Chapitre 24 : Se remettre les pendules à l'heure

     -Ne lui en veux pas. Antonio est quelqu'un d'impulsif, de fougueux. Il vit au jour le jour, sans se soucier des conséquences. Il est encore jeune et a simplement dit ce qu'il pensait. Mais je t'assure qu'il finira par regretter.

J'avais moi aussi envie de lui dire que j'étais encore jeune mais je m'abstins et à la place, lui dit merci du bout des lèvres. Alfred m'offrit un petit sourire réconfortant, tout en caressant doucement mon épaule.

Cela faisait désormais quelques jours que mon altercation avec Antonio avait eu lieu. Et personne ne m'avait adressé la parole depuis. Que ce soit Aby, Roxy, le petit Théodore, ce qui en soit n'était pas une grande perte, et même Adkins. Ils me manquaient tous, horriblement.

Et pourtant je leur en voulais. Je leur en voulais de ne pas m'avoir cru et de m'avoir jugé aussi rapidement.

Seul Alfred me parlait encore. Il avait d'ailleurs passé ses journées à me réconforter. Et je crois que je ne pourrai jamais assez le remercier pour ce qu'il avait fait.

Et puis il y avait Emett. Toujours fidèle à lui-même. Il ne me parlait pas mais ne m'ignorait pas non plus. Je le surprenais de temps à temps à me couver du regard. Pas comme le ferait quelqu'un qui me détestait, mais plutôt comme une personne inquiète le ferait. Et même si son silence m'avait plus d'une fois agacé, je l'avais trouvé presque réconfortant ces derniers jours.

     -Tu sais comment vont les autres ? Demandai-je.

Et comme tous les jours depuis ma dispute avec Antonio, je prenais des nouvelles des habitants de la maison. Bien sûr que je leur en voulais, mais d'un autre côté, j'étais déjà profondément attachée à eux. J'étais prise entre deux sentiments. La colère et la tristesse. Un cocktail plutôt explosif qui faisait que je ne savais plus trop où j'en étais. J'avais le cerveau en compote.

Compréhensif, le moustachu me lança un de ses éternels sourires réconfortant avant de se lancer.

     -Aby va bien. Enfin je pense qu'elle est un peu perturbée parce qu'elle passe ses journées à faire du thé...

Je rigolai doucement suite à ses paroles. C'est vrai qu'on associait souvent le thé à Abigaël, mais jamais je n'aurais pu penser qu'il s'agissait d'un geste nerveux.

     -Théodore est fidèle à lui-même. Et la veille, il a passé la journée à faire tourner en bourrique Aby. Autant te dire qu'elle était de très bonne humeur.

Cette fois-ci, je rigolai plus franchement. Ce petit était un vrai petit monstre.

     -Eh ! Ne rigole pas ! Ce n'est pas toi qui as dû écouter les remontrances de la vieille acariâtre.

J'éclatai de rire face à sa mine bougonne. J'avais découvert qu'Alfred était un éternel râleur. Et je ne pouvais m'empêcher de rire à chaque fois qu'il bougonnait. Il faut dire que quand il le faisait, sa moustache remontait sur ses pommettes, ses sourcils se plissaient et son nez se retroussait à la manière d'un carlin. Tout simplement irrésistible.

Mais mon rire s'étrangla soudainement dans ma gorge et je fusillai Alfred du regard tout en me massant la tête. Encore une chose que j'avais apprise sur lui. Le moustachu n'aimait absolument pas que l'on se moque de lui. Et lorsqu'on le faisait, il n'hésitait pas une seule seconde avant de nous frapper l'arrière du crâne. Gentiment certes, mais à ce rythme-là, j'allais finir par perdre les quelques neurones qui me restaient encore.

Mais mon regard ne lui fit strictement rien, il le fit même sourire davantage. Foutu moustachu.

     -Donc je disais... Reprit-il. Ah oui ! Roxy va très bien aussi. Elle n'a assommée personne avec son plumeau aujourd'hui, un vrai exploit !

Un sourire naquit sur mes lèvres. Je me souvenais parfaitement de la fois où elle m'avait à moitié assommée. C'était il y a quelques jours seulement, mais j'avais l'impression que ça s'était passé il y a une éternité.

     -Par contre, je n'ai pas vu Emett hier, ni même aujourd'hui...

Bizarrement, ça ne m'étonnait absolument pas. Emett se contentait de vivre sa vie. Il venait et repartait quand cela lui chantait. Je m'y étais faite depuis le temps.

     -Tu veux des nouvelles d'Antonio ?

Pour toute réponse, je hochai douloureusement la tête. Bien sûr que je voulais savoir comment il allait. Je lui en voulais certes, mais il avait été mon premier ami dans cette maison. Et même si je lui en voulais affreusement, il restait quelqu'un que j'aimais beaucoup.

     -Il va bien Maïa. Il va bien.

Incapable de parler, j'hochai la tête pour toute réponse. J'étais heureuse de savoir qu'il allait bien. Mais terriblement déçue de voir que notre dispute ne l'affectait pas. Comme si je n'étais pas assez importante pour que cela ait un quelconque effet sur lui. Et ça me faisait mal.

     -Pourquoi ? Lui demandai-je.

Je n'eus pas besoin de préciser ma question. Il l'avait parfaitement comprise. Pourquoi avait-il agit comme ça avec moi ? Je comprenais bien qu'il était impulsif et parlai sous le coup des émotions. Mais ça ne faisait pas tout.

     -Eh bien... Commença Alfred. Disons que Keylan compte énormément pour lui.

Je plissai les yeux, un peu incertaine quant à ce qu'il voulait me dire.

     -Ils ont des liens un peu spéciaux, me dit-il légèrement hésitant.

     -Un peu comme des frères ? Demandai-je.

     -On peut dire ça comme ça oui, s'avança prudemment le moustachu.

Je hochai la tête pour toute réponse. Je crois que je comprenais un peu mieux. Même si la grosse partie de l'histoire restait floue pour mon pauvre cerveau. Je n'étais pas convaincu qu'il puisse tenir à ce rythme-là d'ailleurs.

     -Et Adkins ? Demandai-je.

     -Je ne sais pas. Cela fait plusieurs jours que je ne l'ai pas vu, soupira Alfred.

Si l'absence d'Antonio me faisait mal, celle d'Adkins m'était insupportable. Elle avait laissé un trou béant dans ma poitrine et plus les jours passaient, plus il s'agrandissait. J'avais l'impression de le perdre un peu plus à chaque seconde. Et je ne le supportais pas.

Je ne l'avais pas vu non plus depuis ma dispute avec Antonio. Il faut dire qu'après que celle-ci ait eu lieu, j'avais retraversé le château en sens inverse afin de me rendre dans ma chambre. Et chaque personne que j'avais croisée m'avait lancé un regard soit haineux, soit rempli de dégout. Et personne n'avait fait exception. Que ce soit Aby, Roxy ou même d'autre que je ne connaissais pas. Tout le monde, sauf Emett et Alfred.

Depuis, j'étais résolument enfermée dans ma chambre. Je ne voulais plus que ce genre de regard me soit adressé. Je n'aimais pas ça. Surtout que je n'avais rien fait. J'avais d'ailleurs tout expliqué à Alfred et bien loin de me juger, il s'était montré compatissant.

     -Tu es avec moi Maïa ?

     -Excuse-moi. Tu disais ?

     -Je te trouve de plus en plus dans la lune ces derniers temps. Ça ne va pas ? Me demanda-t-il inquiet.

Je lui souriais pour toute réponse en espérant que cela le rassure un peu. Même si je ne pouvais pas lui donner tort. J'avais l'impression que ma vie m'échappait, que j'en perdais le contrôle. Je ne comprenais plus mes réactions, ni mes sentiments.

J'avais envie, plus que tout de revoir mon père. Il me manquait énormément et son état m'inquiétait au plus haut point. Mais je ne pouvais pas quitter ce château, ni même ses habitants. Je délaissais un père qui avait toujours été là pour moi, qui m'avait toujours soutenu, protégé et aimé pour une bande d'inconnu qui me jugeait bien trop rapidement.

Je ne me comprenais plus.

     -Je disais qu'il serait peut-être temps que tu sortes, me dit doucement Alfred.

     -Peut-être, lui dis-je en me tournant vers lui.

     -Cela fait bientôt cinq jours que tu es enfermée Maïa. Il faut que tu sortes.

Surprise, je me tournai vers le moustachu. Son visage était toujours aussi accueillant, et ses traits toujours aussi doux. Pourtant, son ton était ferme et résolu.

Je soufflai doucement en comprenant qu'il s'inquiétait simplement pour moi.

     -Très bien. Demain, je sortirai.

Alfred me sourit grandement, tout en prenant ma main dans la sienne avant de partir de ma chambre, non sans me dire bonne nuit. Cet homme était formidable, réellement. Et je m'en voulais un peu pour ce que j'allais faire. Je lui écrirai une lettre où je lui expliquerai tout. Je ne pouvais pas l'abandonner comme ça.

Mais je ne pouvais pas non plus rester dans ce château où tout le monde me regardait avec dédain. Même si je les aimais beaucoup, mon père passait avant tout. Ils ne m'acceptaient pas ? Tant pis. J'irai vers la seule personne qui ne m'ait jamais acceptée.

Oui, je sortirai demain. Mais je ne ferai pas le tour de la demeure, ni même des jardins.

J'irai voir mon père.

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