Acte III - Scène 5 : Une scène de ménage
Morgan était toujours perturbé du rapprochement soudain qu'il avait eu avec le marquis. Il hésitait désormais à rester dans la même pièce que lui. En même temps, il se sentait redevable, ce n'était pas la première fois qu'il était sauvé par ce mâle d'habitude si froid. Et Andréa s'était montré régulièrement attentionné à son égard. Il avait eu des a priori avant son arrivée. Le marquis avait la réputation d'être un monstre et il était soit craint, soit détesté, ou bien les deux. Maintenant, Morgan se demandait de plus en plus souvent qui était-il réellement ? Mais bien sûr, selon les règles, il ne devait pas l'interroger, ni sur lui ni sur son passé. Il se questionnait aussi sur l'affreuse cicatrice qui ornait le dos de son maître.
Plein de doutes, il repensa au petit garçon fragile que le margrave avait été. Son anniversaire approchait, mais il ne pourrait pas être présent ce soir-là. C'était son jour de congé. Il décida alors de préparer un gâteau, en espérant lui plaire. Il chercha dans les vieux livres de recettes ce qu'il pourrait aimer et finalement, il laissa tomber. Il choisit sa propre recette, qu'il avait confectionné des années auparavant avec sa mère. Il se souvint que Lucinda l'adorait aussi et profita de la cuisine pour préparer deux merveilleux desserts en tout point identique. Ainsi, il pourrait faire croire au marquis qu'il avait simplement fait trop de crème et qu'il avait donc fait un second gâteau qu'il lui laisserait... C'était une attention habilement déguisée en erreur. Il laissa les desserts reposer et sortit dans le jardin sauvage.
Il n'avait pas eu le temps de négocier une nouvelle tenue et il préférait éviter un face à face avec le marquis pendant quelques temps. Rien que les moments où il le croisait brièvement dans les couloirs, il sentait son regard brûlant posé sur lui. Il lui semblait désormais que le marquis ne prenait même plus la peine de cacher son désir. Ce qui n'était pas tout à fait exact. Celui-ci s'arrangeait le plus souvent pour ne pas tomber nez à nez avec le jeune homme. Il ressentait de plus en plus une enivrante chaleur dans son bas-ventre à chaque fois qu'il sentait le parfum de l'autre flotter dans l'air. À chaque fois qu'il voyait ses tendres jambes, ses volants couvrants à peine ses cuisses, ses épaules dénudées, ses cheveux en cascade... Andréa frissonna à l'apparition qui émergeait dans son esprit. Il se voyait retirer les bas de son domestique, d'abord lentement, puis plus rapidement, lui ôter sa tenue. Il imaginait le corps nu et lisse du beau brun s'offrir à lui. Puis l'image s'envola et il soupira.
Le marquis peinait à se concentrer à l'écriture de ses mémoires. Ses sentiments étaient confus. D'un côté, il désirait que Morgan reste à ses côtés, il ne se voilait plus la face, il le désirait beaucoup trop fort pour l'ignorer. Mais d'un autre côté, s'il ne parvenait pas à se débarrasser de la présence du comte, le jeune serait en danger s'il restait auprès de lui... Il grogna en déchirant une énième page qu'il mit en boule et jeta nonchalamment dans la corbeille. Il resta assis, pensif, devant la nouvelle feuille vierge. Ne parvenant plus à trouver ses mots, il finit par se lever et rejoindre la cuisine. S'il mangeait un peu, l'inspiration lui viendrait peut-être... Il nota deux gâteaux jumeaux sur la table, sans comprendre. Il n'attendit pas longtemps avant qu'un jeune homme affolé ne débarque dans la cuisine.
– Un serpent ! J'ai vu un serpent ! Le jardin grouille de serpents ! Vous voulez me tuer, c'est ça ?
– ... Il y a des accrocs sur votre tenue... Et... Soit, je m'occuperais personnellement des serpents mais dites-moi, Morgan... Pourquoi y a-t-il deux gâteaux sur cette table ? Je me serais aussi interrogé sur la présence d'un seul, mais pourquoi deux ?
– Heu... Je... Je voulais faire plaisir à ma fiancée mais je me suis un peu emballé en cuisinant alors j'ai fini par faire deux desserts et j'espérais que vous pourriez garder celui qui est en trop...
– Vous comptez sur moi pour débarrasser vos restes... Bien... Peu importe, vous penserez à recoudre vos vêtements et ne tardez pas à partir, je préfère que vous soyez en ville largement avant la nuit, la forêt n'est plus très sûre ces derniers temps...
Le cadeau maquillé n'avait pas eu l'effet escompté. C'était même tout le contraire, le marquis avait l'air plus grognon que d'habitude. Morgan évita soigneusement le regard de son maître en remontant à sa chambre et il quitta rapidement le manoir, emportant avec lui l'une de ses délicieuses pâtisseries. De son côté, Andréa avait, en réalité, moyennement apprécié l'attention du jeune homme. Bien sûr, ça lui avait fait plaisir. Mais le second gâteau lui avait rappelé avec violence que son domestique vivait avec sa fiancée, quand il était hors du manoir. Sa fiancée... Il s'en voulait d'avoir osé songer un instant qu'il y aurait pu avoir quelque chose entre Morgan et lui. C'était pourtant évident qu'il avait sa vie qui l'attendait ailleurs, loin de ce sinistre manoir et loin de ce sinistre personnage. Comment avait-il pu l'oublier ? Il frappa la table en bois d'un poing rageur. Il se sentait plus que jamais stupide et il sentait déjà les effets de la pleine lune sur son humeur. Ça le faisait encore plus enragé.
Peu avant la nuit tombée, il sortit dans les bois. Il n'avait qu'une idée en tête : trouver le comte Ignace et s'en débarrasser une bonne fois pour toute. Il était sûr que son ennemi était là, tapi dans l'ombre. Il attendait seulement le bon moment.
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