12 | Fleur d'espoir
« Ne ....
« Ne respire pas.....
« Ne respire surtout pas cette...
Un écho incertain se répétait, sans cesse renvoyé par les cloisons d'un endroit flou. Ma vue était bien trouble. Un pressentiment d'urgence et de danger faisait trembler mes membres.
J'étais dans ce qui ressemblais ma grotte du Crépuscule, mais quelque chose placé devant mes yeux m'empêchait de voir.
L'écho devint plus défini, et la voix claire.
« Nous sommes pris au piège.
C'était la voix de mon porteur.
« Tu le sens toi aussi, n'est-ce pas? Ils veulent en finir avec nous. Mais je ne me rendrait pas si facilement.
Je me rendis enfin compte de ma position. J'étais accrochée à son dos, sans doute encore au stade d'embryon, car je ne pouvais pas interagir. Lui était assis en tailleur près de la petite ouverture de la paroi, le dos au mur face à la porte.
Il regarda dehors. En tordant le cou, je pus voir plusieurs hommes postés à l'entrée sur leurs montures volantes.
Mes faibles yeux distinguèrent de fines particules colorées flotter dans l'air de la grotte, et que je reconnus comme la source de l'angoisse de mon interlocuteur.
« On attend donc que je sorte ou que je meurs. Dommage pour eux, ils ont oublié cette ouverture. Ne respire surtout pas cet air, je vais nous sortir de là.
Il me mit face au trou, le visage dehors. Le silence se fit, laissant place à un sifflement régulier. Je ne sus rien de ce qui se passait. L'air était effectivement plus respirable que celui de l'intérieur, chargé de poussière colorée mortelle.
La tête toujours dehors, je me demandais comment mon porteur faisait pour réussir à respirer. Que pouvait-il bien manigancer? N'était-il pas en train de se sacrifier pour moi? Mon angoisse augmenta, si c'était possible.
Après quelque temps, un gros morceau de la paroi se décrocha, et tomba à l'intérieur de la grotte. Mon porteur jeta la corde qui lui servait d'échelle par l'ouverture agrandie et descendit. Je soupirai de soulagement et levais la tête une dernière fois pour voir un groupe d'oiseaux et leurs monteurs encore postés à l'entrée de la grotte qui s'éloignait de moi à grande vitesse.
« Ne respire surtout pas ça »
* * * * * * * * *
Je me réveillai en sursaut, la gorge sèche et tout le corps douloureux. J'étais encore dans le souterrain, et je m'étais assoupie à même le sol. Mais avant de pouvoir penser à me plaindre, je distinguais la raison de mon réveil. Une poudre colorée flottait dans toute la pièce. Je me bouchais le nez. Je hais son odeur métallique qui met tous mes sens en alerte. Est-ce que ce rêve était un souvenir qui expliquerait pourquoi je panique à la moindre once de poussière colorée et ma peur du feu? Peut-être. Je ne me souviens pas.
Ces particules, c'était de la poudre à chauffer. On l'utilise pour allumer le feu et réchauffer l'eau des maisons. Mais en grande quantité, cette poudre suffoque le cerveau peu à peu et plonge tout le corps dans un sommeil dont il ne se réveillera jamais.
Sans faire trop de bruit, je vérifiais si les autres gens étaient vivants. Certains dormaient, d'autres étaient plongés dans un état plus léthargique, mais rien de grave en somme. La petite amie du centre se releva sur un coude et me chuchota :
« - Qu'y a-t-il ?
- Cette poudre est dangereuse. Il faut sortir d'ici, avant qu'elle tue tout le monde.
Elle se chargea de réveiller les autres, quand une probabilité m'apparut :
« - Attends. C'est peut-être un piège.
- Comment ça ?
- Réfléchis, vous n'avez ni eau ni poudre à chauffer depuis longtemps. Donc si quelqu'un l'a diffusé c'est le Nord.
- Pourquoi ils feraient ça?
- Peut-être... peut-être pour connaître votre emplacement. Forcés par la poudre vous sortez, et ils vous attrapent.
- Et si on sort pas, on meurt asphyxiés.
On se tut un moment.
- que faire alors?
-Creuser une autre issue.
Je tâtais les murs, et trouvais le plus moins épais.
-il y a quoi de l'autre côté ?
-une maison sans doute.
-A-t-elle un sous-sol ?
-Sûrement.
- Alors il faut enlever ce mur. Mais dans le silence le plus total. Réveille les plus doués de leurs mains, et ceux qui ne paniqueront pas, et commencez tout de suite. Je vais chercher les outils.
La fille fit ce que je lui ordonnais. Je trouvais heureusement un marteau et des bouts fers qui, taillés en pointe, allaient perforer facilement le mur. Le plan était simple : faire plusieurs trous dans le mur et le faire céder puis passer au travers vers l'autre maison où tous allaient s'isoler loin de la poussière colorée. Il fallait se dépêcher. Certains enfants commençaient déjà à faire un malaise.
En quelque temps, la besogne fut à moitié terminée. C'est à ce moment là que j'entendis une dame affolée crier :
« - ... Le fils de ma sœur ! S'tvan. Où es-tu? Où est-il?
C'est vrai que l'enfant des fleurs avait disparu.
- Il l'a donc fait cet abruti, marmonna un garçon entre deux toux.
- où est-il?, lui demandai-je.
- Dehors.
- Je ne plaisante pas.
- Mais si, il est dehors. Il a promis qu'il va trouvé une fleur pour nous prouver que l'armée va venir sous la demande de son père et que la guerre sera finie.
Que faire maintenant ? Je ne pouvais pas sortir. Il y avait sûrement des gardes postés partout. Mais s'il était trop tard? qu'on l'avait déjà capturé? Je risquai un coup d'œil dehors. Pas âme qui vive.
- J'irai le chercher dès que vous serez en sécurité, dis-je à sa tante pour la rassurer. En attendant, il faut attendre que le mur cède.
En bas les travaux continuaient, les plus silencieux possibles. On se jetait sur le mur fissuré pour le faire tomber. Pendant ce temps, je guettais toujours dehors, craignant de ne pas retrouver le gamin. Il finit par apparaître au détour du chemin, dans le parc, baissé en train de fouiller le sol.
Je fus soulagée de le voir, mais ce ne fus que l'affaire d'un instant.
La neige éclata. Le corps de l'enfant chancela et s'écroula sur le sol. Le vent s'arrêta de souffler un instant.
Mon cœur aussi. Je restais figée sur place, glacée par l'urgence et l'ambiguïté de la situation. Le mur n'avait pas encore cédé, je ne pouvais pas sortir au risque de compromettre la sûreté des autres et montrer à l'ennemi leurs emplacement. Ennemi qui devait sûrement surveiller.
Une ombre placide et funeste se dessina et confirma mes soupçons : c'était celle d'un oiseau de guerre figé juste au dessus de nos têtes. Les forces guettaient les environs loin de la terre et son air empoisonné.
J'étouffai une brusque toux qui souleva mon thorax dans le duvet de mes gants et redescendis, les larmes aux yeux et le nez saignant. Les parois de ma tête s'étaient resserrés sur mon cerveau et ma vue devint trouble et indécise. Je sombrais dans une transe éveillée.
Un bruit me secoua, suivi de quelques acclamations joyeuses ; Le mur venait sans doute de tomber.
Machinalement, je me trainais jusqu'aux escaliers que je gravis à quatre pattes. Une fois en haut, je rassemblais toute ma force, me relevai, et courus, les sens en alerte et l'esprit encore brouillé. Je me sentis soudain propulsée en avant dans un immense fracas. Je roulais dans la boue à plusieurs pas de là, avant d'être arrêtée par les grilles du jardin.
Cet impact me rendis ma lucidité complète. Je me retournais pour voir le souterrain et sa mince couverture d'escaliers en flammes, ainsi qu'un oiseau de monture s'éloigner. Je ne savais si les autres avaient eu le temps de s'échapper de l'autre côté : ma priorité c'était S'tvan.
Je le retrouvai au milieu du jardin, pâle et évanoui. Ces pieds avaient éclatés et gisaient plus loin, ensanglantés. Ses yeux avaient pleuré et il gémissait encore inconsciemment, le visage tourné vers le ciel d'albâtre. J'examinai ses blessures. Il avait marché sur un terreau piégé, feinte assez répandue en temps de guerre.
Je m'apprêtais à lui prodiguer les soins premiers avant de l'emporter d'urgence au centre quand un objet froid s'enfonça dans ma tempe. Sans m'en rendre compte, je me suis fait encerclée par un groupe de forces, dont l'un d'eux avait son arme pointée sur moi. Je levai les mains en l'air et observa la situation en silence.
Derrière leurs manteaux gris à insignes vertes et leurs accessoires en carbone flexible se cachaient de véritables machines à tuer taillées pour les batailles. Le cercle qu'ils formaient autour de moi était parfait, sans aucune faille. Aucune échappatoire pour moi et l'extraction de force est encore moins envisageable. Leurs cristaux fumés qui camouflaient leurs yeux exagérait le côté plus qu'inhumain de ses soldats, tout autant que leurs masques que certains portaient autour du cou au vu de l'air purifié par la bise.
L'un d'eux hurla une directive dans une langue qui m'étais inconnue. Elle m'était clairement adressée.
« Je ne parle pas Suv', dis-je en commun.
Il répéta la même phrase, et moi la même réponse.
L'un d'entre eux dû m'interpeler car après avoir formuler une intonation incomprise, il pointa de son arme S'tvan toujours à terre, et paraissait le menacer de le tuer. En tout cas, c'est ce que je compris.
« Non!»
Je m'avançai vers lui et reçus un coup de poing de son collègue qui m'étala par terre. On me releva de force à genoux et posa la même question pour la troisième fois.
Sans trop y penser, je jetai de la neige au visage de mon bourreau qui par réflexe se protégea de sa main qui m'emprisonnait. A toute vitesse, je roulais et me jetai sur le petit corps inanimé, décidée que même la mort ne m'en arrachera pas. Les quelques coups de pieds qui tentèrent de m'ébranler me secouèrent à peine. Protéger l'enfant, c'est ma priorité. Un chuchotement faible m'interpela :
« - Novy? Qu'est-ce qui se passe? J'ai marché sur un piège c'est ça?
- Chut.
- Je me sens mieux. Je ne sens plus rien maintenant.
- Tais-toi. Tu perds ton sang.
- Regarde ce que j'ai trouvé.
Une main caressa ma joue, et mon œil entrouvert perçus la pâle blancheur de quelques pétales. C'était une de ces clochettes de neige qu'il s'était obstiné à chercher et qui l'avait mis dans ce problème.
- Tu l'as trouvé. C'est bien. Maintenant ne parle plus.
Une boule d'énergie sembla étinceler. Tant mieux, pensai-je. Mourir ici est une bien belle fin. Pourvu qu'on laisse le gamin et sa fleur tranquille.
Sauf que rien de me toucha. J'osai lever la tête, et je découvris les forces à terre, transpercés. Surprise, je remarquai au loin des silhouettes armées arborant le blanc et le bleu. C'était l'armée du Sud, qui arpentait la ville pour la débarrasser de ses persécuteurs.
« - L'armée est là!, m'écriai-je en prenant S'tvan à moitié réveillé dans mes bras. La paix va revenir.
- Tu vois...La galanthe avait raison.... C'est mon père qui me l'a dit.... Il a toujours raison.
Je me levai également et me dépêchai de regagner le centre, le garçon dans les bras. Ce qui se passa après est assez flou dans ma tête. L'emportement a mélangé mes émotions aussi bien que ma mémoire. On me donna une couverture, et on m'escorta jusqu'aux portes.
Les gens, sortis des souterrains où ils avaient survécu malgré ma bêtise, se regroupèrent dans les rues pour acclamer les nouveaux arrivants. On marchait en groupe, on s'embrassait, on pleurait, et quelques soigneurs vacants pansaient les rares blessés dehors tout en profitant de la joie ambiante.
L'allégresse était générale, sauf dans la salle d'opération où je m'étais enfermée, et où S'tvan, allongé sur une table et relié aux anti-douleurs, quitta ce monde sans un mot, sans une larme, comme s'il ne regrettait rien, car il a trouvé sa fleur qu'il tenait toujours fermement dans sa paume.
Tous les soigneurs autour de lui baissèrent la tête. L'un d'entre eux fracassa ses phalanges contre le mur, d'autres pleurèrent devant leurs propres incapacité.
« - C'est ... c'est ma faute. Si j'avais fait plus vite, je...
- Novy, tais-toi. C'est la faute des forces, c'est eux qui avaient truqué le terreau à la base.
À un à un, ils sortirent, vidant la salle et me laissant seule. Le Maitre apparut dans le cadre de la porte.
« - Sortez d'ici, m'ordonna-t-il. Ça ne sert à rien de tenir compagnie à un mort.
Une fois dehors, il me toisa du regard sans parler.
- Vous vouliez me dire quelque chose?
Après un long silence, il s'avisa :
- Vous n'êtes pas un espion. On m'a raconté ce que vous avez fait...
- Et c'est bien inutile. Il est mort.
- C'est ainsi, et ce n'est pas de votre faute.
Le silence se prolongea. Nous restâmes côte à côte, cherchant sans doute quelque chose de juste à dire. Mon désarroi prit le dessus :
- Pourquoi il a fallu que ce soit lui? A quoi bon se sacrifier pour les amener au monde s'ils suivent et n'assurent pas le futur?
- Il avait de fortes convictions et a agi en conséquence. Son père aussi est mort en accomplissant sa mission. Ce sont des héros descendants d'héros de La Ville Héros, et la première qualité d'un héros c'est d'être mort.
- Mais ce n'est pas à un enfant d'être un héros. Personne ne lui a demandé de mourir. C'est... c'est injuste!
Il marqua un soubresaut devait être un rire étouffé.
- Les temps sont cruels en effet. Même l'époque de Karasny n'était pas si dure.
- vous avez vécu l'époque de Karasny?
- oui. et très peu peuvent s'en orgueillir. Ce n'est pas une période si atroce qu'on veut le faire croire. Au moins de son temps on vidait la ville de ses habitants avant de l'utiliser comme siège ou champ de bataille. Karasny aimait les plus jeunes, attribuait honneurs et récompenses aux meilleurs des établissements, et n'aurait jamais envoyé un une grenade dans la bouche se tuer pour éliminer l'ennemi.
« Mais on considère que le commun des hommes est trop stupide pour comprendre les subtilités de l'Histoire et les complications d'une époque en conflit. Belyy bien, Karasny mal, fin. Il était certes extrême dans ses moments de folie, mais n'était pas la bête sanguinaire qu'on prétend.
- Pourquoi vous ne vous faites pas aider par La Sphère ou Aster?
- Pour que ça empire? On a assez de fierté et d'orgueil pour mourir en héros ici. Et ensuite, ce n'est pas une guerre générale de la Boîte.
- Je ne savais pas auparavant qu'il y avait des guerres sans boîte.
- Et le Territoire de la guerre? tu le savais mais tu n'y prêtais pas attention.
- Mais comment ça se fait?
- Croît tu que le monde est innocent et les fléaux célestes lui tombent dessus ? Non! Certains rescellent en eux un mal qu'ils ne savent extérioriser, à part en faisant du mal aux autres. Qu'ils le regrette après ou pas ne compte pas, ce qui est fait est fait.
« Puis vient un problème ou un mauvais temps. Une guerre commence, menée par des gens fous pour d'autres orgueilleux ou cruels. Ça crée un temps cruel, une peine de plus, et donc plus de gens qui portent en eux cette part de mal, et ca recommence.
- Quelle est l'origine de ce mal alors?
- Ah ça, tu as toute la vie pour y répondre. Même avec mes trois cent vingt saisons je ne le sais pas encore.
Je regardai le petit tas de pétales fanées que j'avais pris de la main de l'enfant. Cette fleur mériterait d'être éternelle, de rester intacte et étincelante, afin que tous puissent admirer le courage de celui qui l'a ramené.
Mais ce n'était qu'une herbe froissée par une main trop moite qui par l'humidité avait perdue tout son charme. À peine cueillie elle avait déjà commencé à flétrir.
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