3.La visite
Le coup retentit. Puissant. Assourdissant. Il sonne si fort qu'il me semble que tout le pâté de maisons l'a entendu. L'homme est propulsé dans le fauteuil par le contrecoup du tir.
Les yeux écarquillés d'horreur, je prends la mesure de ce que je viens de faire. Tétanisée, j'assiste, passive, à l'épanouissement d'une fleur carmin sur la chemise blanche et bien coupée de l'intrus.
Merde... le fauteuil est foutu !
L'idée est étrange et déplacée, j'en ai conscience, mais c'est tout ce qui me traverse l'esprit à cet instant. Puis mon cœur s'accélère soudain lorsque finalement je réalise que je viens de flinguer un inconnu. Un braqueur et sûrement un tueur en série en prime, mais un homme désarmé et qui n'a montré aucune agressivité à mon encontre. Si ma carrière paraît déjà être descendue au ras des pâquerettes après le carnage de l'entrepôt, là, elle est carrément enterrée. Elle bouffe littéralement des pissenlits par la racine. On ne tue pas un civil désarmé.
Un gémissement rauque me sort de ma transe.
Il est vivant ?
Le cœur gonflé d'espoir, je rejoins le blessé, tombe à genoux devant lui en posant mon S&W au pied du fauteuil. La balle semble avoir évité le cœur, mais au moins l'un des poumons est perforé. L'homme redresse la tête qu'il a basculée sur le dossier, une pellicule de sueur macule déjà son visage.
— Helvítis frú ! éructe-t-il, le souffle court, dans une langue qui m'est inconnue, mais qui m'a tout l'air de couvrir une insulte. Vous tirez toujours... avant de poser les questions ?
Au bord de la crise de nerfs, je me sens obligée de me justifier.
— Vous m'avez foutu la trouille, bordel ! Je n'ai pas réfléchi !
Je plaque mes paumes contre la plaie qui continue de suinter et d'imbiber sa chemise. Mes cours de secourisme en première année me reviennent en mémoire par flashes. Décousus et confus, d'abord, avant que je réussisse à en extraire une idée plus nette.
Stopper l'hémorragie.
J'ai cruellement besoin de temps. L'hôpital le plus proche n'est qu'à trois kilomètres de mon appartement, ce ne sera qu'une question de minutes pour que les secours arrivent et prennent en charge le blessé. Je vais peut-être pouvoir sauver mes fesses...
Je tourne la tête de tous sens afin de trouver un torchon, un vêtement, n'importe quoi pourvu que cela endigue le flot continu qui s'échappe de la plaie. À travers l'encadrement de la porte de ma salle de bain, j'aperçois le tas de tissus que j'ai laissé gisant sur le carrelage.
Une serviette !
Je me redresse.
— Ne bougez pas ! ordonné-je.
Malgré la douleur, les yeux de l'homme se mettent à pétiller.
— Je ne risque pas... de me faire la malle en volant, frú... Je vous rappelle que... vous m'avez épinglé au fauteuil comme... un papillon de collection, me répond-il, narquois.
Mais je ne l'entends pas. Je me suis déjà engouffrée dans ma salle de bain et en ressors avec la serviette humide qui m'a servi à essorer mes cheveux.
— Désolée, je n'ai plus que celle-ci. Je n'ai jamais pris le temps d'en racheter d'autres après ma séparation.
Je sais que je raconte n'importe quoi, et que l'homme en train de péricliter dans mon fauteuil se fout comme de sa première couche sale du nombre de serviettes de toilette que je possède, mais j'ai besoin de parler – d'évacuer. Et pour le moment, n'importe quoi semble être une bonne idée.
Je place le tissu éponge contre la blessure tandis que le cambrioleur – ou qui qu'il soit – serre les dents en grognant dans son étrange dialecte. Le blanc de ses yeux brille de fièvre.
— Lorsque celle-ci sera trop... imprégnée, reprend-il en capturant de petites goulées d'air, vous n'aurez qu'à utiliser... celle-là...
Un instant, je ne saisis pas. Puis, suivant le regard appuyé qu'il porte au renflement de ma poitrine, je sursaute, les joues en feu.
Est-il vraiment en train de me draguer alors que je lui ai tiré dessus ?
— Vous allez devoir tenir la serviette en place pendant que j'appelle une ambulance. Est-ce que vous vous en sentez capable ?
Un éclair de peur traverse le regard de l'inconnu. Il se penche si vite que je n'ai pas le temps de reculer et m'agrippe le bras. Sa poigne est si brusque, que je grimace à mon tour.
— Non !... Pas d'hôpital !
Je tente de me dégager, mais a subite adrénaline qui vient de se déverser dans ses veines lui octroie une force considérable.
— Vous me faites mal. Lâchez-moi.
Il soupire, mais s'exécute, reposant sa nuque contre le cuir vieilli, à bout de forces.
— Je... je ne peux pas aller à l'hôpital.
Je fronce les sourcils, les muscles tendus. Peu d'individus refuseraient de se faire transporter à l'hôpital et la majorité possède un casier épais comme un Tolstoï.
— Pourquoi ?
— Ils seraient... incapables de me guérir. Mais vous le pouvez.
Ma moue suspicieuse se fait surprise.
— Je ne suis pas médecin. Je suis flic. Je ne peux pas...
La sonnette de la porte d'entrée retentit soudain, nous faisant tous deux sursauter.
— Police ! Ouvrez !
Je me mords la lèvre, le cœur accéléré.
— Merde, merde, merde ! je jure en sautant sur mes pieds.
Comme je le pensais, les voisins ont appelé les renforts lorsqu'ils ont entendu le coup de feu. Et avec ma chance – évidemment –, une patrouille était déjà en train de quadriller mon quartier. Ma vie ne pouvait pas se passer sans anicroche pour une fois ?!
J'attrape un coussin gisant sur le sol et planque mon arme dessous.
— Police ! répète la voix masculine entre deux coups de boutoir sur la porte.
Sous mon crâne une tempête fait rage. Je viens de tirer sur un civil : je peux dire adieu à ma plaque. Ce boulot, c'est tout ce que j'ai, je ne peux pas le perdre.
Comme s'il avait deviné mes pensées, l'homme chuchote :
— Vous ne m'amenez pas à l'hôpital, vous acceptez... sans condition de m'aider à... guérir et je me ferai plus discret... qu'une souris lorsque vous irez ouvrir. Vous garderez votre emploi.
J'hésite. C'est mal. Je n'ai jamais brisé les lois, je n'ai même jamais eu un PV de ma vie.
Il insiste.
— Vous voulez garder votre place, inspecteur ?
Mon cœur fait un bond. Comment peut-il savoir qui je suis ? J'aurais parié mon badge qu'il avait choisi mon appartement au hasard sans savoir qu'il tomberait sur un flic et encore moins sur un inspecteur de la brigade d'élite qu'est la BMS. Apparemment, j'ai eu tort.
— Police ! Ouvrez immédiatement ou on enfonce la porte !
Je me penche par-dessus l'homme, les doigts crispés sur les accoudoirs. Je plonge mes yeux noisette dans une eau turquoise. Malgré la douleur qui y surnage, je comprends qu'il est sérieux. Il ne cille pas tandis que je fouille un peu plus loin en lui. Nos visages sont si proches l'un de l'autre, que je sens son souffle tiédir ma joue. Ma peau frémit. Je me redresse.
J'hésite encore un instant avant qu'un hochement de tête de l'homme ne me mette en branle. Je cours vers mon évier afin de faire disparaître le sang sur mes mains. Je vérifie ensuite qu'aucune goutte n'a taché la serviette blanche dans laquelle je suis drapée et disparais dans le petit couloir qui sépare l'entrée du salon.
Une dernière inspiration.
Les verrous cliquettent et la porte s'ouvre sur deux policiers aux visages graves.
— On nous a indiqué qu'un coup de feu avait...
Le premier, un quinquagénaire grisonnant, s'arrête au milieu de sa phrase. Ses yeux se sont rivés sur ma tenue. Trop légère. Ses oreilles, ses joues et son large cou rougissent d'un seul tenant avant qu'il ne reporte précipitamment son attention sur mon visage parfaitement neutre. Il faut dire que j'ai parié là-dessus afin de couper court au plus vite à l'échange.
— Veuillez... nous excuser, madame, bredouille-t-il. Vos voisins nous ont appelés. Il semblerait qu'un coup de feu ait été entendu il y a quelques minutes. La source en serait votre appartement. Vous permettez qu'on jette un coup d'œil ?
C'est à cet instant que j'aurais presque tout donné pour être dans l'une de ces séries policières américaines où l'absence d'une simple feuille de papier signée par un procureur empêche les forces de l'ordre d'entrer dans des propriétés privées. Malheureusement pour moi, nous sommes en France, et en France, rien n'empêche un policier soupçonneux de défoncer votre porte.
Ma tête tourne tandis que mes paupières pèsent soudain plus lourd que du plomb. Merde, que m'arrive-t-il ? J'ai besoin de l'ensemble de mes capacités afin de les faire déguerpir au plus vite de mon entrée. Si seulement je pouvais réfléchir correctement !
Je place pudiquement mes doigts sur ma serviette et souris, chassant mon malaise du mieux que je peux.
— Je n'ai rien entendu, brigadier. Une télé trop forte, peut-être ? Mon voisin de droite joue souvent à des jeux de shoot le son à fond. Et avec tous ces nouveaux engins de réalité augmentée, qui peut encore faire la différence entre un tir réel et un tir factice, hein ?
Il hoche la tête. L'explication semble lui convenir. Et, j'en mettrais ma main à couper, moins longtemps il restera en face d'une femme presque nue, mieux il se portera. Il fait partie de la vieille école ; respectueux et poli jusqu'au bout de ses Mephistos vernies.
— Nous allons vérifier. Toutes nos excuses pour le dérangement, madame.
Il fait signe à son collègue au visage fermé et amorce une retraite.
Le soulagement bondit presque en dehors de ma poitrine tandis que je referme le battant. Mon cœur semble sur le point d'exploser. Ce qui est certain, c'est que je viens de l'échapper b...
Alors que j'ai presque entièrement refermé ma porte d'entrée, le bois butte contre quelque chose de dur. Je baisse aussitôt les yeux sur la pointe d'une bottine noire. Relevant la tête, je plonge dans le regard du second policier. Ce dernier, plus jeune que son collègue d'une bonne vingtaine d'années, n'a pas l'air impressionné par mes atouts. Derrière son visage presque juvénile, je perçois le pitbull, le jeune loup qui ne lâchera pas sa proie avant de l'avoir acculée dans un coin de mur, agonisante.
Merde...
C'est bien ma veine d'être tombée sur un bleu dont l'ambition, nettement visible sur ses traits, paraît presque sur le point de défoncer ma porte. Il n'est pas lassé comme son collègue. Et il n'est pas dupe. Si la jolie fille en face de lui semble être une personne à qui on donnerait le bon Dieu sans confession, il doit percevoir à ma posture, à ma façon de crisper les doigts sur ma serviette et à l'intonation dans ma voix que je ne suis pas à l'aise à l'idée d'avoir deux flics trop longtemps devant ma porte. Et ceux qui ne veulent pas de flics devant leurs portes ont souvent de bons vieux squelettes planqués dans leurs placards.
Ce n'est pas le moment de paniquer. Un sourire faux étire mes traits.
— Veuillez nous excuser une nouvelle fois, madame, mais je serais plus rassuré de vous laisser seule si nous pouvions vérifier que rien ne s'était passé de fâcheux chez vous.
Ce n'est pas une demande, mais un ordre.
Je jure intérieurement, puis mon sourire de façade redouble, faisant de l'ombre à celui du bleu. Au jeu de celui qui sera le plus joyeusement hypocrite, je n'ai rien à lui envier.
— Je suis touchée par votre prévenance, sous-brigadier, mais tout va bien. Vous pouvez repartir rassurés.
Mais le policier n'est pas du même avis. La pression sur la porte s'intensifie. Je fais levier de mon côté. Nous nous scrutons, nous jaugeons, joutons sans échanger un seul mot, nous nous traquons à l'arrêt. Une veine saille sur la tempe du jeune loup. Je pousse un peu plus fort contre la porte, il n'a aucune intention de me céder le moindre pouce de terrain. Ma main tremble sur le bois. Peut-il le sentir ? Peut-il discerner l'odeur de ma peur sur sa langue comme un prédateur celui du sang ?
Lorsqu'un tic fait tressauter la paupière du policier et qu'un très léger sourire soulève ses lèvres, je n'ai plus le moindre doute : je sais que je suis en train de perdre notre combat. Mon seul espoir réside en la lassitude de son collègue. Je botte en touche et laisse glisser mes yeux brillants d'une incompréhension toute choquée vers l'autre policier. Ce dernier se racle la gorge, gêné.
— Allez, Simon, lance-t-il, posant une grosse paluche sur le bras de son cadet. Laisse la dame refermer sa porte. Tu vas lui faire peur.
Le policier se dégage d'un mouvement d'épaule irrité. Puis, l'ignorant, il plisse les paupières, ses pupilles suspicieuses toujours rivées sur moi.
— Il y a eu un coup de feu dans votre immeuble. Comment pourriez-vous ne pas l'avoir entendu ? Où étiez-vous ?
— Si ma tenue ne vous met pas sur la voie, vous êtes stupide !
Je regrette immédiatement mon éclat de voix. Le jeune policier est déjà suffisamment méfiant, pas la peine de mettre le feu aux poudres en insultant son intelligence. Qu'est-ce qui me prend ?
Je serre des mâchoires douloureuses ; ma nausée et mon mal de tête couvent toujours.
— Ceci est mon dernier avertissement. Écartez-vous ou nous entrons de force.
— Je ne vous permets pas de...
Et avant que son collègue ou moi-même ne puissions réagir, il a déjà ouvert la porte d'un puissant coup d'épaule et s'engouffre dans le couloir.
— Simon, putain ! crie l'autre policier avant de se jeter sur les pas de son collègue zélé.
Mon cœur se lance dans une monstrueuse cavalcade tandis que je vois, impuissante, deux policiers se ruer dans mon salon où un homme blessé par balle les y attend. Un homme désarmé sur lequel j'ai tiré.
Depuis l'affaire de la petite fille tuée par un flic démangé de la gâchette, quelques semaines plus tôt, les juges sont plutôt du côté des civils dans les affaires de débordements policiers, et il y a de fort à parier que celui qui rendra son jugement dans cette affaire-ci voudra faire de mon cas un exemple. Surtout que, dans le milieu, on n'apprécie pas plus que ça les flics de la Brigade Surnat'. Une monstrueuse hypocrisie quand on pense que c'est nous qui balayons les merdes dont personne ne veut s'occuper devant la porte des autres.
— Inspecteur Defontaine, BMS ! Vous venez d'entrer dans une propriété privée sans cas de flagrant délit ! lancé-je sans grand espoir et sans y croire moi-même.
— Si vous êtes flic, vous savez qu'un coup de feu est un cas de flagrant délit ! me jette le jeune policier d'un œil mauvais avant de débouler le premier dans le salon.
Vide.
L'homme n'y est plus, et l'on a négligemment jeté un plaid épais sur le dossier du fauteuil, là où une balle calibre .38 a fait un trou et qu'au moins un demi-litre de sang a imbibé le cuir.
La pièce est clean et sans bavure.
Le jeune sous-brigadier se tourne vers moi, les yeux brûlants.
— Je suis certain que vous cachez quelque chose !
Son collègue l'attrape par les épaules.
— Bordel, Simon ! Tu n'as pas entendu ! C'est un inspecteur de la BMS !
— Montrez-moi votre badge ! me lance-t-il sans se démonter.
Je me dirige à pas lents vers ma salle de bain entrouverte et fouille dans le paquet de vêtements sales. Lorsque je reviens et fais rutiler mon insigne devant les sourcils froncés du sous-brigadier, ce dernier lâche un juron.
— Calme-toi avant de te retrouver au placard, petit ! l'adjoint mon aîné.
Je croise les bras sur ma poitrine. Je jubile. À l'instant même où j'allais lancer une pique fumante du genre : « C'est souvent là que se retrouvent les bleus trop zélés », deux paumes chaudes se posent sur mes épaules et les pressent doucement.
Alors que ma surprise me pousse à sursauter, je me force au calme et me contente de sourire lorsqu'un baiser est déposé dans mon cou. Un frisson ondule sur ma peau.
— Mon ange ? fait une voix douce. J'ai entendu du bruit. Que font deux policiers dans notre salon ?
Mon intrus se tient désormais près de moi, une main glissée sur ma taille. Il porte le peignoir marron de Luc, semble nu dessous, et sourit comme s'il n'avait pas une balle enfoncée dans la poitrine en train de lui chatouiller l'aorte. Seule la fine goutte de sueur qui coule le long de sa tempe pourrait trahir à quel point il doit souffrir. Avec ses cheveux mouillés, on pourrait croire que nous venons tous les deux de sortir d'une douche crapuleuse.
D'un seul coup, l'histoire du coup de feu que je n'ai pas entendu prend tout son sens. Je me maudis de ne pas y avoir pensé plus tôt. L'aîné des deux policiers se racle la gorge ; il vient lui aussi de comprendre. Je lui coupe la chique – il est grand temps que je reprenne les rênes.
— Je crois qu'ils étaient en train de partir. N'est-ce pas, messieurs ?
Le jeune sous-brigadier ouvre la bouche, mais je l'arrête aussitôt.
— À moins que vous souhaitiez finir votre carrière à la circulation ?
Le bleu soutient le regard glacial que j'ai posé sur lui quelques secondes puis abandonne, les épaules voûtées et les yeux examinant soigneusement les rainures entre les lames du parquet.
Le nez de mon inconnu glisse jusqu'à mon oreille, sa main se positionne sur ma hanche et il me plaque imperceptiblement contre lui. Son murmure est juste assez audible pour nos deux spectateurs :
— Ne traîne pas trop...
Ma peau frissonne sous le second baiser qu'il dépose sur ma nuque avant de disparaître dans la chambre.
Le brigadier rougit de plus belle si c'est possible et bafouille :
— Veuillez nous excuser, inspecteur. Ce jeune loup a tendance à être un peu trop enthousiaste. Il s'emporte. Vous savez ce que c'est ? finit-il par demander en haussant les épaules.
Je hoche sombrement la tête tandis que les prunelles en biais du jeune policier flamboient d'une honte rageuse. Il sait que je mens pour me couvrir, même s'il ignore de quoi. Je dois lui mettre le coup de grâce.
— Vous n'ignorez pas que ce genre d'écart doit être consigné dans un rapport, laissé-je en suspens tandis qu'ils répriment tous les deux un hoquet de peur.
Je laisse planer ces mots quelques instants, les faisant gagner en poids et en conséquence.
— Mais... je ne reporterai pas cet incident, messieurs. En ce moment, le procureur n'est pas tendre lorsqu'il s'agit de débordements policiers...
Je sais que je suis injuste, que le sous-brigadier a fait un travail remarquable ce soir. Dans une autre situation, je l'aurais félicité pour son sang-froid et sa ténacité. Des recrues comme celle-ci, c'est ce que recherche la BMS. Mais, à cause de moi, à cause de mes conneries, il n'aura jamais la chance d'accéder à mon service : je ne peux pas risquer ma carrière pour la sienne.
Le vieux policier acquiesce, reconnaissant, malgré la grimace qui tord la bouche de son collègue. Il l'attrape par le bras et disparaît dans le couloir non sans m'avoir lancé un énième signe du menton obligé.
Lorsque la porte d'entrée claque enfin, je relâche mon souffle. Ma respiration est sifflante, ma peau couverte d'une sueur qui pue la peur. Je ne suis pas passée loin de la suspension. Si l'inconnu n'avait pas eu la présence d'esprit de mettre en scène cette mascarade...
La main sur mon cœur mi-affolé mi-soulagé, j'attends que les battements ralentissent et que mon appartement cesse de tanguer. Puis, jetant un coup d'œil à la porte de ma chambre entrouverte, je décide de m'y engouffrer malgré les alarmes qui sonnent sous mon crâne.
L'homme est allongé sur le lit, le peignoir est entrouvert sur sa poitrine ensanglantée. Il ne porte plus qu'un caleçon en satin noir. Le visage maculé de sueur, il relève légèrement la tête et se force à sourire.
— Et si... vous honoriez votre part... du marché ? halète-t-il.
Sa tête tombe en rebondissant sur le matelas tandis que je grimpe sur le lit et, fébrile, vérifie son état.
C'est mauvais.
— Vous n'auriez jamais dû vous lever. Vous n'étiez pas en état.
Il bat des cils comme si ses paupières pesaient trop lourd.
— Si je n'étais pas... intervenu, ils auraient fouillé tout l'appartement.
— J'aurais pu m'en sortir, commencé-je, de mauvaise foi.
— Si vous le dites. Quoi... qu'il en soit, j'honore toujours mes promesses. Et... vous ?
Il plonge ses yeux si bleus dans les miens et l'étincelle qui y brûle me défie de dire non.
Je hoche le menton.
— Pas d'hôpital. J'ai compris. Que dois-je faire dans ce cas ?
— Embrassez-moi.
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