Chapitre 23 : Le retour

         Un frisson me glaça l'échine. Pour autant, je ne me retournais pas, fixant obstinément le mur devant moi. Je ne voulais pas le voir. Ni même l'entendre. Sa présence même m'était insupportable.

     -Belle ?

Je frissonnai de nouveau à ce nom. Venant de sa bouche, il n'y avait rien de plus dégoutant.

     -Je te fais tellement d'effet que tu en perds tes mots ? Demanda-t-il d'un ton qui se voulait dragueur.

Je me mordis fortement la lèvre inférieure, voulant m'empêcher de lui crier toutes les insultes qui ne demandaient qu'à sortir. Pendant un instant, je n'avais plus pensé à lui. A sa suffisance, son arrogance et à son égoïsme. Grave erreur.

     -Regarde-moi !

Son ton était cinglant, claquant tel un fouet. Joignant le geste à la parole, il me retourna brutalement et le haut de mon dos claqua contre le mur. Je gémis de douleur. Il n'y était pas allé de main morte.

Je pouvais presque sentir son souffle putride s'écraser sur mon visage. Ce n'était pas pareil qu'avec Adkins. Alors que lui était doux et me faisait ressentir mille et une sensation, là je ne ressentais rien d'autre que du dégoût.

     -Regarde-moi je t'ai dit !

Il m'attrapa le menton avec force et me tourna vivement la tête vers lui, si rapidement que je crus que mes vertèbres allaient craquer et je n'eus d'autre choix que d'ouvrir les yeux sous la douleur.

     -Voilà qui est mieux, susurra-t-il d'une voix mielleuse.

Mon regard alla se planter dans le sien par automatisme. Il n'avait pas changé. Ses cheveux étaient toujours aussi noirs, et ses yeux toujours aussi sombres. Yeux où brillait une légère lueur de convoitise. Je réprimais vivement un haut le cœur et demandai, d'une voix que j'espérai forte et posée.

     -Que fais-tu ici ?

C'était une question qui me taraudait depuis le début. Pourquoi était-il ici ? Ce n'était pas comme s'il y avait plusieurs heures de route entre notre ville d'origine et ce château. Alors pourquoi ?

Etrangement, je n'arrivais pas à m'imaginer qu'il puisse vivre ici. Même s'il était tout aussi bizarre que les habitants de cette demeure, il semblait comme dénoter dans cet endroit.

Plutôt que de me répondre, il resserra son emprise sur ma mâchoire ce qui fit légèrement ressortir ma bouche. Son regard s'y attarda un instant avant qu'il ne me regarde de nouveau dans les yeux.

     -Je ne sais pas. A ton avis Belle ?

Son ton suffisant m'énervait au plus haut point. Il jouait avec moi. S'amusait comme si je n'étais qu'une vulgaire distraction.

     -Tu n'habites pas ici, affirmai-je sèchement.

     -Non, en effet, me répondit-il en souriant.

     -Alors que fais-tu là ? Sifflai-je entre mes dents.

Un rictus naquit sur son visage et une lueur que j'avais appris à détester illumina son regard. J'étais pratiquement certaine de ne pas aimer ce qui allait suivre.

Il se pencha doucement vers moi, de telle sorte que j'en étais à respirer le même air que lui. Je me tassai instinctivement contre le mur, ne voulant pas qu'il m'approche d'avantage et retins de justesse ma jambe qui ne désirait qu'une seule et unique chose, se loger dans son entre-jambe.

     -Tu as refusé de m'épouser. L'aurais-tu oublié, Belle ? Susurra-t-il tout contre mes lèvres.

Mon souffle se coupa alors que je prenais peu à peu conscience de sa présence en ces lieux. Il était là pour moi. Uniquement pour moi. Sauf que je ne savais pas encore s'il était là pour se venger ou au contraire, pour me forcer à accepter sa demande.

     -Tu n'as pas répondu à ma question.

     -Tu as eu des nouvelles de ton cher père, Belle ? Eluda-t-il volontairement.

Mon souffle se bloqua une nouvelle fois dans ma poitrine. Non, je n'en avais pas. Et j'étais prête à parier qu'il le savait très bien.

     -Oh... Alors tu ne sais pas que son état a empiré ? Poursuivit-il d'un ton faussement inquiet.

Non, je ne le savais pas non plus. Mon souffle devenu erratique s'échouait durement sur son visage. Mais très honnêtement, notre proximité était désormais le dernier de mes soucis.

Son état avait empiré.

Seuls ces mots se répétaient inlassablement dans mon esprit, le percutant de part en part.

Je n'arrivais pas y croire. Je n'arrivais pas à croire qu'en quelques jours à peine son état s'était empiré.

Je savais, bien évidemment que sa maladie n'était pas à prendre à la légère, et que nous devions la surveiller de très près par faute de soin. Mais son état m'avait toujours semblé stationnaire. Alors soit il m'avait menti toutes ces années, soit mon départ avait été la cause de cette si soudaine chute.

Les remords m'assaillirent de plein fouet alors que je prenais peu à peu conscience que tout ceci était de ma faute. Si je n'avais pas lu ce stupide bouquin, je ne serai pas coincé entre ces murs. Je serai avec mon père.

Ma faute.

     -Si tu avais accepté de m'épouser Belle, tu aurais pu être auprès de ton père. Mieux encore, tu aurais pu lui payer les soins, chuchota-t-il tout près de mes lèvres.

Ses mots s'insinuèrent doucement en moi malgré mon état second, faisant sauter une à une les barrières de mon esprit pourtant barricadées.

Et je devais me rendre à l'évidence. Il n'avait pas tort. Si ce jour-là j'avais accepté sa demande, si je n'avais pas été égoïste et avais pensé à la seule personne qui comptait pour moi, alors il n'en serait pas là.

Mon papa serait à côté de moi, souriant comme jamais et enfin guérit de cette maladie qui le rongeait tant.

Ma faute.

     -D'ailleurs, pourquoi n'es-tu pas encore allé lui rendre visite ? Tu savais qu'il te demandait, et ce tous les jours ? Me demanda-t-il en insistant bien sur les trois derniers mots.

Non, non je ne le savais pas. Mais je n'avais aucune peine à me l'imaginer. A revoir mon père travaillé d'arrachepied pour satisfaire mes deux ainées, quitte à se tuer à la tâche. Le revoir partir dans sa chambre, le dos voûté et la mine triste, affichant tant bien que mal un frêle sourire pour ne pas nous inquiéter.

Mais une image me sauta soudainement aux yeux. Comme en accord avec les paroles de l'homme face à moi, elle me montra un homme assis sur une chaise, épuisé et las. Incapable de se mouvoir seul. Mais qui avait pourtant l'air résigné. Il semblait attendre, seul dans cette si petite maison.

L'image disparut aussi soudainement qu'elle était apparue alors qu'une colère sans nom gonflait dans ma poitrine à l'encontre de Keylan.

Je n'étais pas la seule fautive dans cette histoire. Et il l'était tout autant que moi.

Cet homme qui m'avait arraché à ma famille, qui m'avait enfermé dans un château aux allures féeriques mais qui avait tout d'un sombre donjon. Qui me retenait prisonnière de ces murs sans aucunes explications et qui se fichait pas mal de mes états-d'âmes.

Cet homme-là était aussi fautif que moi, si ce n'est plus. Et plus j'y pensais, plus la colère que j'éprouvais à son égard s'intensifiait.

Dans un élan de lucidité, je poussai brutalement Mike et m'éloignai rapidement de lui. J'avais compris ce qu'il voulait faire.

Il voulait me pousser à accepter sa demande de mon plein gré, en utilisant contre moi ma plus grande faiblesse. Mon père. Cet homme n'était que sournoiserie et manipulation.

Pourtant, malgré mon rejet plus que brutal, il gardait ce petit rictus suffisant aux lèvres. Parce que d'un côté, il avait parfaitement réussi ce qu'il entreprenait.

Je n'avais jamais autant détesté Keylan, et je n'avais jamais autant eu envie de quitter ce château pour voir mon père.

Je partis sans un mot, consciente que tout ce que je pourrai montrer ou dire pourrait se retourner contre moi. Cet homme était bien trop malin pour ma propre santé.

Alors que je franchissais la porte, complétement essoufflée par ce qui venait de se passer, j'heurtais violemment quelqu'un et serait tombé à la renverse s'il ne m'avait pas retenu.

Chancelante, je soufflai un rapide merci du bout des lèvres à Antonio qui se trouvait devant moi l'air suspicieux.

Un instant, il sembla perdu dans ses pensées, un petit peu comme la dernière fois où il avait humé l'air avec Adkins avant que son regard ne se repose sur moi.

Son visage s'était durcit, et plus une seule trace de gentillesse n'en émanait. Seule une dangereuse flamme semblait danser dans ses yeux. J'eus un mouvement de recul devant sa fureur évidente, ne comprenant pas pourquoi il me regardait ainsi. Qu'avais-je fait ?

     -Avec qui étais-tu ? Me demanda-t-il sèchement.

     -Quoi ? Mais je... Balbutai-je.

     -Son nom ! Cria-t-il.

     -Mike. Il s'appelle Mike, répondis-je déconcertée par son ton brusque.

     -Tu mens !

Quoi ? Je ne comprenais pas. Non, je ne lui mentais pas. Non, j'avais réellement été avec Mike. Un homme venant du même village que moi et qui m'avait demandé en mariage avant que je ne vienne ici. Pourquoi ne me croyait-il pas ?

     -Aucun Mike n'habites ici, affirma rudement Antonio. Et aucun étranger ne peut pénétrer dans le château. Tu es la seule exception. Alors Avec. Qui. Etais-tu ?

     -Mais... Avec Mike...

Ma voix s'était presqu'étranglée sur la fin. Pourquoi ne me croyait-il pas ?

Un rire jaune s'échappa de sa gorge et j'ouvris grand les yeux, choquée par l'image qu'il me renvoyait. Lui si jovial, si heureux, si avenant était littéralement en train de perdre les pédales.

     -Elle appartient à Keylan et elle s'en tappe un autre...

Même s'il se parlait à lui-même, ses mots me glacèrent d'effrois. Non, je n'avais rien fait ! Mais avant même que je puisse parler, il me fit taire de sa main et arrêta brusquement de rire.

L'homme qui me faisait face prit une grande inspiration en fermant les yeux, comme pour garder son calme. Quand il les rouvrit, son regard dur me percuta de plein fouet et je frissonnai sous son intensité. Il était d'une telle froideur que s'en était effrayant.

     -Je ne sais pas avec qui tu étais, et non, ne me dis que c'est Mike parce que je ne te crois pas, rajouta-t-il précipitamment en voyant que je voulais parler. Mais je trouverai qui c'est. Et je te jure qu'à ce moment-là, tu le paieras Maïa.

Antonio commença à partir mais se retourna finalement au bout de quelques pas.

     -Tu me dégoutes, lâcha-t-il.

Sa froideur et son dégoût apparent me glacèrent un moment avant que je ne prenne peu à peu conscience des mots qu'il venait de prononcer.

Mais avant que j'ai pu ne serait-ce que lui répondre, l'italien partit à grande enjambées ma laissant seule, furieuse et blessée et plein milieu d'un couloir.

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