Acte IV - Scène 6 : Le coeur de la bonne

– Finalement, la cicatrice sur mon dos, c'était une énième punition qu'il me faisait subir, c'était aussi sa façon à lui de dire "tu es à moi"...

– Il... C'est un monstre. Il vous a sauvé pour mieux vous détruire !

– ... C'est pour ça que je te le demande une dernière fois, Morgan... Rentre chez toi... Je ne veux pas qu'il s'en prenne à toi, je ne pourrais pas te défendre dans mon état... Tu seras plus en sécurité en ville.

– Je comprends bien mais... Je...

– Morgan... Tu as une fiancée, non ? Va la rejoindre, arrête de penser aux autres, pense un peu à toi, à ton bonheur...

Ne sachant que répondre, Morgan se retint de parler de ce qu'il s'était avec Lucinda. Si le marquis l'apprenait, il penserait sans doute qu'il était responsable de leur rupture. Ce qui n'était pas spécialement faux. Il s'était montré si aimable et si faible face au jeune homme que Morgan n'aurait jamais eu le coeur à l'attrister plus encore. Il décida alors de l'écouter, pour une fois, et de retourner à Loiziduc. Après tout, tout n'était peut-être pas encore perdu avec sa blonde ? Il arriva aux portes le soir tombant. Le gardien le laissa passer avant de boucler la ville pour la nuit.

En route pour rejoindre Lucinda, il croisa Gontran qui l'invita à sa fête. Le grand maladroit était content de le voir, Morgan était sans doute son ami le plus cher. Il avait toujours été sympathique envers lui. La maladresse du géant lui avait valu les foudres de beaucoup et bien qu'il ait un jour failli tuer Morgan en l'écrasant sous une énorme cagette, celui-ci ne lui en avait jamais voulu et ils en avaient beaucoup ri. Gontran était donc profondément ravi que la personne la plus gentille avec lui puisse être présente à son anniversaire. C'était au Bar d'Écailles que les festivités avaient lieu. Ils s'y dirigèrent donc, tout en discutant joyeusement. Morgan prenait des nouvelles de sa famille, il était sans doute le seul à s'intéresser autant à la vie de ce pauvre Gontran. Ce dernier savait bien qu'il n'était pas très intelligent mais il voyait bien les regards des autres et il entendait bien les moqueries. Mais ce soir, il voulait simplement passer un bon moment en compagnie de gens fêtards, et tant pis si ceux-ci ne l'appréciaient pas particulièrement.

– Dis-moi, Lucinda sera là ?...

– Oh, oui, bien sûr ! Elle est même arrivée tout à l'heure, avec Aymeric... Je croyais que tu pourrais pas être présent, avec ton boulot ?

– Je... Je ne travaille plus pour le marquis... Avec Aymeric, tu dis ?...

Gontran se mordit la langue en pensant qu'il avait peut-être fait une gaffe. Mais une fille aussi ravissante que Lucinda, il valait mieux qu'elle soit accompagnée, non ? Mais en même temps, elle vivait en face du bar, elle n'avait qu'à traverser la rue pour être chez elle... Elle n'aurait jamais eu le temps de faire de mauvaises rencontres... Il s'en voulait d'avoir dit ça et avait l'impression d'avoir plombé l'ambiance. Morgan était resté silencieux et son visage s'était fermé. Il avait l'air fatigué et ça le vieillissait, ça ne lui allait pas du tout. Le jeune homme était bien plus beau quand il était souriant.

En entrant dans le bar bruyant et bondé, il balaya du regard la salle principale et remarqua Lucinda qui riait aux éclats dans un coin de la pièce. Il ne se souvenait pas l'avoir vu aussi heureuse. Elle avait l'air d'aller très bien depuis leur dernière dispute... À ses côtés, le bellâtre Aymeric se tenait fièrement. Morgan s'avança droit vers eux. Ce n'était pas la première fois qu'il les voyait aussi proches. Il était temps qu'ils s'expliquent. Son ami, presque son frère, lui aurait ravi sa fiancée ?

– Lucinda. J'aimerais qu'on parle.

Son ton était sec et il n'attendait aucune réponse. Morgan prit la jeune femme par le bras et l'entraîna dehors. Elle ne l'avait jamais vu aussi froid et distant, surtout envers elle. Elle pensait qu'il était revenu pour la récupérer. La supplier de revenir avec lui. Elle espérait qu'il se batte pour elle, qu'il s'écrase devant elle. Mais il n'était pas là pour ça. Plus depuis qu'il l'avait vu dans le bar. Tout ce qu'il l'intéressait maintenant, c'était que les choses soient parfaitement claires.

– Depuis quand tu le vois ? Depuis que j'ai commencé à travailler ou vous avez commencé avant ? Tu me suppliais de rester mais au fond, tu ne voulais plus me voir et l'avoir lui, dans ton lit. Dans notre lit, c'est ça ?

– Morgan, tu comprends pas c'est...

– "C'est pas ce que tu crois", c'est ça que tu allais dire ? Lucinda, je vous connais tous les deux depuis des années... Je ne suis pas aveugle, je vous ai vu vous rapprocher, j'espérais encore et toujours à des coïncidences... J'ai été stupide, je l'avoue. Mais tu es stupide si tu veux encore me faire croire qu'il n'y a rien entre vous. Et finalement, ma tenue de travail, c'était qu'un prétexte pour me sortir de ta vie, pas vrai ?

La blonde ne sut quoi lui répondre. Il n'y avait plus rien à dire. Tout avait déjà été dit. Morgan tourna les talons et s'en alla. Gontran le vit s'éloigner et alla après lui, il s'inquiétait que son seul véritable ami ne se fasse du mal. Il se sentait responsable du drame qui venait de se dérouler sous ses yeux. Sa fête d'anniversaire n'avait aucune importance. Quelques rues plus loin, Morgan s'assit sur un muret, la tête entre les mains. Il se sentait bête, il se sentait trahi, il se sentait seul. Le géant maladroit posa une main compatissante sur l'épaule du malheureux. Les mots, ce n'était pas tellement son truc, mais les gestes, ça, il savait. Ce n'était pas grand chose, mais l'avoir à ses côtés à cet instant permit à Morgan de se sentir un peu mieux. Il avait la chance d'avoir quelqu'un sur qui compter dans ce dur moment à passer. Il n'était pas seul. Mais il songea à quelqu'un qui était seul et qui n'avait personne sur qui compter. Le marquis, si distant, si solitaire, si malheureux.

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