Acte II - Scène 5 : Nouvelles habitudes
Allongé dans son grand lit, Morgan ne parvenait pas à trouver le sommeil. Son employeur avait régulièrement des comportements dérangeants et cela l'empêchait de se concentrer. Pire encore, celui-ci n'avait pas l'air de s'inquiéter d'être "bizarre". Le jeune domestique fixait son plafond dans l'obscurité de sa chambre. Une faible lueur bleutée traversait la pièce, donnant une atmosphère à la fois douce et étrange. Depuis qu'il vivait au coeur de la forêt, Morgan n'avait pas cessé de changer d'avis au sujet de l'endroit. Les bois lui semblaient tantôt terrifiants, tantôt attirants et il ne parvenait plus à savoir ce qu'il éprouvait. Il se leva et s'installa à la fenêtre, tirant le léger rideau qui la voilait.
La lune était encore énorme dans le ciel et éclairait parfaitement l'extérieur. Le jardin, en bas, était rempli de mauvaises herbes. Morgan ne put s'empêcher de penser qu'il avait dû être magnifique. Des formes étranges de restes de sculptures dépassaient par endroit et projetaient d'horribles ombres sur le mur recouvert de lierre. Pendant un instant, il crut voir une ombre se mouvoir dans la pénombre. Il se dit que ce devait être le fruit de son imagination. Ou peut-être l'homme solitaire sortait-il la nuit ?...
Quand l'aube orangée pointa à la surface des feuillages, Morgan se détacha lentement de la fenêtre. Les rayons matinaux rendaient la forêt flamboyante. On aurait dit un océan embrasé. Le vent léger souffla dans les branches, les agitant dans un même mouvement de vague. Peu à peu, les bruits de la nature parvinrent jusqu'au manoir. Les piaillements des oiseaux chantants résonnaient dans le silence des couloirs sombres de la demeure. Le jeune inspira profondément, les yeux fermés. Une nouvelle journée de travail l'attendait. Il se prépara rapidement avant de quitter sa chambre. Il plissa les recoins de ses jupons en songeant que s'il pouvait retourner en arrière, il n'accepterait sûrement pas ces conditions. Il passa soigneusement ses bas pis les agrafa à ses sous-vêtements avant d'enfiler ses souliers à talons. Décidément, il ne parvenait pas à s'y faire. Il resta un moment devant le miroir, à se contempler dans sa tenue de travail. Il ajusta sa coiffe et attacha ses longs cheveux à l'aide d'un ruban fin.
Le Margrave l'attendait au salon et lui donna de nouvelles corvées. Le rangement étant quasiment terminé à l'intérieur, Morgan devait désormais s'occuper de l'extérieur. À condition, bien sûr, qu'il en soit capable. Il n'avait jamais de jardin et ne s'était toujours occupé que de plantes d'intérieur. Défricher l'intégralité du domaine ne serait pas une mince affaire. Surtout en robe. Mais le jardin attendrait encore un peu, il n'avait pas les outils pour s'en occuper. En attendant, il devrait faire diverses commandes et partir négocier en ville. Il aurait aussi à surveiller le courrier, aucun livreur n'aurait l'audace de se montrer ici et le marquis semblait attendre une lettre importante. De ce que Morgan put comprendre, il n'en recevait à cette période de l'année. Curieux, il se demanda pourquoi cette date était importante mais préféra se taire. Il lui était interdit d'interroger son maître sur quoi que ce soit qui le concerne aussi directement.
Morgan partit se changer avant de rejoindre la ville. Il se rendit à l'auberge d'Inès, une vieille bonne femme robuste. Elle passait ses journées à crier après ses employés, surtout sa fille Bella qui était une rêveuse à plein temps. Bella était encore très jeune et elle avait toujours la tête ailleurs. Si bien qu'elle ne vit pas Morgan dans l'entrée de l'auberge et se cogna contre lui, renversant l'intégralité de son seau d'eau sale sur les seuls vêtements qu'il avait. Le jeune homme grimaça, le liquide marronâtre imprégnait rapidement ses habits et dégageait une odeur épouvantable. L'énorme Inès hurla sur sa gamine en lui tirant l'oreille et l'envoya au fond de l'auberge chercher de quoi laver le sol. Elle avisa le visiteur dégoulinant et s'excusa à sa façon, c'est-à-dire en continuant de balancer des grossièretés sur sa fille.
– J'aimerais savoir si vous avez reçu une lettre pour... Le Margrave de Hlodwig...
– Ah oui, hein ? Vous d'vez être le jeunot qu'il a engagé, hein ? Oui j'crois bien avoir ça quequ'part. Bougez pas, hein, faudrait pas salir plus l'auberge. Et 'core désolée pour la môme, j'sais pas c'que j'vais en faire de celle-là !
La bruyante mégère s'éloigna en direction de la cuisine, tout en continuant de marmonner d'autres jurons. On l'entendit crier après l'apprenti cuisinier qui sortit en hâte, les larmes aux yeux. Puis, elle revint vers Morgan qui n'avait pas bouger du seuil et lui tendit une enveloppe pleine de crasses graisseuses. Il la remercia et s'en alla prestement. Le tissu trempé collait affreusement sa peau et la désagréable sensation devenait insupportable. Sur le chemin du retour, il lut l'inscription sur le dessus de l'enveloppe, le nom de l'expéditeur était couvert par une énorme tâche indéterminée. Au dos cependant, le nom du marquis était tout à fait lisible. "Margrave Andréa de Hlodwig". Andréa ? L'homme qui avait absolument voulu une femme de ménage avait un prénom aussi... Féminin ? Morgan n'en revenait pas. Ou bien c'était une erreur. Ou alors, c'était un secret bien gardé. Même Inès ne semblait pas l'avoir remarqué...
Quand le domestique poisseux se présenta devant son maître en lui tendant la lettre cachetée, il garda le silence. Il avait une forte envie de l'interroger sur ce prénom mais il se mordit la lèvre. L'homme silencieux le regarda avec suspicion. Sa tenue n'était pas réglementaire et surtout, il était affreusement sale. Il prit le mot du bout des doigts et l'envoya se laver à grande eau avant toute autre chose. Morgan, qui n'attendait que ça, ne se fit pas prier et partit vivement. Il allait devoir frotter ses habits pendant des heures et il n'était même pas sûr que cela suffise.
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