Acte I - Scène 4 : Les entretiens

Quelques jeunes gens avaient donc décidé de tenter leur chance. Les plus vieux étaient habitués à leur vie assez misérable alors ils avaient décrété que ça ne valait pas le coup pour eux. Après tout, il y avait de fortes chance pour qu'ils se cassent une jambe rien que sur le trajet jusqu'au domaine délabré. Les intrépides étaient partis tôt, ils s'étaient arrangés pour passer la nuit hors des murailles et avaient commencé leur route peu avant le lever du soleil. Certains avaient même décidé d'y aller en groupe. Ils se sentaient ainsi plus rassurés bien que ça impliquait de cheminer avec la concurrence. Nombreux étaient stressés à l'idée de rencontrer le marquis, sa réputation de bête féroce et indocile indiquait qu'il était sûrement difficile à vivre. Et il l'était. Il ne fallait sûrement pas le contredire, il fallait faire un travail plus que correct pour qu'il n'ait pas à repasser derrière. Il valait mieux nettoyer une tasse dix fois pour s'assurer qu'aucune saleté n'y reste accrochée. C'était un homme extrêmement exigeant avec des idées parfois -souvent- très arrêtées.

Alors que la ville se réveillait doucement et ouvrait ses portes, on remarqua l'absence de nombreuses jeunes personnes, une majorité de femmes, dans les rues. Elles étaient parties suite à l'annonce de la veille, espérant enfin gagner leur vie et leur indépendance. Des hommes d'âge mûr déjà installés à la terrasse du vieux bar aux couleurs cramoisies discutaient à propos de ce vide si soudain en ville. Ils secouaient tristement la tête priant dans leur bière amer pour que tous ces jeunes gens ayant eu la folie de partir en forêt reviennent sains et saufs. Enfin, surtout les jeunes et jolies filles qu'ils aimaient reluquer depuis leur table favorite.

Ce matin-là, une dispute éclata dans un petit appartement du dernier étage non loin du fameux Bar d'Écailles. La fenêtre ouverte et le calme extérieur permirent à presque tout le quartier encore présent d'en profiter. Morgan, un jeune homme un peu rêveur selon ses propres dires, avait osé se confronter à sa petite amie chez qui il vivait depuis quelques mois. La jolie Lucinda aux cils immenses avait toujours su attirer l'attention sur elle. Mais il semblait que son coeur avait cessé de papillonner le jour où elle l'avait rencontré. Elle était éprise du beau brun aux cheveux longs et n'aurait voulu le partager pour rien au monde. Mais il était bien décidé à tenter sa chance, lui aussi, au manoir. Et ça, elle ne pouvait pas le permettre !

– Luci, écoute-moi, bon sang ! Si j'arrive à avoir ce travail, on pourra partir loin d'ici, on aura une belle maison et on pourra même se marier !

– Je ne veux pas que tu ailles là-bas ! La Forêt de Monstre est dangereuse ! Tous ceux qui sont déjà partis sont complètement fous et ils ne reviendront jamais ! Je refuse qu'il t'arrive la même chose !

– Je t'assure que je ne crains rien ! Il y a un sentier qui mène au manoir, je l'ai déjà aperçu, je saurais le retrouver ! Et je reviendrais toujours auprès de toi, tu es l'amour de ma vie Lucinda, tu le sais bien...

En disant ces derniers mots, Morgan s'était approché d'elle en douceur et avait posé ses mains sur les épaules de la jeune femme. Il embrassa tendrement son front et la serra contre lui. Lucinda tremblait légèrement dans ses bras puis sa colère sembla retomber brusquement. Bien sûr, il avait raison. Elle n'avait pas à se faire du soucis, mais le savoir loin d'elle, ça l'angoissait. Des larmes roulèrent doucement sur ses joues. Ses sentiments étaient vraiment mis à rude épreuve depuis qu'ils vivaient ensemble. Elle avait très envie de tout ce qu'il avait énoncé : une jolie maison, un beau mariage. Et surtout, partir loin de cette affreuse ville...

L'agitation commença à revenir en ville, avec les premiers renvoyés du manoir. Une jeune femme blonde un peu ronde était revenue de sa mise à l'essai. Morgan et Lucinda descendirent pour aller à sa rencontre, tandis qu'il semblait que tous les habitants s'étaient rassemblés autour de la blondinette. Elle était en larme, au point que son visage d'ordinaire si lumineux paraissait terriblement sale. Elle sanglotait et tenait à peine sur ses jambes. Morgan l'aida à s'installer sur une chaise extérieure du bar d'en face et le patron en personne vint lui offrir un remontant. Elle agrippa le verre de ses mains tremblantes et but le liquide d'une traite. La médecine sembla efficace, elle s'essuya maladroitement ses joues humides en reniflant avant de raconter son histoire.

Elle était partie très tôt, comme beaucoup d'autres. Une fois sur place, la seule présence du Margrave de Hlodwig l'avait intimidée. Il s'était montré froid, distant et peu enclin à bavarder. Il lui avait demandée de réaliser quelques tâches devant lui et l'avait observée dans un silence de mort. L'ambiance terriblement oppressante de la forêt, du manoir et du regard inquisiteur du marquis avait eu raison d'elle. Elle avait renversé un vase dans un geste brusque et il s'en était fallu de peu pour qu'il finisse en morceau. L'homme impressionnant s'était rué sur la porcelaine et l'avait attrapé au vol. Il ne lui en fallait pas davantage pour la juger et, en lui jetant un regard noir, il lui avait sommée de quitter les lieux. Elle avait été toute retournée sur le trajet du retour et c'est seulement en arrivant aux portes de la ville que son corps s'était détendu et avait ouvert les valves de ses larmes.

Très vite, d'autres témoignages du même acabit affluèrent en ville et ceux qui n'étaient pas partis à l'aube, décidaient peu à peu de finalement rester dans leur misère. Des personnes énervées, effrayées, effondrées, insultées, étaient revenues dans leurs vieilles habitudes, espérant au plus vite oublier cette expérience forestière. Lucinda lança un regard interrogateur à son amant. Avait-il changé d'avis ? Non, au contraire. Le simple fait que personne n'avait encore été pris et que plus personne n'oserait se présenter au marquis était une excellente chose pour lui. Il ne pouvait que faire bonne impression. Il avait les qualités requises, la volonté et l'assurance d'une chose : si le marquis refusait de le prendre, il n'aurait qu'à lui signaler qu'il était le dernier choix possible, et le tour était joué. D'un air décidé, il alla chercher quelques affaires avant de sortir de Loiziduc.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top