partie 1 - chapitre 3

Couché dans l'eau froide, je me demandais s'il m'était déjà arrivé de penser à autre chose qu'à lui, son visage était le seul qu'il me restait en tête. Et plus les heures passaient, plus je désirais qu'il en soit autrement, car je comprenais qu'il ne restait que lui. Vivant ou non. Souriant ou non. Il ne restait plus que ça. Je me devais donc de raconter ce que je savais de lui, de cet enfant si ambigu. J'avais d'abord, comme tout le monde, refusé son existence ; mais avec le temps et la douleur, j'avais fini par comprendre. Dans cette eau, je me plongeais donc face à cette vérité : je devais parler de Zyan, parce que personne ne le ferait sinon. Parce qu'il n'était personne, et cela signifiait que personne ne se souviendrait de lui. J'aurai aimé trouvé une autre excuse, expliquer que son passage sur Terre était si bref que c'était comme voir une étoile filante. On ne se rappelle jamais vraiment le moment même où on l'a vu, on se souvient de la joie que cela nous a procuré, mais on ne s'attarde jamais à chercher quelle était l'étoile qui s'est décrochée ce soir là.


Tous les soirs, Zyan se postait à sa fenêtre et du haut de ses huit petites années et de son tabouret, il s'émerveillait devant le ciel parsemé de lumière. Si l'une des lanternes s'échouait dans le lointain, il fermait ses yeux, le plus fort possible et suppliait le grand noir de lui offrir encore un peu de bonheur dans la bâtisse voisine. Lorsqu'il estimait qu'il s'était assez émerveillé pour la journée, il se mettait sur son lit, une lampe de poche coincée dans les mains et il lisait indéfiniment. Il lisait Pagnol ce soir-là. Il se lassait un peu. Il voulait de l'action, or les personnages s'évertuaient à marcher, puis ils se reposaient. Il était jeune, et il préférait les pauses éternelles de la poésie ou l'action des auteurs contemporains, qui bien sûr n'étaient pas destinés à sa tranche d'âge. Bien qu'il avait en horreur les livres de ses camarades, il reconnaissait l'effort immense que les auteurs devaient faire pour plaire à ces lecteurs paresseux.


Ilse forçait donc à ingurgiter les deux cents quarante trois pages de La Gloire de mon Père muni de sa lampe, à l'affût du moindre bruit qui annoncerait l'arrivée de l'un de ses parents. Ces derniers qui tenaient loin d'eux la culture. Ou plutôt comme ils le disaient la Culture, avec un air très détaché et méprisant. Il détestait ces discours longs et ennuyeux qui prônaient l'importance de la science dans le monde actuel. Il se sentait petit et incompris. Un petit chose qui ne savait quoi faire de son corps. Son corps qui semblait être tombé dans la mauvaise maison. Il tentait alors, de toutes ses forces, de se barricader l'esprit, parce que du haut de ses huit ans, il croyait Victor Hugo, qui au cours d'une partie de cartes lui avait confié ceci : « Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons. »Il croyait pleinement son ami puisqu'il était mage, il devait guider le peuple. Mais quand il parlait ainsi, son père l'envoyait dans sa chambre en lui hurlant qu'il n'était rien dans cette maison. Le français l'a blessé ainsi, en le rendant pauvre. Pauvre de culture, pauvre d'envies et pauvre de mots. Par moment il voulait expliquer l'allégorie de la caverne à ses parents, leur confier qu'il pouvait voyager dans des centaines de mondes différents ; mais il savait que ces propos seraient accueillis par le mépris le plus profond. Alors il ne disait rien, tout en sachant qu'un jour il verrait le soleil et que ses parents, du haut de leurs calculs et de leur routine ne pourraient que contempler les gestes mécaniques qu'ils auraient effectués une vie durant.


C'est pour cela, qu'il lisait la nuit, en cachette, sous ses draps. Il faisait des réserves pour le jour. Et chaque fois que le soleil se levait sur son livre, sur l'encre vieillie et les mots, il tentait de trouver une nouvelle excuse à ses parents. Il souhaitait de tout son corps leur pardonner. Mais il ne trouvait jamais rien. Il préférait donc sauter le grillage et se retrouver dans cette langue du bonheur, qui pourrait alors le consoler. Il lisait aussi, dans cette autre langue, et il faisait des sciences aussi. Il faisait de tout. Et il était heureux ainsi. Il essayait de se dire que c'était la langue qui avait un pouvoir magique, le pouvoir de rendre les gens heureux.



C'était beau, je crois, de voir qu'un enfant pouvait trouver cette langue belle, sans connaître son histoire, sans connaître ses souffrances et ses joies. Il écoutait simplement la musique des mots et il se contentait de vivre en eux, dans cette si jolie demeure qui l'étouffait d'amour. 

Alors qu'en pensez-vous ? Je sais que c'est une histoire où il y a peu d'action, mais elle me tenait à cœur, alors je vous la présente. N'hésitez pas à me donner votre avis !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top