Chapitre 2 : Entre l'Hêtre et le Fourreau
Ce vent. Doux et léger, venu du sud-ouest, apportait chaleur et beau temps. Quelques feuilles, jaunies par un agréable automne, se détachaient des cimes d'un bel hêtre en tourbillonnant, emportées par un lent mouvement. A terre, d'autres feuilles d'un vieux fourreau, parées des plus belles et riches teintes orangées ou marrons, roulaient sur l'herbe brulée, comme poussées par un pied invisible. Haut dans le ciel, suspendu à la manière d'une grosse boule dorée, un soleil de cendres était levé au-dessus de la Forêt Interdite. Un esprit vif, et un regard lointain, examinait chaque parcelles de cette image, lourde de sens. Un astre chaleureux, brillant de sa propre lumière, engloutissait par grosses bouchées une véritable vapeur obscure qui tournoyait au-dessus de la masse ténébreuse qu'était la Forêt Interdite. Comme un bien lumineux qui triomphait d'un sombre mal. Si elle avait eu le moindre doute, cette image la rassurait. Ils allaient gagner. Le bien gagne toujours.
Seul, encore, subsistait cette pellicule blonde et poudreuse, mélange de particules de natures diverses. Une poussière crayeuse, opaque et suffocante, guidée par une douce et légère brise, qui collait à la peau, emplissait les poumons et entrait dans les yeux. Elle se frotta le visage. Des sensations se confondaient et s'accrochaient. Une en particulier. Pas un bruit. Simplement, entre les branches d'un hêtre et d'un fourreau, les murmures d'une courte bourrasque chantaient la nouvelle saison. Gracieusement, pendu dans la voûte céleste, les petits pas de danse des nuages célébraient leur arrivée. Dans ce pays, à cet endroit, à cette heure, même ce calme, même ce beau temps étaient mélancoliques. Comme planant sur les choses, près de cette atmosphère, se confiait une impatience à un vent venue du sud-ouest. Lily était impatiente.
Son estomac se désagrégeait, comme après avoir avalé une pierre, ou un bloc de plomb. Dans un lourd sursaut, ses entrailles remuèrent un instant, pour s'étaler au fond de son ventre. Puis, un mouvement. Un autre, plus intense. Imitant un insecte qui rongeait sa pitance, une sensation, à cheval entre l'effroi et l'excitation, torturait ses creuses viscères. Ses intestins entortillaient une douleur lourde et profonde, en noeud cruel, articulée entre des tubes digestifs vides après une matinée de jeûne. Brusquement, comme une malheureuse surprise, une souffrance pointa un nez crochu et piquant au milieu d'un désordre organique. Un noeud se resserra, une torture s'intensifia et un pénible sentiment s'accentua. Elle cru le détester. Elle l'aimait en réalité. Un mélange complexe et rigoureux d'espoir et de crainte, ingénieusement accouplé, chemina dans ses veines. Une chaleur se répandit dans son être. Elle aimait ce sentiment.
La cause de ces tourments: l'amour, le début, la joie. La vie, en somme. Une vie que Lily appréciait. Insipides et brimbalantes, étalées le long de son corps secoué de tous les sentiments, ses mains chaudes et sèches torturaient, jusqu'à effriter le grain, un morceau de parchemin. Un morceau de parchemin, pas plus grand que sa paume, où était aligné quelques mots. Grande avait été sa surprise, quand la jeune sorcière avait retrouvé ces quelques phrases sur son oreiller. Lily fronça les sourcils en les relisant. Entre l'hêtre et le fourreau. Midi Pile. James.
En cinquième année, au programme, les élèves de Poudlard avait étudié la trajectoire des étoiles. Professeur Sinistra, Aurora de son prénom, avait appris à chacun à lire l'heure grâce à la position du soleil. Aujourd'hui, secrètement, entre deux sursaut de son estomac, Lily remerciait sa professeur d'astronomie. Haut dans les airs, comme à son apogée, la grosse boule dorée indiquait une heure parfaite. James n'allait plus tarder. A cette simple pensée, avec l'intensité et la grâce d'un essaim de papillons multicolores, son estomac se mit à danser. Il était entraîné par une douce valse.
Soudain, à l'horizon, monta une silhouette. Droit et fier. Un torse est bombé. Un menton, relevé. Un cou, redressé. Doucement, à petit pas, un homme s'avance. Quelques part, à gauche de sa poitrine, quelque chose rata mystérieusement un battement. Puis, un instant hésita. Une beauté pareille n'était pas humaine. Elle est extraordinaire, exceptionnelle, démoniaque. En temps normal, le beau suscite l'admiration. Comme une pierre émergeant de l'eau, lentement, un souvenir est déterré. Elle se souvient d'un visage espiègle et hautain, aux cheveux de charbon liquide et aux yeux d'ambres fruités. Un visage qu'elle avait longtemps détesté, et resté première beauté remarquée, mais qu'elle s'était refusé d'accepter. Aujourd'hui, Lily l'acceptait. James était beau. Cet homme, ici, était magnifique. En cette seconde irréelle, la magnificence suscite l'obsession. Elle voudrait l'entourer continuellement pour l'isoler des autres, se l'approprier, sans jamais détourner le regard. Il préférait la tourmenter de manière incessante, s'imposer à son esprit, sans abandonner le moindre répit. La traversée, qui les séparait, était trop longue. Lily se languissait. Elle se permit de le regarder, une nouvelle fois. Ses yeux, cerclés d'une fine monture en bois, s'inspiraient d'une nuance pétillante, et brillaient d'un éclat surréaliste, merveilleux et fantastique. Ses iris, d'un noisette exquis, allumaient un feu fabuleux, exalté et lumineux. Sa flamme, inconnue à elle, dévorait à pleine dent son regard enivrant, excité et surprenant.
- Salut, murmura une voix délicieuse et onctueuse, comme un nuage de lait.
Un moment s'arrêta. Une minute, parue des heures, était suspendus au-dessus des méandres du temps. Un air, dur comme de l'acier, se condensa autour d'elle. Impuissante, elle se sentait comme prisonnière. Détenue captive dans son corps, entre ses reins et son foi. Piégée dans une enveloppe charnelle, à l'abri de tout. Seules sensations ressenties par son être, étaient ces tremblements irrationnels. Ebranlée de l'intérieur à l'extérieur. Ses poumons se contractaient, à tout vas, oubliant comment respirer. Son pouls s'emballait, à toute allure, tel un cheval au départ d'une course. Sa peau piquait, en tout lieu, blessée par les pointes d'un hérisson imaginaire. Des symptômes étranges, surprenaient son corps et ses esprits. Soudain, un exploit se produisit. Des muscles, longtemps endormis par le froid, se réveillèrent et s'échauffèrent. Ses lèvres s'étirèrent. Ses pommettes se rehaussèrent. Ses dents se découvrirent. Contrôlé par un je-ne-sais-quoi venue de je-ne-sais-où, en une seconde formidable, un sourire apparut. Une logique, précieusement gardée toutes ses années, une intelligence, qu'elle avait tant chéri et tant aimé, en un bref instant, étaient perdus. Elle ne comprenait pas, et c'était la première fois.
- James... Souffle-t-elle, un esprit loin du corps, comme un dernier espoir, un premier message.
Elle ne voulait pas comprendre.
- C'est moi. Dit-il, presque hésitant, en la regardant d'un air stupide, qu'elle avait appris à aimer, entre ses dents, et tordant son nez.
Lily voulut répondre, engager un conversation intelligente et pertinente. Sa bouche s'ouvrit furtivement deux, ou trois fois, avant de, la seconde qui suivait, se refermer. A cet instant, à l'image d'un poisson hors de l'eau, elle collait. Ses lèvres sèches, marquées par des sillons plus ou moins accentués, tracées de gerçures plus profondes que moins, par le froid et par le vent, se contractèrent. Ses babines blanches, sans couleurs, d'une teinte presque effrayante, serraient et desserraient une troublante confusion. Une langue humique roulait, en décrivant des mouvements circulaires complètement abstraits, sous l'effet de l'embarras, de la gêne, et totalement irréguliers, à l'intérieur de ses joues. Elle ne savait pas quoi dire, et c'était la première fois.
- Lily, ô ma chère Lily... murmura-t-il, en se parlant à soi-même, davantage qu'à elle, faisant comme si presque elle n'était plus, peur et timidité s'envolant. Que ce nom m'avait manqué ! Ce nom... ciel ! ce nom est trop beau, trop doux, trop bon. Chaque lettres glissent sur mon palais avec la saveur du printemps. Tendre et mielleux, comme parfumée à la cannelle, cette saveur... ah ! cette saveur enivre le plus saint des hommes. Il, au milieu d'un bouche, ne sait se tenir. Il bondit et explose. Et ton nom, dans mon cœur, à l'écho d'un triste sanglot. Ah ! que pour un seul instant avec toi, je donnerai tout. Ah ! que pour ton bonheur, je donnerais le mien.
Son buste se tendit et se pencha : sa tête se courba, un peu, vers le sol ; une salutation, digne et distinguée. Son timbre était faible, doux. Doux et faible, qui n'était ni rude ni âpre, comme une voix devenue souffle. Un souffle, une vibration, non ! un murmure, seulement. Sa voix avait le reflet clair et distinct du bruit de l'eau qui coulait moelleusement sur la vallée pleine de mouse, ce bruit presque inaudible, et pourtant si reconnaissable, qui venait caresser l'oreille. Il était là, il avait dit. Et soudain, elle pleurait. Des perles salées glissaient, sans honte, sur ses pommettes enflammées. Son souffle, comme surpris par une force nouvelle, se brisa en d'infimes morceaux dans sa gorge. Retenu par autres oesophage, trachée et larynx, quelques débris de syllabes peinaient à rejoindre le monde extérieur. Même les plus petites et les moins lourdes tombaient et mouraient, blessées ou tuées violemment. Un méli-mélo scabreux de plénitude et d'excitation, entre quiétude et agitation, s'immisça dans ses veines, cheminant astucieusement par ses tuyaux dans toute son enveloppe. Ce mélange sinistrement attirant, aussi étourdissant qu'un verre de whisky pur-feu, réchauffa ses membres douloureux, et piqués par la morsure du froid. Ses globes oculaires ne tardèrent à être irrigués. Une rivière de larmes au bord de ses paupières s'accumulait, et tombait. Lily sentait une douce et agréable tendresse d'un temps, se promenait doucement sur sa peau de porcelaine. La chair de ses bras fins se métamorphosa en celle d'une poule. Son coeur repartit de plus belle, et un liquide chaud se mit à progresser ingénieusement dans ses vaisseaux sanguins pour parcourir corps, âme et esprit.
De ses paumes frêles, James encercla le visage de Lily, et l'obligea à l'observer dans le blanc de l'oeil. Le brun sécha de ses pouces les gouttes molles, et salées, qui dévalaient les douces joues rosées de cet ange. James allouait, à titre gracieux, comme un cadeau qu'on offre qu'une fois dans une vie, le regard le plus pur, le plus authentique, le plus noble. Lily n'avait jamais vu un tel regard brillait derrière ces fines lunettes rondes. L'assombrissement d'un gris intense, qui caractérisait tant le Gryffondor, et qu'elle avait détesté durant des années, cet assombrissement hautain qui aimait flotter près de ses prunelles, avait disparut. Il n'apparaissait rien d'autre. Rien d'autre, qu'une nouvelle étincelle d'un dorée pétillant au fond de ses pupilles. Un soulagement agréable, longtemps attendus, et qu'elle appréciait déjà, envahit plus d'un temps ses entrailles.
- Lily, chère et tendre Lily, es-tu..., demanda-t-il avec hésitation, comme s'il craignait que la réponse à cette question n'amenait à des détails qu'il aurait voulu ne jamais entendre. Es-tu heureuse ?
Encore engourdi, et quasi insensible, il y a de cela peu de temps, son coeur avait accéléré une cadence imparfaite, plagale, rompue. Une parole avait suffit à le faire valser comme une plume et une autre peser lourd comme une pierre. Avec un pouls, une impulsion supérieure à cent battements par minute, ce muscle capricieux tambourinait atrocement fort dans sa poitrine. Aucun organes vitaux ne lui obéissait. Ses poumons, également, se pinçaient et se dilataient à toute allure , une souple et ferme, comme ayant soudainement oublié comment fonctionner correctement. Lily essayait, tant bien que mal, et par tous les moyens, d'ordonner un rythme régulier à son organisme, en vain. A bout de forces, comme un dernier espoir, turbinèrent quelques neurones, vieilles amies d'un temps, et qui semblaient la délaisser aujourd'hui, dans son cerveau. Elle ferma les yeux, un instant, juste un. Derrière de lourdes paupières, en défilant à la manière d'une vieille pellicule de cinéma, jaillit des souvenirs. De récents souvenirs, vestiges de bon moments, et de sourires gracieux, qui lui rappelaient ces jours où elle avait retrouvé au fond de son sac, près de son oreiller, sous la porte de son dortoir, des textes lyriques, léger qui avait su faire vivre des sentiments pleins de fraîcheur, et qui ne restaient qu'une consolation charmante. Elle respirait à nouveau et son sang coula librement. Elle ouvrit les yeux.
- Je suis la plus heureuse des sorcières, de ce monde, et de tous les mondes. Avoua-t-elle, la voix chevrotante, à peine intelligible, qui tremblait d'une mélancolie infinie, et le visage humide et à moitié riant.
Elle n'y croyait pas. A ce regard vitreux et cette face embrumée par des parcelles d'ombres, elle n'y croyait pas. James était étrange. Il retira ses mains de son visage, et s'éloigna d'elle. De quelques pas, seulement quelques pas, mais qui avaient l'allure d'un mer vaste et profonde pour Lily. Ses yeux perçant, d'un vert émeraude que les plus belles forêts lui enviaient, regardaient, d'un œil tendre et amoureux, la silhouette qui se dressait devant elle. Ses pupilles, incroyablement dilatée par l'émotion qui courait, dévoraient autour à pleine dents un blanc de l'œil. Une étrange image apparaissait pleine et entière devant sa rétine. Courbé à la manière d'un S, recouvert d'une simple chemise, son corps massif et grand semblait accumulé, superposé en des couches successives, une certaine anxiété difficile à combattre. Lily n'arrivait à le supporter. Soudain, elle la vit. Au-dessus de sa tête, garnie d'épis ébouriffés, désespérément nue sous un froid de mi-septembre, s'enlaçaient et s'entremêlaient, suspendus, haut dans les airs, comme pouvant irradier les plus sombres pénombres, toutes les lumières, les couleurs, les nuances d'un halo si purs, si brillants. Lily l'avait toujours vu. Elle l'avait toujours fuit. Cette aura qui se dégageait de James. Cependant, aujourd'hui, elle semblait la voir pour la première fois. La honte, qui se posait tel un papillon sur son coeur, finit par l'emprisonner et se transformait en une redoutable araignée. L'arachnide était extrêmement bien doté, huit pattes chacune se refermant une à une sur le muscle déjà et encore fragile. Huit pattes velues qui s'enroulaient, qui s'entretissaient aux plus grosses artères et aux plus petites veines. La bête planta ses crocs puissants et acérés dans cette valve du cœur sous l'oreillette gauche. Chaque crocs, arme utilement futés pour tuer, versait un poison mortel qui circula, par le biais de son sang, dans son organe vitale, puis dans tous ceux de son corps. Elle n'arrivait à comprendre. Elle avait cru lui faire plaisirs. N'était-ce pas ce qu'il voulait entendre ? Qu'elle était heureuse avec lui. Ses pas furent incertains, quasi tremblotant lorsqu'elle prit le courage de s'approcher. Elle souleva finement les quelques épaisses mèches noires qui dissimulaient son beau visage. Les rayons poussiéreux du soleil baignaient ses joues hâlées d'une lumière chatoyante. Elle le sentit frémir à ce contact.
- James...
Ses cornées étaient humides, mais aucune larmes ne coulaient. Il mâchouillait nerveusement l'intérieur de sa joue comme s'il s'agissait d'un morceau de caoutchouc. Il essayait de retenir une parole, elle le savait. Seulement, elle ignorait une chose. Rapidement, les molaires de James frappèrent trop fortement le tissu musculaire qui se déchira. La chair à vif, un liquide au goût cuivré se mêla à sa salive qu'il avala d'une traite, lorsque la main de Lily s'empara de la sienne. Un rythme cardiaque s'emballa, une respiration se fit irrégulière, une pulsation sanguine se métamorphosa, et devint plus soutenue, un système nerveux défaillit, un épiderme brûlait, sous ce toucher. James semblait découvrir ces sensations, comme nouvelles. Puis, il expira. Il avait le coeur léger et un sourire élégant. Un de ces faibles sourires, qui froissaient à peine la peau, mais qui faisait tant de bien à l'âme. Ses pulsations reprirent une normalité, bienvenue. Il respirait à nouveau. Ses pensées s'agitèrent entre les contours brumeux de sa conscience. Il déglutit, et s'exprima enfin.
- Pardonne-moi.
- Co... comment ? Demanda-t-elle, au sommet de l'étonnement, et au pied de la peur, lâchant un hoquet de surprise vibrant, et resserrant la pression de sa main sur celle de James.
- Ne cherche pas à comprendre. Asséna-t-il, d'une voix doucereuse, qui ne l'était pas, colorée de la teinte de l'autorité, et des nuances variées de la supplication. Dis-moi simplement que tu me pardonnes.
Le sourire de James s'éteignit. Ne restant plus qu'une mine crispée, une mine crispée et où les muscles se resserraient sur eux-mêmes et où la peau se tendait, pour accompagner de gros yeux lumineux semblant presque émerger de leurs orbites. Lily ne la reconnaissait pas. Cette lueur dans ses yeux, cette étincelle quasi perverse qui rétrécissait sa pupille, cette lumière du complexe, du dément, comme un signal d'alerte aux prémices de la folie, lui étaient inconnues. Son visage blanc miroitait une fureur sacrée, cousine d'une passion impérieuse et démesurée, qui se plaisait à dominer la raison, une ardeur extrême, qu'elle ne savait si elle devait détester ou aimer. Un sentiment vif et pénétrant de trouble, de malaise surement, piqua l'estomac de la Gryffondor. La bouche de James dessinait une étrange courbe. Ses lèvres étaient pleines et rebondies, nuancée d'un précieux rouge rubis, où semblait tomber un sang frais, un sang neuf, et elles brisaient une ondulation, empruntant tours abstraits et détours sinueux. Son oeil scintillait, jetait des éclats capricieux, par intervalles rapides, offrant une sensation de tremblement. Il était fou et hagard, cet oeil qui regardait sans voir, le doux profil qui apparaissait devant lui. Ses pupilles, effroyablement épanouies par l'adrénaline qui se mélangeait à son sang, entamait autour à pleine bouchée un marron de l'iris. Ses iris enflammaient une brûlure cuisante, ardente, explosive, une flamme inconnue jusqu'à là, et délirante comme sous l'effet de l'ivresse. Lily gardait dans ses doigts crispés la main de James qu'elle avait tenue. Submergée par une sensation, un sentiment, qu'elle n'avaient jamais apprivoisés, elle se mordit la lèvre inférieur. Des mots s'y attardaient au bout. Ils avaient le goût âcre de la craie, la saveur exquise de l'ambroisie, le parfum sucrée du miel. Cette rage de fou furieux, qu'elle avait perçue dans ses yeux, qui avait presque la tendresse des bêtes sauvages, elle en éprouvait toujours une terreur, mais étonnement une terreur salutaire. James regrettait. Le contredire était stupide. Perdu d'avance, comme se battre avec un ours ou raisonner avec un dément. Elle lui concéda, le timbre assuré et le regard humide.
- Je te pardonnes.
Soudain, sa bouche, qui s'était à peine ouverte, murmurant seulement quelques mots, tombés aux confins d'un espace trop court, trop étroit, trop exiguë, semblait-il, se crispa instantanément. L'air s'engouffra dans sa gorge qui s'assécha, et plus aucun son ne put s'en échapper, prisonniers de son larynx. Elle ne pouvait ajouter mots de plus. Cependant, davantage n'était pas nécessaire. La peau de James se détendu, sa mâchoire se décrispa. Cette flamme si complexe, qui avait excité son regard grand, généreux, et d'un noisette chatoyant, s'éteignit en un clin d'oeil, en un battement de paupières. Elle s'éteignit, en un moment si bref, si court, si petit, qu'on aurait cru qu'une eau s'était mise à tomber et que cette eau avait éteint le feu. Le coeur de Lily parut étrange. Un sentiment l'envahit, quand un autre disparut. Désormais, un beau, grand et blanc sourire illuminait le visage hâlé du châtain, comme si quelqu'un venait de rallumer la lumière dans un pièce sombre, comme si le soleil venait de réchauffer une terre de glace, comme si une luciole traversait un bois touffus de nuit. Une éclaircie douce et flamboyante d'un instant. Un rire suivit le sourire, doux et cristallin. Une manifestation soudaine de gaieté qui faisait tendre ses muscles faciaux, après avoir répandu comme une colère froide sous l'effet de la douleur, trop forte pour la supporter. Au creux de sa paume, entremêlait à ceux de la jeune fille, ses doigts tremblaient, et d'un seul coup ils parurent plus longs qu'à l'accoutumé. Son rire fit grand écho. Deux sons se mélangèrent harmonieusement, comme une belle mélodie, un vieux air, faibles et mous, qui nous fait sentir, sans dessein précis et sans soin particulier, une agréable caresse. Un rire aiguë, qui avait été rapidement encouragé, entraîna le soubresaut de, emporté par un mouvement brusque et nerveux, ses côtes. Lily en fut soulager. Ses pupilles se balancèrent, au gré des minuscules sautillons, et elle aperçut le soleil descendre. L'horizon était recouvert d'une masse de fumée orange.
- Je suis désolé, commença-t-elle, d'une voix basse, la mine abattue et les sourcils en pointe, en retirant sa main de celle de James, mais Marlène doit se demander où je suis passé. Je lui avais promis de l'aider à réviser les signes du zodiac pour le cours d'Astronomie.
- Oui, bien sûr. Vas-y. Déclara-t-il, l'oeil mouillé et la gorge sèche.
Elle tourna les talons, la face triste et en trainant les pieds. Puis, sa nuque se tendit. Ses épaules s'énervaient. Ses bras se serraient. Doucement, comme dans un élan savonneux, son énergie tombait. Elle tombait, et s'écrasait au milieu des feuilles d'automne. Un sentiment vif et inattendue blessait ses tripes. Ses intestins se tortillaient nerveusement, comme une ficelle au bout d'un doigt, d'une façon plus ou moins régulière. Une sensation crue et mordante de brûlure passionnée dévorait son abdomen. Sa peau se contractait affreusement, comme une élastique sous la pression, en prenant une texture dure et rebondie. Elle ne voulait pas partir. Il lui semblait qu'elle laissé derrière elle une partie de son âme.
- Lily, attends !
Elle se retourna. Une brise venue de l'est, qui s'invitait à l'instant, comme un hôte gracieux et élégant, souleva quelques mèches rousses. Son front s'éclaira avec largeur et finesse, son humeur était tourné au gré de ses fantaisies changeantes. Cette image était si belle. Comme une vision d'un petit chérubin déchu tombé du ciel. Surmonté de sa chevelure de feu, qui formait une structure épaisse et voluptueuse, et qui s'envolait elle-même porté par un nouveau bon souffle, son visage était alloué d'une expression céleste et d'une allure féerique. Un sourire aux lèvres, et les cheveux aux vents, et le regard brillant, elle ressemblait à un ange. Le corps de James se redit et son cœur rata un, deux, ou trois, battements.
- Oui ?
- Retrouve-moi, à trois heures de l'après-midi, près de la statue de la sorcière borgne.
- Même endroit, même heure ?
- Même endroit, même heure. Souffle une courte voix fluette, inspirant la tristesse, appelant la mélancolie à des oreilles trop heureuses et à peine concentrées.
James eut une joie amère, qu'il n'afficha pas. Son souffle se coupa, et resta dans sa poitrine une douleur sourde. Incapable de respirer, ses poumons vibrèrent, animés d'un léger mouvement, entraînés sous le coup d'une émotion, d'un sentiment rude, et écrasèrent son coeur. Incapable de parler, sa langue claqua contre son palais rosi et irrité. Incapable de marcher, ses pieds trépignèrent, s'agitèrent violemment supportant l'effet d'une vive, il ne savait, joie ou colère. Il n'essaya même pas. Il n'essaya pas de lutter contre. Ses lèvres étirèrent un sourire âpre et au goût désagréable, comme la saveur que prêtait le houblon d'une bièrraubeurre, et il regarda Lily disparaître dans le temps lourd, le temps lourd et étouffant d'une après-midi ainsi faites.
A cet instant, un monde bascula. Ce monde, en continuelle communion avec soi-même, s'éteignit. Une seconde peau se confondant fut arrachée. Un second coeur battant se brisa. Un second souffle vibrant se coupa. James le sentait. Des sensations étaient troublés. Des sentiments encore confus. Des sens totalement ébranlés. Un vent impétueux, de ceux qu'on ne rencontre habituellement guère à Poudlard, sonna creux à ses oreilles, dorénavant bouchées. Rien n'était plus. Ses jambes faiblirent, son pouls palpitait, sa respiration s'accélérait. Plus aucune parcelles de son corps ne lui répondait. Son coeur se figea au bord de ses lèvres. De violentes nausées révélèrent leur complaisante souffrance. Son corps se tordait sous le mal, et sa conscience s'affligeait perdue au milieu des méandres d'émotions trop complexes. Avec une démarche mal-assurée, et l'esprit en mille morceaux, et l'estomac pris d'un étourdissement si soudain, d'un haut-le-coeur qu'il ne voulait contrarier, James se dirigea vers cet hêtre près de lui et s'y appuya. Un poids supplémentaire dans le creux de ces viscères le fit vaciller, un instant, seulement un. Sa cheville se craqua dans son geste. Une vague de douleur physique rampa sous sa peau, comme un insecte le rongeant jusqu'aux nerfs. Il s'arrêta, et posa une main secouée de tremblements sur le bois. Sous sa manière effarée, un changement eut lieu.
Ces doigts petits et pleins d'os d'un joueur de Quiddtich s'allongèrent et redevinrent ses doigts minces, fins et remplis d'une grande dextérité, habile en chaque travaux. Sa peau brune, légèrement bronzé par des heures d'entraînement sur un balais et sous un soleil d'automne atténuèrent une couleur et reprirent leur teinte blanche et pâle comme un fantôme, habituée à l'obscurité des cachots. Autour de son visage, il sentit, ces cheveux courts et châtains avec des épis rebelles sur le sommet du crâne pousser et atteindre ses épaules sous le forme de longs et gras filaments, tirés comme d'affreux rideaux. S'en était fini. Ses lunettes tombèrent, lorsque ce nez étroit et busqué réapparue crochu et allongé, tel qu'il avait toujours été. Severus était fatigué. Les effets du Polynectar l'avaient achevé. Il se permit alors de déposer une paume, suivit de cinq doigts, sur sa poitrine. Des sourcils noirs s'approchèrent, des lèvres minces, d'une effrayante couleur pourpre, firent la moue, des pommettes creuses se soulevèrent, mais en même temps, des muscles de mains se relâchèrent. Sous ce membre, Severus sentit une agitation. Un cœur aussi froid que la glace, aussi fatigué qu'un malade et aussi fragile que les ailes d'un papillon, battait et se battait aussi frénétiquement et aussi vivement que possible. Ce qu'il percevait au creux de sa paume trimait, non pas sans folie, à capturer un mouvement constant, durable et assidu sans tomber au bout de seulement quelques secondes dans une mécanique ébranlée, enflammée et saccadée. Il pouvait palper sa poitrine qui avec labeur s'élevait, pour lourdement s'abaisser par la suite. Le silence de plomb, qui pesait sur l'atmosphère délicate, n'était brisé que par le bruit aiguë de sa forte et pénible respiration secouée, par moment, par de faibles sanglots, ici et là. Dans un rythme chaotique, cet organe tissé de fibres musculaires cognait, d'une cruauté qui suscitait l'horreur ou la réprimande, contre sa cage thoracique. Severus avait le droit. Il avait le droit de craquer. Sous la pression difficilement supportable, une minute de plus, et cet assemblage d'os, protégeant ingénieusement l'instrument de torture, menaçait de se fracturer, ou tout simplement d'exploser. Il n'en pouvait plus.
Soudain, une véhémence épouvantable le saisit. Il tapa du pied, gémit comme en proie à une incontrôlable fureur. Puis, un instant plus tard. Une sensation mal définie, caché jusqu'à là, où se mélangeait copieusement doute et regret, donna naissance à des ombres épaisses, froides, et opaques. Elles déferlèrent, recouvrirent tout, en ondulant et s'écrasant comme la houle sous la tempête, de l'eau tumultueuse en mouvement et frémissante qu'homme ne pouvait arrêter. Severus n'essaya pas. Il la laissa. Voilà l'orage ! et le déluge fut terrible.
Il frappa sa tête contre le tronc noueux, s'acharna. L'action fut réinterprétée, encore et encore. Severus ignorait tout. Il ignorait cette douleur, cette douleur qu'il savait devait être affreuse, mais qui à cette seconde n'avait que le choc d'une piqure de moustique. Il avait d'autres douleurs, d'autres... oh ! d'autres... elles étaient trop brutales, trop injustes, trop mauvaises. Son coeur appelait à la mort, comme un loup sous le clair de lune qui supplie ses congénères, il appelait un autre coeur. Aucune réponse, et il frappa. Son âme, enfouie dans les confins d'un organe vital, criait à l'aide. Aucun secours, et il frappa. Ses esprits surchauffés, et alimentés par les peines d'un chagrin inconsolable, explosaient en désespoir. Aucune consolation, et il frappa. Puis, levant les yeux, penchant la tête en arrière, il se mit à hurler. Hurler ni comme un homme, ni comme un être humain, mais comme une bête sauvage blessée à mort, frappée à coup de poignards et de pieux. Plusieurs tâches de sang maculaient l'écorce de l'arbre, son front et son visage en était trempés. A ce moment, à cette heure, où le soleil descendait en pointe, si âme qui vivent était passée et l'avait vu, cette image lui aurait suscité la compassion la plus grande, la plus effroyable, la plus monstrueuse. Severus était brisé. Il sentit tous ses nerfs se crisper, tout ses muscles trembler, tout son corps vibrer. Puis, rien. Il ne resta rien. Le serpent n'arrivait plus à tenir.
Severus posa son dos contre l'hêtre, pliant les genoux et courbant les jambes, et il s'assit. Un liquide visqueux et opaque, d'une odeur fade, légèrement salé, s'écoula le long de son visage, et tomba au bord de sa bouche. Une langue furtive et presque clandestine voyagea au limite de ses lèvres, et lécha le sang. Un goût sévère de cuivre et de cendres se colla à son palais. Il déglutit, mais une saveur métallique demeura, comme installée à jamais. Son visage se déforma en une grimace douloureuse et un rictus déforma ses traits osseux, finement ciselés. Il passa une main sur son menton, ferma les yeux et baissa la tête. Ses membres se contractèrent. Quelque chose d'inconnu et d'étrange tirait une mélancolie démesurée de son être, puis, poussait à une immense tranquillité de l'âme. Son cœur battait fort à ses oreilles. Au milieu de son esprit tourmenté, un vacarme agaçant se tut peu à peu. Aucune sensations ne traversaient son corps. Aucune, hormis une. Une impression singulière le saisit subitement. Une impression singulière, insolite et insupportable, qui devenait, petit à petit, familière. Sa poitrine comprimait un étau infernal autour de sa cage thoracique. Comme si ses os viendraient à se briser sous son abdomen. Son larynx, ses voies respiratoires étaient doucement obstrués au fond de sa gorge. Comme si une boule de coton aimait à grossir entre ces parois enflammées. Ses muscles, par le froid, étaient mis à rude épreuves. Comme vibrent la corde de l'archer prêt à tirer. C'était une impression, lente et doucereuse, qui fait souffrir en silence, qui fait mal dans le noir. Le monde taisait une douleur pareille. Severus, lui, avait envie de la crier. Cependant, sa bouche était, dorénavant, définitivement, scellée. Le monde restait aveugle devant une ignominie telle quelle. Severus, lui, avait envie de voir. Or, ses yeux demeuraient, pour toujours, clos. Familière et connue, le sentiment d'étouffer courait, à longues enjambées et grand galop, comme un rare pur-sang, dans ses poumons. Il ne pouvait nier. Nier plus longtemps serait stupide.
Le couperet était tombé, et avait scié grossièrement, à l'arracher, ses veines et artères. La sentence avait été prononcés, et avait secoué son corps jusqu'à ses nerfs douloureux, d'un spasme effrayant et indomptable. Il ne contrôlait plus rien, ni son corps, ni sa vie. Un soubresaut fragilisa au rang de fine porcelaine ses os et raidit comme un ressort victime de la rouille ses muscles. Il y réfléchit. Il rêvait. Ces rêves, ces messages envoyés dans la nuit qui avaient, le soir, le charme de l'espérance et, le jour, l'amertume du regret. Ces sourires qui ne revenaient uniquement pour masquer sa peine. Ces souvenirs d'une merveilleuse amitié imprimés à l'encre permanente dans sa mémoire. Cette douleur sourde frappant atrocement son thorax, chaque fois que ces brides d'images assénaient son esprit brisé. Ce désir qui brûlait et desséchait son cœur. Cette souffrance, insulte au bonheur parfait qu'elle affichait avec cet autre, animant le feu dans son estomac. Cette solitude accentuant le moindre de ces chagrins, comme une faible lueur lésant la cornée dans la plus totale des pénombres. Ce goût amer déposé sur ses papilles à chaque moments de la vie dégustés. Cette passion qui dévorait ses entrailles jusqu'aux os. C'était tout ce qui lui restait. Il avait tout sacrifié. Ah ! que pour son bonheur, il donnerait le sien.
Il l'avait fait, il avait tout donné. Même son propre bonheur, et bien plus encore. D'une manière ou d'une autre, il avait réussi. Severus avait réussi. Elle était heureuse, elle lui avait dit. Le serpent, en tendre ami qu'il avait toujours été, lui avait offert le plus beau des cadeaux. Il lui avait offert l'amour. Aider James était peut-être la dernière bonne action qu'il ferait pour Lily. Puis, il y avait autre chose. Puis, une voix lui revint en tête. Une voix, et trois mots. Il se souvenait. Une voix, douce et familière, aux dons incroyables, avait semblait-il, durant un instant, cicatrisé chaque petites ou grosses blessures. Doucement et agréablement, ces plaies, ouvrant à vif et à nu la chair, s'étaient presque refermées. Une magie quasi-instantanément, dont tous aimerait profiter. Les yeux fixés au ciel, cet unique et éternel chanceux comptait, sans vraiment pouvoir, ce seul et unique privilège. Elle lui avait pardonné. Même si elle ne le savait pas, lui en était certains. Elle lui avait pardonné. A ce moment, il sourit. Il sourit au point où ses molaires devinrent visibles.
Fin.
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