31. Jay : Un chemin sans lumière

Une semaine plus tard.
 

Cela faisait une semaine qu’ils avaient enfin quitté le labyrinthe. Une semaine que Clara avait retrouvé les siens, une semaine que Reyna avait perdu son bras et une semaine que Jay tentait quotidiennement de soutenir tout le monde à bord du navire. Ce qui était très difficile puisqu’il ne les connaissait pas, pas plus qu’il ne connaissait leur amie. Hazel. C’était étrange de ce dire que cette jeune femme qu’il avait entre-aperçu quelques seconde, cette jeune femme qui avait empêché son frère de commettre un meurtre, était désormais morte.

Au début, personne n’y avait vraiment cru. Milo et Frank étaient apparu sur le pont, émergeant des ombres, l’un choqué et l’autre inconscient, et tous c’était demandé « où est Hazel ? ». Percy avait hurlé cette phrase en remarquant qu’il ne recevait pas de réponse, mais Milo n’avait rien eu à dire. Nico avait débarqué sur le pont. Puis, sans un mot, il avait pris son apprenti dans ses bras, et ses sanglots avaient rapidement franchit la barrière de ses lèvres, et tous avaient compris. Léo avait secoué la tête, répétant que ce n’était pas possible, et Annabeth et Piper – pour fuir la douleur ou par réel soucis d’efficacité, nul ne saurais le dire – avaient porté secours à Frank, l’amenant rapidement à l’infirmerie dans laquelle Reyna et Harry recevaient déjà les premiers soins. Cette soirée-là, tous avaient été plus ou moins silencieux, explosant parfois de douleur ou de colère, avant de se taire de nouveau, quelques larmes silencieuses coulant doucement jusqu’au sol. Même n’étant pas vraiment concerné par leur quête, Jay ressentait jusque dans son âme leur échec, qui leur avait couté une amie et avait éloigné d’avantage les livres sibyllins. Pour lui, cependant, l’échec qu’il ressentait avec le plus de douleur était celui auprès de son frère.

Dès qu’il s’était réveillé, Harry avait de nouveau tenté de tuer Léo et Piper, et sans l’enjôlement de cette dernière, ils auraient eu du mal à le contrôler. Maintenant, la fille d’Aphrodite passait des heures entière à ses côtés, l’enjôlant dès qu’il commençait à vouloir faire preuve de violence et lui parlant simplement le reste du temps, cherchant à lui ouvrir les yeux sur la déesse de la neige, et, malgré ses réticences premières, il avait fini par écouter, pleurant parfois de longues minutes après de la jeune femme. Entre ces deux-là c’était donc créé un lien improbable, Harry se confiant à Piper et la jeune femme appréciant sa compagnie, qui la coupait un peu du chagrin omniprésent dans l’Argo III. Jay retrouvait ainsi un peu son petit frère, mais quelque chose n’était plus comme avant. La trahison de Chionée semblait être celle de trop, lui qui n’avait jamais compté que sur son grand frère et elle. Quelque chose dans son regard s’était brisé, cette même étincelle qui faisait de lui quelqu’un de vivant et curieux s’était éteinte, remplacée par un souffle froid de détresse et de doute.

Concernant Reyna, Jay n’avait pas été la voir depuis qu’ils avaient quitté le labyrinthe, à l’inverse de Clara, qui passait presque plus de temps avec la préteur qu’avec sa famille. De ça, le jeune mortel n’en était pas fier, mais il se sentait trop honteux pour aller rencontrer son regard déterminé. C’était à cause de lui qu’elle avait perdu sa main, et, aussi ridicule et vain que cela puisse paraître, il ne cessait, au fond de lui, de se demander si Hazel serait morte si Reyna avait été en état de se battre. Autrement dit, il ne cessait de se demander si oui ou non il l’avait indirectement tuée, et bien que Milo ait affirmé à chacun d’entre eux que leur décision avait été prise depuis longtemps, chacun doutait dans son coin d’avoir fait les bonnes actions. En plus de ça, Jay avait peur de la voir de nouveau. Il s’était confié à elle comme à personne d’autre, lui avait fait confiance comme en personne d’autre, et avait, malgré lui, fini par compter sur elle comme il n’avait jamais accepté de se reposer sur quelqu’un. Mais pour elle, il le savait, il n’était qu’une personne de plus à protéger, à peine plus utile que d’autre pour trouver son chemin. Alors, maintenant qu’elle n’avait plus besoin de lui pour se repérer dans le labyrinthe, il ne voulait pas, égoïstement, lui imposer sa présence. Et pourtant, elle lui manquait. Mais serait-elle encore la même, maintenant qu’elle avait perdu son amie et une main en prime ? Rien n’était moins sûr.

Allongé sur le sol de verre, dans ce qui était autrefois une ménagerie et maintenant plus qu’une extension des machines pour ramer que Léo avait conçu, le jeune homme contemplait les profondeurs sombres de la mer qui s’étalait sous le vaisseau, se demandant ce qu’il s’y cachait, songeant ironiquement que les fonds marins étaient à ses yeux aussi clairs que ses propres pensées. C’était là qu’il venait quand il avait besoin d’être seul, quand il n’en pouvait plus d’être l’épaule réconfortante du groupe ou simplement quand il ne pouvait plus supporter sa propre inutilité. C’est ici que Percy le trouva, le soir du huitième jour, alors qu’il devenait évident pour tout le monde qu’ils ne pouvaient plus attendre :

- Jay ? appela le fils de Poséidon d’une voix rauque.

Le mortel se retourna, regardant son camarade d’un regard un peu vide. Percy et lui était tout le contraire l’un de l’autre. Percy était brun, ses yeux bleu vert rappelaient l’eau, il était puissant et doué avec une épée. Lui, ses cheveux étaient d’un blond sombre, ses yeux plus ciel que mer et son inutilité lui semblait infinie. Pourtant, ils se comprenaient étrangement bien, vibrant un peu de la même peine, et Jay se demandait souvent si, dans d’autres circonstances, ils seraient devenus de proches amis. La réponse lui semblait à la fois évidente et pleine d’incertitude.

- Réunion au mess, l’informa le demi-dieu. On doit décider quoi faire, maintenant.

- J’arrive, répondit le mortel avec un sourire qu’il voulait rien qu’un peu réconfortant.

Le haussement d’épaule de Percy le renseigna sur son efficacité. Tant pis… songea Jay avec un léger pincement au cœur. Ce n’est pas comme s’il s’était attendu à une franche réussite. Il suivit le jeune homme dans les entrailles du navire.

***

Clara, Noémie, Gwen, Milo, Eve, Percy, Jason, Annabeth, Piper, Frank, Léo, Calypso, Nico, Harry. Et lui. Il ne manquait que Reyna, encore alité, et Will, à son chevet. Et Hazel. Seulement trois personnes, mais leur absence se faisait ressentir avec tellement d’ardeur que s’en était douloureux. Clara, malgré la prophétie et son âge plus élevé, n’avait pas souhaité reprendre les rênes, et c’était donc toujours Noémie qui dirigeait la quête et la réunion, une expression qu’elle voulait neutre sur le visage. Jay ne la connaissait pas beaucoup, mais sa manière de se démener auprès de tous en faisait fit de son propre chagrin depuis qu’il l’avait rencontré le marquait plus qu’il ne voulait l’admettre. Cette impression ressurgissait d’ailleurs dès qu’elle prenait des décisions, comme maintenant :

- Il faut qu’on retrouve les livres. Je pense qu’on a suffisamment… attendu. Il faut qu’on les détruise au plus vite. Vous êtes d’accord ?

Tous acquiescèrent, plus ou moins résolu.

- Comment on va les retrouver ? demanda néanmoins Calypso, soucieuse.

Loin de se laisser démonter, la bénie d’Athéna tourna le regard vers sa dernière petite sœur :

- Je travaille dessus depuis qu’on est revenu sur l’Argo, révéla alors Eve. Avec les Flammes de la connaissance. Janus avait raison, j’ai réussi à voir quelque chose grâce à elles, sans que leur pouvoir me consume. Je peux vous guider jusqu’aux Livres.

- Depuis quand ? adjura Frank.

- J’ai réussi à établir une connexion le troisième jour, avoua la jeune bénie sans se laisser démonter.

- Etes-vous tous d’accord pour qu’on passe à l’action ? redemanda de nouveau Noémie. Nous pouvons aussi attendre encore, histoire d’être sûrs de nous, si vous voulez.

- A quoi ça servira ? rétorqua Léo, sombre. On ne sait pas quand Chaos reviendra. Il nous faut agir au plus vite.

- On ne pourra pas se préparer d’avantage, approuva Nico avec peine.

- Et chaque jour est un jour de perdu, appuya Piper. Je vote pour qu’on parte tout de suite.

Annabeth se redressa alors, déclarant posément :

- Dans ce cas, nous serons sur place dès demain matin. Nous avons suivis les déplacements des livres avec quelques heures d’écarts depuis qu’on les a repérés.

- Parfait, souffla Jason.

- Parfait, répéta Gwen.

- Parfait, marmonna Jay pour lui-même.

Aussi effrayé qu’il pouvait l’être, il avait hâte d’en finir.

***

Inspirant profondément, le jeune homme frappa résolument à la porte. Un faible « entrez » lui parvint, et il poussa la porte de l’infirmerie.
Reyna était là, pâle, dans un lit blanc. Elle était assise, ses cheveux dénoués et brossés tombant dans son dos en une cascade reflétant la lumière matinale. Ses yeux accrochèrent aussitôt le regard du mortel lorsqu’il s’avança timidement vers le lit, et ne le lâcha plus alors qu’il s’asseyait maladroitement sur l’unique chaise de l’endroit.

- Salut, souffla Jay.

- Salut, répéta Reyna.

La détresse qu’il entendit dans sa voix lui serra le cœur, mais il s’efforça de ne pas le montrer, ne souhaitant pas dévoiler à la jeune femme la peine que lui inspirait son état. Elle n’avait pas l’air d’être le genre de personne à aimer que les autres pleurent sur son sort.

- Comment tu te sens ?

- Ils ne veulent pas que je viennes avec vous, répondit la préteur. Je vais rester ici, dans ce lit à l’oreiller plus que confortable, pendant que vous allez risquer vos vies dehors. Comment je vais ? Tu veux vraiment que je réponde ?

Jay contemplas la fille de Bellone. Elle semblait prête à se lever pour botter les fesses de tous les monstres qui les retiendraient, avec autant de détermination que d’ordinaire. Mais le bandage blanc qui entourait ce qu’il restait de son bras droit suffisait à détruire l’image de force qu’elle voulait donner, et il savait qu’à la moindre fissure, elle exploserait. Alors il murmura :

- Je veux que tu me dises tout ce que tu as sur le cœur.

Ricanant ironiquement, la jeune femme commença :

- J’ai perdu une amie il y a quelques jours. Plus, une sœur. J’ai l’habitude de devoir faire mon deuil, mais c’est toujours aussi dur, et Hazel… j’aurais préféré perdre mes deux bras et mes deux jambes qu’elle. Mais elle est morte. Et j’ai perdu un bras. Je suis restée coincée ici, je ne peux rien faire pour vous aider, et tu n’es pas venu. Pas une seule fois. Est-ce que je suis si peu importante pour toi ?

- Je ne voulais pas t’infliger ma présence, avoua le jeune homme. C’est ma faute si tu as perdu ton bras, et je ne voulais pas que ma présence te rappel ce que nous avons vécu là-bas. Je suis lié à cet endroit, on le sait tous les deux. Je ne voulais pas… que tu endure encore une fois ça.

- Tu es un crétin.

- Je sais.

Ils se turent tous les deux, trop anxieux pour parler. Finalement, après quelques minutes, Reyna brisa le silence :

- Que vas-tu faire là-bas ?

- Je me suis entrainé au tir à l’arc, révéla le mortel. J’espère être un peu utile. Je pense qu’on a besoin de tout le monde disponible, vu que… enfin…

- Je ne peux pas aider et Hazel est morte ?

- Un truc du genre.

Un nouveau silence pris place, encore plus gêné que le précédent. Encore une fois, ce fut Reyna qui le rompit :

- Pourquoi es-tu venu, finalement ?

Jay n’avait pas envie de répondre. Répondre, ça reviendrait à dire tout haut ce qu’il gardait pour lui depuis longtemps, et il n’en avait pas envie. Mais si quelqu’un méritait des explications, c’était bien Reyna. Il lui devait bien ça.

- Je pense que je vais mourir, là-bas en bas, révéla-t-il.

Une lueur étrange traversa le regard de la préteur, quelque chose qui ressemblait à de la peine, et elle souffla :

- Tu devrais rester ici.

- Je ne peux pas, rétorqua Jay. Il y a Harry, et les autres. Et il faut qu’on détruise les livres, ou sinon…

- Jay… reste avec moi, demanda encore Reyna.

Son ton, presque implorant, serra le cœur du mortel, qui ferma brièvement les yeux, rassemblant son courage :

- Je dois y aller, répondit-il.

Il se leva et, avant de perdre le peu de témérité qu’il avait réussi à trouver, il se pencha vers la jeune femme et embrassa ses lèvres. C’était un baisé désespéré, surement son dernier. Une erreur, un souvenir qui allait hanter Reyna surement longtemps après qu’il ait disparu, mais il ne voulait pas quitter ce monde sans qu’elle sache qu’elle comptait pour lui, et, plus égoïstement, sans qu’il ne connaisse la sensation de leur lèvres jointes.

Sans ajouter un mot de plus, il s’éloigna et franchit la porte, s’interdisant un dernier regard vers elle, elle qui l’avait guidé bien plus que son don dans les méandres qu’était devenu sa vie. Elle qu’il était désormais prêt à laisser seule, et peut-être brisée, mais en vie. C’était tout ce qu’il pouvait faire, essayer de la garder en vie, et il ferait tout pour.

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