23. Jay : Histoires, mission et glace.

Plus le temps passait, plus Jay appréciait leur deux compagnes de voyages, pourtant très différentes l’une de l’autre. En effet, Clara était très sociable, toujours prompte à discuter pour chasser la peur sous jacente qui les habitaient. Au contraire, Reyna était plus renfermée, ne parlant que quand les choses méritaient d’être dites, et souvent, les deux jeunes femmes enchaînaient les discutions sur des sujets dont elles ne partageaient pas l’avis. A chaque fois qu’elles faisaient ça, Harry et Jay s’éloignaient juste assez pour ne plus les entendre argumenter, tellement leur deux points de vues et leurs arguments étaient creusés, leur retournant le cerveau. Pourtant, malgré ces différences d’opinons plus que fréquentes, les deux jeunes femmes se ressemblaient dans leur ténacité, et Jay trouvait personnellement que leur énergie était très similaire, comme le prouvait les rares combats qu’ils ne pouvaient éviter, durant lesquels elles s’alliaient sans même se consulter pour leur dégager le passage. Mais lorsqu’il avait pris le risque d’interrompre l’un de leur débat pour le leur faire remarquer, chacune l’avait gratifié d’un même regard noir qui, il devait bien l’avouer, l’avait inquiété plus que de raison. Maintenant, il se contentait de rester sur la touche avec son petit frère qui, à son grand daim, se débrouillait bien mieux que lui avec leur deux compagnes. Surement un truc de demi-dieux…

Les deux femmes avaient en effet entrepris d’instruire l’enfant comme il aurait dût l’être s’il avait rejoint l’un des deux camps pour sang-mêlé. Chaque soir, lorsqu’ils s’arrêtaient, Clara lui racontait tout ce qu’elle savait de la mythologie grecque et romaine, et Reyna intervenait pour lui raconter ce qu’elle avait elle-même constaté au cours de ses nombreuses années à vivre comme une demi-déesse. Au début, Harry ne voulait rien entendre, et il bougonnait tout le temps quand elles commençaient à parler. Mais au fur et à mesure, il se taisait, écoutait, et finissait même par réclamer des pauses pour avoir de nouvelles histoires. Jay en était ravi. Il n’aimait pas la raison de sa présence ici. Il n’avait pas confiance en la divinité qu’Harry servait et dont il refusait de lui parler. Il avait l’impression que cette quête pour retrouver ces deux demi-dieux – Harry seul savait pourquoi – lui arrachait progressivement son frère, celui qu’il avait toujours essayé de protéger de la violence du monde et surtout de celle de leur père. Mais quand Clara et Reyna parlaient… il redevenait l’enfant curieux, l’esprit ouvert, cherchant des failles de raisonnement pour pouvoir apporter sa contribution à l’histoire. Il lui était tellement plaisant de le revoir comme ça, lui qui ne trouvait plus depuis longtemps les mots pour l’aider à s’échapper. Mais il fallait dire que les jeunes femmes savaient raconter des histoires. Celle de Reyna surtout stupéfiait Jay : il pouvait à peine croire que quelqu’un avait vécu tant de choses, et pourtant, tout, dans sa personnalité, s’expliquait avec ce qu’elle racontait. Il en était venu à l’admirer, silencieusement, gêné quand elle lui parlait, reconnaissant quant au fait qu’elle ait, même juste un peu, besoin de lui. Ce n’était pas tous les jours que l’on rencontrait un préteur d’un camp de guerre peuplé de demi-dieux, surtout lorsque ce même préteur racontait avec détachement des histoires de quêtes et de batailles toutes plus dangereuses les unes que les autres.

C’était au détour d’une de ses histoires que Jay compris enfin le sens de la quête de son frère. Assis tous les quatre dans un couloir qui finissait en cul de sac, vierge de tout danger, Reyna racontait comment les romains avaient attaqué le palais d’un certain Krios, lorsque le mortel se risqua à poser la question qui lui trottait dans la tête depuis maintenant plus d’une semaine :

- Reyna… tu connais Léo Valdez et Piper McLean ?

Un regard noir et deux regards curieux lui répondirent :

- D’où connais-tu ces noms ?

Gêné, le jeune homme sortit sa parade déjà toute trouvée :

- J’ai rêvé de quelqu’un, un centaure, qui disait ces noms.

- C’est surement Chiron ! se réjouie Clara, et Jay refoula une pointe de culpabilité. Que disait-il ? Ils allaient bien ? A-t-il parlé de mes frère et sœurs ?

- Je n’ai pas vraiment écouté, je suis désolé, répondit le mortel, gêné. Je pensais que ça n’était qu’un rêve sans importance, mais ces noms sont restés… qui sont-ils ?

- Mes amis, répondit doucement Reyna. Ils font partit des sept que concernait la grande prophétie. Ils ont contribué à la défaite de Gaïa. Léo en a même perdu la vie, avant de revenir.

- Il a ressuscité ? s’étonna Harry, visiblement chamboulé par l’idée. Certains demi-dieux sont immortels ? Est-ce que moi, je suis immortel ?

- Au contraire, réfuta Clara. Les demi-dieux sont deux fois plus vulnérable que quiconque, puisqu’on peut être tué par les armes des mortels et des immortels.

- Alors comment est-il revenu à la vie ? demanda Jay avec circonspection.

- J’avoue que j’aimerais le savoir aussi, déclara Clara. Je n’ai pas vraiment eux tous les détails de l’histoire, alors…

Reyna soupira, puis déclara :

- D’accord, je vais vous dire ce que je sais, mais ne compter pas sur moi pour vous parler de truc qui ne concerne qu’eux. Et vous ferez mieux de prendre vos aises, c’est une longue histoire.

Et elle leur raconta tout : la grande prophétie, l’échange entre les deux camps, la quête de Jason, Piper et Léo, le dragon doré qui périt à cause de la déesse de la neige, le bateau créé à partir de cette même tête de dragon, la quête de Percy, Frank et Hazel, le dieu de la mort enchaîné, la guerre au camps Jupiter, la rencontre entre les sept, la quête d’Annabeth, Nico et sa capture, la chute dans le tartare, le chemin jusqu’à la maison d’Hadès, Percy et Annabeth qui sortent du tartare, les demi-dieux qui détruisent Pasiphaé, Reyna, Nico et l’entraineur bouc qui transportent la statue à la colonie des sang-mêlé, la bataille au côté des dieux, le réveil de Gaïa, la bataille à la colonie, le plan de Léo, la destruction de Gaïa, et finalement son retour d’Ogigi avec la nymphe Calypso.

Lorsqu’enfin elle eut fini son récit, Jay en resta stupéfait, comme assommé. Lui qui croyait que Reyna était une exception, finalement il semblerait que tous les demi-dieux soient condamnés à souffrir continuellement, et ça, ça ne lui plaisait pas du tout. De plus, il avait enfin comprit certaines choses, des choses qui l’effrayait, pour lesquelles il ne voyait pas de solution. Avec ce récit, Jay avait enfin comprit ce qu’il faisait là, et finalement peut-être aurait-il mieux valu qu’il l’ignore encore, du moins pour sa santé mentale. Un seul regard vers Harry confirma ce qu’il savait être la réponse à sa présence ici : son regard trompait peut-être tout le monde, mais pas Jay, qui voyait souvent la même expression lorsqu’il se regardait dans un miroir. Cette expression pleine de doute qu’il tentait de refouler, tout en étant allé trop loin pour se permettre envisager s’être trompé.

- C’est… incroyable, souffla finalement Clara, à mille lieux de savoir ce qui se passait dans la tête de ses compagnons de route.

- Stupéfiant, confirma le mortel, soucieux de dissimuler ses cogitations aux yeux plus que clairvoyant de Reyna. La prochaine fois, je ferais plus attention à ce que j’entendrais…

- Tu ne pouvais pas savoir, le contredis presque gentiment la préteur, et le jeune homme tenta de refouler sa culpabilité.

Il n’aimait pas leur cacher des choses. Mais il ne pouvait tout simplement pas dire ce qu’il avait finalement compris, ça poserais trop de problème. Il prit donc son mal en patience, agissant comme ordinairement, souriant parfois, riant même une fois, d’un rire bref et bas, parce qu’ils étaient dans un endroit peu propice à la joie. Il essaya de se comporter comme toujours avec son petit frère, cachant aussi bien qu’il le pouvait la gravité de son regard, mais Harry avait déjà compris. Et ses réactions ne faisaient que conforter Jay dans ce qu’il savait.

***

Malgré tous ses efforts, peu subtils pour celui qui savait, Harry ne put échapper à son frère plus de quelques heures. Dès qu’ils se furent tous reposé, ils se remirent en route, cherchant un autre endroit relativement sûr pour passer la nuit. Comme à l’ordinaire, les deux jeunes femmes avaient repris l’un de leurs débats discret mais animé, et Jay en avait profité pour tirer en arrière son petit frère. Aussitôt à l’abri des oreilles de leurs compagnes, il lui demanda :

- Chioné est ta mère, pas vrai ?

Le regard fuyant, Harry marmonna :

- Je ne voulais pas que tu saches comme ça.

Sentant la colère, la déception et une pointe de douleur devant ce qu’il considérait malgré lui comme une trahison, Jay repris, d’un ton bas mais qui ne cachait rien de sa tourmente :

- Et comment voulais-tu que je l’apprenne ? Ou plutôt, quand ? Quand tu auras tué les deux demi-dieux ?

Harry baissa le regard vers le sol, ses cheveux noirs devenu un peu trop long tombant devant son visage. Jay perçu ce geste comme une tentative futile pour se protéger de lui, et la douleur étreignit son cœur :

- Tu aurais dût m’en parler !

Sa voix craqua, et ses yeux laissèrent échapper quelques délicates larmes, témoins silencieuses de ses doutes et douleurs. Harry n’avait pas réfuté. Il n’avait pas réfuté, et c’était encore pire que s’il avait nié en bloc avant d’admettre, car pour tous les deux, cela voulait dire qu’il été résigné. Qu’il savait que c’était mal, mais que ça n’avait pas d’importance, car de toutes façon il agirait. Baissant encore la voix, tentative dérisoire de garder entre eux leur secret, le jeune mortel demanda encore :

- Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?

Le silence du plus jeune perdura, et Jay le força à s’arrêter, attrapant ses épaules pour le regarder en face :

- Qu’est-ce qu’elle t’a fait ? Elle t’a menacé ?

Harry releva aussitôt la tête, furieux :

- Bien sûr que non ! C’est ma mère, pas un monstre !

- Elle te demande de tuer des humains !

- Elle n’a pas le choix ! hurla presque l’enfant, les yeux étincelants de colère. Elle ne peut pas le faire elle-même, et c’est le seul moyen pour que l’on soit réuni !

- Elle veut faire de toi un meurtrier !

- Elle veut de moi à ses côtés ! Elle ne peut pas parce qu’ils l’en empêche ! Quand je les aurais tués, on pourra vivre ensemble, et on sera protégé !

- C’est complètement insensé ! le contredit vertement Jay, la tête lui tournant sous l’ampleur de la manipulation qu’exerçait cette déesse des neiges sur son frère sans même qu’il s’en rende compte. Comment veux-tu que deux mortels empêchent une déesse d’élever son enfant ?

Butté, Harry argumenta :

- Tu as entendu Reyna. Ce ne sont pas de simples mortels. Ils sont plus forts que la plus part des dieux.

- Alors comment es-tu censé réussir à les tuer ? Elle t’envoie à ta perte !

- Moi aussi je suis plus fort que la plus part des dieux, s’entêta l’enfant. Tu le sais, même si tu ne veux pas l’admettre. Personne ne sait jusqu’où vas mon pouvoir. Personne sauf elle.

Jay était désormais dans un état d’esprit plus que critique. Las, fatigué, en colère et incroyablement inquiet… il ne pouvait croire que son petit frère soit si résolut à tuer quelqu’un. Il y a quelques mois, rien n’aurait pu le préparer à ce qu’il était en train de vivre à cet instant.

- Tu vas te faire tuer, marmonna le jeune homme, furieux contre lui-même de ne pas trouver les mots qui lui feront ouvrir les yeux. Rien ne justifie que tu meurs, pas si tôt, pas comme ça !

- Mais je le fais pour toi ! Pour nous ! Je ne veux plus jamais te voir souffrir, plus jamais ! Je ne veux plus qu’on te fasse du mal ! Cette mission, c’est la seule chose qui nous sépare d’un foyer, d’une famille, de la sécurité qu’on n’a jamais eu !

- Je t’ai déjà dit que ce que je pouvais ressentir ne comptait pas ! Tu es le seul qui compte, Harry ! Nous n’avons pas besoin d’elle ! Tu peux aller au camp Jupiter, ou à la colonie des sang-mêlé ! Tu auras des amis, tu seras à l’abri, tu pourrais…

- Je ne veux pas qu’on soit séparé ! contredis vertement le jeune brun, des larmes coulant de ses yeux. Tu ne peux pas vivre là-bas, et j’en peux plus de réprimer ce que je sens en moi ! Maman peut nous protéger, elle peut m’apprendre à faire sortir tout ce que je sens sans te faire de mal, tu ne vois donc pas qu’elle est la solution ?

- Pas si ça t’oblige à faire de toi ce que tu n’es pas !

- Tu ne sais pas qui je suis !

A cet instant, si Jay avait prêté attention à ce qui l’entourait, il aurait compris la précarité de la situation dans laquelle ils se trouvaient. Il aurait surement vu la glace qui gelait le sol, qui s’étendait doucement sur les murs. Il aurait surement senti la froideur de l’atmosphère, la froideur de la peau de son frère sous ses doigts. Il aurait surement réalisé que Clara et Reyna n’étaient plus en vues depuis longtemps, qu’il n’avait pas sondé le labyrinthe depuis au moins tout aussi longtemps, qu’il n’avait pour finir aucune idée de ce qu’il se passait en dehors de la colère qui enflait en lui, nourrit par ses peurs, sa fatigue, ses souvenirs et l’effroyable impression que son petit frère, le seul être qu’il ait toujours aimé et toujours protégé, lui glissait entre les doigts comme de l’eau, sans qu’il soit capable de le retenir ou de voir les profondeurs dans lesquelles il s’enfonçait :

- Je sais mieux qu’elle qui tu es ! hurla-t-il, craquant comme il ne l’avait pas fait depuis longtemps.

- TU NE SAIS RIEN DE MOI !!! hurla en retour son frère, et le tunnel trembla, le plafond et les murs ployant sous le poids de la glace qui les recouvrait.

Jay réalisa enfin ce qui l’entourait, et son regard surpris se posa sur l’instigateur de toute cette masse blanche. Harry tremblait de rage, les poings serrés, le visage plus pâle que jamais, ses yeux si clairs devenus presque blancs.

- Harry ! s’écria Jay, effrayé à l’idée de finir écrasé avec son petit frère sous le poids du labyrinthe qu’il sentait trembler.

Mais l’enfant ne l’entendait plus. Il ne l’écoutait plus, se contentant de laisser s’échapper de la brèche qu’ils avaient créés un peu de sa peur, sa colère et sa haine. Les mains de Jay, toujours posées sur les épaules de l’enfant, commençaient à geler, couverte de glace. Lorsqu’il réalisa, il tenta de les ôter, mais il était déjà trop tard, elles étaient prises dans la glace, et il sentait cette dernière monter le long de ses bras. Soudain, Clara et Reyna surgirent de nulle part, et le jeune homme sut aussitôt à leur regard alerte qu’elles n’étaient pas là que depuis quelques secondes. Sans se consulter, elles agirent en même temps, Reyna attrapant les épaules d’Harry et lui propageant une puissante vague d’apaisement, alors que Clara attrapa les mains de Jay et projeta de puissant mais petits éclairs, brisant la glace et brulant la peau de leur guide, qui leur avait fait tellement défaut ces dernières minutes. Jay ne put retenir un cri de douleur, puis un sanglot lorsqu’il aperçut son petit frère, épuisé et bien trop pâle, bien plus qu’aucun humain ne l’avait jamais été, les lèvres aussi blanches que le reste de sa peau, affalé dans les bras frissonnant de la préteur.

- Il faut qu’on bouge ! prévint Clara avec empressement. Le tunnel va s’effondrer !

 La jeune femme attrapa les épaules de Jay, incapable de réaliser l’urgence de la situation suite à ce qu’il venait de vivre, et le força à se remettre sur pieds :

- Reyna !

- Je sais, répondit la fille de Bellone, portant contre elle l’enfant évanouit dans ce qui lui restait de sa cape.

Dans la tête du mortel, une seule chose tournait en boucle : Il m’aurait tué. Mon petit frère m’aurait tué. Ses mains tremblaient, il ne savait pas si c’était le froid, l’électricité ou la peur, mais il tremblait, tellement que sans son amie le soutenant, il se serait surement affalé dans le tunnel et n’en aurait pas bougé, même lorsque le plafond et les murs s’effondrèrent dans un craquement atroce. La seule chose qui lui semblait importante, maintenant, c’était d’avoir de l’air, d’enfin pouvoir respirer et s’effondrer. Alors, d’une voix bredouillante, il les guida, ignorant toutes les destinations que les tunnels pouvaient lui faire prendre, ne songeant qu’à un moyen de sortir d’ici. Lorsqu’ils finirent par franchirent un tournant et déboucher sur une sortie, Jay accéléra, et lorsqu’ils tombèrent sur l’extérieur, il s’effondra. C’était le crépuscule, de quel jour il ne savait pas. Ils étaient dans une immense prairie en fleurs, l’air sentait bon, il faisait chaud. Autour de lui, Clara et Reyna respiraient à plein poumons, surprises et soulagées de sortir enfin à l’air libre après avoir passé des semaines dans l’obscurité opprimante des tunnels, mais Jay n’en avait rien à faire. Il tremblait, focalisé sur la seule chose qui comptait. Harry m’aurait tué. La tête lui tournait, et il s’évanouit.

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