Chapitre 1 : Les Derniers Vers

Le paysage était effrayant. Froid et lugubre, comme une vielle mélodie qui offre à l'âme le regret de bonheurs inconnus, ce paysage le voilà, il se montrait. Un soleil d'automne, si lourd et tremblant, rebutait et dégoûtait d'immenses arbres assujettis à le dissimuler derrière de larges branches. La sphère pâle et luisante, suspendus au-delà d'une atmosphère pesante, préférait circuler sagement entre plusieurs nuages de fumée. Les premières heures de la journée sonnaient. Elles se dévoilaient et étaient terribles. A la verticale, tenant presque en équilibre au-dessus des flots, le disque céleste, par sa nature poreuse, filtrait et retenait les reflets verdâtres que rejetaient les eaux du lac à sa surface. Une couleur affreuse ondulait et s'emmêlait au milieu des rougeurs de braise. Le spectacle était épouvantable. Son regard s'y attardait pourtant. Une impression étrange torturait alors estomac et viscères. L'impression qu'une bête monstrueuse se préparait à surgir d'entre les vagues, elle était là. Elle terrifiait, cette impression.

D'en haut, tout était différent. Il en était sûr : d'en haut, le jour serait beau. L'étoile, aux contours flous et grossiers, s'envolerait, s'élèverait et atteindrait dans sa course un point. Un point notable qui, dans le ciel tendre et discret, se détacherait en amont d'une brume matinale à l'image d'une tâche blanche sur un fond homogène. Le matin viendrait. Silencieusement et peu à peu, il monterait. Le majestueux et magnifique, l'astre du jour brillerait avec la même vivacité que la flamme d'une lanterne à huile. Brillant d'allégresse, son éclat contemplerait à travers les vitres nus et ses rayons seraient doux. Ses caresses tireraient d'un sommeil délicat et capricieux, avec une tendresse infinie, sans manquer d'une charmante bienveillance, quelques braves garçons. Quelques garçons que les anges auraient gâtés de bons rêves qui chantent comme l'alouette au soleil, dans l'air léger, dans l'air suave, dans l'air chaud des matinées claires. Qu'il devait être agréable ce réveil dans la tour de Gryffondor, pensa-t-il.

Lui, ici, un Serpentard, n'avait eu droit qu'à une clameur. Juste ciel, quelle clameur ! Une assemblée en délire avait sifflé, rugit, grondé. Le silence, cet instant magique où pas un souffle de vent n'osait chuchoter entre les feuilles sèches, pas un oiseau ne chantait, pas une cigale ne criait parmi les herbes hautes, ce silence, éternel, comme l'automne aimait en offrir, avait été déchiré. Déchiré de bas en haut et traversant de part en part le dortoir. Il s'était réveillé en sursaut. Cette cohue furieuse et violente l'avait arraché à un repos. Un repos maladroit et étouffant, que les mauvais anges avaient pour lui empoissonné de terribles cauchemars. Il avait murmuré. Quelques mots, seulement quelques mots qui s'étaient détachés de ses lèvres encore plus étroites qu'un trait de pinceau. Un « merci », faible et chétif, s'était déposé au creux d'un oreiller plat et mouillé. Il n'était plus arrivé à respirer. Un être maléfique l'avait chevauché endormi pour l'étouffer. Un lourd cauchemar avait pesé sur son buste comme en expiation de ses péchés. Son souffle avait été court. Sa poitrine avait comprimé un méchant étau autour de sa cage thoracique. Comme si ses os seraient venus à se briser sous son abdomen. Son gros cœur, attaché à ce joug humiliant, écrasé par cette contrainte tyrannique, avait décidé de s'épandre en dépit de tout courage. Un instant, les yeux ouverts, d'habituels tourments nocturnes l'assaillirent.

Il revoyait. La pièce avait de larges murs et un haut plafond. Cependant, les traits étaient brouillés et les contours du décor étaient flous. Une éblouissante obscurité avait inondé la salle et ses bordures étaient devenues abstraites. Soudain, une lumière avait scintillé. Une lumière, qui en s'illuminant d'un vert criard, avait su dessiner les formes d'une figure qui le touchait droit au cœur. Fou et virulent, son rythme cardiaque s'était animé. Il avait reconnu ce visage. Une seconde et il en reconnaissait chaque lignes. Ce teint inspirait un éclat fragile à l'aspect luisant et poli de la porcelaine. Ces pommettes hautes et rebondies, gorgées de sang, étaient parsemées de tâches de rousseur. Ces extraordinaires yeux verts en amande, tant chéris et tant aimés, s'étaient embrassés d'un feu nouveau. Elle était belle, cette jeune fille était belle. Son regard ne pouvait s'en détacher. Une douce et agréable caresse avait semblé se promener et glisser dans son dos. Quelques tendres sensations avaient frôlé parfois sa nuque et des frissons avaient parcouru sa colonne vertébrale. Cela lui avait agréablement chatouillé les muscles. Un frémissement continu, ondulant sous son épiderme, avait appris à choyer des tendons durs et cagneux. Des cajoleries avaient cherché à amadouer les plus terribles nœuds. Sa chair avait trembloté sous sa peau. Son enveloppe, pris d'un spasme irrationnel, s'était mit à trembler. Ses membres s'étaient enivrés d'une grande ardeur. Elle était naît quelque part, à gauche de sa poitrine. Elle s'était répandue, aussitôt plus intrépide, dans tout son corps. Elle s'était attardée plus d'un instant, ici et là. Cette tendre caresse avait roulé et son sang s'était évaporé. Un liquide chaud avait astucieusement cheminé dans ses vaisseaux sanguins et ses organes étaient repartis de plus belle. Un plaisir qui accompagnait avait excité en lui un sentiment charmant. Un sentiment doux et familier, aux dons incroyables, qui avait su troubler son être, l'avait saisit. Cette tendresse fluide avait stimulé un délice étrange, proche voisin du bonheur, comme après avoir bu une tasse de thé. Il s'en était délecté. Soudain, en face, cette jeune fille lui avait tendu le bras. Son bras, blanc jusqu'à l'épaule. Son bras grêle, dont l'épaisseur avait été très mince, dont l'ossature énergique avait dû transparaître, était venu soutenir une main bien accueillante. Sa main avait été longue, un peu noueuse, semblant se prolonger au loin. Cela avait été une main sublime qu'on eût cru dessiner par le plus grand des pinceaux. Les doigts contracturés, et les phalanges à demi-pliées, s'étaient serrés les uns aux autres. Le pouce s'était tenu à la verticale, gorgé d'un rouge rubis à peine distinguable sous cette obscurité, plein de la chair douce et mollement blanche des femmes et à demi-cambré d'un air bavard. La main ne demandait qu'à être prise. Son message avait rapidement trouvé écho. Un autre bras, le sien, s'était préparé à se lever. La délicate, l'agréable, cette caresse d'un temps, qui avait effleuré chèrement quelques fibres tendus, s'était métamorphosée. Soudain, la chose s'était accélérée. Une charmante chaleur, qui avait emprunté toutes les nuances du bon, était devenue un brasier. Un brasier bouillant s'était consumé au milieu de son corps. Une sensation crue et mordante de brûlure passionnée avait dévoré les tissus. Des dents ardentes et si vives avaient semblé se planter dans ses muscles, déchirer la chair et entamer la viande. Une douleur avait frappé un point très sensible qui avait hurlé au désespoir. Des flammes crépitantes avait croqué en profondeur. Ses nerfs avait été en proie à une surexcitation. Comme si le médiator d'une guitare s'était baladé sur ses filaments. Les restes, tellement tendus, avait fini par ressembler à de la corde à boyau, si flasques et si ramollis. Il avait voulu bougé, tendre le bras et lui tenir la main. Seulement, ses nerfs s'étaient ébranlés comme n'aurait pu le faire la plus grande des peurs. Ses bras avait traîné le long de ses flancs. Pétrifiés à l'image de ceux des statues de bronze, ses membres n'avaient pu animé le moindre mouvements. Emporté ensuite par des manières étranges, qui étaient sortis du commun, son âme avait pesé plus lourde et était tombé à petit feu dans les abysses de sa carcasse comme une grosse pierre coulant au fond d'un océan, attirée par la gravité. D'affreux souvenirs revoyaient ses bras liés et tout son corps forcé. Il n'avait plus voulu avoir mal. Sa raison s'était éloignée de sa douleur et avait essayé de se concentrer en amont d'autre chose. Un souffle était alors monté. Un souffle, un murmure, un chuchotis, non ! une voix, une gracieuse voix était montée. Une exclamation timide et allongée, une parole qui avait traîné, s'était entremêlée comme un chant entêtant dans un faible esprit aux ultimes remous de ses nerfs agités. Elle avait parlé. Il avait écouté silencieusement. Des lèvres roses et charnues, d'où un arc se dessinait au-dessus à la perfection, avait frémis avant de s'agiter. Quelques mots y étaient morts au bord. « Trop tard », avait-elle asséné. Aussitôt, elle avait disparut. Son cœur n'eût pas le temps d'être triste. Une sensation de froid cinglant, comme répandu sous la forme de cristaux de glace dans ses vaisseaux sanguins, avait immergé son corps et ses esprits. Un craquement prompt et sinistre, une sorte d'éclat sec que composent certaines choses en se brisant, était brusquement parvenu à ses oreilles. Puis, un instant plus tard. Le sol s'était abaissé. Subitement. Le choc avait été grand, si grand qu'avant d'avoir pu songer à se rattraper, il avait compris qu'il tombait dans un puits profond. Un soubresaut avait fait s'envoler ses os dans son dos. Ses entrailles avaient remué une seconde pour s'étaler au fond de son ventre. Puis, un mouvement. Un autre, plus intense. Une surprise vive et pénétrante de malaise inattendue avait piqué son estomac, qui était allé se réfugier au milieu de son thorax, entre ses poumons et son cœur. Suivant une fougueuse réaction de l'instinct, et non de la raison, son cœur se figea au centre de sa gorge, coincé entre son œsophage et sa trachée. Une émotion, à cheval entre la peur et l'amertume, imitant un insecte qui déchiquetait sa nourriture, avait torturé ses creuses viscères. De violentes nausées avait secoué une douce souffrance. Aussitôt, s'était ouvert sous ses pieds un gouffre vague, rempli d'obscurité. Un gouffre au creux duquel son corps vide et informe s'était laissé disparaître en bondissant de paroi en paroi, avec un bruit occulte et haché, qui avait finit par tarir dans une chute sans limites. Sa tête avait finit par rebondir mollement sur son oreiller, si plat et si mouillé. Cette impression étrange, qui ne dure qu'un court moment ; cette impression d'être entre rêve et réalité, allant entre la conscience et l'inconscience, à demi-incompris ; elle avait coulé, elle avait coulé froide, presque gelée. Il avait fallu du temps, cependant. Severus s'était éveillé tout à fait.

Dorénavant, tout semblait différent. Le matin était clair, l'air âcre et brutal. L'atmosphère était imprégné d'une odeur de moisissure, de pierre humide et de miasmes émis d'un dépôt de terre qui s'accumulait au fond ou au bord du lac à laquelle se mêlait un relent insipide. Severus inspira profondément. Ses transes redoublèrent. Des perles glacées se fixaient sur son front, où se crayonnait des lignes abstraites et rêveuses. Ces lignes, communes à tous les soucis des hommes, affichaient tracas et embarras. Son corps se sentait prisonnier, engoncé dans sa chaise devenue soudainement trop petite. Il s'adossa contre son siège en tirant sur sa chemise qui collait à sa peau moite de sueur. De terribles tourments nocturnes avaient été maîtres de ses esprits et avaient tourmenté son humeur. Il tâchait d'oublier l'obscurité qui l'avait inondé au dehors et la souffrance qui l'avait dévoré en dedans. Son visage, aux traits revêches et saillants crispés d'une façon exagérée, s'était encore affermi. Un sentiment épais lui chiffonnait le front et allouait à sa mâchoire une fronce soucieuse et troublée. Les yeux plissés, et qui miroitaient une sombre lueur exaltée par l'élucubration, assis à son bureau, Severus réfléchissait. Ses cheveux gras et noirs pendaient sur le table. Son nez long et crochu touchait presque le parchemin quand il écrivait. Un instant, sa main avait semblé voler à la surface du papier. Seulement, et désormais, il n'y arrivait plus. Les pensées prisonnières entre les parois de son crâne fulminaient. Une étrange douleur se mit à chauffer derrière son sourcil. Un subtil malaise qui avait réussi à pénétrer son enveloppe corporelle cassa son esprit. Ses doigts tremblaient comme une feuille multicolore, qu'aurait surpris en automne une brise nouvelle. Le pouls vint en frapper le bout. Il lâcha sa plume et tripota nerveusement ses phalanges noueuses en tirant sur leurs extrémités. Sa figure se déforma en une grimace douloureuse et ses lèvres se contractèrent pour peindre une ligne fine et serrée. Un gémissement, strident et plaintif, de ceux-même qui s'échappe lorsqu'un supplice devint plus fort que le caractère humain, s'étouffa dans sa gorge. Severus baissa les yeux sur son parchemin. Son regard s'ouvrit, presque écarquillé. Ses prunelles avaient l'air de disparaître derrière ses paupières. Il lut à voix basse :

Un temps ou une seconde courte, non ! brève

Que l'infini, celui même interminable, prend en embuscade.

Le clairon sonne, et je pleure. Un dernier serment signe la trêve.

Les saisons reviennent. Ne reste dans l'air que l'amour et un parfum de muscade.

Si douce est cette nuit où l'air caresse ma figure,

Le dernier vers se répétait comme l'écho du tonnerre, qui se répercute et se prolonge. Il grondait, là où un éclair semblait sillonner le ciel avec tous ses astres et ses nuages. Il éclatait, alors qu'une pluie cinglante avait l'air de fondre sur les hautes plaines. Il rugissait, et la foudre paraissait jaillir non loin des maisons. Severus cherchait désespérément la rime suivante, sans succès. Cependant, ce bruit mauvais et pénible... oh ! ce bruit... il était trop rude, trop sévère, trop odieux. La douleur derrière son sourcil, qu'il avait cru endormi, se réveilla d'un seul coup. Il sentit sa face surchauffée. Avec l'intensité d'un essaim d'abeilles tueuses, ses oreilles, il le sentait, bourdonnaient. Sa tête, également, semblait être une cause principale de ses problèmes. Une migraine épouvantable allouait, en tout grâce, d'étranges sensations à son crâne. Comme si, sa figure était deux fois plus large que la normale. Comme si, son front se déchiraient en deux parts égales. Comme si, ses tempes battaient une forte pression. Une ancienne anxiété, qu'il avait espérait morte et enterrée, sortit de sa tombe haute et plus menaçante que jamais. Severus ferma les yeux.

- Assez !

Le silence fut brisé. Puis, il était revenu. Comme éclair, cela fut. Un éclair, comme une sorte de lumière éblouissante accompagné d'une masse nuageuse froide et pleine d'électricité, un éclair foudroyant et aveuglant qui ne passait qu'une fois. Soudain, un monde s'écroula. Autour une atmosphère se durcit. Une atmosphère de plomb, invisible, comme au théâtre, s'abattit. Une voix s'était envolée. Cependant, aucun son n'avait réussi à parvenir jusqu'à ses tympans. Severus le savait, pourtant. Son larynx, là où finissait de brûler une longue, mince, en grand désespoir, peine, qu'il ne voulait plus écouter et qu'il avait faites muette, ici, les parois étaient irritées. Ses cordes vocales, au fond de sa glotte qui se tendent et vibrent, étaient encore doucement chevrotantes et semblable à un vieil élastique. Une respiration hasardeuse, un souffle coupé, resta bloqué dans sa gorge sous la forme d'une douleur large et épaisse. Une douleur piquait à vif par un regard perçant. Severus se retourna. Le regard dur et l'esprit solide, il rajusta sa position dans son siège. Il était grand, même assis, le dos droit. Cependant, une haute et massive silhouette, dessinée d'un trait abrupt et grossier, comme découpée au hachoir à quelques pas de lui, et sur la clarté des matinées d'automne encore un peu sombre, lui faisait face. Le visage était lisse, et au-dessus brillait d'un éclat pur et presque particulier des yeux marrons. Des yeux, qui d'un regard, un seul, l'avaient transpercé. Marron et perçant. Ce regard se transforma en une flèche qui l'atteignit et le toucha mieux encore que celle tirée par le meilleur des archers.

Surpris, Severus eut un mouvement de recul. Un mouvement qu'il essaya de rendre minime, d'atténuer, sans briser sa carapace. La douleur derrière son sourcil, si vielle et qu'il avait cru si lointaine, se montra plus belle et plus grande qu'avant. Il sentit sa tête surchauffée. Ses yeux se plissèrent, plus d'un instant et plus vivement, en tentant de maitriser le feu dans son crâne, là où sournoisement la flèche l'avait piquée. Ses mains se joignirent, posées sur ses jambes, comme s'il pouvait écraser la douleur entre sa poigne. Il ne voulait plus souffrir. Severus essaya d'y sonder quelque chose, de pénétrer ce regard. Seulement, il ne put rien. Le Serpentard détourna les yeux et se racla la gorge, mal à l'aise, comme s'il ne pouvait se permettre de perdre un duel de regard face à lui. Potter passa la main dans ses cheveux. Son visage baignait dans une expression d'insouciance. Le charme était dans cette insouciance, dans cette insouciance et dans cette ignorance même. Une petite lueur démentielle, qui explosait en de furieuses allégresses, animait ses yeux rieurs. On n'entendait plus rien. Il y avait bien un bruit pourtant. Un instant, ce fut un bruit, presque unique, sourd et monotone, comme imitant le battement des ailes d'un insecte; puis c'était semblable à la sensation d'un bruit permanent qu'on aurait cru causé par des troubles nerveux. Ce bourdonnement, il n'arrêtait pas. Il était constant et impertinent. A ce moment, et dans un dernier envol, Potter attrapa le vif d'or avec lequel il s'amusait et dont le murmure avait tant agacé Severus.

- Très bien, j'arrêtes. Céda Potter, l'air moqueur et les épaules innocemment haussés en signe d'abdication.

Au creux de sa paume, battait, faible et fébrile, comme le coeur d'un moineau effrayé, son vif d'or. Potter en sentait chaque pulsations. Il percevait à ses oreilles un bruit régulier pareillement au tic-tac d'une horloge. Ses ronrons incessant résonnaient contre sa peau, comme une seconde âme, qu'on aurait arrachée trop tôt. Il le serra dans ses doigts et le remit dans sa poche. Severus le scruta de ses yeux noirs et ternes. Puis, feignant l'indifférence, il retourna à son parchemin. Soudain, une voix gutturale aux fort accent s'éleva.

- Tu as finit ? Lui demandait-on.

A l'image du feu qui fatigue, une ferveur redescend. La ferveur de Severus n'était plus. Un lourd rideau de plomb invisible, qui s'était abattu autour de lui, qui l'avait préservé de ce monde névrosé, semblait avoir fondue comme sous l'effet de la flamme d'un forgeron. Une atmosphère s'adoucit, avait des lignes plus harmonieuses, l'éclat de la lumière légèrement tamisé, et chaque couleurs et chaque nuances toutes douces. Ces vieilles douleurs, également, n'étaient plus. D'un geste sec, il plia le morceau de parchemin noirci et le tendit à Potter.

- Oui, j'ai finis. Asséna-t-il, sans d'autres détour, avec sur la face l'expression d'un soulagement immense.

Un lueur folle et virulente, qui dansait telle la flamme luisante d'un feu follet, perçait l'obscurité de ses iris. Un sourire extrême, auquel on offrait aisément les plus hideuses fureurs de tous les mauvais anges, se dessinait sur ses lèvres. Ce sourire, Severus le savait, qu'arborait Potter, charmeur et effrayant à la fois faisait chavirer les têtes le plus raisonnées. Son corps redressa fièrement et rageusement sa haute taille, son torse bombé comme celui d'un coq déplumé, à qui les pires sévices seraient arrivés et seraient en désespoir, se tenait droit. Ses mains s'agitèrent, fabuleuses et absurdes, en perpétuelle mouvement, et se saisirent du petit bout de parchemin. Il le déplia et y posa un drôle de regard. Ses lèvres pleines et rouges remuaient une cadence infernale; elles tremblaient, vibraient et frémissaient. Des murmures, le bruit du claquement de la langue sur le palais y tombaient au bord. Soudain, sa bouche s'ouvrit en grand ovale irrégulier. Les mots, restés encore coincés entre son oesophage et sa trachée, se libérèrent de leur prison de chair.

- Parfait ! S'exclama-t-il, une ligne tracée jusqu'aux oreilles, et les pupilles tournés vers le ciel comme pour imaginer un formidable souvenir, encore inconnu, en pressant le parchemin contre sa poitrine. Absolument parfait.

À ces mots, sans attendre, le coeur léger et l'esprit tendre, Potter tourna les talons et s'avança d'un pas décidé vers la grande porte du dortoir qui était encore ouverte, laissant derrière lui un Serpentard qui se fixait résolu à son départ. Soudain, sans autre explication, Potter s'arrêta et fit volte face. Quand il se retourna, à l'instant où ses yeux croisèrent ceux de Severus, le sourire de Potter disparut lentement et son visage pâlit. Ses doigts resserrèrent, presque instinctivement, et commandé par une mystérieuse émotion, semblable à un trouble qu'il n'avait jamais connu, un étau sur la parchemin qu'on entendait se froisser. Severus l'examinait, l'oeil acerbe et interrogateur, les lèvres serrées, levant et abaissant un sourcil inquisiteur. Ses cheveux bruns était, comme à l'accoutumé, en champ de bataille, et les mèches les plus claires, et les plus rebelles, pointaient au sommet de son crâne. Ce visage lui était si familier et inouï à la fois. Severus reconnaissait ses caractères, que trop bien, pour les avoir étudier et haït pendant longtemps. Ces années, maintenant, lui paraissait si loin. Un rond trop parfait, en rien bouffi, des lèvres pleines et rouges, dont il s'était habitué à voir se contracter en une ligne serrée, prête à dessiner un rictus hautain, définition de Potter. Ce visage d'aujourd'hui le mettait mal à l'aise. Une lueur étonnante, étrangère aussi bien à Severus qu'à Potter, embruma ses iris marrons et brillants, comme l'aurait fait cet épais brouillard des aurores d'automne. Un sentiment nouveau ombrait son visage. Il ouvrit la bouche.

- Pourquoi ? Demanda-t-il sans plus de préliminaires.

- Pourquoi, quoi ? Renchérit Severus, les mains dans la poche, et la mine renfrognée, comme écrasé par ce mal-aise ambiant devenu véritable poids de plomb.

- Pourquoi m'aides-tu ?

Sa question tomba comme un terrible écho, qui se répétait et s'éternisait. Ses avants-bras furent secoués par un tremblement terrible, ses yeux éteignirent l'étincelle au fond de sa rétine et s'assombrirent, ses lèvres s'entrouvrirent maints et maints fois pour finir par se fermer en croyant que la volonté seule suffirait. Cependant, il manqué quelque chose à notre serpent. Ce petit truc en plus, Severus fouilla jusqu'aux abysses les plus profondes de son être, de son âme, de son esprit pour le trouver. Mais ce n'était pas là. Il se concentra, et préservera dans sa quête. À force d'une grande patience et de recherches assidus, Severus trouva enfin.
Il avait peur, c'était cela. Quel est remède nécessaire pour lutter contre cette fatalité ? Le courage, bien sûr. N'était-il pas sensé être des ambitieux et des rusés, ceux qui voient au-delà des limites et qui osent ? Il en était. Il était un Serpentard. Le courage était trop grand. Trop grand pour lui. Le courage était une vertu fantastique et grandement réparatrice face à la peur, la souffrance et la fatigue. Une dangereuse combinaison que Severus n'arrivait plus à porter inlassablement sur ses épaules ou à prendre indéfiniment à bras le corps. De ce fait, il admirait les lions. Il admirait ceux qui avait le pouvoir de se battre pour ce qu'il voulait, pour ce qu'ils aimaient, pour ce qu'il leur semblait être juste. Il ne l'avouerait jamais. Cependant, il voudrait être l'un des leurs. A ce jour, il eut crut. Il eut crut tellement, tellement fort. De ses tripes, le jeune sorcier sorti une énorme poignet de son courage le plus pur, jamais travaillé, qu'il essaya de faire de remonter jusqu'à sa langue. Le muscle rosée, avec l'aide précieuse de sa conscience, tissait les mots exactes qui sauront être juste et vrais. Plus important encore, le courage permettait d'entreprendre, et même de réaliser, ces choses difficiles que nous craignons plus que tout au monde, en les surmontant. La bouche de Severus s'ouvrit, avec succès.

- Tu m'as promis... Siffla Severus, entre ses dents jaunies. Tu m'as promis que.. que tu la rendra heureuse. Tu m'as promis de faire ce dont j'ai été incapable.

A cet instant, le mal-aise s'évapora. Son épaule fut vide, mais, en même temps, plus lourde. Une solitude blanche, dénuée de tout, pesait cruellement sur son dos qui se cambra. Ses iris à la couleur des ténèbres si hautes, se retrouvèrent à regarder si bas. Ses oreilles écoutaient le silence. À quoi pensais-t-il ? Rien. Chaque pensée le fatiguait, comme s'il soulevait à bout de bras un écrasant fardeau. Severus avait mal, mais il ne savait pas où. Une blessure avec complications, ou une lésion, résultat d'une violence externe, ou une ouverture dans la chair, quoique cela fut, cela le dévorer de l'intérieur. Quelque chose réservait de terribles conséquences à l'ensemble de son corps. La douleur déchirait les tissus de ses organes. Son cerveau tournait violemment dans sa tête, entraînant l'étirement, puis le cisaillement des câbles à l'intérieur qui le soutenait. La masse visqueuse, au quotient intellectuel étrangement bas, flottait au milieu de son crâne. Il inhala longuement. Le tout dériva dans un pli de gelée gluante suspendue en mystère. Severus se leva de son siège. Longtemps resté assis, un certain trouble de l'équilibre frappa. Son regard se perdit au loin, et sa posture n'était plus stable. Ses yeux percevaient un mouvement anormale autour de lui, tandis que son oreille interne recevait les signaux de l'immobilité de son corps. Le goût amer de la bile imbiba ses lèvres finement empourprées. Son cœur meurtri au centre et lacéré de tous les côtés, remonta dans sa gorge, cognant fortement sa pomme d'Adam. Son pauvre cerveau chancelant discernait, avec un manque d'adresse considérable, une sensation bizarre. Les objets, qui l'entouraient, s'animèrent d'un mouvement oscillatoire, aussi étourdissant que celui d'une girouette. Des pupilles immobiles se posèrent à l'horizon. Une tête aux cheveux longs et gras se maintint le plus fixement possible. Le mal de mer s'atténua. Potter n'avait rien vue de ces malheurs. Il énonça, comme une dernière promesse, un souhait cher et décisif, que l'on souffle à un mourant, et que l'on ignore si l'on tiendra:

- Elle sera heureuse.

Severus s'en contenta. Il ne pouvait espérer plus et se tourna la tête. Les pupilles rivées à la fenêtre, plongeant dans le ciel, Severus rêvait à une autre vie. Une vie sans magie noir, une vie avec passion. Cette sauvage passion qui déchiquetée son être, qui froissait son coeur, était condamné à une horrible sentence : la prison à vie. Non, pas la mort ! L'extinction serait si facile, exploser et ne plus rien sentir. Quel beau moyen de se débarrasser de sa déprime perpétuel. Cependant, il le sait, elle sera constamment là, près d'un endroit. Un endroit secret de son cœur qui voisinait avec les abîmes indescriptibles de son âme bleuie et couverte de sang, qui elle-même ne cessait de couler au fond d'abysses impénétrables. Seulement, à cet endroit, dans lequel ou à travers duquel rien ne pénétrer, une étincelle y brûlait. Une étincelle brûlait au creux d'une flamme ardente. Aucune eau n'était assez puissante pour l'éteindre. Or, également, il s'interdisait d'étendre ce feu. La moindre parcelle de matière enflammé, ou petite flammèche, pourrait s'embrasser, et l'incendie aurait des conséquences irrémédiables.

Il y avait cru. Il avait imaginé des premiers émois. Des pelouses ombragées, des cheveux emportés sous un légers zéphyrs, de timides premières caresses et des baisers d'amour sincère. Soudain, ses yeux se fermèrent. Seulement, malgré ses nuits agitées, ce n'était pas la fatigue qui l'emportait. Non ! C'était la nostalgie ! Elle était si enivrante. Elle aimait ses moments presque passionnément. Quand, elle dansait avec la mélancolie. Les deux ensembles l'entraînaient au tréfonds de mémoires obscures et nébuleuses, qui bouillonnaient au-dessous de lui. Ses yeux se fermaient, et derrière ses paupières, jaillit, comme presque un devoir de l'inconscient, un ancien souvenir. Sous les vapes de ses pensées, en un instant, ses pieds foulaient l'herbe humide et chaude du jardin d'un vieux terrain de jeu. L'esprit était puissant. Le voilà, capable de telles prouesses. Sans aucun magie, grâce à sa puissance, le temps remontait. Il n'était plus à Poudlard. Il cavalait dans les rues de l'Impasse du Tisseur, et une main s'accrochait à la sienne. Cette main, il aurait aimé ne jamais la lâcher. Cependant, elle était partit. Elle était parti, et tout était fini. A ce moment, une vague sourde accabla sa poitrine, une peine colorée d'une lourde mélancolie glissait sous sa peau, une souffrance stupide broyait ses os pour en faire du sable. Ces souvenirs dégoulinants de bons sentiments écrasait son pauvre coeur. Severus ne connaissait que trop bien cette impression. Cette impression, intolérable et odieuse, comme si il était plus grand que son corps et que tout ce qui s'y trouvait et qui ne pouvait s'en échapper écrasaient son coeur.

- Je dois y aller. Sirius voulait me montrer sa nouvelle moto, avant le déjeuner. Avoua le rouge et or, un peu honteux, l'oeil intrigué qui lançait des lucarnes questionneuses et troublées, lui-même étouffé par un état d'inconfort prononcé face à ce silence. Tu peux...

À contrecœur, oubliant sa rêverie d'un temps, le vert et argent n'eut d'autres choix que de s'y arracher brutalement. Ce fut une drôle de sensation. Il en était certain. Elle était semblable à celle que pouvait éprouver un homme sorti d'une eau chaude et agréable pour se plonger dans la neige. À l'image d'un automate programmé, Severus força un sourire sous l'air gêné de Potter. Son front, qui naguère paraissait si éclairé et qu'il trouvait désormais si ridé, était voilé d'un grossier nuage. Le serpent sentit un flux abondant d'une sueur dégoûtante naître au niveau de son cou. Une sueur froide coulait sur sa face, il était déstabilisé. Il déglutit bruyamment tout en tirant sur le col indéniablement trop serré de sa chemise. Il l'arrêta.

- Je sais. Reprit-il enfin, contraint, en dépit de toute conviction, d'y répondre pour ne plus en entendre davantage. Même heure ?

- Même heure, même endroit. Affirma Potter, d'une voix lourde et d'un timbre nouveau, en fourrant le bout de parchemin dans sa poche et en ressortant d'un même temps son vif d'or.

Un étroit sourire, un rictus gêné, se dessina sur ses épaisses lèvres rouges. Severus n'y répondit pas. Il resta figé, regardant Potter traversait le dortoir et disparaître à travers le trou béant qu'avait laissé la porte ouverte. Un haute et massive ombre s'envola vers l'escalier en colimaçon, et c'était fini. Il était parti.

A cet instant, le serpent fut délivré d'un fardeau accablant, et il s'accorda quelques secondes de repos pour respirer à nouveau quelques bouffées d'un air tiède et énergique. Les rideaux tirés, et enfin un pâle rayon du soleil d'automne pointait le bout de son nez et baignait d'une douce lumière dorée le dortoir. Un corps froid et raide, autrefois debout au coin d'une pièce et près d'un bureau, et voulant se délecter de ce spectacle chaleureux caché derrière le verre, se surprit à marcher d'un pas légers vers la fenêtre. Cependant, les trois dernières enjambés qui suivirent, pour arriver à destination, furent pénibles. Essoufflé, il écrasa la paume de ses mains sur le rebord de cette unique ouverture sur l'extérieur. La pupille, dans ses yeux vides, fixait infatigablement un point imaginaire crayonné sur l'encadrement de bois noir, dressé autour des quatre carreaux de la fenêtre. Elle était sensé donner une grande accessibilité sur le monde. Elle étouffait les bruits de la nouvelle saison qui sonnaient sourds, et filtrait l'éclat tendre d'une après-midi qui se lève. L'automne se collait aux quadruples panneaux translucides, rendant la vue difficile.

Severus, cependant, réussit à distinguer quelque chose devant lui. Des cheveux longs et noirs, des yeux petits et fatigués, une bouche pourpre plus fin qu'un trait de pinceau : son propre reflet, terni. Une main pâle et translucide se posa sur l'image de son front, avec le désir irrépressible de briser le verre, le séparant, lui et le reste de son corps, du monde véritable. On appelait son cœur. Son âme percevait un cri, et peut-être était-ce l'écho de son propre désespoir. Ses doigts délicats flirtèrent avec la matière fraîche et lisse, avant que la paume qui les accompagnaient ne l'écrasa. Elle appuya sur le carreau pour essayer de le soulever. Rien ne bougea. Pas un peu, même pas. Une pompe, siège des sentiments, s'accéléra, et ce fut la décadence. Severus ne voulait pas être enfermé. Il poussa fortement contre la paroi, voulant entendre un bruit de craquement, espérant toucher le verre qui se nervure, souhaitant voir la vitre se casser. Toujours rien. L'espace était désespérément clos. Prise d'une fureur véhémente, d'un geste rageur, sa poigne s'accrocha à la poignet de la fenêtre. Une seconde plus tard, elle était ouverte et un vent frais et cinglant mordillait les joues de Severus. Le garçon eut un soudain sursaut de poitrine, comme surpris par une inspiration longue et profonde. Ses paupières pallionnèrent, emportées par un mouvement effréné, et il sembla repousser une émotion naissante. Il expira lentement, et ce fut compliqué. Il était comme obligé de concentrer sa conscience pour respirer, de forcer son coeur à battre.

Soudain, près de son cortex pré-frontal, trône de la pensée, sa matière grise se mit à bouillonner et ses neurones se remuèrent. Des images lui vinrent, avant d'avoir l'idée. Sautant comme un chamois dans les montagnes, à peu près quelques pas en arrière, et Severus rejoignit son bureau. Ses mains s'activèrent jusqu'à rencontrer un long parchemin, où était élégamment dessiner à l'encre noir les symboles du zodiac qu'il avait à apprendre pour son cours d'Astronomie. Il déchira un morceau du parchemin noirci, le retourna et attrapa une plume. D'une écriture grossière et épaisse, qui ne lui ressemblait pas, il griffonna un message aussi lisiblement qu'il le put. La plume entre les dents, et la couleur s'étalant sur ses doigts là où l'encre commençait à durcir, il relisait. La courbe des mots lui apparaissait terrible. Une dextérité de maitre, et une minutie grande, commencèrent à plier la missive en rabattant sur elle-même la matière souple et obtenir plusieurs épaisseurs. Un bruissement confus, léger, comme celui d'une faible brise qui murmure et chante les couleurs de la saison, s'élève du confins des silences. Au bout de quelques secondes, une métamorphose eut lieu. Le papier, récemment plat et rugueux, à qui on avait retirer semblait-il toute figure concrète, prit la forme d'un petit avion. Severus le fit tourner entre ses doigts, satisfait de son modelage. Les ailes, il les examina plusieurs fois, étaient longues et uniformes, soigneusement équilibrées. Elles était parfaites. Le serpent jeta un regard autour de lui. Le dortoir était vide, ses colocataires en train de petit-déjeuner. Ensuite, il posa l'avion sur son bureau, puis, il prit sa baguette magique. Le sorcier tapa deux fois sur sa petite création, avant de chuchoter quelques formules magiques. Un nouvel esprit initiait la vie, à cette seconde. L'avion de papier s'anima, il remua et allongea ses petites ailes. Comme l'oiseau qui s'élance hors de son nid, il vola dans les airs et disparut dans le trou béant de la fenêtre. La peur l'envahit, mais d'une façon étrange, il ressentait une mystérieuse plénitude. Il lui semblait qu'il respirait mieux, comme si un fardeau écrasant s'était levé de sa poitrine.

Il se pencha à gauche, ouvrit un tiroir, et son bras entier y plongea dans ses profondeurs comme pour vider la bête de ses entrailles. Il en sortit une petite bouteille de verre. Un geste vif et rageur du pouce, et le bouchon sauta. Severus se mit à en boire le contenue d'une traite, en en répandant la moitié sur son menton dégoulinant. Ainsi, comme gagné par un instinct fulminant, qui ne lui sied pas, le serpent essuya le liquide d'un revers de main et se laissa emporter par sa chaleur.

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