16. Clara : Sang mêlé et drôle de choix.

Clara ne savait pas depuis combien de temps elles étaient coincées dans le labyrinthe. Ici, elle ne voyait pas les jours défiler, et elle avait l’impression que c’était il y a une éternité qu’elles avaient été arrachées à la colonie. A ses frère et sœurs. Pourtant, elle savait que la notion de temps était trompeuse quand on avait peur ou que l’on s’inquiétait, alors en vérité, seulement deux heures auraient pu passer. L’ennui, c’est que même si elle ne voulait pas l’avouer ni le montrer, Clara avait tout le temps peur. Reyna, elle, ne semblait pas avoir le même problème. Alors même qu’elles étaient irrémédiablement perdues, alors même qu’elles avaient déjà combattu un grand nombre de monstre, la préteur semblait totalement sereine, comme si rien de tout cela n’était étonnant, ni même inquiétant. La bénie des dieux n’était pas dupe : c’était une façade, peut-être même juste un moyen qu’elle même garde son calme. Il n’empêche que parfois, elle préférerait que Reyna se mette à hurler ou pleurer, ou même juste admette ne pas savoir quoi faire. Paradoxalement, ça la rassurerait. Autrement, elle avait l’impression de cheminer avec quelqu’un d’incroyablement inconscient, et ce malgré la tension évidente que dégageait sa compagne de route. Ignorant la faim qui régnait dans son ventre et la fatigue qui menaçait de faire tomber ses paupières – et son corps avec -, Clara accéléra jusqu’à parvenir à la hauteur de Reyna. Elle en avait plus qu’assez du silence et de la tension, elle avait besoin de parler ou sa tête exploserait :

- Parle-moi du camp Jupiter, demanda-t-elle.

Reyna lui lança un regard dubitatif :

- Tu crois vraiment que c’est le moment, là ?

- J’ai besoin d’entendre des paroles où je vais finir par devenir folle.

- Vaut mieux folle que morte, renchérie aussitôt la fille de Bellone, comme si elle avait déjà eu cette conversation des centaines de fois.

S’en fut trop pour Clara. S’arrêtant, elle attrapa le bras de son interlocutrice :

- J’en ai assez, d’accord ? Je sais que tu flippes autant que moi, cesse de faire comme si tout ça était totalement normal ! J’ai peur, moi aussi, d’accord ? J’ai peur, et je n’hésite pas à te le dire puisque de toute façon on risque de ne jamais s’en tirer, alors arrête de faire comme si tu étais calme et parles moi un peu, merde !

Reyna lui lança sur le chant un regard noir :

- Il n’est pas question de discuter avant que l’on se soit arrêté quelques parts, c’est bien trop risqué ! Tu vas finir par nous faire tuer à prendre tout à la légère !

- Je ne prends pas tout à la légère ! s’indigna aussitôt Clara. J’essaye justement de rester en vie en contrôlant ma peur et pour ça j’ai besoin qu’on discute un minimum, ce n’est pourtant pas compliqué et je ne vois pas pourquoi c’est répréhensible comme idée !

Perdant visiblement patience, Reyna rétorqua :

- Surement parce qu’on est au milieu d’un labyrinthe qui risque de nous couter la vie !

- Tu croyais que ça m’avait échappée ? surenchérit la jeune femme, excédée.

- ARRÊTE DE CRIER ! hurla la fille de Bellone, à bout.

En réponse à cet éclat, un rugissement profond et guttural retentit dans le couloir qu’elles venaient à peine de quitter. Les deux jeunes femmes s’interrompirent aussitôt, sur leurs gardes. Reyna serra d’avantage son poignard, pendant que Clara, plongeant la main dans son carquois luisant, tira une flèche qu’elle encocha sur son arc d’un geste souple. Un nouveau grondement, plus proche et plus grave, retenti encore, et les deux amies reculèrent d’un même mouvement souple, veillant à ne pas faire de bruit. Elles avaient presque atteint un embrochement qui leur permettrait surement de fuir en toute discrétion quand la créature apparut dans le couloir. Clara ne voulait pas envenimer la situation, elle retient donc le cri qui menaçait de sortir de sa gorge, mais l’horreur l’envahit. Sous ses yeux se tenait la créature la plus répugnante qu’elle eut jamais vue. C’était un monstre ressemblant à un castor, mais son corps était plus allongé et recouvert d’écailles d’un vert tirant sur le jaune. Sa queue était semblable à celle d’un dragon, et des griffes d’au moins dix centimètres cliquetaient sur le sol alors que la chose s’approchait doucement, rampant presque. Sa tête était plate, ses yeux rougeoyaient, et ses dents incroyablement pointues n’inspiraient pas plus confiance que sa taille, de presque un mètre cinquante au garrot.

- C’est un addanc, bredouilla Clara, stupéfaite.

- Comment on le combat ? demanda doucement Reyna, veillant à ne pas énerver la chose plus qu’elle ne l’était déjà.

- Je n’en sais rien, rétorqua la bénie des dieux sur le même ton. Il ne devrait même pas exister, il appartient à la mythologie galloise !

- Il faut croire que toutes les mythologies se recoupent et vivent à des endroits précis, murmura Reyna. Si tu ne sais pas comment l’abattre, nous devrions essayer de reculer encore.

Les deux jeunes femmes firent un nouveau pas en arrière, mais aussitôt la chose grogna et, sans attendre, se lança sur elles en un bond impressionnant. Se jetant en avant, Clara décocha sa flèche, et elle entendit le poignard de Reyna percuter le monstre. Pourtant, alors qu’elles se redressaient, de nouveau face à l’addanc, la bête semblait en parfaite santé, et juste un peu plus énervée. Un éclat près de ses pattes attira le regard de la jeune femme, qui comprit avec effroi qu’il s’agissait d’un morceau du poignard de Reyna.

- Ses écailles sont plus solides que l’or impérial, murmura la préteur, visiblement tendue.

Sans répondre, Clara encocha et tira une flèche d’un mouvement souple, visant l’œil de la chose. Mais l’addanc se contenta de fermer ses paupières écailleuses et la flèche nappée de lune tomba au sol, aussi inutile qu’un pauvre morceau de bois.

- Plan B, marmonna Reyna. Quand je te dis cours, tu cours.

Elle lança le reste désormais inutile de son poignard sur la chose et, profitant de son infime instant d’inattention, elle hurla :

- Cours !

Clara ne se fit pas prier : elle décampa aussi vite qu’elle le put, étendant ses foulées comme jamais avant. Elle savait que la moindre erreur lui couterait la vie, c’est donc sans aucune honte qu’elle attrapa la main de Reyna et la serra à lui briser, voulant tout sauf qu’elles se retrouvent séparées. La jeune femme sentait sa poitrine s’enflammer, l’air rentrait de façon saccadé dans ses poumon en feu, et elle paniquait tellement qu’elle n’arrivait même pas à penser correctement. Le cliquetis que provoquait les griffes de la chose et qui précédait d’un infime instant le bruit assourdissant de ses pattes la rendait folle de terreur et la dotait de plus d’adrénaline qu’elle n’en avait jamais eu, lui permettant de courir toujours plus vite malgré la faiblesse de son corps. A ses côtés, la préteur courrait tout aussi vite, et prenait parfois des virages qui menaçaient d’arracher le bras de Clara, qui se rattrapait comme elle le pouvait pour continuer sa course, récompensée par le bruit sourd d’un corps volumineux heurtant tantôt bois, tantôt pierre, tantôt métaux derrière elles. Evidemment, elles le savaient, elles ne pouvaient se contenter de courir tout droit. L’addanc était beaucoup plus rapide qu’elles, elles se feraient déchiqueter sans la moindre pitié. Alors qu’elles commençaient à s’essouffler, les deux jeunes femmes débouchèrent dans une salle immense, dotée d’une demi-douzaine de portes.

- Laquelle ??? hurla Clara, totalement paniquée.

- Celle-là ! répondit Reyna, avec une telle certitude qu’elle l’avait surement prise au hasard.

Mais après tout, c’était un choix comme un autre, et Clara n’avait pas le temps d’en proposer un meilleur, alors elles s’y engouffrèrent tout aussi vites qu’elles avaient pénétré dans la salle.

Elles continuèrent leur course effrénée pendant près de cinq minutes, puis, n’entendant plus depuis la fameuse salle le moindre bruit de patte, Clara se risqua à articuler avec effort :

- Je… je crois… je crois qu’on l’a… qu’on l’a semé…

Aussitôt, elles heurtèrent quelque chose qui semblait faite de chaire, et toutes deux s’écrasèrent par terre avec un petit cri de surprise. Un cri similaire retentit à leur oreilles, et Clara eu à peine le temps de découvrir le visage d’un jeune homme que Reyna la repoussa pour étrangler à son aise l’étranger.

- Reyna ! protesta Clara. C’est un humain !

- On en sait rien ! rétorqua la préteur.

- Reculez ! ordonna une voix tremblante derrières elles.

Reyna suspendit son geste, et Clara se retourna, surprise. Sous ses yeux se dressait un enfant de près d’une dizaine d’année. Ses cheveux étaient aussi sombres que la nuit, au contraire de ses yeux qui étaient d’un bleu presque blanc. Il se tenait en position de combat mais ne portait aucune arme, tenant ses mains en avant comme si elles seules pouvaient vaincre deux adultes expérimentées, dont l’une était armée (même si pour être honnête Clara était tellement lasse et fatiguée qu’elle n’opposerait surement pas beaucoup de résistance). Le jeune visage du garçon brillait de détermination, mais Clara remarqua rapidement que ses jambes tremblaient.

- Je n’hésiterai pas à vous faires du mal, déclara-t-il d’un ton incertain qui contredisait ses paroles.

La bénie des dieux porta son regard sur son amie, percevant son hésitation. Finalement, Reyna se releva, relevant avec elle le jeune homme qu’elle étranglait quelques minutes plus tôt.

- Qui êtes-vous ? demanda-t-elle de son ton autoritaire.

Le plus vieux s’approcha du jeune et se plaça devant lui en une position défensive. Il avait les cheveux d’un blond tirant sur le roux, et ses yeux étaient d’un bleu beaucoup plus classique que ceux du plus petit, mais il y avait dans leur visage une ressemblance évidente, qui ne pouvait être dût qu’à des liens familiaux.

- Ce n’est pas à vous de poser les questions ! protesta l’enfant, mais le plus vieux le fit taire doucement.

Visiblement, lui se méfiait d’elles, et ce malgré leur allure étrange. C’était surement dût à la trace rougeâtre que les mains de Reyna avaient laissé autour de son cou.

- Je suis Jay, révéla-t-il doucement. Et lui c’est mon frère, Harry. Et vous ?

- Clara, répondit la jeune femme avant que son amie ait pu dire un mot. Et voici Reyna. Vous êtes des demi-dieux ?

- Des quoi ? demanda Harry avec curiosité, tandis que Reyna soupirait discrètement.

- On devrait en discuter plus tard, intervient-elle. On était poursuivies par un addanc, il faudrait bouger ou il risque de nous retrouver.

- Et pourquoi resterions-nous avec vous ? demanda Jay avec circonspections.

Harry tira doucement sur sa manche et lui murmura quelques mots à l’oreille. Son grand frère hocha doucement la tête :

- D’accord, on devrait rester ensemble.

- A la bonne heure, soupira la préteur.

Elle allait s’éloigner dans un tunnel, mais Jay l’arrêta d’un geste :

- Pas celui-là, il dégage de la fumée empoisonnée. Prenons plutôt part là.

- Ça me va, si on peut éviter la fumée empoisonnée, répondit Clara.

Elle se tourna vers Reyna, qui regardait Jay et Harry avec un regard calculateur :

- Allez-y, on arrive tout de suite, les informa-t-elle.

Une fois qu’ils se furent éloignés, Clara demanda tout bas :

- Qu’est-ce que tu sais ?

- Jay est comme toi, répondit Reyna.

- Tu veux dire que c’est un bénit ?

- Non, c’est un mortel. Mais pas n’importe lequel. Il peut voir à travers la brume. Harry est surement un demi-dieu, ou ils n’auraient jamais pu entrer.

- En quoi s’est important qu’il soit humain ? s’enquit Clara, qui sentait en son amie une excitation réprimée avec soins.

La jeune femme tourna vers elle un regard entendu :

- Il peut nous guider vers la sortie. S’il le décide, nous pourrons aller où nous voulons rapidement et en toute sécurité.

- C’est incroyable ! réalisa Clara, soulagée.

- Oui, répondit Reyna. Mais s’ils sont encore là, c’est parce que leur objectif n’est pas de sortir. Alors tu me laisse gérer, d’accord ?

- D’accord, acquiesça la mortelle. Tout plutôt que pourrir ici.

Sur ses mots, elles rejoignirent leurs nouveaux camarades, le cœur plein d’espoir et d’une pointe d’inquiétude. Pourquoi étaient-ils encore là ?

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