visage. Votre cœur accéléré qui pousse contre votre poitrine. Vos tétons qui tendent le tissu de votre chemisier...
Cette fois, il est allé trop loin. Je crie :
— Stop ! Encore un mot déplacé et je jure que je vous passe les menottes !
J'ai croisé les bras sur ma poitrine, mais au regard qu'il pose sur moi, je sais que je viens de dire une connerie. On ne parle pas de menottes à un démon du sexe... Autant tendre une sucette à un enfant diabétique ! Mais il ne dit rien et se contente de me fixer comme s'il pouvait voir au travers de mes vêtements, pire, à travers mon âme pour y pêcher mes désirs les plus inavouables.
Mon Dieu ! Qu'il ne puisse pas, par pitié !
C'est le moment de reprendre le contrôle. Je ne suis pas arrivée où j'en suis aujourd'hui en rougissant comme une pucelle à la moindre paire d'abdominaux. Je me suis coupé une part de lion dans un monde essentiellement masculin. Dans un monde de testostérone et de blagues graveleuses. J'ai vécu pire et je vais le lui prouver – non, je vais me le prouver à moi-même. Qu'importe l'avis du démon.
— Pourquoi avoir pénétré chez moi ?
Il saute souplement du lit pour venir se camper devant moi.
— L'Enfer vous veut, inspecteur ! lance-t-il en ouvrant les bras de façon théâtrale.
Je sens les poils de ma nuque se hérisser. Est-il venu récolter mon âme ? Je recule. Mon arme est dans le salon. Me préparant au pire, je serre les poings.
— Enfin... façon de parler, rectifie-t-il.
Ma poitrine se gonfle de soulagement. Je viens de gagner un peu de sursis. L'incube n'a aucune idée du combat acharné auquel il vient d'échapper. Je n'aurais sans doute pas fait le poids face à un démon, mais j'aurais chèrement vendu ma peau. Et mon âme.
— Quelque chose ou quelqu'un tue des êtres surnaturels, m'explique-t-il, on m'a envoyé vous chercher afin de trouver le responsable. Mon patron a décidé que vous étiez l'homme de la situation. Et lorsque le boss investit, il met tout en œuvre pour protéger ses intérêts.
— Donc, je suis une marchandise fâcheusement pourvue d'une paire de nichons sur un poste à haute teneur en testostérone ? De mieux en mieux.
D'autres auraient vu leur patience depuis longtemps effritée par mes piques caustiques, mais le démon semble posséder un flegme à toute épreuve. C'est bien ma veine.
— Vous comprendrez mieux lorsque vous aurez eu une discussion avec votre commissaire.
Un vertige trouble un instant ma vision. Je m'appuie contre le mur pour ne pas tomber. Mes paupières s'alourdissent. L'incube m'observe, les sourcils froncés. Il a tendu les bras vers moi, mais je recule d'un pas. Il n'est plus question qu'il me touche.
— Je ne pensais pas vous avoir pris autant d'énergie, commente-t-il, la mine soucieuse.
— La gourmandise est un vilain défaut, lancé-je afin de détourner son attention.
Je déteste que l'on me voie dans de tels états de faiblesse. Mais ça ne prend pas. Il s'avance.
— Inspecteur, vous êtes certaine que vous allez bien ? Vous devriez vous allonger un instant.
Je préfère avoir les yeux bien ouverts pour vous garder dans mon champ de vision.
Je sens ma réponse bouillir dans mon estomac, grimper le long de mon œsophage et jaillir hors de ma bouche.
Pliée en deux, je vomis sur les pieds nus du démon.
— Je vois que vous faites dans les préliminaires originaux.
J'essuie ma bouche, ma vision troublée.
— Je ne me...
— Inspecteur ? Qu'est-ce qui vous arrive ?
Je suis incapable de lui répondre, la gorge sèche. Il enveloppe mes joues de ses grandes mains avec une étrange douceur et dresse mon visage vers lui, me dévisageant.
— Qu'est-ce que vous avez pris ?
— Pourquoi avez-vous éteint la lumière ?
Lorsque je m'effondre, inconsciente, c'est pour me couler dans les bras de l'incube. Autant pour ma résolution de ne plus le toucher.
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