Servitude - Replaytiti [Critiques CDN]
Avant de commencer...
AU LECTEUR LAMBDA
▣ Cet avis est long. Le lire entre deux cours, à moins d'avoir une (ou deux) heures de permanence, n'est pas une bonne idée. (Non, sincèrement. Si tu n'es pas l'autrice, est-ce que tu as vraiment envie de m'entendre déblatérer pendant vingt pages sur une histoire qui n'est pas la tienne ? Je serais honorée que tu lises cet avis, hein. Mais je préfère que tu saches dans quoi tu t'engages.) Il peut être pertinent de le lire en plusieurs fois.
▣ Il y aura des spoils. Jusqu'à la partie « L'histoire en elle-même » incluse, rien n'est spoilé, tranquille. Ensuite en revanche, certains éléments d'intrigue pourront être révélés. Néanmoins, si tu décides de lire cet avis, je te garantis solennellement que lire ensuite l'histoire reste une bonne idée : si certaines révélations ont pu être dévoilées, d'autres ne le seront pas et l'expérience de lecture n'en est pas vraiment compromise.
▣ Les bannières toutes mignonnes que tu peux trouver un peu partout sont l'œuvre de petite_lune_bleue (je te conseille vraiment de t'intéresser à son travail, très qualitatif). En revanche, c'est moi qui ai bidouillé le texte : si tu trouves que c'est mal fait, c'est normal, c'est la faute à mon absence de sens esthétique. De même, la couverture et la bannière en tête de chapitre sont de moi.
À L'AUTRICE
▣ Ceci est un avis personnel, c'est-à-dire subjectif – n'étant pas une machine, je ne prétendrai jamais à l'objectivité totale. Malgré mes efforts d'impartialité, ma personnalité et mes expériences passées influent forcément sur cette critique. N'hésite pas, donc, à mettre en doute ce que je dis et à exprimer ta propre opinion. (Et, au cas où, n'aie pas peur de « déranger » en me répondant : je suis toujours ravie d'avoir des retours sur mes avis !)
▣ Même en-dehors de ça, je suis une humaine faillible et je peux me tromper. (Y'a qu'à voir mes DS de physique en prépa pour s'en convaincre...) Si j'ai fait une erreur, n'hésite pas aussi à la signaler, ça m'aidera ! Pareil, si un point n'est pas clair, si tu as des questions ou si tu as l'impression que je n'ai pas abordé un aspect de l'histoire, les commentaires te sont ouverts.
▣ Même si ça commence à faire longtemps que je donne mes avis sur Wattpad, je débute dans l'art des critiques littéraires et je ne suis pas du tout certaine de la méthode que j'emploie. Si tu as des retours sur ma façon de faire, que ce soit sur le fond ou la forme, tes commentaires seront les bienvenus.
▣ Mon avis pourra par moments être négatif. En aucun cas cela ne doit te faire douter de ton histoire... Si tu l'as écrite, c'est que tu as des choses à dire, et cela prime sur toutes les remarques qu'on pourra t'adresser. Un avis est fait pour te pousser à remettre certains aspects de l'histoire en question, pas pour te décourager ; si tu sens que cela risque d'avoir cet effet, préviens-moi pour que je reformule et/ou remets ta lecture à plus tard. Toute histoire mérite d'être racontée, à partir du moment où l'auteur y met une part de lui-même.
▣ Je peux supprimer cet avis. Pas besoin de justification, si tu préfères pour une raison ou une autre qu'il n'apparaisse plus ici, demande-moi juste de l'enlever.
▣ Enfin – et c'est peut-être le plus important – aucune de mes remarques n'a vocation à être gobée toute crue et appliquée sans réflexion. Je me permets cette remarque car j'ai déjà vu des auteurs suivre à la lettre ce qu'on leur indiquait en commentaire, sans prendre la peine de se demander « dans quel but modifier cela ? Quelle faille de mon histoire cette suggestion traduit-elle ? » Le résultat était des passages qui semblaient sortir de nulle part, dont on comprenait mal l'utilité. Si tu n'appliques pas mes suggestions, je n'en serai pas vexée. Il se peut tout simplement qu'elles ne correspondent pas à ton histoire, malgré mes efforts. Je te conseille donc de te demander à chaque fois si le problème soulevé te semble réel, et si la suggestion proposée est adaptée à tes yeux. Un rappel qui te paraîtra peut-être inutile, mais ce n'est malheureusement pas une évidence pour tout le monde...
Que s'attend-on à lire ?
LE TITRE
Esthétiquement, rien à redire. C'est un titre clair et efficace, donc marquant, un seul mot qui nous reste en mémoire. On n'a pas pour autant d'impression de trop-peu, ce mot se suffit à lui-même et est évocateur.
En lisant ce titre, je m'attends à une histoire dont le personnage est asservi à la volonté d'une autre personne ou d'une institution. L'histoire tournerait autour de ce terme, je m'attends à voir explorées ses possibles significations, à le voir questionné (asservissement physique, mental ? Qu'est-ce qui nous rend réellement esclave ?). On partirait donc sur une histoire sombre, et peut-être intimiste en quelque sorte, avec un fort développement de la relation entre le personnage et celui qui l'asservit.
Est-ce que ça correspond à l'histoire ? Dans les faits, oui, l'histoire tourne autour de la servitude de Blake. Mais un titre ne véhicule pas que des faits : on attend qu'il donne aussi une idée du ton de l'histoire. Mettra-t-elle plus en avant l'aspect psychologique ou l'action ? À quel point sera-t-elle sombre ? Et sur ces deux points, j'ai l'impression que le titre ne convient pas. C'est un « problème » des titres à un mot : on s'attend à ce que ce mot soit au centre de l'histoire, qu'elle l'explore en long, en large et en travers. Or, ton histoire est avant tout centrée sur l'action ; le mot servitude en lui-même n'y est pas fondamentalement important. De plus, l'histoire n'est à mon sens pas aussi sombre que le titre le laisse entendre. Bon, elle n'est pas des plus joyeuses et il y a des moments assez durs, mais elle reste relativement lisible par tous les publics, or le mot de servitude est loin d'être anodin. Il peut être interprété de façon bien plus dure que ce que l'on voit dans le roman.
Est-ce qu'avoir un titre qui diffère, dans le ton, de ce qu'on trouve dans l'histoire, est une bonne idée ? Parfois. Un texte visant à dénoncer quelque chose pourrait par exemple afficher un titre plus léger afin de surprendre et de choquer. Mais ici, je dois dire que je n'en vois pas l'intérêt et que ça risque juste de produire une impression un peu dérangeante de décalage, de « je m'attendais à pire » qui nuirait à l'impact de tes scènes. Boon, après je suis (déjà...) en train de chipoter pas mal.
Pour l'instant, aucune suggestion de titre ne me vient. Une fois ma lecture terminée, si j'ai des idées et si tu en as envie, je pourrai t'en proposer quelques-unes.
LA COUVERTURE
Esthétiquement, je dois dire que je ne suis pas trop convaincue. Les deux images s'accordent mal, on les voit difficilement coexister : une image en noir et blanc au-dessus d'une image en couleur, ça ne passe pas trop, surtout que le découpage est un peu hasardeux (au niveau de l'épaule droite de la fille, juste à côté du « i » de ton pseudo, il y a un petit cafouillage ; plus généralement le contour est un peu brouillé et il reste une ombre autour du visage de la fille). Il vaudrait mieux accorder ces deux images, peut-être en choisissant l'image d'une fille en couleurs (certaines personnes douées sont capables de recolorier des images, sinon), ou en mettant la photo d'arrière-plan en noir et blanc (mais ça risque de donner une couverture un peu terne). C'est assez dommage que les images ne s'harmonisent pas, parce qu'individuellement elles sont assez jolies. J'aime particulièrement celle de la fille, l'expression de son visage est vraiment saisissante.
Pour la gestion du texte : le placement du titre me semble optimal, il se distingue bien sur le ciel clair. Il est assez gros, tout à fait lisible. Néanmoins, je pense que tu aurais pu choisir une police qui convienne mieux. Une police manuscrite correspond par exemple pour un journal intime, un roman épistolaire. Mais ici, je ne vois pas vraiment l'intérêt... Je pense qu'une police qui évoque la science-fiction pourrait être plus adaptée, une police qui corresponde au titre – impactante, « brusque ». Quant au nom d'auteur, j'aurais la même remarque au sujet de la police (tu n'es de plus pas obligée de prendre la même que pour le titre, ce que tu as fait pour V.I.S était très bien en ce sens : le titre dans une police qui collait à l'histoire, le nom d'auteur dans une police plus discrète et plus lisible). De plus, faire en sorte que ce nom suive l'épaule de la fille est amusant mais pas forcément très pertinent : ça le rend un peu difficile à lire et ça fait qu'on lui prête une attention qui aurait pu aller à un autre élément de la couverture. Je pense que le mettre en bas de la couverture serait plus avisé.
En voyant cette couverture, je m'attends à une histoire de fantasy ou d'historique, quelque part à l'Époque moderne (au sens de la classification historique). J'attends une histoire qui se déroule dans un château en campagne, avec pour personnage principal une jeune fille qui y vit – soit qu'elle y travaille, soit qu'elle soit de la famille des propriétaires des lieux. Je suppose, sans certitude, que la nature y tient un certain rôle.
Est-ce que ça correspond à l'histoire ? Pas vraiment. Je pense que le côté « science-fiction » pourrait être davantage mis en avant. Le château donne à l'histoire des allures de fantasy plutôt que de SF. De plus, cette couverture n'illustre pas vraiment les enjeux de l'histoire, on a une idée du cadre mais pas de ce qu'il s'y passe, ce qui suscite la tension. Rien jusqu'à présent ne donne l'idée de mère porteuse, élément pourtant primordial dans l'histoire. Je dois dire que je pense qu'une couverture bien plus technologique me semblerait mieux convenir, peut-être par exemple une couverture qui se base sur l'image d'une échographie. Simple exemple, naturellement, à toi de voir ce qui te semble adapté.
LE RÉSUMÉ
Je me propose ici de l'étudier phrase par phrase, afin de détailler à chaque fois ce qu'on en comprend. J'en profite pour y corriger les quelques fautes que j'y ai vues.
« Les humains ont un don pour * s'auto-détruire. » On commence par une phrase d'accroche qui nous lance sur la piste d'une histoire apocalyptique ou post-apocalyptique – pendant ou après une fin du monde causée par les humains. On s'attend à ce que la destruction soit importante dans l'histoire, qu'on revienne sur l'idée des humains destructeurs.
« Après de nombreuses * guerres et de nombreuses catastrophes naturelles, tout a été détruit, sauf deux villes. Les derniers survivants y sont réunis. » On confirme l'idée de la destruction par les humains, de façon assez classique : guerres et changement climatique ont eu raison du monde que nous connaissons. Seules deux villes ont survécu et concentrent l'ensemble des survivants. Cela soulève beaucoup de questions : pourquoi ces deux villes ? Sont-elles proches l'une de l'autre, interagissent-elles ? Comment leurs habitants subsistent-ils désormais ?
« D'un côté, la Fosse, de l'autre, les Classés. » Voici introduit le dernier élément de contexte : une séparation entre les deux villes, une opposition entre termes péjoratif et mélioratif qui suggère qu'une catégorie de population est favorisée. À nouveau on se questionne : est-ce lié à l'histoire des deux villes ? D'où vient cette domination ? Quelles interactions entre ces deux catégories ?
« Pour de nombreuses habitantes de la Fosse, devenir mère porteuse est une grande opportunité. La chance de pouvoir vivre dans le luxe l'espace de quelques mois. » L'idée d'une classe de population favorisée est confirmée. Les femmes de la classe supérieure font porter leurs enfants par celles de la classe inférieure, qui y voient un moyen d'augmenter leur niveau de vie. En tant que lecteur, on sent qu'il y a anguille sous roche et on se demande où est le piège.
« Pour Blake, cela signifie s'éloigner de ses proches, mais elle n'a pas le choix, car elle est choisie. » Introduction de la protagoniste, une femme nommée Blake qui, contrairement aux autres habitantes de la Fosse, ne veut pas devenir mère porteuse. La voilà donc – évidemment – choisie ; on découvre par cette occasion que cette « opportunité » n'est pas optionnelle. On suppose à présent que l'histoire va suivre le parcours de Blake chez ceux dont elle portera l'enfant.
« La vie chez les Classés n'est pas de tout repos, loin de là. Mais c'est lorsqu'elle rencontre James que tout bascule. » Comme on s'y attendait, Blake ne va pas couler des jours tranquilles chez les Classés, elle y risque probablement sa vie. On introduit également James, probablement un intérêt amoureux, qui va faire basculer la situation ; allié ou ennemi, on ne sait pas encore.
« Un grand merci à @UnUniversAuHasard pour son aide ! » Assurément la phrase la plus importante du résumé, à ne pas changer d'un poil (je blague, je blague...).
Sur la forme, ce résumé est tout à fait correct ; attention toutefois à la répétition de « détruire » au premier paragraphe. « Tout a été dévasté » correspondrait aussi pour la deuxième phrase. Sinon je n'ai rien à redire, le résumé est dynamique et fluide. Le suspense est bien entretenu, chaque phrase nous donne envie de lire la suivante.
Sur le fond, le début me pose un peu le même problème que le titre et la couverture : il ne semble pas annoncer l'histoire qu'on s'apprête à lire. On s'attend à un monde en ruines, péniblement reconstruit ; aux premiers pas de l'humanité après la catastrophe. Or dans l'histoire, on trouve un ordre parfaitement établi, comme si les personnages vivaient ainsi depuis toujours. Je pense donc qu'évoquer l'origine de ton univers n'est pas nécessaire dans le résumé puisque ça ne tient pas une place importante dans l'histoire. Tu n'as pas besoin de démarrer aussi tôt, commencer dans le vif avec la séparation Classés/gens de la Fosse suffirait.
Je pense de plus que l'idée qu'être mère porteuse ne se décide pas pourrait être plus claire dès le départ, ce qui te permettrait d'alléger la phrase sur Blake. Je verrais bien quelque chose comme « Chaque année, des jeunes filles de la Fosse sont sélectionnées pour porter les enfants des Classés. Pour la plupart d'entre elles, c'est l'opportunité de pouvoir vivre dans le luxe l'espace de quelques mois ; mais Blake, elle, n'avait aucune envie d'être choisie et de quitter ses proches. »
Enfin, on a finalement peu d'informations sur l'intrigue en elle-même. Les deux dernières phrases sont censées l'introduire, mais je pense qu'elles pourraient être plus efficaces. La première est assez générique : on se doute que ce n'est pas de tout repos, sans quoi il n'y aurait pas d'histoire... Il lui manque un enjeu, quelque chose qui accroche le lecteur, une difficulté à laquelle Blake serait confrontée. (Je reviens là-dessus par la suite, dans l'avis.) La phrase sur James me semble assez mensongère, tant dans les faits – je n'ai pas eu cette impression de basculement lors de la rencontre avec James, même si son personnage est important – que dans ce qu'elle suggère – l'histoire d'amour ne prend, pour l'instant, pas une place énorme, si bien qu'il n'est pas exact de dire qu'elle fait basculer les choses. (Si cela intervient à un moment que je n'ai pas encore lu, c'est peut-être un peu tard dans l'histoire pour en parler dans le résumé.)
Néanmoins, ce résumé reste pertinent. Il introduit bien le contexte de l'histoire, on a les éléments nécessaires pour ne pas être perdu à la lecture. De plus, il est dynamique, bien écrit et intrigant, ce qui donne envie de découvrir l'histoire.
EN BREF...
Ta première impression est au final assez complète, le résumé comblant les lacunes de la couverture et du titre. Néanmoins, comme la couverture est assez éloignée, dans ce qu'elle transmet, du titre et du résumé, on peut ressentir une impression de décalage, de manque de cohérence. C'est pourquoi je te suggérais d'évoquer davantage d'éléments de l'histoire à travers ta couverture.
De plus, cette première impression peut tout de même induire en erreur sur certains sujets en suggérant que l'histoire sera davantage liée à notre époque, que l'idée de destruction du monde/reconstruction d'un monde nouveau y sera importante. L'intrigue avec James est peut-être trop mise en avant – mais là, je manque d'objectivité puisque je n'aime vraiment pas les romances...
Remarques un peu chiantes sur la mise en page et la correction du texte
ORTHOGRAPHE ET SYNTAXE
J'ai parfois relevé quelques fautes d'orthographe ou de grammaire, dont certaines assez récurrentes : « ai-je » que tu écris souvent « ais-je », et les verbes du premier groupe au futur que tu écrivais comme au conditionnel passé (par exemple « je sentirai » souvent écrit « je sentirais »). La terminaison du futur à la première personne est -ai, pas -ais. Il y en avait peut-être d'autres qui revenaient souvent, pour être honnête je n'ai pas pris de notes sur l'orthographe donc il se peut que j'en aie oublié ou que je me trompe.
Pour la typographie, tu utilises les bons tirets de dialogue mais il faudrait un espace après : on écrira « — Fini » et non « —Fini ». De plus, tu utilisais à quelques reprises des tirets en guise de parenthèses : « Elle nous dit de manger avec des couverts -j'ai envie de la gifler-, nous conseille de ne jamais contredire nos maîtres. » C'est juste dans l'idée, on conseille d'utiliser les tirets plutôt que les parenthèses dans un roman, mais il faut utiliser les tirets demi-cadratins (–), un peu plus longs que les tirets du 6 (-). Normalement ils se trouvent au même endroit que les cadratins des dialogues, n'hésite pas à me demander de l'aide si tu ne les trouves pas ! De plus, il faut mettre un espace avant le tiret, et en général après – les seuls cas où il n'en faut pas, c'est quand il est suivi d'une virgule. En gros, ce tiret se comporte comme un mot normal avec les espaces. Cela donnerait dans la phrase que j'ai relevée : « Elle nous dit de manger avec des couverts – j'ai envie de la gifler –, nous conseille de ne jamais contredire nos maîtres. » Enfin, dans un texte français on utilise les guillemets français « » et non anglais "" (sauf quand on met des guillemets dans les guillemets, par exemple lorsqu'un personnage rapporte les paroles d'un autre – n'hésite pas à me signaler si ce n'est pas clair). Si tu ne sais pas où les trouver, je peux t'aider.
Sinon je n'ai rien à redire, la syntaxe est bonne, les autres règles typographiques sont respectées.
ORGANISATION DES CHAPITRES, MISE EN PAGE
Les chapitres sont bien découpés, tu finis en général à un moment fort de l'histoire, avec du suspense, ou avec une fin de chapitre qui claque. Je n'ai jamais ressenti cette impression étrange que le chapitre aurait dû continuer, qu'il était coupé artificiellement. Pareil pour les paragraphes, ils sont coupés aux endroits adéquats et leur taille est bien choisie pour le confort de lecture. Cela donne un texte fluide qui se lit facilement.
J'ai en revanche deux remarques sur l'organisation des chapitres. Tout d'abord, je ne te conseille pas d'écrire « Chapitre 1 (Prologue) » en titre du premier chapitre. Un texte ne peut pas être à la fois un chapitre et un prologue : le prologue est détaché du reste de l'histoire, par le point de vue (raconté d'un point de vue différent de ceux des chapitres, ou alors au point de vue omniscient ou externe), soit par la temporalité (situé bien avant ou après l'histoire), soit parce que ce n'est pas de la narration mais un extrait d'un texte, un mythe, une réflexion de l'auteur, etc. En l'occurrence, ce texte est bien un chapitre, il n'est pas détaché du reste ; une histoire n'a pas toujours besoin d'un prologue, ici ce chapitre 1 est suffisant pour nous plonger dans l'histoire.
De plus, ce n'est vraiment qu'une suggestion et pas une critique mais, si tu as des idées pour cela, n'hésite pas à nommer tes chapitres ou séparer ton texte en parties. Avec 36 chapitres à l'heure où j'écris ces lignes, tu commences à en avoir pas mal – de quoi désorienter un lecteur qui voudrait retrouver une scène en particulier... Pouvoir se dire « ah oui, c'était au début de la partie II » ou « oh, vu le nom de ce chapitre ça doit être ici » aiderait. Bien sûr, ce n'est à faire que si tu trouves cela pertinent et que tu as les idées pour nommer chaque chapitre/délimiter les parties.
Enfin au sujet de la mise en page, je pense que tu pourrais davantage mettre en valeur les parties qui ne sont pas de la narration. Par exemple au chapitre 29, alors que le médecin s'apprête à modeler l'enfant qu'elle porte, Blake lit les caractéristiques qu'Isaure réclame pour son enfant. Celles-ci sont simplement mises entre guillemets, ce qui n'est pas très esthétique et peut être confondu avec des pensées ou des dialogues. En général, lorsqu'on retranscrit un texte, on le met en italique, sans guillemets, éventuellement en sautant une ligne avant ou après.
Mais cette remarque relève du détail, ta mise en page est bien faite et le texte est globalement très agréable à lire !
Nous y voilà enfin, après ces parties un peu longues. L'avis qui va suivre sera découpé en plusieurs parties assez arbitraires. Je n'ai pas totalement suivi le classique plume – intrigue – univers – personnages car trop d'éléments de l'un se répercutent sur les autres, ce qui aurait rendu mon avis vraiment bordélique (et il n'en a pas besoin...). Il y a tout de même des renvois d'une partie à l'autre ; un texte est avant tout une unité, tous les éléments sont imbriqués, donc ce n'est pas très étonnant.
Globalement, Servitude est une histoire dynamique, bien racontée. J'ai apprécié ma lecture et les thèmes que tu développes dans le texte. Néanmoins, il y a pour moi deux enjeux majeurs dans l'écriture de cette histoire : une intrigue un peu précipitée qui désoriente le lecteur, et la nécessité de se démarquer des histoires sur le même thème pour proposer aux lecteurs quelque chose de novateur. C'est parti pour développer cela, ainsi que les quelques autres enjeux mineurs que j'ai repérés !
Une exposition entraînante qui implique le lecteur, mais qui laisse de côté trop d'éléments importants
UNE PRÉSENTATION DE L'UNIVERS DYNAMIQUE
L'exposition, globalement, me semble plutôt réussie. J'ai eu assez peu l'impression que Blake me racontait son monde, peu d'informations étaient expliquées. Il y a eu néanmoins quelques cafouillages, quelques moments où j'ai eu l'impression d'un décalage. Il aurait parfois fallu expliquer les choses d'une façon plus subtile.
Par exemple, dans le chapitre 1, quand Blake discute avec sa mère, elle lui dit « Je rentre à midi, d'accord ? Papa devrait rentrer vers dix heures, c'est ce qu'il a dit hier » : on ne comprend pas pourquoi elle en informe sa mère, qui a priori est déjà au courant... On finit par conclure que cette phrase est destinée au lecteur et pas à la mère. Dans l'idéal, il faudrait qu'on ne se questionne pas là-dessus, que les dialogues semblent couler de source. Par exemple, ici, Blake pourrait juste dire qu'elle rentre à midi, et l'information du retour du père pourrait être donnée par une réaction de la mère, du genre « Mais ton père a dit qu'il arriverait à dix heures, tu devrais profiter de sa présence... » À mon avis, cela semblerait plus logique et fluide, l'heure de retour du père ne détonnerait pas.
Autre exemple, dans le chapitre 2, quand la femme explique qu'elles vont devenir mères porteuses, Blake reprend : « Effectivement, nous allons devenir mères porteuses » avant d'expliquer pourquoi. Le moment me semble mal choisi : va-t-elle vraiment penser à tout cela alors qu'elle doit juste être terrifiée à l'idée d'être sélectionnée ? Il serait, je pense, plus pertinent de donner les explications après, ou de les intégrer au discours de la femme qui pourrait juger utile de rappeler le bien-fondé de ce système... C'est ce qu'on a par exemple au début de Hunger Games : avant le tirage au sort, la présentatrice explique, selon la version officielle, pourquoi ces Jeux ont lieu chaque année. Un moyen comme un autre d'assoir l'autorité de l'État. Ainsi, l'explication intervient à un moment où elle semble totalement à sa place, et par la suite, le lecteur assiste au tirage au sort en étant conscient des enjeux.
J'ai détaillé ces deux exemples pour essayer de montrer ce qu'il est possible de faire pour rendre l'exposition plus naturelle ; n'hésite pas, si cela te convainc, à relire ton début en te demandant à chaque information donnée : « est-ce que cette information est à sa place, est-ce que Blake pourrait raisonnablement y penser à ce moment/est-ce qu'elle pourrait venir naturellement dans le dialogue ? Et, si non, est-ce que je peux la transmettre d'une autre manière, est-ce qu'il y a un passage du texte auquel elle pourrait être intégrée ? »
Malgré cette critique, ces moments restaient rares et, dans l'ensemble, j'ai trouvé qu'on entrait vraiment bien dans l'histoire. Tu donnais pas mal d'informations sur le niveau de vie des habitants de la Fosse et de la famille de Blake en particulier, sans que cela n'ennuie ou ne perde le lecteur ni ne semble artificiel. On la suivait simplement dans son début de journée, on la voyait vivre sa vie...
Ton exposition est donc dans l'ensemble efficace, tu nous plonges dès le début dans un récit dynamique qui réussit à faire passer pas mal d'informations.
DES ÉLÉMENTS TROP VITE SURVOLÉS
Néanmoins, en poursuivant ma lecture, je me suis parfois trouvée désarçonnée face à certains éléments. Des scènes du passé de Blake et des choses qu'elle était censée savoir dans la Fosse étaient évoquées... mais on n'en trouvait pas trace dans les premiers chapitres, alors que ç'aurait dû apparaître dans ses pensées (je ne parle pas ici de ses souvenirs modifiés, naturellement). C'est sans doute parce que l'histoire est un premier jet, des détails se rajoutent au fil des chapitres, mais c'est assez désarmant pour le lecteur.
Par exemple, on ne sait que Blake est « une guérisseuse hors pair » qu'au chapitre 5, alors qu'elle a quitté la Fosse. Pareil pour la situation de sa famille qui repose en grande partie sur elle. Il aurait, je pense, été pertinent de développer cela dès le premier chapitre : cela pourrait très bien s'intégrer à la discussion avec sa mère, ou bien ça pourrait être une occasion de développer la relation de Blake avec son père en les montrant tous les deux s'inquiéter de l'avenir si elle est tirée au sort. Ainsi on aurait pu deviner, concrètement, l'impact de la sélection de Blake sur sa famille.
De même – je crois que je m'en étais étonnée en commentaires, d'ailleurs –, tu expliques au milieu de l'histoire que les mères porteuses se voient attribuer un mari et vivent dans le luxe le reste de leur vie, ce qui les motive à accepter leur sort. Il aurait donc fallu mentionner cela plus tôt, dans les premiers chapitres.
Globalement, je pense que les premiers chapitres manquent d'informations sur le système des mères porteuses. On ne connaît que superficiellement l'état d'esprit de Blake à ce propos : on sait qu'elle est angoissée, mais on ne sait pas ce qui, exactement, lui fait peur. Il aurait été pertinent de davantage développer ce que savent les habitants de la Fosse des mères porteuses dans ces premiers chapitres.
Certes, assommer le lecteur de descriptions dès le début est risqué, et il faut choisir les informations que l'on communique. Mais lorsque tu nous montres une scène, elle aura bien plus d'impact si on en connaît les enjeux. Pour reprendre un motif très (trop ?) utilisé dans certains prologues, si un livre s'ouvre sur un personnage qui court dans une forêt, tu le vois courir et puis c'est tout. Pour accrocher à la scène, il faut que l'on sache le pourquoi du comment, même de façon sommaire : que fuit ce personnage, que risque-t-il s'il est rattrapé ? Qu'a-t-il à gagner et, surtout, que pourrait-il perdre ? À cette condition, on se sent impliqué dans la scène, on craint que le personnage ne soit rattrapé. Ici, c'est pareil. Savoir ce que risque Blake si elle est sélectionnée, savoir ce qu'elle pourrait perdre – ce qui pourrait être montré en développant sa relation avec sa famille, par exemple –, nous pousserait à nous impliquer dans la sélection, à angoisser à l'idée qu'elle soit choisie tout en sachant que cela va arriver.
Une deuxième utilité de développer sa relation à sa famille : cela te permettrait de donner une base solide au lecteur. Là, je dois dire qu'au moment des souvenirs modifiés, je me souvenais très mal de sa relation avec sa famille. C'est dommage car cela donne l'impression que tu « trompes » le lecteur en lui cachant au début la relation de Blake à sa famille. Il serait à mon sens plus pertinent de nous montrer leur relation telle qu'elle est au début et d'insinuer, dans les souvenirs modifiés, que ce n'était qu'une façade. Ainsi, on pourrait se mettre à douter en voyant ces faux souvenirs, se dire que la réalité qui se cachait derrière la joie du début était bien sombre... puis, lorsqu'on commence à avoir des soupçons ou lorsque la vérité est dévoilée, on connaîtrait les vrais souvenirs, et on pourrait s'attrister de ce que perd Blake. Actuellement, les passages où elle voyait de faux souvenirs avaient de l'effet sur moi parce qu'ils nuisaient à la santé de Blake et à sa combativité ; mais je pense qu'ils auraient pu en avoir bien davantage si j'avais su quelle relation elle oubliait lentement.
Des péripéties entraînantes mais qui manquent de cohésion
DES ENJEUX À CLARIFIER
Au départ, l'intrigue est clairement posée. Blake se retrouve choisie pour être mère porteuse alors qu'elle voudrait rester dans sa famille. On a donc dès les premiers chapitres une tension qui s'installe : la contrainte exercée sur le personnage principal, retenu contre son gré. Cela suscite des questions – que vont-ils lui faire ? Blake tentera-t-elle de fuir ou acceptera-t-elle son sort ? Se prendra-t-elle finalement au jeu ? L'histoire est donc très prometteuse au niveau des enjeux ; mais, pour moi, c'est une promesse qui n'est pas entièrement tenue.
En effet, Blake est sélectionnée, suit la formation de mère porteuse... et après ? La voilà chez Isaure, à vivre la vie d'une mère porteuse ; le lecteur se laisse porter par les évènements. On ne le remarque pas tout de suite : il y a la nouveauté, les changements à intégrer... Puis on commence à se poser des questions. Que va-t-il se passer par la suite ? Comment l'intrigue va-t-elle évoluer ? Et c'est là, pour moi, que ça coince. Parce qu'on n'a aucune idée de la réponse à ces questions : on ne peut que se baser sur nos lectures d'autres dystopies pour tenter d'y répondre, et ça me semble assez contre-productif de pousser le lecteur à faire des liens avec d'autres histoires déjà existantes : cela peut l'amener à trouver que l'histoire manque d'originalité. Je pense que tu pourrais donner plus d'éléments au lecteur pour qu'il puisse tenter de deviner ce qu'il va se passer.
Cela ne signifie pas, naturellement, dévoiler toute l'intrigue, ni même spoiler un élément en particulier. Il ne s'agit pas d'expliquer quelque chose au lecteur, mais de lui donner les moyens de forger ses propres opinions. Pour reprendre l'exemple de Hunger Games, la fin n'est pas spécialement devinable avec certitude. Mais l'autrice nous donne tous les éléments dont on a besoin pour l'imaginer : au moment où Katniss entre dans l'arène, on sait ce qu'elle risque d'y trouver grâce aux quelques récits auxquels on a eu droit plus tôt ; on sait par quel moyen elle peut espérer survivre – se débrouiller elle-même ou attirer l'attention des sponsors –, on sait quels sont ses forces et ses faiblesses, on connaît les principaux traits de sa personnalité ainsi que ses relations avec Peeta. Lorsqu'on veut imaginer ce qui va se dérouler dans l'arène, on peut penser à de multiples scénarios, directement alimentés par les informations que l'autrice a données plus tôt. Ce n'est pas pour autant que la fin n'est pas surprenante ou que l'histoire était prévisible. On peut s'imaginer plusieurs scénarios sans pour autant savoir lequel se produira.
C'est ce que je te conseille de faire ici. Il ne s'agit pas de nous dévoiler la fin de l'histoire, mais de nous donner des pistes de réflexion. Il y a une grande différence entre « j'ai aucune idée de ce qu'il pourrait se passer » et « il y a tellement de possibilités que je ne sais pas comment décider ».
Ce qu'il m'a manqué, c'était de connaître l'enjeu principal de l'histoire, ce autour de quoi elle s'articulait. Il y a bien la situation de mère porteuse de Blake, mais c'est quelque chose de passif et de stable : une fois chez Isaure, elle n'a plus qu'à se laisser porter. Il faudrait à ce moment-là par exemple avoir une intrigue secondaire – la préparation d'une fuite, une menace qui pèse sur Blake, ... – qui guide les chapitres et les actions de Blake.
UN PERSONNAGE UN PEU TROP PASSIF
Et ce serait encore mieux, je pense, si cette sous-intrigue venait d'une initiative de Blake. J'ai trouvé au cours de l'histoire son personnage vraiment passif. Je te conseille de faire le test de relire l'histoire en y cherchant les moments où Blake prend une « vraie » décision, c'est-à-dire une décision qui suive ces trois critères :
▣ Ne pas être « évidente » ; il faut qu'elle ait autant à gagner/à perdre suivant les deux options. Par exemple, chaque jour elle fait le choix de ne pas se jeter par la fenêtre, mais comme elle n'en est pas (encore ?) à un stade où le suicide semble être une option alléchante, ce n'est pas une vraie décision.
▣ Ne pas impliquer qu'elle reste passive. Par exemple, décider de ne pas fuir revient à rester passive, donc ça n'est pas une décision active.
▣ Avoir une véritable influence sur l'histoire. Par exemple, elle peut choisir de jouer du piano ou aux cartes, c'est une décision mais son impact sur la suite n'est pas délirant (cela pourrait, avec un retournement de situation tordu comme on les aime, mais puisque Blake n'en aurait pas eu connaissance en prenant sa décision, ça ne compterait pas non plus).
Je pense que ces moments sont trop rares dans l'histoire. Cela m'a donné l'impression que Blake se laissait porter, qu'elle ne faisait rien pour améliorer sa situation. Il y avait certes quelques moments de révolte contre Isaure ou le système, mais ceux-ci ne menaient à rien : ils ne faisaient pas dévier l'histoire de son cours.
Si tu regardes les histoires que tu apprécies, tu réaliseras sans doute que le personnage s'y place très vite en acteur. Ainsi, dans Hunger Games (je suis désolée de toujours y revenir, j'ai vu dans les commentaires que tu l'avais lu donc au moins je suis certaine de ne pas spoiler et de parler de livres que tu connais...), Katniss se porte volontaire pour participer aux Jeux à la place de sa sœur. Elle se pose dès le deuxième chapitre en personnage moteur, qui ne se laisse pas porter par les évènements mais décide de les influencer. Puis, au cours du livre, elle prend à nouveau des décisions, d'ampleur variable, qui font qu'on a vraiment l'impression de la voir agir. Dans Harry Potter (je vais supposer que tu as lu, mes excuses si ce n'est pas le cas), Harry décide dès le début d'enquêter sur le mystère de la pierre philosophale (même s'il est grandement aidé par ses oreilles qui traînent partout) ; on sent d'ailleurs que c'est une vraie décision au moment où, plus tard dans le livre, il y renonce dans l'espoir de vivre une scolarité normale. Rares sont les livres où le personnage reste passif face au scénario.
Pourquoi éviter les personnages passifs ? Parce qu'ils sont souvent très frustrants. Quand on lit une histoire au scénario prenant, on se dit face aux difficultés que rencontre le personnage « oh, je réagirais de cette façon... je me demande ce qu'il va faire, c'est une situation compliquée ». Et découvrir que le personnage, eh bien, ne fait rien, ça frustre. On a envie de vivre l'histoire à sa place, de prendre des décisions pour lui, de découvrir ce qu'apportent les options qu'il n'explore pas... Finalement, on ressent une sorte d'impuissance : coincé dans le corps d'un personnage inactif, on est contraint à la passivité alors qu'on voudrait agir.
Je te conseille donc de rendre Blake plus actrice, de lui définir un véritable but dans l'histoire. Car au final que veut-elle faire ? Une fois que sa situation est établie, qu'elle sait qu'elle se trouvera chez Isaure, qu'envisage-t-elle pour l'avenir ? C'est quelque chose qui a pas mal manqué pour moi : une réflexion à long terme de Blake, un questionnement sur son avenir. Elle semblait vivre uniquement dans le présent. Je pense que tu gagnerais à fixer un but précis à Blake et à montrer comment ses actions s'articulent autour de ce projet. Il peut aussi être intéressant de montrer comment son but évolue au fil de l'histoire et de ses connaissances. Si sa volonté initiale est par exemple de saisir la moindre occasion pour fuir et retourner vivre avec sa famille dans la Fosse, on peut sentir qu'au fil du temps cette volonté s'émousse, que Blake doute peu à peu du bien-fondé de retrouver sa famille et finisse par se définir un nouveau but.
Une autre chose qui m'a dérangée dans la passivité de Blake, c'est que, puisqu'il faut bien faire avancer l'histoire et qu'elle ne faisait rien activement pour cela, elle semblait toujours bien tomber : elle était au bon endroit au bon moment à trop de reprises. J'ai trouvé qu'elle surprenait un peu trop de discussions sans fournir aucun effort pour cela. C'est dommage car il serait vraiment simple de régler ce point : dans sa situation, il est naturel de vouloir se renseigner le plus possible sur ce qui nous entoure. Elle pourrait donc chercher activement à surprendre ces échanges : explorer la demeure d'Isaure, se placer là où elle sait que des discussions ont souvent lieu, bref, partir elle-même à la recherche de l'information. Au lieu de se dire « veinarde, la p'tite, tout lui tombe dans le bec », on estimerait Blake pour sa détermination.
De plus, j'ai l'impression qu'elle accepte parfois trop vite le mystère, qu'elle recule un peu pour rien. Je pense par exemple qu'une fois qu'elle sent que quelque chose ne va pas dans la relation entre James et sa mère, elle peut davantage investiguer : questionner James, mais surtout tenter de les surprendre dans leur intimé. Cela me semblerait plus réaliste et moins frustrant de la voir simplement relever l'anomalie et l'oublier quand James lui dit de le faire.
Elle avait de plus pas mal de « chance », une intuition inexpliquée qui la poussait à s'inquiéter spécifiquement de certains détails en occultant les autres. Je te conseille de faire attention à cela qui a un peu le même effet que sa passivité : l'impression que Blake est « trop aidée » par le scénario. N'hésite pas à utiliser les péripéties pour mettre ses qualités en valeur, et vice-versa à créer des péripéties où ses qualités sont utiles. Par exemple, savoir que Blake est une guérisseuse hors pair n'est pas très intéressant en soi ; mais si au chapitre 42 cela lui permet de sauver la vie d'un allié ou d'identifier une tentative d'empoisonnement, l'anecdote prendra tout son sens. N'hésite pas aussi à faire l'inverse : placer le personnage en difficulté, dans une situation où ses qualités sont inutiles, est assez instructif. Sa réaction face à une situation de faiblesse nous renseigne beaucoup sur lui.
Je te conseille donc de t'interroger sur ce que veut Blake et de la montrer développant les moyens pour y parvenir. C'est ainsi qu'elle prendra du relief et cela nous permettra de mieux s'attacher à elle.
UNE INTRIGUE PARFOIS PRÉCIPITÉE
Un dernier élément qui a renforcé mon impression que l'histoire n'avait pas d'enjeu, c'est la précipitation dans l'intrigue. Les intrigues semblaient trop vite résolues : un problème se présentait, était (plus ou moins avantageusement pour Blake) résolu, puis on l'oubliait. Le texte en semblait saccadé, avec trop peu d'enchaînements ; j'aurais apprécié que l'on revienne plus souvent sur ce qu'il s'était passé. Je pense que tu pourrais davantage lier les évènements entre eux. Là, ils ne semblaient pas s'influencer les uns les autres, si bien qu'on ne comprenait pas l'utilité de les inclure dans l'intrigue : ils ne marquaient ni le scénario, ni les personnages.
L'exemple le plus flagrant me semble être la tentative de viol subie par Blake. Une agression, même si elle ne se termine pas en viol, c'est un traumatisme. Ça laisse des traces, des traces qui ne s'effacent pas en quelques jours. Il faudrait développer bien plus les conséquences que cela a sur Blake. Si tu te sens de le faire, je te conseille de te renseigner sur ce qu'il se passe dans la tête d'une victime d'agression, sur le moment et plus tard. C'est un processus très intéressant (je peux développer si tu le souhaites, mais vu que ce n'est pas forcément agréable, je ne vais pas t'en infliger la lecture si tu ne préfères pas) et cela te permettrait de crédibiliser les réactions de Blake.
Ce n'est pas un sujet sur lequel il est amusant de se renseigner, certes ; mais je pense que le faire est important si on veut traiter correctement le sujet – et le viol est un thème sur lequel tant de fausses croyances, de préjugés sont diffusés qu'il vaut mieux éviter d'ajouter à la pile. Je ne pense absolument pas que tu aies de mauvaises intentions ni rien, c'est simplement une conséquence de la banalisation du viol dans notre société ; mais montrer une jeune fille qui se remet en quelques heures d'une tentative de viol, qui est capable d'embrasser un mec juste après sans que ça ne réveille rien, ça ne me semble pas très réaliste et ça participe malheureusement à banaliser l'impact du viol. (Encore une fois, ceci n'est pas une accusation. Écrire sur le viol pour le dénoncer est une très bonne chose, mais il y a malheureusement dans notre société un cercle vicieux qui rend cela difficile : on lit/entend dans la vraie vie des fausses croyances sur le viol, qu'on propage dans nos écrits, qui influencent à leur tour les lecteurs dans leur comportement...) D'autant qu'ici, on voit mal l'utilité que cette tentative de viol a dans l'histoire ; inclure sans raison une scène aussi peu anodine semble assez déplacé, je te conseille donc de mieux l'articuler avec le reste du récit. Pourquoi ces gardes se mettent-ils en tête d'agir ainsi ? Y a-t-il par exemple, derrière, l'intention de nuire à Isaure en ruinant sa réputation ou en mettant sa fille en danger ? Les gardes obéissent-ils aux personnes qui pourraient tenter d'empoisonner Blake ou à leurs alliés ?
Pour montrer l'impact de cette tentative de viol, tu pourrais par exemple utiliser la relation avec James. S'il veut aller plus loin (pas forcément un acte sexuel mais lui toucher les seins ou les cuisses, ou simplement l'embrasser), elle peut refuser ou avoir beaucoup d'appréhensions à cause de l'agression. Elle peut même craindre irrationnellement, juste lorsqu'il est à côté d'elle, que son comportement bascule soudain dans la violence. Le moment où son futur mari l'« examine » peut également être utilisé pour faire resurgir son traumatisme ; ce genre de scène juste après avoir été agressée sexuellement, c'est sans doute un coup à ramener les souvenirs puissance mille – ça me semble d'ailleurs assez incohérent que son corps ne s'en rappelle pas.
J'ai détaillé le viol car c'est un sujet qui me semble assez important et non négligeable, mais d'une manière plus générale je te conseille de te pencher sur les péripéties qui jalonnent cette histoire et de te demander à chaque fois si elle est utile à l'histoire, si on sent bien son impact.
En fait, j'ai l'impression qu'il y a dans l'histoire un certain déséquilibre : des scènes importantes sont survolées alors que d'autres où il ne se passe pas grand-chose s'étalent sur plusieurs chapitres. Je pense notamment aux moments qui suivent l'arrivée de Blake chez Isaure, avant la scène de l'agression. À part certains chapitres assez mouvementés, l'intrigue y est assez « plate », on a du mal à voir où on se dirige. C'est particulièrement dans ces moments-là que j'aurais aimé voir Blake agir. N'hésite pas à faire des liens avec les chapitres précédents, à renvoyer à des situations vécues par Blake, à des informations qu'elle a découvertes. J'y reviendrai, mais c'est quelque chose que tu réussis très bien en installant l'intrigue des souvenirs modifiés. On sent d'abord peu à peu la vérité monter au fur et à mesure que les indices s'accumulent, on comprend de mieux en mieux... puis c'est la révélation – et on voit, par la suite, Blake se laisser peu à peu prendre au piège.
La semaine de formation pourrait également être mieux racontée, je pense. Je dois dire que je l'ai oubliée assez vite ; je te conseille donc de la rallonger, d'essayer d'y inclure des évènements importants, des découvertes de Blake sur le monde des Classés, des liens approfondis avec une autre mère porteuse si cela peut s'avérer pertinent. Sinon, si rien de vraiment intéressant ne peut s'y dérouler, tu peux aussi la résumer en un chapitre (mais ça me semble assez risqué de résumer l'intrigue si tôt dans l'histoire, ça risque de donner une impression assez décousue concernant le rythme). En tout cas, je dois dire que cet entre-deux m'a perturbée, je ne savais pas quelle importance accorder à cette semaine de préparation.
Une histoire globalement cohérente, mais quelques cafouillages
UNE INTRIGUE MAÎTRISÉE MALGRÉ QUELQUES ERREURS
L'enchaînement des évènements est globalement maîtrisé, l'histoire gardait sa cohérence et les situations présentées me semblaient assez plausibles. Mais à quelques reprises, j'ai relevé des incohérences concernant le scénario. Je t'en ai parfois fait part en commentaires, parfois non car j'attendais de voir si une explication viendrait ou car je ne l'ai relevée qu'en relisant. Je me permets donc de te les lister ici.
Naturellement il n'y a aucune garantie d'exhaustivité, je ne suis pas spécialement douée pour débusquer les incohérences donc j'ai pu ne pas en relever certaines. Il se peut aussi que je me sois trompée, que j'aie manqué une explication. Voici donc une liste potentiellement erronée, en espérant qu'elle t'aidera tout de même.
▣ Dans le premier chapitre, Blake mentionne un miroir dans sa chambre, or on insiste aussi sur la pauvreté de sa famille. Est-ce qu'un miroir est vraiment l'acquisition prioritaire d'une famille pauvre ? Ce n'est évidemment pas impossible, mais je pense qu'il faudrait le justifier. D'autant que ce miroir n'est pas un bien commun à toute la famille, il se trouve dans la chambre de Blake, donc réservé à son seul usage.
▣ Dans le même genre, ça me semble difficile à croire qu'alors que sa famille peine à subsister, Blake trouve le moyen de mettre assez d'argent de côté pour qu'ils puissent vivre sans elle pendant cinq mois.
▣ Au sujet de la mère de Blake, je pense qu'il aurait fallu justifier son incapacité à subsister par elle-même. Ça me semble assez gros qu'une personne ne développe aucun talent alors que la survie est si difficile. Par « talent » je n'entends pas quelque chose d'incroyable, hein, mais on parle de gens très pauvres, qui doivent mettre leurs enfants à contribution très tôt ; que la mère n'ait pas appris à assurer sa subsistance me semble donc peu crédible. Cela serait logique si par exemple elle était tombée malade (physiquement ou mentalement), mais il faudrait, je pense, le montrer dès le début. D'autant que cela renforcerait l'inquiétude du lecteur : Blake sera-t-elle obligée de partir, abandonnant sa mère malade ?
▣ Je n'ai pas compris tout ce qui se passe avec les pilules (en-dehors de celles qui modifiaient sa mémoire). Quel intérêt de lui faire cracher du sang, par exemple ? Et pourquoi le médecin lui révèle-t-il leur effet ? Mentir à Blake en lui disant que c'est pour contrer la douleur ou dissoudre les pilules dans sa nourriture serait plus efficace. Je pense que cela mériterait plus de développement.
Je crois que je n'ai rien à dire d'autre sur les incohérences de scénario. J'ai relevé quelques autres incohérences en commentaires, mais globalement l'histoire se tient très bien.
LA COHÉRENCE DANS L'UNIVERS
Ce point te paraîtra sans doute un peu tordu. Il ne s'agit pas d'incohérences au sens strict du terme. Mais je pense que ton univers mériterait d'avoir une identité qui lui soit propre, quelque chose qui nous fasse dire « ah oui, ça, ça appartient bien à cette histoire ». J'essaierai d'aborder cela plus en profondeur dans la prochaine partie, j'ai conscience que cela peut pour l'instant sembler très abscons. Mais l'idée principale est de faire en sorte que l'univers de l'histoire représente un tout ; bref, de développer la cohérence de l'histoire au sens littéral : « rapport étroit d'idées qui s'accordent entre elles » (définition chopée sur le site du Petit Robert). Cela passe notamment par les noms utilisés.
Tu reprends les noms existant dans notre monde, ce qui me semble pertinent étant donné que l'univers de Blake a été fondé sur les ruines du nôtre. Néanmoins, je trouve que la façon de faire est un peu étrange. Les noms ne semblent pas vraiment s'accorder.
▣ Dans la Fosse : Blake, Damien, Enora, Sophia, Amina, Céleste, Helenna, Valentine...
▣ Chez les Classés : Isaure, Domitille, James, Zira, Victor...
Il n'y a pas vraiment de cohérence entre ces noms : ils semblent venir de pays et d'époques différentes. C'est un peu la même chose avec les noms de famille. Or les habitants de la Fosse et les Classés viennent de deux villes ; on s'attendrait donc à une certaine homogénéité. Qu'Isaure et Domitille appellent leur fils James, par exemple, m'a interpellée dès le début. Je te conseille de te pencher là-dessus et d'essayer de donner une unité aux prénoms de ton univers.
En revanche, ça ne me semblerait pas incohérent du tout qu'il y ait une différence entre les noms des Classés et des habitants de la Fosse ; au contraire ce serait une manière pertinente d'appuyer sur le décalage. Je me souviens d'avoir lu un article assez intéressant (je peux retrouver le lien si tu veux) sur l'utilisation des prénoms aux consonnances latines dans les dystopies basées, comme la tienne, sur une séparation entre deux classes : en opposant des prénoms latins et des prénoms plus basiques, l'auteur met l'accent sur la distinction entre les deux catégories. Par exemple dans Hunger Games (c'est l'auteur de l'article qui prenait l'exemple, c'est pas ma faute, juré), les membres du Capitole portent des noms latins, et ceux des districts « inférieurs » sont des noms de plantes. Ainsi, ils sont renvoyés à une condition d'inférieurs, de « moins évolués ». Ce paragraphe ne vise pas à te convaincre d'utiliser des noms latins, mais à souligner l'importance de l'utilisation des noms et les messages qu'ils peuvent véhiculer.
« C'EST JUSTE UNE HISTOIRE... »
Cette dernière sous-partie n'est pas vraiment une réflexion sur ton histoire, mais une justification de la sous-partie qui précède. En effet, je lis souvent sur Wattpad des phrases (écrites par les auteurs comme par les lecteurs) du genre « on s'en fiche, c'est pas obligé d'être parfaitement cohérent : c'est qu'une histoire, pas la réalité ». En un sens, je suis d'accord. Mais à certaines conditions. Je pense déjà qu'il y a deux types d'incohérences à distinguer : les incohérences par rapport à la logique, et celles par rapport à la réalité. Guérir sans explications un cancer comme un rhume, c'est par rapport à la logique que c'est incohérent ; placer Paris en Amérique, c'est par rapport à la réalité. Je conçois très bien qu'on puisse vouloir s'éloigner de la réalité pour les besoins de l'histoire, tant que ce n'est pas trop gros et qu'on est honnête avec les lecteurs. En revanche, les incohérences de logique me semblent bien moins acceptables. À vrai dire, c'est même à mon sens ce qui nuit le plus à l'histoire (à moins que ce soit assumé, dans un but humoristique par exemple).
Pour corriger une incohérence de réalité, on peut s'imaginer dans une version un peu modifiée de notre monde et y faire se dérouler l'histoire. En revanche, une incohérence de logique nous empêche de « faire exister » l'histoire, ou rend cela plus difficile : on construit l'intrigue dans sa tête, peu à peu, et soudain ça coince. Je trouve toujours frustrant de réaliser que, même dans un autre univers, l'histoire que je lis ne pourrait pas exister, et je suis capable de me torturer l'esprit assez longtemps quand je ne comprends pas les intentions de l'auteur – bon, là-dessus de sérieux indices me font penser que je suis parfois un peu plus obsessionnelle que la moyenne, mais je pense que « sentir que l'histoire pourrait être vraie permet de la vivre », c'est quelque chose d'assez universel.
Je te conseille donc de régler ces petites incohérences même si elles ne te semblent pas primordiales : elles ne sont en général pas difficiles à corriger, et en le faisant tu rendrais l'histoire plus immersive.
Un univers qui s'appuie sur de bonnes bases mais mériterait plus de développement
DES ZONES DE FLOU QUI DEMEURENT
Ton univers s'appuie sur des bases solides. Deux villes, une classe dominante exploitant le reste de la population : les choses sont clairement définies et l'histoire s'articule très bien autour de cette base. Tu la développes régulièrement en ajoutant des liens entre les Classés et les habitants de la Fosse, en les montrant interagir. Je trouve qu'il y a un véritable potentiel dans cet univers. Néanmoins, ce que j'ai lu m'a fait penser qu'il était inventé au fil de la plume. C'est une façon de faire comme une autre à laquelle je ne te conseille absolument pas de renoncer. Simplement cela te demande un travail supplémentaire ensuite : celui de reconstituer, après l'écriture du premier jet, tous les éléments que tu as ajoutés, d'abord pour traquer les incohérences, ensuite pour tester la solidité de l'univers créé. Est-ce que le lecteur peut se représenter l'histoire ? Est-ce que tout est expliqué ? Est-ce qu'il y a des trous ?
Pour cela, je te conseille une fois l'histoire terminée de la relire en prenant un document (sur un carnet ou sur ordinateur) à part pour y noter tous les éléments d'univers que tu repères. En réorganisant ensuite en différentes catégories (tu peux trouver des fiches sur Internet, créer les tiennes ou faire au feeling), tu pourras mieux te rendre compte des aspects développés dans l'histoire. (Personnellement, je teste depuis peu une technique à mi-chemin entre « préparer en amont » et « écrire comme ça vient » : je crée l'univers au fil de l'écriture sur un document à part, ce qui me permet de l'adapter à l'histoire tout en conservant sa cohérence. Ça marche plutôt bien pour l'instant.) Une autre méthode qui peut te permettre de te rendre compte de ce qui manque, c'est d'imaginer la vie d'un Classé et d'un habitant de la Fosse lambda. Est-ce que tu arrives à te représenter chaque étape de sa vie ? Est-ce que tu dois parfois inventer sur le coup des règles, des concepts ? Est-ce que pour cela tu utilises uniquement des choses que tu as écrites à un endroit de l'histoire, ou est-ce que tu pioches dans des éléments que tu n'as pas encore transmis au lecteur ?
Dans le cas précis de cette histoire, il y a quelques points qui m'ont effectivement semblé trop peu abordés.
▣ Les connaissances des habitants de la Fosse à propos des mères porteuses. Je l'ai déjà fait remarquer dans la partie sur l'exposition, il serait pertinent de nous en dire plus à ce sujet. Que savent-ils ? C'en devenait parfois incohérent, lorsque Blake ignorait quelque chose qui aurait dû motiver les potentielles futures mères porteuses à accepter leur sort. N'hésite pas à lister ce qu'ils doivent savoir et à disséminer ces informations dans les premiers chapitres.
▣ Le modelage du fœtus dans le ventre de la mère (j'utilise « modelage » car – je sais plus si je te l'ai dit – lorsqu'on réalise une « modélisation », on ne modifie pas la réalité : on la représente d'une façon simplifiée. Quand en physique on dit que la trajectoire d'un ballon ressemble à une parabole, la parabole est une modélisation de cette trajectoire. Autre exemple peut-être plus parlant selon tes études : chez certains dentistes, on trouve un moulage d'une dent qui montre à quoi ressemble une dent cariée/pas cariée ; ce moulage est une modélisation d'une véritable dent). Il aurait fallu donner plus de détails là-dessus. En effet, sans précisions, cela me semble difficile à avaler : modifier un fœtus déjà formé, c'est changer le génome de milliards de cellules, une à une. C'est titanesque, à moins peut-être d'introduire un virus dans le fœtus... mais franchement, je vois mal pourquoi ils s'embêteraient à faire cela : s'ils sont capables de modifier l'ADN d'un fœtus, ils devraient pouvoir en faire autant d'une cellule... Ils devraient donc être en mesure de modifier les cellules-œuf avant d'inséminer la mère porteuse. Ce serait plus simple pour tout le monde. Après, certes, cela épargnerait des souffrances à la mère porteuse et peut-être que c'était quelque chose que tu recherchais. Mais je pense que les intentions de l'auteur ne doivent pas tordre les lois physiques, du moins pas sans justification solide. Je te conseille vivement de te renseigner sur la façon dont se déroule une grossesse, sur les éventuelles différences dans le cas d'une mère porteuse, et sur les mécanismes biologiques à l'œuvre. Ce n'est pas évident, mais je pense qu'ainsi tu pourras fournir des informations plus crédibles et, si telle était ton intention, trouver un autre moyen sympathique de faire souffrir cette pauvre Blake.
▣ Les liens entre Classés et habitants de la Fosse (d'ailleurs, il serait peut-être pertinent de trouver un nom pour les désigner, ça paraît peu crédible qu'il n'y en ait pas et ça aurait soulagé ma paresse...). Je pense que tu aurais pu préciser plus tôt quels étaient les moyens pour un habitant de la Fosse de s'élever socialement en rejoignant les Classés. En savoir plus sur leur histoire commune serait également pertinent. S'il y a déjà eu des révoltes, peut-être serait-il possible d'en raconter une : qu'est-ce qui l'a déclenchée ? Comment les Classés l'ont-ils réprimée ? Quel est l'état actuel des connaissances à son sujet, du côté de la Fosse et des Classés ? De plus, je pense qu'il y a quelque chose à clarifier au sujet de la perception des Classés par la Fosse. Les habitants semblent les haïr, comme on peut le voir lorsque Sophia est sélectionnée ou lorsque Blake affirme que James se ferait trancher la gorge dans la Fosse. Pourtant, on nous explique qu'être mère porteuse est vu comme une opportunité dans la Fosse, ce qui est illustré par la fille du maire. Ce n'est pas forcément une incohérence : les habitants peuvent haïr les Classés tout en les enviant secrètement. Mais il faudrait développer ça, que ce soit expliqué ou que Blake s'interroge à ce sujet.
▣ L'histoire des Classés et de la Fosse. Je pense qu'il aurait fallu qu'on sache comment ces deux villes ont survécu, elles et elles seules, et comment les Classés ont pris le pouvoir. D'une manière générale, je trouve ton texte trop peu relié à notre univers ; sans le résumé, on pourrait croire que ce sont deux univers différents. Si ça n'a pas d'utilité par la suite, j'aurais même tendance à te conseiller de changer le résumé et de placer ton histoire dans un monde parallèle. Si en revanche le côté post-apocalyptique a son utilité, je pense qu'il aurait fallu le relier davantage au texte, montrer ce que les personnages savent de leur histoire, ce qu'ils ont conservé de notre monde actuel... Là c'était un peu trop flou. N'hésite pas à écrire sur un document à part le processus qui a mené à cette séparation entre la Fosse et les Classés, et à le transmettre dans l'histoire.
Voilà les points les plus importants que j'ai pu relever. Il y en a peut-être d'autres, je ne prétends pas être exhaustive, mais ce sont ceux qui m'ont marquée.
UNE IDENTITÉ PROPRE POUR L'UNIVERS
On arrive à ce dont je parlais dans la partie précédente. Avant tout, c'est quelque chose de tout à fait facultatif, que tous les livres n'utilisent pas. Je le mentionne simplement parce que je pense que cela pourrait apporter quelque chose à ton histoire. Je pense, donc, que l'univers de Servitude serait plus marquant s'il avait une certaine identité. Quelque chose qui réunisse ces deux points :
▣ Rassembler tous les éléments de l'histoire, qu'ils portent la même « marque », ta patte en quelque sorte : quelque chose qui fasse que les concepts, les noms, les situations semblent tous appartenir au même univers.
▣ Distinguer ton histoire des autres qu'on pourrait lire dans le même genre. Une nouvelle fois, que tous les objets portent ta patte, qu'on sente qu'ils sont à toi.
C'est l'inventivité tordue et l'ambiance de folie douce, de joyeux désordre qu'apporte la magie dans Harry Potter. C'est la beauté grandiose et l'importance des légendes dans les livres de Pierre Bottero. C'est l'idée qui est évoquée dans chaque élément d'univers, dans la façon dont il est introduit et/ou dans son existence même. J'espère que ce développement est clair ; je dois dire que je trouve cela assez difficile de transcrire ce que j'ai en tête, mais je peux essayer de réexpliquer si besoin.
Pourquoi se casser la tête à créer cette cohérence ? D'abord car elle donne vie à l'univers, elle fait par exemple qu'en voyant une situation ou un objet on se dise « oh, ça pourrait figurer dans telle histoire, ça ». Dans notre esprit, l'univers a une certaine existence, on peut l'imaginer évoluer. Ensuite, sentir quelle ambiance se dégage de l'histoire aide à se représenter les scènes ; par exemple, si je prends d'un côté Harry Potter (dont l'univers me fait cette impression d'avoir une identité propre) et Divergente (pour lequel ça n'est pas le cas), les scènes de Harry Potter me paraîtront plus riches ; je peux les visualiser, les faire vivre dans mon esprit, alors que celles de Divergente seront plus fades, plus vagues, se confondant avec les dystopies du même genre : je visualise les détails donnés par l'auteur, mais rien de plus, quand pour Harry Potter l'ambiance particulière me suggérait des éléments supplémentaires.
Comment parvenir à cet effet ? Pour être honnête, je n'ai pas totalement la réponse à cette question – je suis une imposteuse, oui oui (c'est entre autres pour ça qu'il y a douze pages, je t'ai recommandé de ne pas prendre mes avis trop au sérieux). Mais je pense avoir quelques pistes. (Pour ne pas compliquer mes phrases avec du conditionnel, je suppose dans cette sous-partie que tu décides effectivement d'approfondir l'identité de ton univers, désolée si ça te donne l'impression que je veux te forcer à le faire (ce n'est pas le cas).)
Déjà, je te conseille tout bêtement de définir quelle sera l'identité que tu donneras à ton univers. Qu'est-ce qui caractérise ton histoire, qu'est-ce qui se rapprocherait de son thème ? Par exemple Harry Potter est un roman initiatique dans lequel le héros passe d'un monde ultranormé qui le faisait souffrir à un monde de magie. Pour accentuer le contraste, il paraît donc naturel de créer un monde magique fantasque, libre. Ainsi la rigueur extrême des Dursley, leur terreur de la différence (chez eux comme chez les autres) cède la place à un univers excentriques aux règles floues, facilement transgressées. Cela accentue le tournant que prend la vie de Harry et son dégoût de la vie chez son oncle et sa tante. Je te conseille donc de suivre un raisonnement semblable : comment l'univers pourrait-il au mieux illustrer le thème ?
Je pense que ce questionnement est le plus difficile. Ensuite, il s'agit de relier les éléments d'univers à ce que tu as défini comme l'identité de l'univers, et/ou à en inventer qui correspondent. Si tu choisis par exemple de donner une ambiance froide et cynique à ton univers (simple exemple, naturellement : je pense que cela correspondrait mais ce n'est pas mon histoire, je ne suis clairement pas apte à juger (mais si tu le souhaites, je peux donner mon avis après coup)), tu peux inventer et mettre l'accent sur des lois/traditions particulièrement choquantes ou absurdes ; insister en décrivant un lieu ou un concept sur ce qu'il révèle de la situation des mères porteuses, des habitants de la Fosse ou des Classés ; raconter des anecdotes historiques en les reliant à cela. Autre exemple : dans une histoire que j'écris actuellement (c'est pas de l'autopub, au rythme où je vais elle sortira sur Wattpad en 2026), j'essaie d'orienter l'univers autour du thème de la mémoire. J'ai donc des lieux dont les noms et les propriétés correspondent à ce thème (par exemple, un « lac de l'Oubli » qui soigne les blessures mais ôte des souvenirs au hasard) ; j'essaie de construire l'histoire et la religion de ce monde autour de ce thème et de créer des traditions qui y correspondent.
COMMUNIQUER SON UNIVERS
Souvent (d'après ma gigantesque et exhaustive expérience, bien sûr ; encore une fois faut pas trop me faire confiance), le problème n'est pas que l'univers n'est pas assez développé, mais que l'auteur n'arrive pas à le transmettre, à l'insérer dans l'histoire. Je ne sais pas si c'est ton cas, mais au cas où je me permets quelques conseils.
Tout d'abord, dans les descriptions. Les points de vue là-dessus sont très variables, mais personnellement j'estime qu'une histoire a besoin de descriptions pour emporter son lecteur (sauf les exceptions qui apparaissent presque toujours quand on dit « une histoire a besoin de »), et que leur longueur importe peu : il n'y a pas de longueur idéale, tout dépend de ce que tu fais passer dedans. Vu le point de vue que tu utilises, la seule contrainte sur tes descriptions me semble être leur à-propos (ce n'est pas un problème que j'ai réellement vu dans l'histoire, je préviens juste au cas où) : puisque c'est Blake qui nous décrit les choses, il faut qu'elle soit en état d'y penser. Elle ne va pas nous faire une conférence sur la troisième révolte de la Fosse si elle est en train d'embrasser James – sauf si on se trouve dans une situation tordue, il n'y a aucun lien entre les deux. Même lorsqu'il y a un lien, le moment peut être mal choisi : lorsqu'elle vient d'être sélectionnée pour être mère porteuse, par exemple, le choc et la peur feront qu'elle ne s'embarquera sans doute pas dans des récits historiques. Cela me semble être la seule limite aux descriptions ; à part ça, n'hésite pas ! Si Blake entre dans un nouveau lieu ou rencontre un nouveau personnage, elle peut le décrire. Et si elle est d'humeur à divaguer un peu, elle peut relier ce lieu ou ce personnage à un élément de l'univers et développer dessus. Tant qu'on garde le naturel de la pensée (puisqu'elle ne nous parle pas directement, il faudrait éviter l'impression qu'elle nous donne un cours magistral), les descriptions s'harmoniseront très bien avec l'histoire.
Mon deuxième conseil est d'exploiter chaque moment qui pourrait donner lieu à une explication. Ça rejoint beaucoup le premier, l'idée étant de développer au maximum. Si Blake est dans une situation qui diffère de l'univers du lecteur, si elle utilise un objet ou fait référence à un élément qu'il ne connaît pas, n'hésite pas à développer. Cela peut se faire tout de suite ou un peu plus loin s'il est pertinent de laisser planer le mystère. Par exemple, quand James la surprend à lire les contes, n'hésite pas à développer là-dessus. Qui est cet auteur ? De quoi parle-t-il qui soit assez universel pour que les familles d'Isaure et Blake l'aient dans leur bibliothèque ?
N'hésite pas pour cela à exploiter les spécificités de ton histoire. Certains détails de l'intrigue, de la personnalité des personnages ou des relations qui les lient peuvent faciliter l'exposition d'éléments de l'univers. Dans le cas de Servitude, je vois deux axes majeurs (il y en a peut-être d'autres, mais à mes yeux ce sont les principaux) que je te conseille d'exploiter plus intensément :
▣ La relation entre Blake et James. Elle ne vient pas du même univers que lui et ils discutent souvent. Il pourrait passer plus de temps à lui expliquer les traditions des Classés, lui raconter des anecdotes sur sa famille ou des ragots sur d'autres Classés. Bref, tu peux utiliser leurs discussions pour donner plus de substance à ton univers tout en développant leur relation.
▣ Le changement d'univers de Blake. Elle passe de la Fosse à l'univers des Classés. Elle doit bien constater des différences, en bien comme en mal ; n'hésite pas à développer cela, à lui faire raconter ce qu'il se passait chez elle pour comparer avec la situation correspondante chez les Classés. Cela permet, en même temps, de montrer l'état d'esprit de Blake : nostalgie, excitation ? Les comparaisons qu'elle se fait peuvent nous le faire sentir.
Bref, ce ne sont que quelques suggestions, à toi de voir si elles te semblent pertinentes et applicables.
Un dernier point : tu n'es pas obligée de tout dire. Si tu crées un document annexe avec des informations sur l'univers, il se peut que tu finisses par en avoir tant qu'il semble difficile de toutes les placer dans l'histoire. Ce n'est pas grave ; c'est même plutôt souhaitable, c'est le signe que ton univers est riche. Une information n'est pas perdue si elle n'apparaît pas dans l'histoire. Le but de tout cela, c'est de faire sentir au lecteur que l'univers de l'histoire est solide, de lui permettre de se l'imaginer ; ce n'est pas de tout développer. Pour fournir un récit cohérent, tu peux avoir besoin de chercher/inventer des informations que tu ne donneras jamais dans l'histoire. Un exemple tout bête : tu peux déterminer que tes personnages vivront à telle adresse, sans que l'adresse ne figure jamais dans l'histoire. De ton point de vue, connaître l'adresse est utile pour que les déplacements des personnages restent cohérents ; cela te permettra de décrire aussi précisément que souhaité leurs évolutions dans leur ville, ce qui entraînera chez le lecteur l'impression que le décor de l'histoire est solide, bien défini. Du point de vue du lecteur, connaître l'adresse en elle-même n'avance en revanche à rien. (Ce n'est qu'un exemple bien sûr, dans certains contextes expliciter l'adresse peut être crucial, dans d'autres une localisation floue suffit amplement.) Ainsi, tu peux avoir besoin d'une information sans qu'il soit utile qu'elle figure dans l'histoire. Vouloir tout transmettre au lecteur risque au contraire de le submerger de détails inutiles. (C'est un peu la même chose avec les fiches personnages : quand elles sont trop détaillées, on peut avoir envie de tout mettre dans l'histoire alors que certaines informations n'ont rien à y faire.)
Des descriptions claires qui mériteraient d'être plus nombreuses
DES DESCRIPTIONS EFFICACES À GÉNÉRALISER
Lorsqu'elles étaient présentes, tes descriptions m'ont en général semblé plutôt efficaces. Elles permettaient en peu de mots de visualiser assez facilement les éléments décrits. Par exemple, dans le premier chapitre, la très courte description du matelas nous permet de nous l'imaginer ; cela a suffi à ce que, par la suite, je visualise toute la chambre dans un état miséreux. Dans ma tête, la chambre de Blake est sombre, les rares meubles sont abîmés. Ce simple détail du matelas miteux a suffi à caractériser toute la chambre dans mon esprit ; étant donné qu'on n'y remet plus les pieds par la suite et que la disposition des objets n'y est donc pas importante, c'est suffisant. Cette description s'intégrait donc très bien à l'histoire et nous plongeait tout de suite dans son atmosphère. Vraiment, bravo à toi pour réussir à donner vie aux éléments de ton univers en quelques mots bien choisis !
Néanmoins, j'ai trouvé qu'au contraire certaines descriptions auraient pu être plus efficaces ; elles n'évoquaient pas grand-chose. Personnellement, j'attends d'une description – encore plus lorsqu'elle est « gratuite », c'est-à-dire non essentielle à la compréhension de l'histoire – qu'elle me fasse comprendre quelque chose et/ou m'immerge dans l'univers, dans l'ambiance du roman. Ce que fait très bien ta description du matelas, par exemple. À mon sens, c'est quelque chose qu'il faudrait étendre à toutes les descriptions. Pour cela, je te conseille de déterminer pour chaque description ce qu'elle pourrait apporter à l'histoire. Nous permettre de deviner quelque chose, comme celle du matelas qui nous fait comprendre la pauvreté de la famille de Blake ? Nous faire sentir l'atmosphère d'un lieu ou d'une scène ? Nous faire partager l'opinion de Blake au sujet d'un personnage ? Une fois que tu as cet objectif en tête, tu peux utiliser différents outils pour l'atteindre ; j'en liste quelques-uns dans les sous-parties suivantes.
Je pense de plus que ces descriptions mériteraient d'être plus nombreuses et, parfois, plus développées. Ce sont elles qui nous plongent dans l'univers, elles qui nous permettent de visualiser les lieux dans lesquels évoluent les personnages. Ainsi, je te conseille de développer chaque nouveau lieu que rencontre Blake. Que voit-elle, qu'est-ce que ça lui inspire ? Par exemple, lorsque tu décris la Gare, tu mentionnes brièvement sa splendeur. Je pense qu'il faudrait en faire bien plus ! C'est le premier lieu appartenant aux Classés que voit Blake, la première fois qu'elle quitte son univers de misère. Cette gare, c'est l'irruption de sa nouvelle vie. Je te conseille donc de renforcer sa description et d'explorer l'impact qu'elle a sur Blake. Qu'est-ce que cette construction magnifique lui inspire, alors qu'elle sort d'une vie miséreuse, alors qu'elle sait qu'elle sera bientôt enfermée dans une prison dorée ? De l'excitation, de l'angoisse, de la colère, de la tristesse, ou peut-être tout cela à la fois ? Le faire partager au lecteur nous permettra de réellement compatir avec Blake et de donner plus de consistance à l'univers, à travers ses lieux.
JOUER SUR LES CINQ SENS
C'est un conseil que j'entends très souvent mais qui ne coûte pas grand-chose. On a souvent tendance à utiliser, dans une description, majoritairement la vue et un peu l'ouïe. Je te conseille néanmoins d'utiliser également les trois autres sens. Cela rendra tes descriptions plus immersives (idéal si tu veux nous plonger dans une ambiance particulière).
Bien sûr, ça peut parfois être impossible ou compliqué de décrire le toucher ou le goût, mais lorsque c'est possible je te conseille de le faire : ce sont des sens plus intimes que la vue ou l'ouïe, ils se produisent à l'intérieur de nous. On voit/entend des centaines de choses en même temps, mais lorsqu'on touche quelque chose ou qu'on la goûte, on est entièrement concentré sur elle. Lorsque tu décris une scène « intime » (par là je n'entends pas spécifiquement une scène d'amour ou de sexe, mais une scène ou le personnage est en relation avec un unique objet/personnage), décrire le toucher ou, si possible, le goût peut amener le lecteur à se sentir pris dans la scène.
À l'inverse, pour les scènes plus larges où un grand nombre d'objets/personnages interviennent, la vue et l'ouïe seront plus efficaces. Tu peux ainsi décrire globalement une scène en donnant une vue d'ensemble : les couleurs, les formes, les sons dominants... Puis tu peux resserrer le plan sur quelques éléments, décrire en détail les choses qui te semblent importantes.
Mais il y a également l'odorat, à mi-chemin entre ces deux scènes. Certes, on ne peut pas sentir trop d'odeurs à la fois en étant capable de les distinguer, et l'odeur est quelque chose d'assez intime aussi, qui peut évoquer des souvenirs ; l'odorat convient donc bien au scènes intimes. Mais c'est une action à distance contrairement à la vue et au toucher, on peut sentir quelque chose dont on est éloigné. L'odorat a donc une portée plus large et je te conseille de l'utiliser également dans des descriptions plus globales. D'autant que, contrairement à la vue et à l'odorat, il a quelque chose de plus tranché : il y a pas mal de visions ou de sons qui ne nous font pas grand-chose, mais peu d'odeurs nous laissent indifférents. Par exemple, actuellement j'observe l'armoire en bois à l'autre bout du salon de ma mère, et ça n'évoque pas grand-chose pour moi, c'est une armoire en bois comme n'importe quelle armoire. Si j'entendais sa porte grincer, ce serait un grincement comme un autre. En revanche, si je m'approchais, je sentirais son odeur boisée qui induit en moi une agréable impression de familiarité, de nostalgie. L'odorat permet donc de caractériser une scène, de traduire les sentiments que l'objet décrit inspirent au personnage narrateur. (C'est quelque chose qu'on peut observer avec le goût aussi.)
Naturellement, ces distinctions que je te donne sont assez larges et peuvent être transgressées. Par exemple, reprenons la première description de ce livre : les cloches qui sonnent et assurent à Blake qu'elle n'est pas dans un rêve. Le sens utilisé est ici l'ouïe, mais la scène est assez resserrée (Blake n'interagit qu'avec le son de ces cloches). Ce n'est absolument pas un problème, au contraire ça correspond bien à l'ambiance du réveil. Ce n'est qu'un exemple pour souligner que ces distinctions ne doivent absolument pas t'enfermer : ce sont des méthodes générales qu'il est parfois pertinent de ne pas respecter.
SHOW, DON'T TELL
Tu as peut-être déjà entendu parler de ce conseil assez courant, mais je pense tout de même avoir quelques trucs à dire dessus. « Montre, ne raconte pas » : une description sera moins impactante si tu dis au lecteur ce qu'il doit ressentir – « le personnage est triste », « l'immeuble est laid » – que si tu lui donnes les éléments pour parvenir lui-même à cette conclusion – dire ce qui rend le personnage triste et les pensées autour de sa tristesse, décrire certains éléments de l'immeuble en insistant sur leur laideur.
Cela passe entre autres par le vocabulaire de la description que j'évoque par la suite : les mots employés peuvent façonner le ressenti du lecteur. Mais cela demande aussi de savoir étudier et organiser la description.
En effet, le Show, don't tell est un outil, pas une nécessité. Un outil puissant, certes, mais il prend de la place, sur la page et dans la tête du lecteur : il faut qu'il y ait un travail d'interprétation inconscient de sa part. Si l'élément n'est pas important, pas besoin de l'utiliser (par exemple, si le personnage scrolle sur Tinder et que ce qu'il voit n'a pas d'importance, tu peux dire qu'il voit de beaux mecs/de belles filles sans les décrire pour montrer qu'ils sont beaux : on n'a pas besoin de visualiser cette beauté). Je te conseille donc, en te repenchant sur tes descriptions, de te demander s'il peut être utile de la rendre plus impactante grâce à cet outil ou si elle est bien comme elle est (en général, la question « est-ce que cette description vise à faire ressentir une émotion au lecteur ? » me semble un bon critère, même si comme toujours il y a des exceptions).
Cela demande aussi d'organiser la description. Tu peux vouloir expliciter ce que tu as fait voir au lecteur (montrer et raconter, en gros) pour nous faire partager les pensées du personnage. Dans ce cas je te conseille de placer l'explicitation après la description. Ainsi, le lecteur a d'abord accès à une description qui lui permet de se rendre compte de telle chose (la porte est à rayures rose pétant sur vert criard, les murs sont gris terne avec des taches de pluie, il y a au sol des traînées d'un liquide non identifié, les vitres sont sales... ah ouais, il est vraiment moche cet immeuble !) et de la voir confirmée par la conclusion du personnage. Cela implique davantage le lecteur et lui permet de suivre le cheminement du personnage : on constate d'abord, on conclut ensuite. Ainsi, dans la description de James au chapitre 9, je te conseillerais de placer la phrase sur sa beauté différente à la fin de la description. En évoquant le grain de beauté, les cheveux emmêlés, tu nous mets sur la voie d'une beauté moins artificielle. Si tu nous as déjà dit qu'il était beau d'une façon plus naturelle que ses parents, c'est répétitif ; le dire ensuite peut en revanche être pertinent, en nous livrant la conclusion de Blake.
L'INTENTION DERRIÈRE LA DESCRIPTION
Le but d'une description est souvent de transmettre l'émotion du personnage, de montrer ce que tel élément lui inspire. Sa tournure doit donc dépendre de ton intention. En effet, le vocabulaire utilisé et la façon dont on s'attarde ou non sur un élément ont une importance qu'il ne faut pas sous-estimer. L'impact des mots utilisés est juste incroyable, tu peux faire passer des émotions opposées en décrivant la même chose, juste parce que tu mets l'accent sur des aspects différents et/ou que tu utilises des mots d'un registre différent.
Je me permets deux exemples de descriptions qui pourraient être celles d'Isaure, la première fois que Blake la voit.
« Le port altier d'Isaure et sa silhouette élancée me saisissent instantanément. Une robe rose en mousseline ceint sa taille fine ; sur le devant, l'échancrure dévoile la naissance de sa poitrine. Sa peau blanche et lisse évoque une vallée couverte de neige. D'un geste lent et mesuré, elle tourne la tête vers moi. Mâchoire délicate, pommettes saillantes, lèvres pulpeuses du même rose que sa robe, nez fin et droit, sourcils bien dessinés, front haut... Son visage est parfait, mais ce sont ses yeux qui me prennent au piège. Une étincelle de détermination danse dans ses iris d'un vert d'eau presque transparent. Le monde semble tourner autour de son regard intense. »
« Elle se tient sur sa chaise, le dos droit, le menton levé. Une robe d'un rose flamboyant lui compresse le bassin et exhibe ses seins, les dévoilant presque. Son attitude dominatrice en devient risible. Sa peau est livide, sans relief – une poupée de cire à la perfection caricaturale. Mais lorsqu'elle tourne la tête vers moi, toute envie de rire me quitte. Son visage... oh, pas de doute, il est magnifique – vide et lisse, dénué de défauts, traits fins et délicats. Pourtant, c'est son regard qui accapare mon attention : il a quelque chose de glaçant. Ses yeux verts plantés dans les miens brillent d'un éclat froid. La détermination d'un prédateur. »
Ces exemples décrivent la même personne : une femme dont l'apparence correspond en tout point aux critères de beauté de notre univers, à l'attitude dominatrice/prédatrice. Mais le premier reste dans l'admiration totale, alors que le deuxième dégage un mélange de dérision et de peur. (Ceci sous réserve que je ne me sois pas foirée, bien sûr.) Les aspects de sa personne décrits, les mots employés font la différence. Pour un exemple bien plus marquant que tout ce que je pourrais produire, je t'invite à lire le poème « Une charogne » de Baudelaire (ou à en écouter la récitation de Léo Ferré qui est vraiment saisissante) : la description romantisée d'un cadavre – assez glauque, mais qui illustre parfaitement l'impact du choix du vocabulaire.
Ainsi, je te conseille lorsque tu souhaites faire passer une certaine émotion à travers une description, d'utiliser un champ lexical proche de cette émotion et de chercher les éléments, dans la chose décrite, qui peuvent susciter l'émotion. Mettons par exemple que tu veuilles accentuer la détresse de Blake lorsqu'elle arrive chez les Classés au moyen de la description d'Isaure et de Domitille. Il peut être alors intéressant d'insister sur ce qui fait d'eux des Classés, de les comparer aux gens de la Fosse. C'est déjà ce que tu fais en mentionnant leur perfection, dont tu dis qu'elle est caractéristique des Classés. N'hésite pas à développer : par exemple en décrivant ce qui, chez les parents et/ou les amis de Blake, était imparfait ; ensuite en expliquant quel est l'impact de cette vision sur elle. Vu que le but est de souligner sa détresse, elle peut trouver cette perfection écœurante, regretter les petits défauts de ses proches. Le champ lexical de la fadeur peut donc être approprié – rien ne ressort d'eux, ils n'expriment aucune émotion.
Pour reprendre l'exemple de la toute première description de l'histoire, je te conseille de caractériser davantage le son des cloches pour mieux nous plonger dans la scène et nous montrer l'état d'esprit de Blake : est-il fort, ou étouffé par les murs ? Quelle est sa tonalité, plutôt aigüe ou grave ? Est-il agréable à l'oreille ou l'agresse-t-il ? Pour développer cela tu peux utiliser un vocabulaire plus spécifique que « bruit », qui a une connotation certes un peu négative, mais atténuée par la surutilisation de ce mot. Ainsi, tu peux parler du puissant fracas des cloches, de leur vacarme suraigu, de leur tintement répétitif, de leur martèlement sinistre, de leur chant ou de leur lointaine mélodie... L'impression produite ne sera pas du tout la même.
Attention toutefois à la cohérence du vocabulaire et des mots employés. Dans un récit en focalisation interne, comme c'est le cas ici (on connaît uniquement l'état d'esprit de Blake à l'instant t où elle vit les choses), le vocabulaire employé doit correspondre à ce que sait le personnage. Ça me paraît donc assez étrange qu'elle connaisse le terme de « lit à baldaquin » avant son arrivée chez les Classés, or tu le mentionnes dans le premier chapitre – cela dit la description ne me semble pas à supprimer : d'après mon interprétation, on y voit que Blake fantasme un peu sur la vie de Classé (je ne veux pas dire par là qu'elle a envie de devenir une Classée, mais qu'une part d'elle est attirée par le luxe, même si elle refuse d'y céder). Au lieu de lits à baldaquins, tu peux mentionner par exemple de « vrais lits avec un sommier », par opposition à son matelas à elle, parler de matelas moelleux, ... Pour la même raison, je te conseille d'éviter les tournures comme « qui me semble normal » au début de l'histoire : on ne sait pas ce qui est normal pour le personnage, puisqu'on les découvre, lui et son univers.
UN STYLE TRÈS FLUIDE
Il y avait dans ton texte quelques accrocs ponctuels, mais globalement je l'ai trouvé vraiment fluide. (Cette sous-partie sera courte parce que quand y'a rien à redire, bah j'ai pas grand-chose à dire ; mais ça me semblait nécessaire d'en parler.)
J'ai vraiment apprécié ce point : à tout instant, je visualisais parfaitement ce qu'il se passait. Les moments d'incompréhension où je me disais « quoi ? Pas compris cette partie », « mais qu'est-ce qu'il s'est passé pour qu'on se retrouve ici » ou ce genre d'interrogation, étaient extrêmement rares, voire inexistants (je ne m'en rappelle aucun ; j'en ai peut-être oublié mais en tout cas ils étaient remarquablement rares). C'est vraiment un bon point qu'il y ait cette facilité de compréhension, ça peut paraître évident mais dans beaucoup de textes, il y a ces moments où une phrase étrange, une action incomprise nous font sortir de l'histoire. Ici ça n'était pas le cas. Le texte en était vraiment fluide et agréable à lire.
D'autant que ce n'est pas juste que les actions soient compréhensibles, il y avait beaucoup de fluidité : les différents éléments s'enchaînaient parfaitement, les dialogues étaient vraiment bien intégrés au texte... Bref, tout se lisait très facilement et donnait l'impression de « glisser tout seul ». Je te conseille vraiment de garder ça : ce style est très efficace et totalement adapté au genre de ton roman.
Des scènes parfois trop peu explorées
UNE NARRATION TROP DISTANCIÉE
C'est un peu le pendant de ce que j'observais dans la partie précédente – une conséquence directe, mais évitable – : la plume très efficace rend le narrateur un peu trop éloigné de Blake. Dans un récit à la première personne, on s'attend pourtant à ce que le narrateur et Blake soient la même personne ; or la narration semblait se distancier de ses émotions. J'ai souvent eu l'impression d'en lire un résumé plutôt que de les vivre.
Cela a certes certains avantages – j'y reviendrai. Néanmoins, cette distanciation annule la principale utilité du point de vue que tu as choisi : la proximité avec le personnage. Je pense donc qu'on gagnerait beaucoup à mieux vivre les émotions de Blake. Avec cette narration, ce sont les émotions du personnage qui nous cimentent à l'histoire : on s'identifie à lui, à ce qu'il vit, et on craint ce qu'il pourrait lui arriver.
D'ailleurs, le passage qui m'a le plus marquée dans l'histoire est également celui dont j'ai trouvé qu'il développait au mieux les émotions du personnage : celui du chapitre 19 où Blake découvrait que les pilules qu'elle prenait modifiaient ses souvenirs. Dans ce passage, tous les outils étaient déployés pour qu'on s'identifie à Blake, qu'on vive la scène avec elle. Et cela fonctionnait ! J'ai eu l'impression de vivre sa rage et sa terreur, et par la suite les moments de faux souvenirs me frustraient et m'effrayaient, bien plus que les autres mauvais traitements infligés à Blake. Je te conseille donc vraiment de poursuivre sur ce chemin : tu as les capacités pour décrire les émotions, pour impliquer le lecteur ; il suffit de généraliser cela – bon, c'est beau de dire « il suffit », dans les faits c'est évidemment plus complexe et plus long, mais rien d'insurmontable, puisque tu l'as déjà fait !
Mais, donc, dans cet extrait, qu'est-ce qui fonctionne ? Plus généralement, comment transmettre les émotions ? C'est ce que j'essaie de développer dans les sous-parties qui viennent.
LE SHOW, DON'T TELL... ENCORE !
Eh oui, difficile d'y échapper quand on parle de narration : si encore une fois ce n'est qu'un outil, sa puissance est assez impressionnante, je trouve. Montrer est utile pour les descriptions de lieux/personnages, mais aussi pour les émotions. Lorsque tu es furieuse, je suppose que ta première pensée n'est pas « je suis en colère », mais les raisons de cette colère ainsi que ses manifestations physiques (tremblements, crispation, échauffement du visage, ...) et psychologiques (pensées extrêmes, incohérentes, impression de brûler intérieurement, ...). La colère n'est que le « diagnostic » que l'on pose par la suite, à froid. Et dans tout cela, ce qui te permettra de partager ta colère, de la faire ressentir aux autres, ce n'est pas juste « j'ai été furieuse », mais la description de ces raisons et de ton ressenti.
Si je regarde cet extrait au début du chapitre 19, je remarque une chose : il n'y a jamais le mot colère, fureur ou rage. Ni peur ou terreur. Pas une fois les émotions de Blake ne sont nommées. Est-ce un problème ? Au contraire... Elle n'est pas dans l'analyse, elle ne se demande pas ce qu'elle ressent. Elle ne se dit pas « je suis furieuse/j'ai peur » : elle vit ces émotions dans leur forme la plus brute. Je n'ai absolument pas eu besoin de voir écrit le nom des émotions pour comprendre qu'elle était furieuse, qu'elle aurait voulu nier la situation parce que l'idée de perdre ses souvenirs l'effrayait. Mieux : au lieu de simplement connaître ces émotions, je les ai partagées.
L'incrédulité était ainsi très bien montrée par ses efforts pour se convaincre que James lui avait menti et qu'elle pourrait combattre l'effet des pilules. Ses pensées étaient vraiment réalistes et bien amenées, on pouvait suivre les mécanismes au moment où ils se mettaient en place en Blake. Le tout initié par le ferme « je ne peux pas accepter ça », très bien placé : il apparaissait comme une évidence, il était impossible d'accepter qu'une telle chose soit possible. On en venait à partager son déni. La colère de Blake était tout aussi bien transmise : ses pensées en désordre, son envie de destruction... La violence de sa réaction nous heurtait de plein fouet.
Pour généraliser cela, je te conseille de te demander, pour les émotions qui méritent d'être développées, comment elles se manifestent directement chez Blake. Comment influencent-elles ses pensées, dans leur forme et dans leur fond ? Par exemple, la colère rend les pensées chaotiques, peut être montrée par des phrases brèves (forme) et entraîne des envies de destruction (fond). Décrire ces manifestations est plus simple que de décrire directement l'émotion, et tu as plusieurs outils à ta disposition : le vocabulaire, les cinq sens pour les sensations physiques, les figures de style, ...
Par exemple, dans le chapitre 9, quand Noémie joue du piano pour Blake, on nous dit que sa musique est « envoûtante et emplie d'émotion ». C'est une idée assez forte, mais qui ne nous permet pas de visualiser, de nous projeter dans la scène. À quoi ressemble l'air que joue Noémie ? Tu peux décrire sa vitesse, son rythme, son intensité, ses tonalités – tout comme tu développerais ce qui déclenche une émotion. Ensuite, plutôt que de dire que la musique est « emplie d'émotion », tu peux préciser : quelles sont ces émotions ? Qu'évoquent-elles à Blake ? (Par exemple, si la chanson parle de solitude, Blake peut entendre un air lent, grave, triste et lancinant qui lui fait penser à sa famille loin d'elle, à sa vie qu'elle a abandonnée.) N'hésite pas à détailler : moins les formulations sont vagues, mieux on se projette dans la scène.
LES FIGURES DE STYLE
Les figures de style utilisées et le vocabulaire jouent un grand rôle dans les émotions transmises. C'est quelque chose que tu utilises assez peu et je trouve cela dommage : ces éléments permettent d'immerger le lecteur dans l'histoire, d'amplifier ses émotions, de modeler sa perception d'un évènement. J'ai déjà développé l'impact du vocabulaire, mais les figures de style ont aussi leur importance.
D'ailleurs, si elles sont rares dans l'histoire, tu en utilises dans ce chapitre : on a une gradation lorsque Blake se perd dans ses envies de destruction : arracher les robes/saccager la chambre/tout anéantir. C'est très bien placé, on sent la colère de Blake monter avec l'intensité des actions. C'est, je pense, un procédé à généraliser. Dans ce même paragraphe, le « crier, respirer » répété plusieurs fois me semble être également un effet de style, même si honnêtement j'ignore son nom. Cet effet de répétition est en tout cas efficace pour nous partager la fureur et la panique de Blake : le fait de crier dans l'oreiller apparaissait soudain comme l'unique remède aux émotions qui l'envahissaient. Encore une fois, c'était donc très bien géré.
Je suppose, puisqu'ils étaient assez rares ailleurs, que tu n'as pas placé ces effets intentionnellement en te disant « tiens, ici je vois bien une gradation », mais que tu le fais à l'instinct. Néanmoins, lors d'une éventuelle réécriture, je te conseille de te demander, lorsque développer l'émotion présentée dans le texte te semble le nécessiter, si un effet de style ne serait pas pertinent à cet endroit pour renforcer l'émotion. Tu peux alors essayer plusieurs formulations de ton texte jusqu'à ce que quelque chose te vienne.
Par exemple, lorsque Blake et James s'embrassent au début du chapitre 23, tu peux aisément décrire davantage leurs émotions. Ici, une gradation ou une hyperbole conviendrait très bien : elle vit quelque chose de fort, peut-être son moment de bonheur le plus intense depuis qu'elle a été sélectionnée, pourtant je n'ai pas eu l'impression de le vivre avec elle, cela passait trop vite. Je te conseille de t'attarder sur cette scène, d'amplifier ses émotions. Tu peux les doubler d'impressions physiques « exagérées » : le cœur qui gonfle dans la poitrine, la brûlure du contact de James... Plutôt que de dire « c'est si doux, si agréable », ce qui n'implique pas vraiment le lecteur, tu peux utiliser des comparaisons pour le montrer : les lèvres de James sont douces comme tel truc, elle a l'impression de revivre/de n'avoir jamais vécu avant cet instant, etc. N'aie pas peur de faire dans l'exagération : tu peux toujours atténuer au cours d'une relecture, mieux vaut avoir trop de matière que trop peu.
LES ÉMOTIONS PAR L'ACTION
Lorsqu'elles sont bien amenées, certaines actions sont très explicites dans la transmission des émotions. Si par exemple on voit tel personnage se comporter comme une enflure avec Blake, et qu'à la scène suivante Blake lui assène une gifle magistrale, son action semblera logique, on sera embarqué dedans et cela participera à nous transmettre sa colère. Les actions peuvent donc être un moyen de nous faire partager les émotions du personnage, encore plus quand il est coupé de lui-même et se « voit agir » : dans ces moments-là, nos émotions nous semblent lointaines, nous avons l'impression d'être spectateurs de nos actes. Cela survient dans des situations très diverses. Lors d'une très forte colère, on est hors de soi : on ne contrôle plus ses actes et on se voit agir, souvent de manière inconsidérée. Après une nouvelle particulièrement choquante, on peut avoir l'impression de ne plus sentir son corps et ses émotions, et se voir agir comme un étranger. Il y a également le phénomène de sidération et de dissociation lorsqu'on subit une situation violente (je peux développer là-dessus si cela t'intéresse). Bref, il y a de nombreuses situations où la description pure et simple des émotions n'est pas la solution, car le personnage ne les ressent pas directement. Dans ces moments-là, décrire les actes du personnage comme ceux d'un étranger permet de nous plonger dans son esprit.
C'est quelque chose que tu fais – peut-être inconsciemment une nouvelle fois, je ne sais pas – dans le début de ce chapitre 19. Dans les deux premiers paragraphes, tu décris les actions de Blake et de James d'un point de vue presque externe. On a quelques pensées incrédules de Blake, mais ses émotions ne sont pas encore vraiment dévoilées – elle ne s'exprime réellement qu'une fois « en sécurité », seule dans sa chambre. J'ai trouvé que son incrédulité se ressentait parfaitement dans ce passage. L'impression d'avancer à l'aveugle, dans un brouillard, sans pouvoir croire ce qu'on vient d'entendre. Sentir son corps se mouvoir sans le lui en avoir donné l'ordre – c'était bien transmis par le « Mes jambes me mènent », qui rendait Blake totalement passive, comme si elle n'avait pas décidé de se déplacer.
Ce début était très efficace, il m'a plongée dans l'incrédulité de Blake. Et c'est vraiment bien joué car, contrairement à elle, je n'étais pas incrédule : je soupçonnais déjà fortement que les pilules aient ce rôle, et, n'étant pas concernée directement par l'histoire, j'avais plus de recul et je savais bien que cette perversion entrait totalement dans la logique des Classés. Bref, tu m'as fait ressentir une émotion que je n'éprouvais pas.
De même, la description des actions de Blake lorsqu'elle exprimait sa colère en hurlant dans l'oreiller m'a semblé très évocatrice. Je me visualisais moi-même en train de hurler et cela convoquait en moi l'émotion qui justifierait cette action : la rage. Ainsi, en montrant Blake se livrer à une action violente (par là j'entends « brutale/forte » plus que « dévastatrice »), tu pousses le lecteur à ressentir la cause de cette action.
Cela dit, évidemment, décrire les actes d'un personnage n'est pas toujours suffisant. Si l'on voit Blake coller une gifle à un mec qui n'a à notre connaissance rien fait de mal, on ne va pas ressentir de la colère, on va se demander ce qui lui prend pour s'attaquer ainsi à un innocent. Pour que l'on partage les émotions du personnage, il faut qu'on les comprenne, qu'on en voie la cause.
Ainsi, je te conseille d'utiliser cet outil avec vigilance, en t'assurant qu'il est crédible que le personnage soit coupé de ses émotions : cela ne se prête pas à toutes les émotions, par exemple pour la joie (même si on peut toujours imaginer des contre-exemples) ça risque d'être assez rare ; de plus, il faut que l'émotion soit assez intense pour justifier cela. Être hors de soi est une expression très forte. Globalement, il faut que le cerveau considère que l'émotion est trop forte, trop difficile à contenir pour qu'il puisse la gérer, et qu'il choisisse de couper l'accès. Ça n'est donc pas anodin.
De plus, cela risque de ne fonctionner que si le déclencheur de l'émotion est clairement apparent, juste avant la réaction. Si un personnage fait un coup bas à Blake au chapitre 13 et qu'elle le revoit au chapitre 20, avant de montrer les actes de Blake, il peut être pertinent de rappeler ce qu'il lui a fait afin de raviver le souvenir de la colère chez le lecteur.
CE QU'IL FAUT CONSERVER
Comme je l'ai déjà mentionné, la narration distanciée que tu mets en place dans ton texte a certains avantages. Elle permet des descriptions efficaces et, surtout, elle t'évite un écueil dans lequel tombent pas mal d'auteurs utilisant une narration focalisée : ici, on ne voit pas Blake s'apitoyer sur elle-même. Dans pas mal d'histoires où le personnage est proche du narrateur, on nous raconte les malheurs du personnage puis, comme s'il craignait que le lecteur ne comprenne pas, le narrateur nous explique que le personnage est triste, que sa situation est injuste, ... dans le but d'apitoyer le lecteur pour qu'il se prenne d'affection pour le personnage.
En général, ça ne marche pas. Personnellement, de tous les livres que j'aie lus qui utilisaient ce procédé, le seul dont le personnage ne m'ait pas agacée était Les désastreuses aventures des orphelins Baudelaire... et le fait de rappeler constamment le malheur des personnages était un ressort comique, pas un moyen de les faire plaindre. En fait, le problème de ce procédé est qu'en tant que lecteur, on ne s'attache pas aux personnages dont on a pitié. La pitié met à distance, presque comme du mépris. Elle fige les personnages dans leur situation misérable. Pire, si c'est le narrateur qui s'apitoie sur le personnage, on se croit face à un parent/professeur parlant de son chouchou ; et si c'est le personnage qui s'apitoie sur lui-même, on a l'impression qu'il se complait dans sa situation et ne fait rien pour s'en sortir. Montrer en quoi la vie d'un personnage est dure suffit à créer de la compassion ; si on insiste trop, ça ne fonctionne plus.
Dans Servitude, tu évites très bien cet écueil. Tu décris ce qui arrivait à Blake, et cela suffit à ce qu'on ressente l'abjection de sa situation. En faire trop aurait nui à cet effet. C'est à mon avis quelque chose qu'il faudrait conserver. Ainsi, si tu décides de développer les émotions de Blake, je te conseille de faire attention à ne pas la montrer se plaindre trop souvent. On peut naturellement comprendre que le personnage se laisse parfois aller au désespoir, mais il est préférable que ça ne constitue pas la majeure partie des émotions qu'il nous montre, et qu'on le voie tenter d'agir pour s'en sortir.
Une dénonciation bien mise en place mais en partie gâchée par certains personnages
DES IDÉES PERTINENTES À EXPLORER EN PROFONDEUR
L'un des enjeux principaux de l'histoire est, comme dans la plupart des dystopies, de pousser le lecteur à juger l'univers présenté peu recommandable. Le but est plutôt atteint ici : le système de mères porteuses instauré par les Classés est exécrable et on le ressent bien dans l'histoire. Cela tient à plusieurs éléments :
▣ Le mépris des Classés pour les gens de la Fosse, qu'on remarque dès la sélection avec le comportement de la femme. Cela se confirme plus loin lorsque Calista leur explique le comportement à adopter en présence des Classés, puis à travers les commentaires d'Isaure. C'est assez efficace de jouer là-dessus : en tant que lecteur, on se place tout d'abord du côté de la Fosse puisque c'est de là que vient le personnage principal, et qu'on ressent naturellement plus de sympathie envers les opprimés ; ce genre de commentaires mesquins, venant d'une personne en position de force, crée de la colère et de la frustration à l'égard des Classés et renforce notre position initiale.
▣ L'objectification des mères porteuses. Les Classés semblent les voir principalement comme des ventres : on peut le voir dans les scènes où les médecins interviennent, Blake n'y est pas traitée comme un individu mais comme le réceptacle d'un futur enfant (son corps y est évoqué comme s'il appartenait davantage à Isaure qu'à elle-même ; après la tentative de viol, Isaure s'inquiète uniquement du bien-être de son futur enfant). Les paroles des Classés étaient brutales, choquantes, ce qui renforçait l'indignation.
▣ Les humiliations qu'elles subissent, en plus d'être déshumanisées. Les Classés ne semblent pas agir ainsi simplement par pragmatisme, il y a une véritable volonté de nuire. Les mères porteuses sont traitées comme des animaux de compagnie, ce qui est très souvent montré – elles sont notamment comparées à des chiens à de nombreuses reprises. Elles sont parfois violentées en-dehors des « soins » dus à la grossesse, comme la prédécesseuse de Blake. Elles sont exhibées, leur grossesse devient un spectacle : les premières modifications sur l'embryon que porte Blake ont lieu en public. Cette violence gratuite augmente encore le ressentiment du lecteur, qui voit ces femmes souffrir sans qu'elles ne puissent rien y faire ; être impuissant, même par procuration en s'identifiant à un personnage qui l'est, n'est jamais agréable.
▣ L'oubli des souvenirs. C'est une trouvaille originale et très bien pensée, on voit bien que cela sape totalement le moral de Blake. J'ai d'ailleurs trouvé l'intrigue autour de ce point très bien construite. Elle était amenée petit à petit, mes soupçons augmentaient avec ma méfiance envers les Classés et entretenaient encore cette méfiance. Encore une fois, cela ajoute à la haine qu'on éprouve pour les Classés, d'autant que cette idée est vraiment perverse...
En bref, l'intrigue nous pousse efficacement à détester les Classés. Le seul élément qui n'a pas trop fonctionné sur moi est l'histoire des maris dont les mères porteuses écopent une fois leur tâche menée à bien. Les enjeux me semblaient trop flous : il y avait le fait que Blake n'en ait jamais entendu parler, mais aussi qu'elle veut ensuite y échapper alors que c'est censé la motiver à devenir mère porteuse... De plus, ce qu'y gagne son futur mari n'était pas clair non plus. Bref, je pense qu'il aurait fallu développer là-dessus.
Les autres éléments sont très efficaces, on se construit dès le début une image très négative des Classés et on a de la sympathie pour la Fosse. Le système de mères porteuses apparaît alors comme une abjection. Cela renforce également le soutien qu'on porte à Blake en tant que personnage principal.
Cependant, je pense que ce système aurait pu être plus développé. En effet – j'y reviendrai plus en détail –, cela reste assez classique. Présenter « juste » ce système, si affreux soit-il, aura donc un impact limité car tu te prives de l'effet de surprise. Même en-dehors de toute considération sur l'originalité, je pense que le système serait plus intéressant s'il s'accompagnait d'une réflexion de fond sur ses implications et/ou ses causes. Cela donnerait de la profondeur à l'univers et renforcerait l'intérêt du lecteur. Ainsi, ton histoire effleure plusieurs thèmes qu'il aurait été intéressant de développer :
▣ La place des femmes. Alors, non, mon but n'est pas de transformer ni cet avis ni ton roman en manifeste féministe, mais le système de mères porteuses en lui-même, et encore plus la déshumanisation qu'il engendre, se prête vraiment bien à un développement sur la façon dont les femmes sont traitées dans ton univers, d'autant que les intrigues secondaires – la tentative de viol, l'attribution d'un mari à Blake qui les pousse à la fuite – rapproche encore ton histoire de ce thème. C'est pourquoi je pense qu'il serait intéressant de développer dessus. D'autant qu'il y a une zone que l'histoire laisse dans l'ombre : les femmes de la Fosse sont méprisées et déshumanisées, mais qu'en est-il des femmes Classées ? Sont-elles considérées comme égales aux hommes ? Le fait que les hommes doivent décider si leur femme « convient » me pousse à croire le contraire, mais vu l'influence d'Isaure je pense que cela mériterait davantage de développement. Qui mène la barque, officiellement et officieusement, dans le couple Isaure-Domitille ? On les présente au début comme une famille royale, mais on ne les voit jamais prendre de décision. Beaucoup de questions sont laissées en suspens.
▣ La maternité. Blake porte dans son ventre un enfant qui n'est pas le sien, qui lui cause beaucoup de souffrance... Il serait intéressant de développer davantage sur ce qu'elle ressent à son égard. De la haine, de l'indifférence, de l'amour, de la culpabilité ? Un mélange de plusieurs de ces émotions ? À quoi tient l'attachement qu'une mère éprouve pour son enfant, est-ce inné ou acquis ? C'est un sujet peu abordé, car difficile à traiter, si bien qu'il serait intéressant d'en parler. Que tu développes ou non cette question, je pense que les émotions de Blake vis-à-vis de l'enfant d'Isaure mériteraient d'être explicitées : même si ce n'est que de l'indifférence ou si Blake ne se le représente pas comme un futur être humain, il faudrait l'expliquer au lecteur.
▣ L'importance des souvenirs. Blake voit peu à peu ses souvenirs remplacés. Cela la pousse à détester sa famille et à se sentir impuissante – elle n'a pas de refuge hors du domaine d'Isaure –, mais l'histoire ne développait pas beaucoup plus. C'est dommage, car cela soulève des questions vraiment intéressantes : à quel point notre passé nous définit-il ? Quelle personne serions-nous devenus avec des souvenirs tout à fait différents ? Jusqu'où peut-on se fier à sa mémoire ? Quel impact peut avoir l'esprit sur les souvenirs ? (Cette dernière question n'est peut-être pas claire, je la relie aux espoirs de Blake qui voudrait se convaincre que ses propres souvenirs sont faux – espoirs qui s'avèrent vains puisque, quelques chapitres plus tard, elle se fie totalement à sa mémoire.)
▣ Les relations entre oppresseurs et opprimés. Quelque chose sur lequel il y aurait beaucoup à dire, je pense : la façon dont les Classés tentent d'appâter les gens de la Fosse avec le luxe qu'ils leur font miroiter. Blake refuse de se laisser prendre, mais finit parfois par céder, comme dans le chapitre 7, quand elle se désole que ses camarades oublient leur enfermement et profitent du soleil, avant de faire de même. L'affrontement, chez un opprimé, entre rancœur à l'égard des oppresseurs et attirance pour leur mode de vie... Quelque chose qu'il serait vraiment intéressant de développer, je pense, malgré (à cause de) la complexité du sujet. Qu'est-on prêt à accepter pour améliorer ses conditions de vie ? Qu'est-ce qui nous pousse à la résistance ? Comment nous contraindre à céder ?
Ce ne sont que des exemples, mais je pense que développer des questions de ce genre, parmi celles que j'ai citées ou non, apporterait de la profondeur à l'histoire. Blake a souvent du temps libre, elle peut le passer entre autres à s'interroger là-dessus : profites-en !
De plus, j'ai parfois eu l'impression que les personnages rendaient ce système et/ou ses effets moins crédibles. Je développe cela dans les sous-parties qui viennent.
DES PERSONNAGES SECONDAIRES PARFOIS INCOHÉRENTS
J'ai trouvé que le positionnement de certains personnages secondaires par rapport au système des mères porteuses et à la distinction Classés/Fosse était trop ambigu, ils semblaient adopter plusieurs positions différentes à ce sujet. Je ne sais pas si c'est un problème de cohérence, ou si c'est qu'on voit trop peu de facettes de ces personnages pour reconstituer l'image globale. Dans tous les cas, je te conseille pour chaque personnage de définir sa façon de penser par rapport à cette situation. Cette pensée peut être plus ou moins élaborée selon l'importance du personnage (il est nécessaire que celle d'Isaure et James, par exemple, soit développée ; mais pour le chauffeur que Blake croise au chapitre 9 et ne revoit plus ensuite, il faut certes déterminer ce qu'il en pense pour savoir comment il traitera Blake, mais cela peut être très sommaire). Ensuite, il s'agit de transmettre cette pensée dans l'histoire. Si elle est orientée dans une seule direction, on le verra très bien dans la façon dont le personnage agit avec Blake ; si elle est plus nuancée, il faudra peut-être expliquer son attitude, par une discussion ou une réflexion de Blake.
Certains personnages secondaires m'ont ainsi semblé peu cohérents. Par exemple, j'ai eu du mal à voir comment Calista se positionnait vis-à-vis de la Fosse. Parfois, elle semblait naïve et stupide, comme lorsqu'elle leur suggérait de manger avec des couverts ; à d'autres moments, elle paraissait savoir à quel point les gens de la Fosse haïssaient les Classés, comme lorsqu'elle leur conseillait de cacher leur mépris en s'adressant à eux. De plus, sa discussion avec Blake à la fin du chapitre 3 m'a laissée assez perplexe. Elle semblait chercher à se rapprocher d'elle en lui parlant de sa fille, mais ses raisons étaient floues. Je ne pense pas qu'une femme comme elle, habituée à voir défiler les mères porteuses, s'attache au détail qu'une d'elles porte le nom de sa fille. Le fait même qu'elle prenne à part chaque fille juste pour leur demander leur nom et leur âge est étrange. Cela serait compréhensible si c'était exploité (qu'elle cherche à créer un lien de confiance pour monter les filles les unes contre les autres par exemple), mais il faudrait alors que leur interaction soit plus substantielle que ces quelques mots.
Je pense également que l'attitude d'Isaure envers Blake mériterait d'être mieux définie. Elle se montrait parfois très pragmatique, semblait ne voir en Blake qu'un objet – un réceptacle pour son futur enfant. Elle la traitait alors avec indifférence, aucune aménité, pas plus d'hostilité. Par exemple, après la tentative de viol, elle s'inquiète pour l'enfant et n'a aucune parole ni pour soulager Blake, ni pour l'enfoncer. À d'autres moments, elle se montrait hostile et méprisante envers Blake, comme si elle voulait la rabaisser ou la faire souffrir. Ça m'a semblé assez flagrant quand elle effectuait devant témoins la première opération sur son futur enfant : il n'y avait pas qu'une volonté de briller en société en exhibant sa mère porteuse, elle prenait du plaisir à voir Blake désemparée et effrayée. Je pense qu'il faudrait travailler davantage sur la cohérence de ses actions.
Cela vient peut-être d'une volonté de rendre Isaure détestable en lui faisant adopter la pire attitude possible à chaque fois. Je comprends l'intention et les attitudes sont bien choisies pour inspirer le mépris, mais je pense qu'un personnage creusé, cohérent et compréhensible sera plus haïssable encore même si, par moments, il adopte une attitude moins infecte : si le personnage est cohérent, on peut se le représenter sans problème, il semble vraiment consistant. Je te conseille donc de faire en sorte qu'Isaure agisse de façon plus raisonnée : elle en semblera d'autant plus réelle.
Pour la même raison, je te conseille de faire attention avec ses crises de colère comme au chapitre 10 : cela a tendance à la décrédibiliser, d'abord parce qu'un personnage qui perd le contrôle semble plus faible, moins effrayant ; ensuite parce qu'elle est censée jouer un rôle politique important, donc avoir une certaine capacité à se contenir même lorsqu'on se moque d'elle... (Après tout est possible, mais il faut une justification solide.)
BLAKE : UNE RÉVOLTE À CANALISER
Blake connaît des moments de révolte intérieure ou extérieure, ce qui est plutôt une bonne chose car cela la rend moins passive. Néanmoins, je pense qu'ils pourraient être mieux placés au cours du récit. Ils m'ont parfois semblé incohérents, nuisant ainsi à la dénonciation du système mis en place.
Ainsi, Blake se révoltait parfois à des moments où ça n'était pas du tout dans son intérêt. Je pense notamment au chapitre 10 où elle répond très vertement à Isaure. Certes, c'est tentant vu comment elle se comporte, mais elle est censée avoir appris à canaliser ses paroles dans sa formation... Je pense que cette révolte serait appréciée du lecteur si elle était suivie d'action, par exemple si Blake tentait de s'enfuir ou de saboter les appareils médicaux. Mais là, Blake semble commencer des choses sans les terminer. De plus, elle contient par la suite sa révolte face à Isaure, sans qu'il n'y ait eu de changement particulier (Isaure ne fait rien pour la dissuader de recommencer ; elle-même ne semble pas décider pour une raison ou une autre de faire profil bas). Même intérieurement, elle ne se révolte plus et accepte docilement des situations bien pires, comme lorsqu'elle avale la pilule après avoir découvert qu'elle effaçait sa mémoire – ici, on pourrait sans peine imaginer qu'elle s'y refuse, qu'elle fasse semblant de l'avaler... Cela rend son comportement assez incohérent, on comprend mal ce qui se produit en elle lorsqu'elle se révolte ou non. Expliciter ses pensées serait pertinent.
Cela peut même la rendre antipathique. En effet, au chapitre 7 on la voit en revanche se rebeller contre Calista, qui apparaît comme étant plus faible qu'Isaure : elle se laisse plus facilement déstabiliser. D'autant que les propos de Calista à ce moment ne sont pas vraiment condamnables, elle les avertit simplement de ce qu'ils risquent à mal parler aux Classés et semble même se placer de leur côté. La révolte de Blake n'est donc pas très compréhensible pour le lecteur. Finalement, Blake semble résister face aux faibles et se laisser faire face aux forts, ce qui ne la rend pas très sympathique. À vrai dire, ça peut même lui donner un air d'adolescente « en crise » (elle se révolte aléatoirement comme si elle cherchait juste une occasion de protester), ce qui décrédibilise ce qu'elle vit, alors que ça n'a n'a rien d'anodin.
Je te conseille de retravailler ce point qui m'a empêchée d'adhérer totalement au personnage de Blake. Je pense qu'il faudrait définir plus exactement son but, ce qui te permettra ensuite de choisir ses moments de révolte. Par exemple, elle peut vouloir feindre la docilité pour mieux s'échapper le moment venu. Il semblerait alors plausible qu'elle contienne sa colère le plus longtemps possible, jusqu'à ce que tout déborde et qu'elle explose au visage d'Isaure. À l'inverse, elle peut arriver brûlante de rage, s'énerver au moindre prétexte, puis après un certain temps s'épuiser et réagir de façon plus réfléchie. Je te conseille aussi de mieux décrire ses émotions, pour qu'on comprenne ce qui l'anime lorsqu'elle décide de se révolter ou de laisser passer. Par exemple, les paroles de Calista qui semblaient neutres peuvent apparaître comme méprisantes si Blake les présente de la bonne façon.
Cela dit, je ne pense pas qu'il faille supprimer ces moments de révolte, au contraire ! Blake ne se laisse pas faire, elle ne peut pas toujours se contenir et se rebelle parfois : c'est normal. Elle n'est pas non plus invincible et finit par céder à la fatalité : c'est encore normal. Son personnage est nuancé dans son acceptation de la situation, c'est quelque chose que j'ai apprécié.'
S'éloigner des références de la dystopie : un enjeu majeur
DES RESSEMBLANCES AVEC D'AUTRES HISTOIRES
Je dois dire que je n'ai pas eu l'occasion de lire Le Joyau, donc je ne pourrais pas dire grand-chose sur la ressemblance avec ton histoire. Néanmoins, j'ai repéré quelques similitudes avec d'autres classiques de la dystopie. Avant tout, je tiens à signaler que cette partie n'a pas vocation à être une liste de points à modifier ou de chefs d'accusation. J'y reviendrai plus en détail : à mon sens l'originalité n'est pas un but ultime, mais un moyen de repérer certaines faiblesses de l'histoire. Ressembler par certains points à une autre histoire n'est pas problématique tant que ça reste modéré.
Je trouve que le début de Servitude ressemble pas mal à celui de Hunger Games, dans la forme et dans le fond. Dans les deux cas, on a une jeune fille qui se réveille pour affronter la journée qui va peut-être décider de son avenir. On nous présente son quotidien – sa famille et ses amis – ainsi que l'endroit miséreux dans lequel elle vit. Elle participe à un tirage au sort, dans laquelle elle espère de toutes ses forces ne pas être choisie – mais évidemment, elle est sélectionnée, et file en train vers le centre du pouvoir de son pays, où elle mènera une vie bien plus luxueuse qu'auparavant. Certains détails étaient particulièrement semblables, comme la sélectionneuse et Calista qui évoquaient toutes deux Effie Trinket dans Hunger Games. Ensuite, évidemment, les deux histoires divergent largement, et la suite de l'intrigue ne m'a pas évoqué d'autre histoire que je connaisse.
Le personnage de Blake m'a semblé correspondre au cliché de l'héroïne de dystopie young adult sur pas mal de points. Une fille qui doit avoir entre seize et dix-huit ans (je ne sais plus si son âge est donné), issue de la couche inférieure de la société, qui voit sa vie bouleversée par un système injuste. Elle n'est pas comme les autres filles – contrairement à elles qui se réjouissent d'être mères porteuses et se laissent distraire par le luxe dont on les entoure au point d'oublier leur servitude, Blake voit les failles du système. Elle tombe amoureuse d'un garçon séduisant qu'elle ne devrait pas aimer, le rencontre en privé pour la première fois à cause d'une bousculade et vit par la suite avec lui une romance interdite.
On se trouve dans un monde dystopique, séparé en une classe dominante et une classe opprimée. Là-dessus, je trouve cependant que ce n'est pas un véritable problème. Les relations entre les deux classes ne se bornent pas à « je suis méchant avec toi parce que j'ai le pouvoir », les Classés ont besoin de la Fosse et tentent donc d'appâter ses habitants au lieu de les maltraiter parce que c'est drôle. Je pense que cela mérite d'être davantage creusé, mais c'est un aspect de l'histoire qui m'a plu et m'a semblé assez original.
L'ORIGINALITÉ : UN SYMPTÔME PLUTÔT QU'UN PROBLÈME
(Si la partie précédente était relativement objective, celle-ci relève principalement de mon opinion personnelle. Je la crois assez pertinente pour mériter sa place ici, mais ce n'est jamais que mon avis.)
J'en arrive donc à mon « oui mais » : l'originalité, pour moi, ce n'est pas quelque chose à rechercher à tout prix. Ce qui est original aujourd'hui peut devenir le cliché de demain ; et si un élément est un cliché, c'est qu'il a plu – à des auteurs, à des lecteurs. Ce n'est pas pour autant qu'il faut n'écrire que des clichés, hein, mais ce n'est pas à mes yeux le danger ultime à fuir à tout prix. Plus généralement, je ne pense pas qu'il faille écrire son histoire en fonction des autres, dans un sens ou dans l'autre : vouloir correspondre à une tendance ou essayer de la fuir, c'est risquer d'écrire l'histoire d'un autre et pas la sienne. On me dira peut-être que si on ne cherche pas à fuir les tendances, on risque de se retrouver avec une histoire totalement banale, et quel intérêt de dire quelque chose si trente mille personnes l'ont dite avant ? Seulement, je pense que, si on écrit son histoire, en répondant au besoin qui nous a poussé à écrire au tout début, le récit qu'on obtiendra sera trop personnel pour être déjà vu de A à Z. On a tous quelque chose d'unique à dire, en fonction de notre vécu, de ce qui nous tient à cœur.
Alors, l'originalité, on s'en fiche ? Pas vraiment. Je n'aurais pas écrit tout ça sinon. Simplement, je pense que l'originalité d'une histoire est un diagnostic et pas un but en soi. Quand un élément n'est pas original, soit c'est une coïncidence, soit – dans pas mal de cas – c'est parce qu'on s'est inspiré d'une autre histoire. Ce qui au départ n'est pas un problème. La structure narrative basique situation initiale – élément déclencheur – péripéties – dénouement – situation finale, au départ c'est des gens qui se sont inspirés d'autres, et aucune personne sensée ne va crier au cliché parce qu'il y a des péripéties dans l'histoire... Mais parfois, on s'inspire parce que c'est plus simple, qu'écrire une histoire est long, complexe, et que les clichés et/ou les scènes issues de telle histoire nous facilitent la tâche en nous évitant d'avoir à se poser trop de questions. C'est naturel, c'est normal... mais je pense qu'une fois l'histoire écrite, il est pertinent de se repencher sur ces « moments de flemme » en se demandant s'il n'aurait pas été plus approprié de faire les choses d'une autre manière. En effet, on obtient parfois par ce procédé une scène qui était tout à fait adaptée dans l'histoire d'où elle vient, mais qui dans la nôtre ne l'est pas forcément. Et c'est là que le « cliché » devient un problème.
Dans ton histoire, c'est par exemple pour moi la scène du tirage au sort. Un moyen de sélection tout à fait adapté dans Hunger Games car le but des Jeux est de faire planer l'insécurité sur les familles, en rappelant à chacun que son enfant peut lui être enlevé. En revanche, dans Servitude, il s'agit de sélectionner des mères porteuses, soit des femmes qui doivent résister à la douleur, être assez fortes physiquement pour porter un enfant et survivre à l'accouchement, si on attend d'elle qu'elles allaitent/subissent une autre grossesse, et assez résilientes mentalement pour ne pas se suicider en emportant le précieux futur enfant Classé. Une sélection médicale, qui évaluerait la force physique des filles, leur état de santé, leur résistance à la douleur, serait donc plus efficace. (Il y a peut-être d'autres raisons qui t'ont conduite à opter pour le tirage au sort, dans ce cas je te conseille de les expliciter ou, si les personnages les ignorent, de montrer leur perplexité.)
Ainsi, je te conseille au moment de ta réécriture de te repencher sur les passages « clichés » afin de déterminer ce qui t'a poussée à les écrire ainsi, et si besoin de les modifier pour qu'ils correspondent davantage aux besoins de ton histoire. Il se peut totalement qu'un cliché corresponde entièrement à l'histoire, et dans ce cas-là il n'y a pas de problème (tant que ça reste ponctuel, sans quoi l'histoire risque d'être ou de sembler prévisible). Par exemple, il y a trois ans, j'ai introduit des vampires dans une de mes histoires. On m'a fait observer que la scène où on découvrait leur existence était affreusement clichée et, en me repenchant dessus, j'ai réalisé en effet que ce n'étaient pas les créatures les plus adaptées et que je ne les avais choisis que par facilité, parce que c'étaient des créatures déjà toutes prêtes qui ne demandaient aucun travail ; j'ai modifié ce point. Aujourd'hui, dans une nouvelle histoire, j'ai décidé à nouveau d'introduire des vampires, parce que j'ai déterminé que c'étaient les créatures les plus adaptées. On me redira sans doute que c'est cliché, mais cette fois je sais pourquoi je le fais et je ne reviendrai pas dessus (ou alors pour une autre raison).
UN DÉVELOPPEMENT PLUS POUSSÉ
Mais alors, si finalement l'originalité n'est qu'un diagnostic, pourquoi donner à cette partie ce titre putaclic en parlant d'« enjeu majeur » ? Eh bien... parce que j'ai tout de même eu l'impression que c'était le cas. L'histoire restait trop proche des références du genre, ce qui fait que j'avais du mal à distinguer son identité – ce qui faisait que c'était ton histoire. Certains éléments se distinguaient, montrant qu'il y avait une véritable réflexion derrière l'histoire, mais ils n'étaient que rapidement évoqués.
Je pense donc (mais ce n'est vraiment que mon avis) qu'il est primordial de développer les différents sujets que tu abordes dans l'histoire. C'est en donnant plus de profondeur aux aspects qui y sont évoqués que l'identité de l'histoire ressortira. Tu m'as dit avoir basé ton histoire sur un rêve : quelle atmosphère en ressortait ? Quels en étaient les éléments importants ? N'hésite pas à les faire ressortir dans ton histoire si cela ne nuit pas à sa cohérence : ce sont ces éléments qui font qu'elle vient de toi.
C'est quelque chose qu'il serait pertinent de faire aussi avec le personnage de Blake : quels sont les éléments saillants de sa personnalité ? Ses qualités, ses défauts, ses compétences, ses faiblesses ? Comment se répercutent-ils sur l'intrigue ?
Je crains que cette partie ne soit un peu (énormément) brouillonne, je dois dire que je ne maîtrise pas totalement le sujet (je pense qu'il faut avoir écrit et lu beaucoup d'histoires pour parler vraiment d'originalité). J'ai essayé d'exprimer mon avis de la façon la plus claire possible, mais je ne serais pas étonnée si tout n'était pas clair, n'hésite pas à poser des questions !
Conseils relationnels d'une personne absolument pas romantique
LE PERSONNAGE DE JAMES
Je dois dire que je n'ai pas trop accroché à ce personnage. Il se comportait d'une façon assez égoïste, du moins c'est l'impression qu'il m'a faite. Il semblait ne jamais prendre en compte les émotions de Blake : par exemple j'ai trouvé vraiment déplacé qu'il lui reproche d'avoir fui après leur baiser (ce qui m'avait semblé compréhensible étant donné que leur relation est totalement interdite et qu'elle risque mille fois plus que lui) alors qu'elle vient de subir une tentative de viol. De plus, sa façon de s'énerver et de repousser Blake à chaque fois qu'elle amène la discussion sur sa relation avec Isaure m'a pas mal agacée, d'autant qu'elle n'était pas dans une position où elle pouvait riposter sans risque.
Bien sûr, on peut tout à fait apprécier en tant que personnage quelqu'un qu'on détesterait dans la vie réelle. Mais pour cela, je pense que les défauts du personnage doivent être assumés. Blake se montre à mes yeux bien trop indulgente avec James : même si au début elle ne peut pas trop répliquer de peur qu'il ne la fasse punir, elle peut protester dans sa tête, le trouver désagréable ou chercher la raison de son comportement.
On peut certes se dire qu'étant amoureuse de lui, elle sera plus indulgente... Mais ça pose pour moi un problème de logique : qui tomberait amoureux d'une personne entièrement insupportable ? Pour moi il serait plus logique qu'elle se montre (du moins au début de leur relation) lucide sur ses défauts mais qu'elle les trouve contrebalancés par ses qualités.
N'hésite pas, dans un premier temps, à insister aussi sur les qualités de James. En tant que lecteur, pour s'impliquer dans l'histoire d'amour on a envie de partager l'opinion de l'héroïne au sujet de son intérêt amoureux, donc de voir en quoi il est appréciable. Ainsi, je te conseille de commencer par introduire ses qualités, puis dans un second temps, une fois que Blake (et le lecteur...) l'apprécie, nous laisser voir ses défauts.
LA MISE EN COUPLE
Tout d'abord, comme précisé au début de cette partie, je ne suis pas du tout attirée par les histoires d'amour et ma dernière relation – réelle ou fantasmée – remonte au CE2. Donc, bon. Je suis clairement mal placée pour en parler et je te conseille plus vivement encore de croiser les avis pour les deux sous-parties qui viennent.
Néanmoins, je pense que la mise en couple de Blake et James pourrait être mieux gérée. En fait, j'ai eu l'impression de les voir se rapprocher de loin, alors que j'aurais dû être aux premières loges, dans l'esprit de Blake. Je pense que cette intrigue aurait mérité plus d'attention. Les relations, c'est quelque chose de très progressif, encore plus quand il s'agit de persuader le lecteur que deux personnes qui au début de l'histoire ignoraient tout l'un de l'autre sont faites pour vivre ensemble, que chacune a quelque chose à apporter à l'autre.
Et pour rendre compte de cette progression, pour faire passer les personnages d'inconnus à essentiels l'un à l'autre sans que le lecteur ne trouve l'évolution trop rapide... on en revient au Show, don't tell. Encore lui.
Par exemple, lorsque Blake observe que, malgré la haine qu'elle voue à Isaure et aux Classés dans leur ensemble, elle ne parvient pas à détester James... dans l'idée ce genre de phrase est très bien trouvé, cela permettait d'amener la romance en douceur. Mais je pense qu'il aurait fallu mieux l'introduire. Nous montrer pourquoi Blake ne peut pas haïr James. Qu'est-ce qui l'en empêche ? Je crois me souvenir que cette phrase intervenait à une fin de chapitre ; il aurait été pertinent, je pense, de consacrer le chapitre (ou au moins sa partie finale) à la relation entre eux, une scène où on les voit discuter, où James se rend, disons, difficile à haïr.
Plus généralement, je pense qu'ajouter des scènes où Blake et James apprennent à se connaître, où ils se confient l'un à l'autre, serait pertinent. On pourrait ainsi les voir peu à peu devenir indispensables l'un à l'autre, chacun étant par exemple la seule personne avec laquelle l'autre puisse être lui-même... jusqu'à ce que leur couple nous semble être une évidence. Les amateurs de romance apprécieront ce rapprochement ; quant aux grincheux dans mon genre, si les scènes de romance pure peuvent ennuyer, personne de sensé ne cracherait sur une bonne scène de développement des personnages...
Au moment de leur mise en couple, c'est-à-dire au baiser du chapitre 22, n'hésite pas à faire monter la tension. (Je m'aventure ici sur un terrain que je connais très peu, autant être sincère...) Les personnages décident de faire quelque chose dont ils ont envie depuis plusieurs chapitres. Pourquoi précisément ce moment, qui à première vue semble contre-indiqué (ils sont épuisés, risquent d'être vus) ? Qu'est-ce qui fait que soudain, ils ne peuvent plus attendre ? Ici, on ne peut pas être dans la demi-mesure – si leur amour était une amourette sans importance, ils ne prendraient pas le risque de le vivre. Il faut que ce soit fort, que ça nous bouscule. Je te conseille vraiment de tout donner, de nous montrer que ce baiser leur est indispensable, qu'ils n'ont aucun moyen de faire autrement – de nous faire atteindre une telle tension que s'embrasser est le seul moyen de la désamorcer. Introduire Amy serait un moyen classique mais efficace de gérer cela : si Blake craint que la place ne soit prise, elle peut se montrer plus entreprenante. Il y a néanmoins d'autres moyens. L'amour peut par exemple dévorer la vie de Blake, elle peut être obnubilée par James au point de se laisser totalement déconcentrer en sa présence ; elle n'aurait alors aucune solution à part admettre qu'elle l'aime et tenter quelque chose. Tu peux aussi jouer sur la fatigue de la fête, qui fait qu'ils ne contrôlent plus aussi bien leur désir (mais alors il faudra tenir compte de cela lorsqu'ils en rediscuteront, ils risqueront de craindre que l'autre n'ait accepté le baiser que parce que l'épuisement altérait son jugement). Il y a aussi la tension physique, mais j'admets avoir peu de conseils à donner là-dessus, j'ai l'impression que ce que tu fais est suffisant sur ce plan.
UNE FOIS EN COUPLE...
Je n'ai pas grand-chose à dire sur ce point, étant donné que je les ai assez peu vus ensemble. Néanmoins, je dois dire que quelque chose m'a frappée au cours de ma lecture : je n'avais pas l'impression que James et Blake formaient un tout. Ils avaient l'air à chaque fois considérés individuellement. Si c'est un point très (très) positif de ne pas oublier l'individualité des membres du couple et de les considérer avant tout comme des êtres humains indépendants l'un de l'autre, je pense qu'il est parfois pertinent de montrer qu'il y a aussi un « nous ». Qu'ils se considèrent parfois comme indissociables l'un de l'autre. Dans le fond, c'était plutôt le cas, ils n'envisageaient pas par exemple que Blake fuie seule, c'était tout de suite « nous pouvons nous cacher ». En revanche, par la suite, les réflexions de Blake les séparaient d'une façon qui m'a semblé un peu artificielle : James ne connaît pas la Fosse/je ne sais pas ce qu'il se passera après mon accouchement. Cela m'a interpellée, ça donnait vraiment l'impression qu'ils allaient fuir séparément et sans partager leurs connaissances. Je te conseille de reformuler : si c'est quelque chose qu'ils ignorent tous les deux, un « nous » serait plus approprié ; si seul l'un des deux ne le sait pas, en quoi est-ce un problème ? L'autre ne peut-il pas l'aider ?
Ce point est certes un détail, mais je pense que lorsque des personnages se mettent en couple, il est pertinent de montrer ce qui a changé, comment ils fonctionnent désormais. Utiliser le nous, considérer les personnages comme deux individus distincts mais aussi comme une entité indivisible, est un moyen de le faire. Tu pourrais également montrer leurs nouvelles interactions, nous faire voir leur nouvel équilibre après la décision, par exemple avec une scène où on les voit discuter.
Mon avis en quelques mots...
Pour résumer, Servitude a du potentiel, vraiment. L'histoire mériterait d'être développée et l'intrigue d'être densifiée, mais il y a de nombreuses bonnes idées. L'histoire est portée par une plume dynamique qui mérite elle aussi d'être approfondie. Au final, la majorité des défauts que j'ai relevés sont quasi obligatoires dans un premier jet.
Si j'ai un seul conseil à te donner pour la fin de la rédaction de cette première version, c'est de persévérer. (Ça ne veut pas dire « foncer quoi qu'il arrive », hein, tu peux avoir besoin d'une pause, de prendre du temps pour mieux visualiser la suite, ça arrive et c'est normal.)
Je te conseille aussi, une fois l'histoire terminée – sachant évidemment que ça n'a pas besoin d'être immédiat... – de te repencher dessus dans une réécriture. Servitude est une histoire qui mérite d'être améliorée, qui mérite que tu en prennes soin. Certes elle a des défauts, mais à mon avis elle a aussi trop de potentiel pour que tu n'essaies pas de les corriger.
Bien sûr ce n'est que mon opinion et je n'ai pas à décider de ce que tu accomplis avec cette histoire. Mais voilà, Servitude est le genre de roman que je serais très curieuse de relire après une réécriture.
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