8.
Département des assouvis
Je sais ce qu'a été la définition du mot féminisme bien avant aujourd'hui, bien avant l'oppression.
Le féminisme est un ensemble d'idées politiques, philosophiques et sociales cherchant à définir et établir les droits des femmes dans la société. Les objectifs étaient d'abolir les inégalités sociales dont les femmes étaient les principales victimes. Cibler le sexisme donc.
En ce temps-là, le féminisme n'était rien face au machisme.
Ce terme avait pour but de mettre en avant de manière exacerbée et exclusive la virilité des hommes et de croire que les femmes leur étaient inférieures dans tous les domaines, pensant ainsi qu'il soit logique qu'elles restent cantonnées aux tâches subalternes.
Mais ce terme a aujourd'hui énormément évolué.
Ce dimanche midi, je dois voir Chris à la cafétéria. Ce dernier m'a déposé un mot sur un petit post-it ce matin dans mon casier, alors il faut au plus vite que j'échange avec lui afin de savoir ce qu'il y a de si urgent. Apparemment, quelque chose d'important s'est passé et il n'a pas l'air au meilleur de sa forme.
Mais avant toute chose, notre enseignante de français a décidé de nous imposer une lecture pour le moins... déroutante.
Fahrenheit 451, de Ray Bradbury. Rare sont les fois où nous étudions un écrivain.
C'est étrange comme lecture, je pensais que ce serait le genre de romans à éviter au maximum, un peu comme Lois Lowri. Les enseignantes pensent que les adolescents ont besoin d'un programme qui ne comprend pas que des œuvres classiques qui sont susceptibles de rebuter de jeunes lecteurs comme nous. Cependant, certains enseignants avancent le point de vue opposé et font pression pour conserver des œuvres plus anciennes. Moi je m'en fiche. J'aime autant la littérature classique que moderne. Mais elles, elles se prennent le chignon juste pour des bouquins et des cours.
– Que peut-on dire de ce livre ? C'est une histoire utopique...
– Dystopique, coupe Cham, un élève de mon amphi qui, non sans le cacher, a une haine invétérée envers elles.
– ...utopique. Vous m'interrompez une fois de plus jeune homme et je vous envoi sitôt dans le bureau de la Grande Inspectrice.
Interdiction de contredire. Interdiction de donner son avis. Interdiction de penser librement. L'asservissement totale...
Le libre arbitre et la liberté d'expression sont, comme dans ce roman, prohibés, annihilés, inexistants car bannis par les fondatrices de Gloria dont est membre la Grande Inspectrice.
C'est pour cela que les lectures sont minutieusement choisies et ne sont pas à portée de main. Les bibliothèques n'existent plus pour nous et le Centre de documentation et d'information non plus. Mais elles, elles ont accès à tout. Elles ont le monde autour d'elles, alors que nous nous restons cantonnés, enfermés, privés d'information et du monde extérieur.
– Cham joue avec le feu, me murmure Tom à ma droite, à ce qu'il paraît son père est déjà dans le viseur de Gloria pour l'envoyer dès le moindre faux pas à Sherwood. Ils devraient se calmer les deux, reprend-il, au moins pour un temps. Être un peu plus discret serait bénéfique pour eux, tu ne crois pas ?
– Hmm, c'est sûr.
Sherwood, c'est notre mot de code pour parler d'Alibi sans être pris à parti.
– C'est sûr... répété-je, égaré dans mes pensées.
Les caméras, les gardiennes, les contrôles d'identités, les fouilles avant chaque cours. Voilà notre quotidien. C'est devenu pire qu'un pays en guerre. Pire que durant la pandémie qui a duré presque deux années entières, où l'on était confiné tout le temps. Un capharnaüm horripilant.
– Charlène ! m'écrié-je, quelques minutes après la fin du cours.
Ma sœur est gardienne dans mon établissement. Un fameux atout pour en savoir plus sur ce qu'il se passe dans la capitale Gloria. De temps à autre, nous arrivons à nous voir bien qu'elle craigne qu'on puisse nous surprendre. Parfois, je crois même rêver lorsque je lui parle tellement que j'ai une chance monumentale de l'avoir près de moi.
En réalité, nous n'avons pas le droit d'adresser la parole aux enseignantes ni même aux gardiennes. Elles seules ont ce droit ou nous l'autorisent.
– On ne t'a pas suivi ? s'affole-t-elle, en regardant autour d'elle.
– Rassure-toi. Je fais toujours attention derrière moi. Alors, quoi de neuf, ma chère sœur ?
– Gloria est en pleine préparation de la journée de la femme : cette année, elles veulent le grand jeu. Autant te dire que c'est un gros foutage de gueule. C'est tous les jours notre fête depuis dix ans ! s'écrie-t-elle, avant de jeter un œil dans les environs. À part ça, l'usurpatrice qui se fait passer pour notre mère prend du bon temps et a décidé que la sécurité devait être renforcée.
– Comment ça renforcée ? Explique-toi !
– Certains groupes d'étudiants ont été vus se réunissant après le couvre-feu et aujourd'hui pendant les fouilles on a retrouvé des couverts forgé et affûté. Les femmes pensent que c'est une menace pour Gloria. Et la reine suppose que des étudiants préparent quelque chose dans leur dos. Du coup, à Gloria, elles sont toutes sur le qui-vive, elles envoient plus de sentinelles et de gardiennes que prévu, mais les moyens leur manquent. Il y a beaucoup trop d'hommes à gérer pour le peu de femmes qu'elles sont au gouvernement et elles ne peuvent pas dépenser autant d'argent pour du « babysitting » Ce sont les propres paroles de Gloria la reine.
– Que comptent-elles faire dans ce cas ?
– Je n'en sais trop rien. Gloria m'évite et notre mère ne communique pas beaucoup avec moi. J'apprends les ordres que la reine donne en même temps que les autres gardiennes, je ne suis pas favorisée tu sais, au contraire. Elle sait que tu es là et elle prend grand soin de ne rien laisser fuiter pour ne pas que je t'en touche deux mots. Elle est minutieuse et ça me rend folle. Quelque fois, je me demande si c'est encore notre mère qui est à ses coté ou si elle a complètement vendue son âme au Diable.
– Ce n'est pas très rassurant...
– Ne t'en fais pas, au moins nous avons appris une chose : Gloria prépare un nouveau coup pour éviter les rassemblements. Deuxième chose très importante que tu dois garder pour toi : elle a ordonné de doubler par deux les effectifs de ses petits robots trompe-l'œil.
– Elle veut multiplier le nombre de gardienne ? C'est insensé !
– Pas pour elle, sa hantise première c'est leur défaillance, elles ne sont pas fiables à cent pour cent.
– Parce que ces robots sont fabriqués à la va-vite, réfléchis-je à vois haute. Je vois le problème.
– Tes amis pensent toujours que ce sont des vraies femmes ?
– Oui, personne ne se doute de rien. Et je pense que pour le moment, ce n'est pas plus mal comme ça.
– Promets-moi juste de faire attention à ce que tu fais, ou à ce que tu comptes faire.
– Ne t'inquiète pas pour moi, petite soeur.
– Bien sûr que je me fais du souci ! Je sens que tu vas tenter quelque chose et ça ne me plaît pas du tout. Cette femme t'a dans son viseur, je te rappelle. N'aggrave pas ton cas, Dane.
– Je sais, Charlène, mais tu me connais, je ne peux pas rester ici et attendre sans rien faire.
– Ne prends pas de risque inutile. C'est tout ce que je te demande.
Sur ces paroles, elle file son chemin comme si nous ne nous étions jamais entretenu en tête à tête.
Soucieux, je vais tenter de ne rien laisser transparaître au yeux des mes amis.
La machine est lancée, je ne peux pas, et ne veux pas, tout abandonner.
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