4 - NINA

Bikini Kill à fond dans son petit appart, Nina danse alors que des pâtes cuisent lentement dans une casserole bouillante. Ce soir, elle a rendez-vous. Non, non, pas avec quelqu'un.e. Avec le milieu militant. Un collectif de la fac organise un cycle de conférence sur les grandes figures de la lutte anarchiste. Tout pour lui plaire, quoi. Elle espère bien se faire des contacts, ou au moins rencontrer des gens. Après tout, c'est bientôt les vacances, et ça l'angoisse un peu, de se dire qu'elle va rester seule dans son appart pendant deux longs mois, alternant avec un taff pourri à récurer des chiottes et l'ennui des soirées d'été, dans une ville qu'elle ne connaît pas. Avoir des contacts dans la ville, ça lui ferait pas de mal, et au moins ça l'obligerait à sortir un peu.

Bon, bien sûr, elle a ses potes de la fac. Mais elles se cassent dès la fin du dernier partiel – l'une pour voyager avec son amoureux et l'autre rentre chez ses parents à l'autre bout du pays, où elle fait le même taff saisonnier depuis ses dix-huit piges. Les autres de sa promo, elle ne les connaît pas, et elle n'a pas franchement envie d'apprendre à les connaître. Avec comme seul but dans la vie de se pinter la gueule jour et nuit, c'est pas eux qui occuperont ses journées.

Elle avale son plat de pâtes en moins de deux, met trois plombes à choisir entre son blouson ou son cuir (problème futile pour faire bonne impression), opte pour le cuir, et se retrouve sur son vélo à pédaler comme une dératée direction la fac d'histoire. Essoufflée (la ponctualité, qu'est-ce que c'est ?), elle saute de son vélo, l'accroche en moins de deux et s'élance gravir les marches menant à l'imposant bâtiment universitaire.

D'un coup d'épaule, elle déboule dans le hall, sous les yeux d'une concierge outrée. Elle file le long des couloirs, arrive dans l'amphi et personne ne lui accorde son attention. Tout le monde semble absorbé dans des conversations chuchotées sur le bout des lèvres : tant mieux, cela lui laisse le temps de se trouver une place. Elle survole la vaste salle du regard.

Surprise, ses yeux croisent celui du type de l'autre jour. Jules.

Il est assis seul dans une rangée vide. Sans trop réfléchir, prenant son courage à deux mains, elle monte les quelques marches grinçantes et vient se placer dans la même rangée – une volée de chaises les séparent. Lorsqu'elle s'assied, il se tourne à demi vers elle, un échange de hochements de tête : il l'a reconnue. Un poids semble s'envoler de ses épaules, elle est soulagée. Peut-être qu'elle arrivera enfin à se faire une place dans ce milieu militant ?

Quelqu'un monte sur l'estrade, on baisse un peu la lumière, la personne se racle la gorge, avant de prendre la parole.

-Bienvenue à toustes, merci d'être aussi nombreuxses. La présentation d'aujourd'hui portera sur Emma Goldman ; on commencera par une lecture, puis deux membres de l'OA (pour Organisation Anarchiste) reviendront sur l'interprétation d'une phrase lui étant attribuée :

« Si je ne peux pas danser, je n'irais pas à la révolution. »

Les mots résonnent dans la pièce. Nina ressent leur impact jusque dans son cœur. Non loin, Jules s'agite sur sa chaise. Elle a déjà entendu ces mots quelque part. Probablement il n'y a pas si longtemps que ça. Un écho lointain lui revient, mais tout est flou dans son esprit.

If I can't dance, I don't want to be part of your revolution.

Mais alors, deux personnes se placent à leur tour sur l'estrade, un paquet de feuilles dans les mains, et se mettent à lire un extrait de son autobiographie. Emma Goldman, ç'a toujours été son inspiration. Chaque jour elle rêve à cet idéal pour lequel elle s'est battue, des années avant elle. Elles partagent les mêmes idées, partagent la même envie de vivre libre. Ça la fait frissonner, elle est happée par ses mots qui résonnent avec tout son être. Puis vient la pause, et Jules s'en va. Merde !

Nina reprend contenance, elle reste bien droite sur son siège. Observe les gens rouler leurs clopes, se remettre à discuter entre eux, en petits groupes. Elle aperçoit Camille, qui suit Jules d'un air entendu. Tiens, étrange. D'habitude, le grand Camille ne traîne avec personne d'autre que Basile.

Sous son nez, un tract rouge apparaît. Elle a un mouvement de recul, surprise. Un rire lui fait relever les yeux.

-On fait une projection-débat sur les échecs de la révolution russe la semaine prochaine, si ça te dit.

-Ah, merci...

Sans conviction, elle se saisit du papier qu'elle parcourt rapidement. Comme elle s'applique à le plier pour le ranger dans sa poche, il revient vers elle, avec un sourire sincère :

-Mais, je t'ai déjà vue toi !

-Ah oui ?

Perplexe, elle cherche où elle aurait bien pu le croiser. Des cheveux bruns bouclés, une veste en jean avec plein de patchs reprisés... C'est là qu'elle le remet : le type bourré de l'autre fois. Tic ? Tac ? Elle ne se souvient plus de son nom, ça la fout mal.

-Euh ouais, c'est quoi ton nom déjà ?

Il rigole, ça n'a pas l'air de le vexer.

-Tout le monde me surnomme Tique ! T'sais, comme les parasites, là...

-Ouais j'vois.

Elle esquisse un sourire. Un temps, ils se jaugent, ne savent pas quoi dire de plus. Pourtant, elle sait qu'elle aurait des tonnes de trucs à partager. Ça remonte à quand, la dernière fois qu'elle a parlé politique avec quelqu'un ?

-Bon... on te voit vendredi prochain alors ? finit-il par conclure.

Nina esquisse un mouvement de la tête, mi-soulagée mi-déçue.

-Ça marche.

Sans trop savoir quoi faire d'autre, elle sort. La pause va probablement durer une vingtaine de minutes, autant aller prendre l'air. Dehors, il pleut doucement. De grosses gouttes chaudes de l'été. Les nuages sont gris foncé, peut-être qu'un orage gronde quelque part. La plupart des fumeurs se sont regroupés sous un petit auvent, en bas des marches, qui donne sur un escalier de service. Nina préfère rester où elle est : à côté de la porte, abritée dans un renfoncement.

C'est donc sans le vouloir qu'elle se retrouve à côté de Camille et Jules en plein conciliabule, enveloppés dans la fumée de leurs cigarettes. D'un coup, c'est l'angoisse. Elle n'essaye pas d'écouter leur discussion, son cœur s'emballe sans qu'elle le veuille et ses mains tremblent alors qu'elle s'entend dire :

-Dites... vous auriez pas du feu ?

Ils se tournent tous les deux vers elle, la mine fermée. Son anxiété est douchée, et une pointe d'agacement prend le dessus. Pas la peine de la prendre de haut comme ça.

-Woah les gars, tranquille, je demande juste du feu, sérieux on croirait un enterrement.

En essayant de détendre l'atmosphère, elle se rend compte qu'elle n'a fait que plomber l'ambiance. Bravo. Jules ne décroche pas un mot, mais l'autre semble avoir été un peu réveillé par cette tentative maladroite. Il affiche un air désolé et esquisse un sourire :

-Pardon. Tiens.

Sans rancune. C'est Camille qui lui tend son briquet. Le petit groupe en bas des marches regarde l'échange avec envie. C'est bizarre, la popularité de Camille, on se croirait au lycée. Mais il faut dire qu'il en jette, avec sa veste en cuir et sa mine assurée.

-Excuse-les, ils sont en pleine enquête.

Une voix grave derrière elle qui la fait sursauter. Elle se retourne, et là, elle est soufflée ; le grand Basile la surplombe en souriant, ses cicatrices luisant dans la pénombre.

-En... enquête ?

-Bas' tais-toi.

Camille fusille son ami du regard. Jules sautille d'un pied sur l'autre, visiblement très peu à l'aise. Nina les regarde tour à tour sans comprendre. C'est quoi ce délire... Elle a envie de filer, mais dans le même temps, cette histoire lourde de sous-entendus l'intrigue. Peut-être qu'elle ne devrait pas se mêler de tout ça. Mais avant qu'elle ne se pose plus de questions, Tique fait son apparition :

-Ah ben vous êtes là ! On va bientôt reprendre. Ça vous dit d'aller boire un verre après ?

Basile a une réponse enjouée qui semble convenir aux deux autres. Tique la regarde, elle. Soudain, elle percute ; l'invitation s'étend à tout leur petit groupe. Eh ben tant mieux. Elle sourit, mais ne dit rien, se contente simplement de suivre le mouvement. Satisfait, Tique s'en retourne, et les quatre lui emboîtent le pas. 


**

hola! un chapitre court, as always. qu'est-ce que vous en pensez? (y'a plus personne qui lit mais je pose des questions quand même, sait-on jamais!)

alors voilà, tous les persos de la bande ont été introduits! que pensez-vous d'elleux? des préférences? Jules le ténébreux, Camille le bg, Basile le balafré, Nina la survoltée, Carmen la mystérieuse ou Tique le parasite? ;) 

dans le prochain chapitre, on découvre un nouveau point de vue!!! 

à plus!!!

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