37. Gwen : L'heure des adieux.
Deux semaines plus tard, colonie des Sangs mêlés.
Le ciel nocturne était particulièrement beau ce soir. Les étoiles brillaient d’un éclat particulier, cet éclat qui semblait promettre mille merveilles. Comme si le monde était un bel endroit, ou il faisait bon de vivre. Le nez levé vers les étoiles, Gwen contemplait l’astre lunaire, appréciant en silence les étincelles qui s’élevaient au-dessus de leur tête, plus vives et plus proches que n’importe quelle étoile. Au moins, elles brulaient. Au moins, leur lumière blessait les yeux. Au moins, elles ne mentaient pas. Et au moins, elles ne semblaient pas totalement insensibles aux buchers desquels elles s’élevaient. Ces buchers qui, précisément, rappelaient que le monde n’était pas un bel endroit. Les buchers sur lesquels brulaient les linceuls d’Harry, d’Hazel et de Noémie. Pour leur dire en revoir. Pour que leur âme puisse monter dans les étoiles. Comme si ce n’était pas là-bas, sous terre, qu’ils allaient finir tous les trois. Comme si les bout de tissus qui devaient contenir les corps n’étaient pas vides. Comme si le corps de sa sœur n’avait pas déjà brulé, là-bas, sur cette île maudite qui leur avait déjà tant pris.
Ça avait été une belle cérémonie, s’il en était. Gwen ne connaissait pas Harry et, finalement, trop peu Hazel, mais elle connaissait Noémie part cœur, et elle était sûre qu’elle aurait aimé cet hommage. Ils avaient tous participé. Les romains avaient apporté leurs étendards et s’était tenue au garde à vous, statue silencieuse au visage en pleurs, tout autour des trois buchers. Ces derniers avaient été disposés en cercle, sur la plage de la colonie, pour que chacun des défunts soit au même niveau, tel une table ronde mortuaire. Sur les amoncellements de bois avaient été disposés les étendards. Depuis une semaine, beaucoup s’affairaient à leur confection. Le bungalow d’Hécate avait aidé Nico à faire celui d’Hazel, et les Apollon et Athéna avaient montré à Jay comment confectionner celui de son petit frère. Les Athéna avaient aussi aidé les quatre bénis et Percy à confectionner celui de Noémie, soutenant qu’elle était autant, voir plus qu’eux une fille de la sagesse et qu’elle méritait par conséquent autant que tout autre leur labeur. Résultat, le linceul avait pris du temps, chacun voulant mettre une part de lui dedans. Puis, lorsqu’enfin les trois draperies furent finies, les buchers avaient été mis en place par les Héphaïstos et quelques autres qui voulaient participer. Aussi blanc que la glace, luisant comme du givre, le linceul d’Harry avait été disposé par Jay, Reyna, Clara et Piper, et, une fois laissé sur le bois, il semblait aux pensionnaires que des ruisseaux d’argents coulaient sur le tissu. Il n’y avait aucun symbole dessus, et personne ne s’en plaint. Celui d’Hazel était plus sombre que l’obscurité même, parcourut de fils d’or et d’argent figurant les richesses et la brume. Le symbole de son père, Pluton, était dessiné en fils de couleurs vives, rouges, vert et bleu, tel autant de rubis, émeraudes et saphirs. C’était Frank, Nico, Léo et Reyna qui l’avait déposé sur le bois, face tourné vers les étoiles. Celui de Noémie, fruit de la collaboration des mortelles, des Athéna et de Percy, était surement le plus insolite qui n’ait jamais été vu à la colonie. Il était à la fois d’un blanc crémeux et d’un bleu méditerranéen. Les deux couleurs s’entremêlaient en continu, et le talent de tisseurs de certains d’entre eux figurait que la matière se mouvait, tel des vagues sans cesse repoussées vers le rivage. Pour équilibrer, de minuscules chouettes étaient tissées à chacun des coins du tissu. Au centre, le symbole de la bénie trônait, le trident et la branche d’olivier entremêlé d’une couleur dorée. C’était un mélange parfait entre deux divinités majeures. Mais ça ne suffisait pas, pas pour Noémie, alors, dans un coin, l’une des chouettes était entourée de flammes. Une seconde était parcourue d’éclairs, une troisième dégageait des lambeaux d’obscurité. Quant à la quatrième, elle trônait sur un mini soleil, fait d’or et d’argent. Parce que Noémie était avant tout une sœur, et c’était avant tout à sa famille qu’elle allait manquer. C’était aussi ces dernier qui avait déposé le linceul à sa place, le bucher le plus prêt de la mer, tenant chacun le coin censé les représenter. C’était aussi eux qui, les premiers, avait posé la torche allumée par Eve sur le bois, avant que Percy, Léo, Annabeth et les autres virent prendre le relais. La coutume voulait que quelqu’un prononce un discourt pour la personne décédée. Cette fois-là, personne ne le fit. Les paroles ne serviraient à rien, ils s’en étaient tous rendu compte, et quand Chiron avait demandé quelques mots, seul le silence de ceux qui savait que c’était fini lui avait répondu. Un silence horriblement définitif, mais le seul qui avait sa place en cet instant. Pas une seule personne n’échappa à la tristesse cette nuit-là dans le détroit de Long Island. Et, au font d’elle, Gwen se demandait si elle connaitrait à nouveau un jour sans douleur.
***
Gwen n’avait pas voulu renter à la grande maison, cette nuit-là. Pas tout de suite. Alors, comme Noémie avait eu coutume de le faire de son vivant, la jeune femme se promenait sur la plage, ses pieds déchaussés accueillant la froideur de l’eau sans sourcilier. L’air était doux, les vagues caressaient ses chevilles comme pour lui apporter un peu de réconfort, et le silence était aussi apaisant qu’il pouvait l’être en ces instants. C’est à ce moment, alors que la bénie d’Apollon et d’Hécate ramassait un coquillage, que le dieu apparut face à elle. C’était un homme d’âge moyen, aux yeux tristes d’un beau vert profond. Le même vert que ceux de Percy.
- Seigneur Poséidon, le salua mélancoliquement la jeune guérisseuse. Vous êtes venu assister au spectacle ?
- Je doute que ce soit le mot idéal pour qualifier les funérailles de ta sœur, remarqua le dieu d’une voix douce et un peu rauque.
- Ses cendres sont perdues dans cette maudite île, rétorqua Gwen. Cette cérémonie n’était que poudre aux yeux.
Elle lança d’un geste rageur le coquillage dans l’eau, éclaboussant la stupide chemise hawaïenne de son interlocuteur et sortit de l’eau, les mains tremblantes.
- Tu veux pleurer ? demanda ce dernier très posément.
- Je n’y arrive pas, répliqua aussitôt la mortelle. Et puis, vous n’êtes pas ici pour me consoler.
- Je peux quand même essayer, soupira Poséidon.
Il s’avança vers la jeune bénie, mais un regard noir l’arrêta avant qu’il n’ait pu lui tapoter l’épaule comme il en avait l’intention. Capitulant, il baissa la main :
- C’était un beau linceul, que vous avez brulé. Vraiment unique.
- Pourquoi êtes-vous là ? demanda Gwen, trop lasse pour embellir ses paroles de quelques titres qu’elle ne croyait pas mérités.
Au moins, le dieu eu la délicatesse de faire preuve de gêne, ce que la jeune femme apprécia :
- Je suis allé voir Percy, avoua Poséidon. Il a perdu une amie, qui était presque comme une sœur et…
- Ce n’était pas sa sœur, coupa brusquement Gwen. Elle n’avait aucun lien avec vous, juste cette stupide malédiction.
- Je l’admets, soupira le brun sans s’énerver. Mais, au regard des demi-dieux, ce qui les unissait était presque un lien fraternel, et l’affection qui lui portait était très forte. Depuis qu’Estelle est née, il est très sensible à ce genre de choses, alors je voulais voir comment il se sentait.
- Ça ne m’explique pas pourquoi vous êtes là, souffla la jeune femme.
Sans un mot Poséidon se tourna vers le lac d’où il était venu, admirant la lumière de la lune qui dansait sur les flots. Gwen eut envie de le secouer à le voir aussi calme mais, bizarrement, plus le temps passait et plus elle se sentait calme, elle aussi. Peut-être était-ce simplement rassurant de ne pas être seule, surtout que le dieu semblait transporter en lui une sorte de mélancolie retenue. Finalement, quelques minutes après, il prit la parole :
- Noémie n’a jamais réussi à contrôler l’eau comme Percy ou moi, tu sais. Elle pouvait respirer sans problème sous sa surface, mais pour le reste, c’était une novice. Elle venait très souvent ici pour s’entrainer, quand elle pensait que personne ne la voyait. Parfois aussi, elle pleurait. Elle avait peur que ses échecs puissent vous mettre en danger, toi et ta famille. C’était une personne très protectrice, et intransigeante avec elle-même.
Pour la première fois depuis longtemps, Gwen sentit une larme couler sur sa joue, une larme unique, mais porteuse de tant de choses.
- Elle m’avait posée une question, un jour, confessa Poséidon. Une question à laquelle je n’ai pas répondu. Elle m’a demandé pourquoi je l’ai choisi. Et elle a ajouté que je regrettais surement déjà. C’était une raison un peu étrange, pour être honnête.
Il eut un sourire mélancolique, puis déclara :
- Il y avait autrefois un couple béni par les dieux. Leur première enfant avait reçu des pouvoirs divins, mais la seconde rien. Athéna n’a pas mis longtemps à y remédier, mais pour ma part je ne voulais pas me précipiter. Surtout que je ne voulais pas partager quoi que ce soit avec elle, même une mortelle. Un jour, ce jeune couple et leurs deux enfants son venu à la mer. Et, pendant qu’ils se baignaient, un bébé tortu tournait autour de la deuxième petite fille. Noémie riait, à chaque fois que la petite tortue approchait et s’éloignait elle applaudissait. Ensuite, ils sont allés sur la plage, hors de l’eau, et la petite tortue, qui ne voulait pas quitter la petite fille, les a suivis. Une vague l’a poussée hors de l’eau, ou elle serait surement morte asséchée sans Noémie. Parce que quand cette petite fille d’à peine un an à vue la petite tortue hors de l’eau, elle a profité d’un moment d’inattention de ses parents pour la prendre dans ses paumes et la déposer dans la mer. C’est à ce moment que je l’ai bénie.
- Parce qu’elle voulait jouer avec une tortue ? ricana Gwen avec peine.
- Parce qu’elle avait bon cœur, et qu’elle respectait déjà l’océan. J’ai agis plus impulsivement que je ne le souhaitais, mais je ne l’ai pas regretté. Pas une seule fois en vingt ans.
Il tourna un regard triste vers Gwen, posant sa main sur son épaule :
- Je voulais juste que toi et ta famille le sachiez.
Et, sans un mot de plus, il s’avança dans l’eau, disparaissant progressivement dans les vaguelettes, laissant la bénie à sa peine.
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