1. Léa

Les cahiers tombèrent dans l'eau, éclaboussant la jeune fille. Des rires s'élevèrent autour d'elle tandis que la collégienne restait immobile, fixant les larmes d'encre bleuté dégoulinant sur le papier. Aussi rapidement qu'ils étaient arrivés, les autres enfants repartirent, riant à gorge déployée, fiers de leur sale tour.

Des clapotis rapides lui indiquèrent qu'une autre personne venait à elle, mais Léa ne prit même pas la peine de se retourner. Elle savait qui était là. Elle reconnaîtrait sa démarche entre mille. Le souffle court du garçon lui apprit qu'il venait de s'arrêter, analysant très probablement le carnage devant eux.

Léa renifla, retenant ses larmes du mieux qu'elle le pouvait. Ce n'était pas la première fois que la petite bande de pestes s'en prenaient à elle. Malheureusement. Depuis son premier jour au collège, trois ans plus tôt, Hélène, Célia et Marie l'avaient élue comme leur bouc-émissaire.

Au début, ce n'était que des enfantillages. Des petites moqueries à cause de sa chevelure rousse et incoiffable et de ses dents légèrement avancées. Pourtant, Léa n'était pas une vilaine fille, et avant cela, elle se trouvait plutôt jolie. Mais peut-être que ce n'était pas le cas. Après tout, si ces filles se moquaient d'elle, c'était très certainement qu'elle n'était pas aussi belle qu'elles. Elle avait certainement fait ou dit quelque chose de mal. Elle le méritait certainement.

_Viens, on rentre.

David lui attrapa la main avec force. Il avait ramassé ses affaires qu'il avait entassé comme il le pouvait dans le cartable de la jeune fille. Un coup d'œil rapide apprit à Léa que ses cahiers étaient dorénavant inutilisables. Elle allait devoir trouver une excuse valable pour ne pas inquiéter ses parents. Malheureusement, tout mettre sur le dos de sa maladresse ne fonctionnerait pas toujours. Ils commençaient déjà à avoir des doutes et à la questionner sur sa vie de collégienne.

_Tu ne dois pas te laisser faire, Léa! Je te l'ai déjà dis. Pourquoi tu ne les affrontes pas? Si c'était moi je...

Le garçon soupira, resserrant sa prise sur la main de son amie. Léa baissa les yeux. Cette conversation, ils l'avaient déjà eu des dizaines de fois. Les affronter. Elle en rêvait. Toutes les nuits, elle se repassait les scènes en boucle, décortiquant chaque instant, refaisant les dialogues à sa manière. Oui. Dans ses rêves, personne ne l'embêtait. Dans ses rêves, elle savait toujours quoi dire.

Mais dans la réalité, c'était différent. Quand elle se retrouvait face à elles, prise ainsi au dépourvu, les mots qu'elle se répétait des heures durant semblaient disparaître comme par magie. Elle devenait alors aussi muette qu'une carpe, incapable d'avoir la moindre répartie. Alors, elle espérait innocemment qu'elles finiraient par se lasser. Que demain, elles l'auraient oubliée, qu'elles passeraient à autre chose. Mais demain devenait aujourd'hui. Et aujourd'hui encore, la bande de Marie avait frappé.

Passant par le parc, la jeune fille s'arrêta face à une petite bibliothèque en plastique. Sur les étagères, plusieurs bouteilles de bières vides et mégots de cigarettes avaient été laissés à l'abandon. Léa en était désolée. Cela faisait quelques mois que sa ville avait instauré les boîtes à livres, mais peu de personnes les utilisaient comme il se devait.

Soupirant, Léa sorti un mouchoir en tissu trempé et entrepris de faire tomber les déchets par terre sous le regard incrédule de David.

_Pourquoi tu continues de faire ce genre de choses? Ce n'est pas à toi de nettoyer. Et puis, tu sais très bien que demain ce sera dans le même état alors, à quoi bon?

_Peut-être oui, mais si personne ne fait rien, elles disparaîtront. Se serait tellement dommage, tu ne penses pas?

_Si tu le dis, soupira l'adolescent en haussant les épaules, moi les livres tu sais...

Léa souris. Oui, elle savait. David avait toujours été plutôt films ou jeux vidéos, et sa bibliothèque ne comptait au mieux que quelques bandes dessinés et les livres imposés par le collège. Mais la jeune fille avait bon espoir de réussir un jour à l'initier à ce monde qu'elle trouvait si merveilleux.

Alors qu'elle terminait de nettoyer l'étagère se trouvant au ras du sol, Léa remarqua un petit éclat bleu coincé devant le fond à moitié cassé. Intriguée, elle tendit la main et dégagea un cahier grand format assez lourd. C'était semblait-il un cahier tout simple, comme ceux imposés par le collège. Grand format, deux cents pages, grands carreaux. Elle le feuilleta et constata qu'il était presque vide.

La première page attira son attention. Un texte y était inscrit. L'écriture était soignée et l'encre noir était celle d'un stylo plume. Léa adorait les stylos plumes. Depuis son entrée au collège, elle n'écrivait qu'avec ça. Elle en avait une collection impressionnante et mettait un point d'honneur à avoir les encres de chaque couleur. Ainsi, jamais elle n'utilisait de bic, et même si ses parents trouvaient cela bien moins pratiques et moins économiques, ils continuaient de lui fournir les cartouches d'encre dont elle avait besoin.

Léa s'installa sur un banc à l'abri de la pluie et entreprit la lecture, à voix haute, de la page de garde afin que David puisse également en profiter.

_ 20 Février 2020. Nice. Règle numéro 1, ne me déchire pas. Règle numéro 2, lis moi avec attention. Règle numéro 3, écris quelque chose sur toi. Règle numéro 4, ne me garde pas.

_ C'est n'importe quoi, grimaça David, ce qui lui valut un regard noir de la part de son amie.

_ Salut, toi qui viens de me trouver, repris la jeune fille sans se soucier des soupirs du garçon, je sais que tu dois être déçu. Tu t'attendais certainement à une histoire innovante, à quelque chose de grandiose. Une histoire qui te permettrait de t'évader et de découvrir de nouveaux auteurs. Et bien, je suis désolé de te décevoir, mais tu devras te contenter de moi. De nous. D'eux. Et de toi. Oui, de toi. Ce livre est le tien. Du moins, durant un certain temps. Je pense que tu l'as déjà compris, mais tu ne peux pas me garder. Je suis destiné à voyager, mais ne sois pas triste, grâce à toi, je grandirai un peu plus. Alors, n'ai pas peur et parle moi. Tu peux me dire qui tu es, ou pas. Tu peux me raconter quelque chose que tu vis, ou que tu as vu. Quelque chose d'important ou au contraire de si insignifiant que ne pas en parler serait d'une tristesse sans nom. Je te fais confiance l'ami, suis les règles et peut-être que je te reviendrai un jour. Suis les règles et tu verras que l'impossible deviendra réalisable. Mais surtout n'oublie pas: Ne me déchire pas, lis moi attentivement, écris quelque chose sur toi, ne me gardes pas. L.M. L.M? C'est qui?

_ Comment veux-tu que je le sache? Écoute Léa, on peut y aller? Il commence à vraiment faire froid et j'ai promis à ma mère de ne pas rentrer trop tard.

Léa leva les yeux au ciel. Les parents de David étaient assez strictes sur les horaires, en comparaison des siens qui lui demandaient simplement d'être là pour le dîner et d'avoir fait ses devoirs. Soupirant face à l'impatience de son ami, la jeune fille déposa le cahier dans son sac entre deux pochettes cartonnées, espérant que cela suffise à le protéger de l'humidité des autres affaires le temps du trajet et se releva. Ils reprirent ainsi leur route, la jeune fille forcée d'accélérer le pas pour ne pas se faire distancer et David laissant sortir son stress par des morceaux de phrases incompréhensibles.

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