∅9 | Neige

J'avais marché tout droit devant moi, sans détour, pendant plusieurs brises. Tantôt courant, tantôt marchant, ou encore trainant mes jambes pour reprendre haleine, je parcourus en longueur presque toute la contrée, et j'arrivai aux limites qui la séparait des terres de Suv'.

Le froid se faisait sentir de plus en plus au fur et à mesure que j'avançais, et bizarrement, la végétation devenait de plus en plus dense. Une forêt de gigantesque arbres rebelles d'un vert foncé touchant le ciel s'étendait devant moi, et le rouge du ciel s'assombrit jusqu'à être remplacé par une épaisse brume blanche qui s'émiettait et tombait en fines particules blanches, formant une immense couverture sur le sol, blanche, douce et crissante.
La terre semblait avoir fusionné avec l'horizon.

Ce devait être un phénomène courant de ce pays, mais pour moi qui n'étais jamais sortie du Crépuscule, c'était un spectacle magnifique.

Émerveillée par la beauté de cet environnement nouveau, j'en oubliais le froid qui commençait à me taillader le thorax et à figer mes doigts. Je portais encore le fin vêtement transparent et fragile de la cité du feu rouge, et le froid s'engouffrait librement dans mes os.

Ma respiration devint une fumée, mon dos comme percé par des lames finement acérés, et je ne sentais plus mes extrémités. Je courbai le dos et croisai mes mains. C'était la première fois que j'avais aussi froid.

J'avançais malgré mon mal. A chaque pas, les pointes du froid s'enfonçaient de plus en plus dans ma chair. Le moindre coup de vent risquait de l'emporter.

Un bruit étrange se fit entendre. Un bruit de tapotement, de contact de fer contre fer. Mais ce n'était pas le même bruit que le choc d'un marteau contre une plaque. Celui-ci était plus doux, plus silencieux, et plus régulier. Le son s'approchait. Je me retournais pour voir, mais je fis éblouie par un panache de couleurs et de formes. J'entendis une voie me dire :

« - Mais qu'est-ce que tu fais là, toi? Tu es perdue?

Entre mes yeux plissés, j'essayai d'entrevoir mon interlocuteur, mais je ne voyais que la masse colorée longue et informe.

« Définitivement perdue, jeune fille, continua la voix. Et tu m'a l'air d'avoir froid. Viens, monte, je vais te déposer.

Dans un effort, j'ouvris mes yeux, mais je ne vis rien. Tous était flou et déformé par une buée dense et insaisissable. Je demandai en cherchant à tâtons :

« - Où êtes-vous monsieur? Je ne vous vois pas.
- Comment?, s'étonna la voix. Monsieur? Mais tu dois être myope comme un poisson de caverne, ma petite. Mais... attends.

Un souffle chaud m'assaillit soudain, semblable à la vapeur d'un liquide bouillant, comportant une odeur de brûlé.

L'instant d'après, je pus voir enfin. Je soupirai, mais fus interrompue par la voix dont je vis la parvenance :

« - Tu avais de la buée sur tes cristaux. Tu peux voir maintenant.

J'avalai de l'air de travers, et m'étouffais. Un long serpent avec des ailes des pattes d'oiseaux de proie, une tête de chameau à grands yeux, et qui parle? Je restai la bouche ouverte.

- tu n'as jamais vu un dragon auparavant ?
- Non, monsieur....
- Mais arrête avec "monsieur". Je m'appelle Goryn. Goryn le dragon-train. Le pays des neiges est grand, et je transporte les gens d'un bout à l'autre.
- Le pays des neiges?
- Vous l'appelez autrement vous dehors?
- Oui. Le pays Suv'. Mais je préfère ce nom.
- Alors, mademoiselle ? Où je vous conduis?
- Je ne sais pas.
- Tu es donc bien perdue. Monte, je sais une destination pour les gens comme toi. Tout le monde à bord!

J'enfourchai le dos du dragon, et m'accrochai à ses écailles vertes et brillantes aussi grandes que des cuves. Le dragon souffla des narines, dégageant le même air chaud que tout à l'heure, et fonça entre les arbres. Il avançait à une vitesse vertigineuse, son corps souple de reptile se tordant entre les arbres et survolant le sol. Il devait bien connaître les routes, car à sa place et à cette vitesse, je me serais heurtée plusieurs fois. Le vent me fouettait le visage, et menaçait d'emporter mes frêles vêtements. Malgré tout, une incompréhensible satisfaction me saisit, et pendant une courbe du chemin, je me mis à rire. Goryn me regarda d'un regard complice, et avança de plus belle. Le paysage changea soudain de forme : Sortis du taillis d'arbres, nous débouchâmes sur une vue montagnère, où les petites bosses de pierre du mont qui se perdait dans l'infini du ciel s'alternaient dans la hauteur, tantôt courtaudes, tantôt imposantes. Leurs sommets ronds était blanc, et leurs origines plongeaient dans les entrailles de la terre. Le tout coiffé de cette brume blanche que Goryn aimait disperser du fouettement de sa queue. Cette vue de haut m'arracha une exclamation.

« - C'est beau !
- Oui.
- Goryn, cette masse transparente, c'est quoi?
- Voyons, c'est un nuage. N'en as-tu jamais vu?
- Non. Et cette masse blanche sur les arbres et les montagnes ?
- C'est ça, la neige. Ça tombe des nuages, et ça protège les plantes qui sont au dessous.
- C'est donc ça, la neige...
- Je vois que tu n'es pas de la Contrée ni de la Sphère.
- Non. Du Crépuscule.
- Où ?
- Le... pays de palmiers.
- Ah, mais oui. Je connais. Mon chemin ne s'étend pas jusque là, mais j'en ai entendu parler.

« Quoique... Le nom de Crépuscule est mille fois mieux que des palmiers qu'on trouve partout.

C'était la première fois que quelqu'un étranger à mon île acceptait son vrai nom. Et pour cause, c'était pareil pour eux. Je souris, serrai mon étreinte, et restai ainsi jusqu'à la fin du voyage.





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