27. Calypso : Explications.
Lorsque leurs six amis revirent, Eve en tête, la Flamme de la connaissance à la main, ils auraient dû se réjouir. Ils étaient tous là, sans la moindre blessure physique, à peine décoiffés. Pourtant, quelque chose dans leur expression laissait comprendre que cette partie de la quête avait été la pire, peut-être même pire encore que tout ce qu’ils avaient déjà vécu. Milo était si pâle qu’il ressemblait à un cadavre, Jason tremblait, les yeux de Piper étaient injectés de sang. Eve semblait indemne, mais elle ne parlait pas, ne souriait pas, et ses yeux évitaient les regards des autres. Alors qu’Annabeth s’approcha, elle lui donna la Flamme, vivement, comme pressée de s’en débarrasser. Noémie était plus vaillante que la plus part, moins qu’Eve, mais plus que les autres, pâle, le visage rougit par les larmes mais le regard déterminé. Quant à Léo… Quand Calypso avait vu son petit ami, elle avait aussitôt sut que ce qu’il venait de traverser avait apposé une nouvelle blessure sur son âme. Lorsqu’il s’éclipsa discrètement vers le pont inférieur, fuyant regard et demande d’explication, la nymphe ressentit de nouveau la peine et la compassion qui l’avait étreint avant même qu’elle ne tombe amoureuse de lui, quand elle avait appris son histoire sur Ogigi. Cette même certitude l’envahit, celle que le jeune homme était brisé et qu’elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour l’aider à se réparer, malgré les désaccords qu’ils avaient traversé jusque-là. Alors, quand Noémie tourna son regard vers l’écoutille, la jeune nymphe lui adressa un signe de tête, et toute deux s’enfoncèrent dans les entrailles du navire.
- Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda la jeune femme à son amie alors qu’elles étaient suffisamment loin du pont pour ne pas être entendue.
- Les cauchemars, répondit Noémie. Ils nous attendaient. On a revu toutes nos peurs, toutes nos craintes. J’ose à peine imaginer tout ce qu’il a dût vivre.
Soucieuse, Calypso posa une main réconfortante sur l’épaule de son amie :
- Tu vas bien ?
Cette dernière hausa les épaules, désabusée :
- Ça va, répondit-elle d’un ton qui voulait dire le contraire.
Calypso soupira doucement, mais n’insista pas. Une chance que Percy, Annabeth et Nico n’aient pas étés du voyage : avec leur traversé du Tartare accumulé à toutes leurs peurs, ils seraient surement devenu fou…
A mesure qu’elles s’approchaient des entrailles du navire, Calypso sentait la tension monter en elle. Elles entendaient depuis quelques mètres déjà le bruit du marteau de Léo s’abattant sur du métal, un bruit fort, régulier, et dont chacun des échos envoyaient une bouffée de stress à la nymphe. Lorsqu’elle ouvrit la porte de l’atelier, elle découvrit le jeune homme, dos à elle, noyé dans les flammes, martelant sans arrêt et sans la moindre précision un bout de métal qui devait surement être du bronze céleste, au vu des reflets que le feu envoyait sur sa surface et sa résistance face au désespoir du forgeron.
- Léo ! appela Calypso en esquivant une langue de flamme qui avait visiblement entrepris de découvrir chaque recoins de son nouvel environnement.
Sourd à son appel, il continua son labeur sans le moindre regard vers elle.
- Je vais le chercher, marmonna Noémie.
Sans la moindre crainte, elle s’enfonça dans les flammes qui léchaient sa peau sans la mordre, comme si elles reconnaissaient sa puissance et son autorité sur elles. Malgré toute la sympathie qu’elle avait finis par accumuler envers la bénie des dieux, Calypso ne put empêcher une pointe de jalousie l’envahir. Si seulement elle était elle aussi insensible à la morsure du feu, si seulement Léo pouvait perdre devant elle le contrôle de ses émotions sans la blesser, si seulement elle était elle aussi capable, en ces instants, de toucher son bras en flamme pour attirer son attention comme Noémie le faisait justement, tout serait tellement différent… alors que le jeune homme regardait la mortelle, offrant son profit aux yeux de la nymphe, elle sentit une larme solitaire rouler sur sa joue. Il semblait si vulnérable, si triste, et elle, elle ne pouvait pas l’enlacer pour le consoler. Noémie murmura quelques mots qu’elle n’entendit pas, et Léo découvrit enfin la présence de sa petite amie. Son regard plongea dans le siens, soucieux, et un éclaire de ce qui semblait être de la culpabilité traversa ses prunelles sombres. Ignorant le pâle sourire que la fille d’Atlas tenta de lui adresser, il regarda de nouveau la mortelle, et ses lèvres murmurèrent des mots qui, d’ici, ressemblaient à « je ne veux pas lui parler ».
A ce moment-là, Calypso eu l’impression d’être revenue sur Ogigi. Qui sait, peut-être que sa malédiction n’avait jamais été brisée ? Peut-être était-elle toujours prisonnière de cette boucle sans fin, condamnée à regarder l’homme qu’elle aime faire sa vie en la laissant derrière. Mais sur Ogigi, il n’y avait pas Noémie. La jeune femme mis une tape vive derrière la tête de son ami, ce qui était assez comique à voir puisque même lui était plus grand que la bénie. Le jeune homme grimaça, quelques paroles s’échangèrent, puis le feu s’éteignit.
La nymphe aurait voulu courir vers lui, l’enlacer, l’embrasser pour lui assurer qu’il n’était pas seul dans cette épreuve. Mais ses pieds semblaient collés au sol, elle était incapable de faire le moindre pas. Léo la regardait, visiblement dans un état similaire. Au milieu la mortelle fronça les sourcils, puis elle prit la main du mécano :
- Vous êtes ridicules, marmonna-t-elle en forçant son ami à avancer vers Calypso.
Lorsqu’ils furent finalement l’un en face de l’autre, séparés par seulement quelques centimètres, une nouvelle larme dévala la joue de la nymphe. Si près de lui, sentant à plein nez son odeur de feu si caractéristique, il lui semblait pour la seconde fois en peu de temps être de retour sur Ogigi, mais pas quand elle se sentait enfermée, non. Il lui semblait être revenu à tous ces moments sur la plage, au soleil, à rire avec l’homme qu’elle aimait en rêvant de liberté. Sans un mot, Léo l’enlaça, et elle lui rendit son étreinte, soulagée et troublée. Les mains pleines de suies de son petit ami s’accrochaient à elle comme pour ne pas tomber, son nez était niché dans son cou et pourtant, elle était persuadée de l’avoir vu souhaiter son départ à l’instant.
- Je ne comprends plus, avoua-t-elle dans un souffle.
- Je ne suis pas sûr de tout comprendre moi non plus, répondit le fils d’Héphaïstos avec un soupçon de gêne.
- Si vous voulez, j’ai une théorie, avança Noémie, quelques pas derrière eux.
A regret, Calypso recula quelques peu, leur permettant à tous les deux de contempler le visage exaspéré de leur amie :
- La raison de votre éloignement, ce sont vos multiples prises de bec, et la raison de vos multiples prises de bec c’est parce qu’aucun d’entre vous n’es capable d’admettre qu’il a potentiellement tord dans sa manière de se comporter.
Elle soupira, puis s’avança, leur prenant chacun une main :
- Caly, Léo veux seulement te protéger quand il t’étouffe. Léo, Caly n’est pas une de tes machines que tu peux préserver de toutes formes de problème en l’enfermant dans un environnement propice à sa sécurité. Et tous les deux, honnêtement, j’en ai assez.
Son masque de force qu’elle s’efforçait de porter devant eux se fissura, leur montrant pour la première fois depuis longtemps sa vulnérabilité :
- Je suis épuisée. Je dois diriger cette quête alors que j’ignore la plus part des choses de ce monde, et même si j’ai droits à vos conseils, c’est dure de faire face à tout ça alors que ma vie a toujours était parfaitement normale. Alors vous voir souffrir tous les deux dans votre coin et jouer les médiateur parce que vous n’êtes pas capable de discuter, j’en ai ma claque.
Elle s’assit doucement, écartant d’un geste tous les outils du mécano qui trainaient là. Son regard se leva sur eux, et Calypso, incapable de lui résister, s’assit à son tour. Léo ferma le cercle, et tous se regardèrent :
- Les cauchemars nous ont montré nos plus grandes peurs, Calypso, murmura Noémie. Réel ou pas, tous sans distinction. Je me suis vu trancher la gorge de Milo, mon vrai petit frère, pas le doppelgränger. J’ai vu Clara ce faire enlever, j’ai vu tout ce que j’ai imaginé dans mes cauchemars lui arriver. J’ai vu chacun de mes frère et sœurs se faire torturer, tuer encore et encore, je les ai vus mourir sans que je ne puisse rien faire. Je vous ai tous vu mourir sans que je ne puisse rien faire. Je ne veux pas que ça arrive. Jamais.
Elle leva un regard résolut vers eux :
- On est une équipe. Je veux vous protéger. Je veux vous aider, mais je serais incapable de le faire tant que je ne saurais pas ce qui vous trouble. Alors s’il vous plaît, parlez-moi.
Calypso plongea ses yeux dans les siens. Depuis qu’elle avait embarqué clandestinement et passé cette première nuit avec la mortelle, la nymphe avait appris à la respecter. Elle était devenue son amie. Et elle lui faisait confiance. Mais ce n’étais pas à elle de lui parler. Son regard se détourna vers Léo, qui regardait son amie avec le visage inexpressif. Il lui fallait le dire, Calypso en était sûr. Autrement, il exploserait. Le fils d’Héphaïstos poussa un soupir de capitulation, puis hocha la tête. Alors la jeune femme commença à mettre des mots sur ce qu’ils avaient enterré depuis si longtemps. Ce qui les rongeait de l’intérieur. L’incident :
- Tu sais qu’autrefois, j’étais coincée sur Ogigi, expliqua-t-elle à Noémie.
La mortelle hocha la tête, attentive et patiente.
- Léo avait échoué sur l’île au court d’une quête. On est tombés amoureux, et on a souvent discuté… on avait même fait des projets d’avenir, des rêves utopiques qui n’avaient aucune chance d’arriver pour la simple et bonne raison que je ne sortirais jamais. C’est ce dont j’étais persuadée. Pourtant, quand il eut fini sa quête, Léo a trouvé le moyen de venir me libérer. Et on est partit tous les deux…
- On est resté coincé longtemps dans la mer des monstres, poursuivit le fils d’Héphaïstos à leur grande surprise, la voix rauque. On ne trouvait pas le chemin de la sortie. Finalement, Fœtus a capté un signal. Mon petit frère, Harley, avait conçu une invention qui servait de balise pour que je puisse le rejoindre. On est arrivé à la colonie des sang-mêlé.
Il fit une courte pause, mais Noémie se contenta de le regarder, attendant la suite, et Calypso apprécia sa réserve. Ce devait être tellement dur pour Léo de raconter ça…
- Après quelques temps à la colonie, on a ressenti le besoin de prendre un peu de distance vis-à-vis des autres. Vivre notre vie, tu vois. Et on a décidé de réaliser l’un de mes rêves.
Le jeune homme eut un rire étranglé, le genre de rire qui ne laissait présager que le malheur :
- Léo & Calypso auto. Réparation de monstre en tout genre, un côté pour mortel, un autre pour demi-dieu. J’avais enfin mon atelier à moi. Il était a à peine deux heures de la colonie, il y avait un appartement sympa au-dessus de l’atelier. Mes amis s’inquiétaient. Ils pensaient qu’il était trop loin. Je n’ai pas voulu les écouter. Je voulais tellement vivre sans avoir à me soucier de ce genre de chose. Avoir une vie normale, pour une fois. Tout allait bien. Pourquoi s’inquiéter ?
Il leva des yeux vides vers son interlocutrice, ses mains s’accrochant encore d’avantage à la taille de Calypso, comme pour puiser de la force dans ce contact :
- Au début, c’était trois fois rien. Quelques empousaï par-ci par-là, une harpie ou deux, à la rigueur un cyclope. Rien d’insurmontable. Rien d’inquiétant. Puis ça a empiré.
Calypso vit le jeune homme trembler, et décida qu’il était temps qu’elle prenne la suite. Lui attrapant la main, elle continua :
- C’était un jour d’automne. Les cours avaient repris. Annabeth et Percy était parti à l’université de la Nouvelle Rome, dans un appartement à côté de celui de Frank et Hazel. Piper, elle, était partie chez son père pour quelques semaines. Ils sont arrivés dans l’après-midi. Des drakons. Quatre. Je savais que nous n’y arriverons pas seuls. Fœtus en occupait deux, mais le feu ne peut tuer un drakon, et ils ont commencé à le tailler en pièce.
- Alors Calypso a appelé des renforts, coupa Léo.
L’amertume de sa voix fit tressaillir la jeune nymphe, mais elle ne dit rien, se contentant de regarder Noémie, laquelle était totalement absorbée par le récit.
- Ils ont envoyé les plus forts guerriers de la colonie, et aussi les plus malins. Principalement des chefs de bungalow. Je ne me souviens pas de tous, bizarrement, seulement de quelques-uns qui ont marqué mon esprit. Il y avait les Alatir, qui ont failli rendre fou leur pégase. Il y avait Jason, et aussi Clarisse, qui était trop impatiente d’en découdre encore une fois avec un drakon. Et il y avait Jake Mason. Mon grand frère.
Il prit une nouvelle pause, et Calypso sut que la suite était inutile. Noémie avait compris. L’horreur et la peine de son regard en attestait.
- Ils l’ont déchiqueter. En un coup de griffe. Alors qu’on aller évacuer. Ce crétin avait décidé de nous faire gagner un peu de temps pour pouvoir fuir. Mais son invention l’a lâché. Il s’est pris un coup qui l’a presque coupé en deux. Puis ils l’ont brulé. Clarisse ne m’a pas laissé le récupérer. J’ai dû bruler le linceul sans le corps. Alors qu’il était mort à cause de moi. A partir de cette nuit-là, je me suis fait une promesse. Plus personne ne mourra à cause de moi. Même si sa signifie que je dois passer ma vie à la colonie.
Il se tut de nouveau, et Noémie lui prit la main :
- Ecoute moi, Léo, demanda doucement la mortelle. S’il te plait. Je sais qu’on a déjà dut te le dire des centaines de fois, mais ce n’était pas ta faute. Il n’est pas mort à cause de toi, il est mort pour toi. Ça fait toute la différence. Tu n’as rien d’un tueur. Tu n’es pas coupable. Ton frère. Jake. Il avait choisi de venir te sauver. Il pensait que tu valais la peine qu’il prenne des risques, et tu dois respecter son choix.
- Si je ne m’étais pas entêté, jamais…
- Jamais je n’aurais connu le bonheur de décider ce que devait être ma vie, coupa Calypso. Noémie a raison. Tu ne serais pas toi si tu ne t’étais pas accroché à tes rêves. Tu ne m’aurais jamais sortie d’Ogigi si tu ne t’étais pas accroché à tes rêves.
Ils restèrent silencieux un long moment, puis Noémie s’écarta :
- Toi non plus, tu n’es pas capable de protéger les gens, murmura le forgeron en remarquant son trouble. C’est ce que tu penses, pas vrai ?
Ses yeux sombres croisèrent ceux de la mortelle, qui avoua :
- Peu m’importe ce que je pense. Je ferais ce qu’il faut pour y arriver.
La nymphe et la bénie échangèrent un regard, transmettant ce qu’elles pensaient. Avec un sourire d’acquiescent, la mortelle se leva, les laissant seuls :
- Merci de m’avoir confié ta douleur, Léo. Je garderais ça pour moi, je te le promets.
Lorsqu’elle sorti de la salle, la nymphe enlaça son petit ami :
- Tu m’en veux pour ce qu’il s’est passé, pas vrai ? Tu me penses coupable.
- Je sais que c’est injuste, marmonna Léo en embrassant ses cheveux. Je suis désolé.
Un long moment passa, puis il avoua :
- Je t’ai vu, tu sais. Dans les cauchemars. Tu étais là, tout le temps. Tu revenais tellement souvent que j’étais incapable de penser à quelqu’un d’autre que toi. J’ai vu ma mère mourir, je me suis senti mourir, et toi tu étais là, toujours, à souffrir.
Il se tue un instant, laissant à Calypso l’opportunité d’essuyer discrètement une larme qu’elle n’avait pu retenir :
- J’ai fini par m’accrocher à ton visage. Je me suis concentré sur toi, sur ton odeur, sur ta voix. C’est la seule chose qui m’a empêché de devenir fou. Seulement toi.
Sans pouvoir s’en empêcher, la nymphe éclata en sanglots, blottit dans les bras de l’homme qu’elle aimait :
- Je suis désolé, souffla Léo. Je t’aime. Je suis désolé.
Ils s’endormirent ainsi dans les bras l’un de l’autre, au milieu de l’atelier, la chaleur de la peau de Léo les préservant du froid ambiant, le ronronnement des machines les berçant alors qu’ils s’avouaient enfin tout ce qu’ils avaient fini par garder pour eux au fils des années.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top