Chapitre 5 - Les d'Enneval

M. d'Enneval et son fils sont arrivés à Clermont-Ferrand depuis le 17 février 1765.

Le 19, ils se rendent à Saint-Flour où ils vont rester quelques jours afin de s'informer sur les évènements.

Le 2 mars, ils s'installent à Saint-Chély d'Apcher. Ils ont amené leurs piqueurs et leurs chiens, spécialisés dans la traque aux loups.

Il ne faudra que quelques jours pour que d'Enneval se plaigne en haut lieu, où il a de puissants appuis, de la présence de Duhamel : il pense que les battues organisées par celui-ci ne font qu'effaroucher la Bête sans grande chance de succès, et exige le départ de la troupe afin de lui laisser le champ libre.

En réalité, il veut le monopole des chasses, même par rapport aux divers chasseurs qui sont arrivés sur les lieux, attirés par la véritable fortune que constitue la prime promise...

Et puis, le courant ne passe pas entre Duhamel et le père d'Enneval, gentilhomme argenté qui ne se prend pas pour n'importe qui.

Ce dernier ne va pas mettre longtemps à déchanter cependant : le pays n'est pas du tout ce qu'avait imaginé ce normand habitué à de tout autres paysages, sans compter les conditions climatiques qu'il n'avait sans doute pas imaginées aussi épouvantables, notamment la neige.

La Bête se moque bien de ces pinailleries : le 14 mars, elle attaque juste devant sa maison une femme de 35 ans, Jeanne Jouve, et trois de ses six enfants.

Celle-ci va résister d'une façon héroïque, allant jusqu'à chevaucher la Bête, la saisir aux testicules (c'est donc un mâle), et lui frapper la tête avec une pierre.

La Bête s'enfuira après un combat de plusieurs minutes, mais l'un des enfants, affreusement mutilé dans l'épisode, mourra de ses blessures trois jours après.

Elle va alors aller tuer et dévorer un autre enfant de 14 ans le même jour à Chanaleilles.

La fin du mois verra encore 8 attaques dont 2 mortelles.

Celle du 29 est horrible : la Bête attaque un garçonnet de 9 ans et sa sœur un peu plus âgée. Elle enlève l'enfant et file dans les bois. On le retrouve baignant dans son sang, éventré, le cœur et les poumons dévorés, les viscères pendantes, la tête toute rongée...

Duhamel et ses hommes ont cessé de chasser depuis le 20 mars sur ordre du roi et vont quitter les lieux le 7 avril, exténués mais la mort dans l'âme de se voir écartés après tant d'efforts.

D'Enneval est là depuis déjà un mois et n'a pas fait grand-chose d'efficace. Il court partout, lors de chasses ponctuelles car il ne croit pas à l'efficacité des battues, après la Bête infernale qu'il n'a pas encore seulement vue.

Le subdélégué Lafont, qui appréciait fort Duhamel, ne croit pas aux chances des d'Enneval et se plaint déjà de leur arrogance. En vérité, la suffisance du père n'aura pas mis longtemps à indisposer les notables locaux.

La Bête multiplie les attaques au nez et à la barbe des chasseurs pendant toute la première quinzaine d'avril, avec une nette prédilection pour les enfants et les jeunes filles.

Le 16, cependant, elle n'hésite pas à attaquer un homme adulte qui est à cheval ! Désarçonné, le cavalier doit se battre longuement avec sa pique pour défendre sa vie face à l'acharnement incroyable du monstre.

Les 18 et 19, encore deux attaques contre des garçonnets, dont l'un est égorgé et dévoré.

D'Enneval, qui a pourtant critiqué la méthode des battues, est bien obligé d'y revenir, comprenant qu'il n'aura pas la Bête en la poursuivant au fur et à mesure de ses attaques.

Le 21 avril, il organise donc une battue gigantesque rassemblant 10000 hommes... et ne voit pas la Bête.

Ce sera pareil le 23.

Cependant ce jour là, loin du lieu de la battue, à La Panouse, des chasseurs tuent une petite louve dont l'estomac contient des restes de vêtements et peut-être des restes d'osselets humains.

On voudrait trop croire que c'est la Bête, même si elle est bien petite, mais le doute ne subsiste pas longtemps puisque le surlendemain, la Bête attaque un robuste garçon près de Langogne, lequel se défend avec un bâton et la met en fuite.

Une nouvelle battue a lieu le 30, à laquelle participent plus de 10000 hommes une fois encore. Infructueuse...

Mais le 1er mai, les trois frères Marlet, de La Chaumette, repèrent depuis leur maison la Bête qui guette un vacher. Ils s'arment aussitôt. Ce sont des chasseurs émérites, tireurs réputés dans toute la région.

Ils la tirent deux fois, de pas très loin. Elle tombe à chaque coup, roule à terre, se relève et s'enfuit.

Ils voient distinctement qu'elle est gravement blessée au cou et la suivent à la trace car elle saigne abondamment.

On la poursuit jusqu'à la nuit et le lendemain 2 mai, d'Enneval étant arrivé sur les lieux, on la cherche encore. Il y a du sang partout, mais point de Bête.

Les Marlet, qui en donnent la désormais habituelle description et affirment qu'elle n'a « qu'un faible rapport avec les loups », sont sûrs de leurs coups de fusils : pour eux, on va la retrouver morte quelque part, à moins qu'elle n'ait réussi à aller crever dans une tanière cachée.

Mais, horreur, on vient avertir d'Enneval ce même 2 mai que la MaleBête vient de tuer une femme de 50 ans au Pépinet...

Malgré d'immenses nouvelles chasses générales organisées tout au long du mois de mai, la Bête va redoubler encore de férocité : tous les jours ou presque, quelqu'un est attaqué.

Le 24, elle attaque successivement 6 personnes dont deux seront tuées et une blessée !

Elle reçoit toutefois un bon coup de lame d'un garçon de 15 ans, Pierre Tanavelle.

Mais il n'empêche, c'est la consternation.

L'étoile des d'Enneval se met à pâlir. Il faut dire que nous en sommes à plus de 60 morts, une quarantaine de blessés, des attaques innombrables...

Et encore, il y a fort à parier que nombre de familles n'ont pas déclaré telle ou telle attaque, et ceci pour au moins deux raisons :

- d'une part, l'évêque de Mende a clairement expliqué que la Bête était un fléau envoyé par Dieu pour punir les hommes de leurs fautes : dans l'esprit des paysans, tous très croyants, une attaque contre un membre de la famille signifie donc que celle-ci a commis des fautes que le Seigneur punit,

- d'autre part il faut se mettre à la place des parents dont un enfant a été tué par la Bête : en plus de la douleur de perdre leur gosse et de le retrouver à moitié dévoré, si d'Enneval l'apprend, ils devront endurer que les restes ne leur soient pas rendus mais laissés sur place et empoisonnés pour servir d'appât au monstre !

Il est donc assez tentant de ne rien dire si l'attaque n'a pas trop de témoins...

La situation dramatique, mais surtout les plaintes renouvelées du comte de Morangiès contre les d'Enneval, adressées au subdélégué Lafont qui ne les aime pas beaucoup comme on l'a vu, vont jeter le discrédit sur ces louvetiers normands.

Le roi décide le 30 mai d'envoyer en Gévaudan dès le 8 juin son lieutenant des chasses, porte-arquebuse personnel, Monsieur François Antoine (et non Antoine de Beauterne comme on le lit souvent à tort).

En clair, le roi qui, en plus de la chasse aux jupons est un vrai passionné de « vraie » chasse au point de la pratiquer chaque jour, se prive de son meilleur chasseur pour l'envoyer mettre un point final à cette très contrariante histoire.

Antoine se met en route et arrive à Saint-Flour le 20 juin.

Il rencontre les d'Enneval le 22. Il n'est pas question, selon lui, de les remplacer mais de travailler de concert.

Mais les d'Enneval sont désormais relégués : c'est bien évidemment M. Antoine qui va diriger la chasse.

En attendant, la Bête tue, tue, et tue encore : 12 attaques en juin, dont 4 mortelles et 4 blessés.

Elle n'hésite même plus à attaquer, de plus en plus souvent, des hommes adultes.

Monsieur Antoine est accueilli en libérateur.

Il va en effet être à la hauteur de la confiance qu'a placée en lui Louis XV : il va tuer une bête, mais est-ce la Bête du Gévaudan ?

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