Premier acte - DarkLemming [Mélodie Boréale]

Quelques points que j'aimerais rappeler :

- Cet avis n'est justement qu'un avis, avec toute la subjectivité que ça implique. N'hésite pas à le croiser avec ceux d'autres lecteurs.

- Si je ne suis pas claire, n'hésite pas à me demander de préciser un truc ! De même, si tu n'es pas d'accord, sens-toi libre de protester ; et s'il te reste des questions, ou s'il y a des points que tu aurais aimé que j'aborde, je serai ravie d'y répondre.

- Toutes remarques que j'ai faites ne veulent pas dire que j'ai enlevé des points sur le barème. Notamment, si une critique me semble trop subjective, je la formule au cas où elle puisse t'être utile, mais je n'enlève rien pour cela.

- Les suggestions que je fais sont de simples suggestions, je ne vais pas t'ordonner de modifier ton texte ou je ne sais pas quoi : je ne fais que souligner une possibilité.

Voilà voilà, passons à l'avis !



Dans l'idée j'aime bien la couverture, elle correspond très bien à l'histoire avec les personnages-marionnettes manipulés par on ne sait qui. En poussant un peu, on pourrait relier chacun des personnages sur l'image du bas aux quatre intervenant dans la nouvelle, sans compter Dramaturge et l'Assistant. En tout cas l'idée est bonne et véhicule le point principal de la nouvelle sans spoiler pour autant, les interprétations de l'image étant nombreuses. Je dois dire en revanche que je ne vois pas l'intérêt de mettre deux images ; la première n'apporte rien par rapport à la seconde, j'ai l'impression... Avoir deux images séparées aussi nettement brise l'unité de la couverture, c'est dommage de le faire pour ne pas donner d'information supplémentaire.

De plus, le fond me semble un peu vide, je pense qu'y glisser quelque chose comme une machine à écrire ou un livre ouvert aurait été pertinent pour souligner la mise en abyme que tu mets en place à la fin. Bon, après ce serait sans doute difficile, d'un point de vue technique, d'obtenir un résultat lisible et harmonieux ; mais encore une fois, le fait de montrer une photo sur la couverture, au lieu d'utiliser la photo comme couverture, en brise l'unité, c'est pourquoi je pense qu'il faudrait le faire pour une bonne raison.

D'un autre côté, la couverture est à la fois élégante et très sobre, donc ce vide du fond ne me semble pas excessivement dérangeant. Ce que je t'ai suggéré me semble une option intéressante pour la rendre plus complète, mais ce n'est pas une nécessité pour autant.

Je pense enfin que le titre aurait pu être écrit un peu plus gros par rapport au nom d'auteur, peut-être en diminuant la taille de celui-ci – il resterait très lisible même en étant plus petit. La police aurait aussi pu être mieux choisie, je verrais bien une police type « machine à écrire » pour induire l'idée que l'histoire est quelque part une mise en scène.

Je pense que ça rendrait ta couverture un peu plus marquante ; actuellement elle est élégante, mais un peu trop discrète, je trouve.


Je n'ai rien à redire sur le titre. Il n'est pas spécialement beau en lui-même mais il est marquant, intrigant ; il amène le lecteur à se poser de nombreuses questions et c'est ce qui donne envie de poursuivre. Avec en plus les marionnettes sur la couverture, on peut commencer à se forger une vague idée de l'histoire, sans pour autant en savoir trop.

Ce titre correspond bien à l'histoire, dès le deuxième chapitre on commence à comprendre sa pertinence ; j'aime bien le fait qu'il se révèle dans toute son ampleur aux dernières lignes du texte, lorsqu'on découvre pourquoi cette pièce ne durera qu'un acte.


Je dois dire que le résumé me paraît moins bien trouvé. Il correspond certes totalement à l'histoire – le Double tueur qui meurt écorché par les éclats du miroir, sa mort éraflant un peu sa mère et sa fiancée, Dramaturge volant le reste de leur vie... Factuellement, c'est cohérent avec l'histoire.

Mais je trouve qu'il n'insiste pas assez sur les aspects importants de la nouvelle. Est-ce primordial de donner le mois de sa mort – mois qui n'est mentionné nulle part dans le texte – ou la façon dont il est mort ? Est-ce que ça vaut la peine de faire toute une phrase pour dire que sa mort a tué une part de sa mère et de sa fiancée, ce à quoi on pourrait s'attendre ? J'ai l'impression que le résumé se concentre sur des aspects mineurs de la nouvelle, ou met en avant des choses peu surprenantes, ce qui nuit à l'impact de l'information qui devrait être vraiment marquante : on leur a volé le reste. Je pense que tu aurais pu te centrer davantage là-dessus.

Je suis consciente que cette nouvelle est difficile à résumer sans spoiler. Je pense que ç'aurait déjà été plus simple en choisissant une forme moins nébuleuse. Tel qu'il est écrit, le résumé donne l'impression que ce « il » et ces « elles » sont métaphoriques, impression qui pour moi a été renforcée par « elles sont mortes avec lui », l'explication de « elles avaient un lien avec lui et sa mort leur a fait du mal » paraissant trop évidente par rapport au flou du reste du résumé. Au final, pourquoi ne pas préciser qu'elles sont sa mère et sa fiancée ? Ça ne spoilerait rien et, en enlevant un peu de questionnement sur ce que sont « il » et « elles », questionnement peu pertinent puisqu'ils sont clairement définis dans la nouvelle, en ajouterait sur le « on leur a tout volé ».

Je pense que ce résumé aurait été plus efficace s'il avait rapidement résumé les personnages (je vois bien quelque chose du genre « Le Double tueur... mort. Sa mère, sa fiancée... presque ») avant d'introduire le personnage de Dramaturge, d'une façon un peu plus insidieuse, quelque chose du genre « Un enchaînement mécanique, fluide, presque trop ; comme si tout était déjà écrit ». (Vu mon état de fatigue je ne garantis pas la qualité des exemples, mais je pense qu'ils permettent de se faire une idée de ce que je veux dire.)


Sur la forme, je n'ai remarqué qu'une faute d'orthographe et une tournure maladroite. Ton texte est très propre, la mise en forme théâtrale est respectée et très agréable à lire. Il y a juste un micro-cafouillage à un moment dans la deuxième partie, tu as deux répliques de Dramaturge à la suite (je te l'avais signalé en commentaires, si tu ne retrouves pas dis-le-moi).

Je suis quand même un peu frustrée au sujet de la troisième partie, moins cohérente que les deux autres puisqu'elle contient deux scènes qui ne sont pas spécialement reliées entre elles (pas plus qu'avec les autres scènes je veux dire) ; on sent qu'elles ont été regroupées pour répondre à la contrainte des trois chapitres et, même si avec le format choisi c'est inévitable, je trouve cela un peu dommage.

Mais je chipote, ta nouvelle est très bien mise en forme, c'était très agréable à lire.


Pour le lien avec le thème « Au gré du vent », j'ai en effet fini par penser que c'était que les personnages sont mus par la volonté de Dramaturge, qu'ils agissent à son gré, mais je dois dire que ça ne me convainc pas vraiment. Cela me semble à l'opposé de l'idée de dérive contenue dans « au gré du vent » ; il est à première vue contre-intuitif de relier des personnages aux actions manipulées par un autre à cette expression. Je pense donc que cela aurait mérité d'être développé dans l'histoire, peut-être au cours de la discussion entre Dramaturge et son Assistant.

Pour la contrainte, elle ne me semble qu'à moitié respectée. Le premier chapitre est bien du point de vue du Double tueur mais les deux suivants me semblent plus du point de vue de Dramaturge que de la Mère/Fiancée : on n'a accès qu'aux apartés de Dramaturge, on a vraiment l'impression de lea suivre ellui, comme si la Mère et la Fiancée n'étaient que des personnages secondaires rencontrés au détour d'un chemin. Impression renforcée par la scène 4, clairement du point de vue de Dramaturge ou de l'Assistant, en tout cas pas de la Fiancée... Bref, j'ai du mal à affirmer que les trois chapitres sont d'un point de vue différent (mais si tu as des arguments contraires, n'hésite pas !).


Pour ce qui est de l'histoire en elle-même, j'ai beaucoup aimé. L'idée que tu as eue, la façon dont tu l'exploites... J'y reviendrai, mais vraiment c'était très bien trouvé et construit. J'ai relevé deux-trois points qui, je pense, auraient pu être mieux travaillés ; j'ai aussi des remarques qui ne sont pas, à proprement parler, des critiques, mais plutôt des propositions d'amélioration.


Le premier point est pour moi le développement de Dramaturge. J'aime beaucoup l'idée que tu as eue avec ellui, qu'iel manipule les personnages pour se nourrir de leur désespoir, mais je pense qu'il aurait fallu le développer davantage. Son but reste un peu trop flou à mes yeux et, si au cours de la lecture ça n'est pas dérangeant – on vit simplement l'histoire en comprenant ce qu'iel cherche à faire et en lea voyant inévitablement réussir –, cela m'a paru dommage en repensant à la nouvelle. Je ne sais pas si tu vois ce moment où, en repensant à une histoire, tu essaies de suivre le fil de l'intrigue, de te demander ce qui aurait pu faire changer la fin, d'évaluer l'impact qu'a eu tel personnage... J'ai tendance à penser que c'est ce genre de questions qui font vivre une histoire dans l'esprit des lecteurs ; et pour cela il faut connaître les motivations des personnages, ou au moins avoir des suppositions dessus. Et celles de Dramaturge étaient assez floues – comme pas mal de choses au sujet de son personnage.

Dans les trois premières scènes, on peut s'imaginer qu'il cherche simplement à voler la force vitale de ses victimes pour survivre lui-même (son épuisement lorsque la Mère lui résiste, « j'ai besoin de sa souffrance »). Mais la dernière scène avec l'Assistant change la donne, en donnant l'impression qu'iel cherche à écrire une histoire – ce qui correspond mieux à son nom et est plus intéressant. Seulement, c'est un peu en contradiction avec ce qu'on voyait d'ellui jusqu'à présent : cela semblait nécessaire à sa survie, mais l'Assistant nous dit que ce n'est qu'un amusement (« tes expériences », « ces jeux malsains », « ça ne t'apporte rien »). Il pourrait se tromper, certes, mais Dramaturge ne s'en défend pas vraiment, ni face à lui ni en aparté, ce qui laisse penser qu'il n'a pas tort. On ne sait donc plus quoi penser, ce qui floute l'image de Dramaturge.

Qu'iel ne soit pas totalement limpide aux yeux du lecteur est sans doute voulu, et ça ne me semble pas critiquable : un personnage de son genre perdrait en prestance s'il ne gardait pas une part de mystère, je pense. L'interprétation de ses actes peut être inconnue, mais il faudrait qu'on ait plusieurs pistes – ce qui est le cas ici – et pas juste aucune, et que ces pistes soient justifiées par des arguments plausibles qui ne se contredisent pas... ce qui est moins le cas. Si le flou entre les interprétations « Dramaturge veut juste survivre » et « Dramaturge est un.e connard.sse qui joue avec les gens » était voulu, il faudrait donc les faire coexister sans incohérence.

Dans ce cas précis, même en admettant que la deuxième interprétation soit la bonne et que le flou ait été involontaire, des questions demeurent. Les personnages ont-ils été entièrement créés par Dramaturge, ou est-iel arrivé dans leur vie pour la transformer en quelque chose qui vaille la peine d'être raconté ? Qui est l'Assistant – une part de lui-même, un authentique stagiaire de troisième, ... ? Qui est Dramaturge, tout simplement ? (On en revient à la question tordue que je t'ai posée en commentaires.) Pourquoi la tristesse de la Fiancée est-elle « trop pure et innocente » pour ellui – je veux dire, pourquoi est-elle pure et innocente ? et surtout, pourquoi cela l'empêche-t-iel de s'en nourrir ? (Je dois dire que sans explication, cette phrase m'a semblé une justification un peu facile au comportement de Dramaturge.) Toutes ces questions n'ont pas besoin d'une réponse, à vrai dire individuellement y répondre ne me semble pas fondamentalement nécessaire (garder un peu de flou contribue à l'aura de Dramaturge) mais qu'aucune d'entre elle n'ait de réponse rend le flou trop important, on ne sait pas comment lea « saisir ». Je pense qu'on aurait pu avoir un peu plus d'informations sur ellui pour ancrer son existence dans la nouvelle.

(Je ne sais pas du tout si cette remarque est claire, n'hésite pas à pointer les points qui te semblent flous.)


J'ai une deuxième remarque au sujet de l'ambiance qui se dégage du texte. Je pense que ce point pourrait être amélioré. Par moments, je trouvais les dialogues un peu trop déconnectés du réel, je n'arrivais pas à visualiser les personnages, les mots et les voix devenaient désincarnés. C'était un peu le cas au début de la discussion entre le Double tueur et l'Autre, je crois. (« Je crois » parce que je trouve ce genre d'impression très difficile à saisir ; je sais que je me suis fait la réflexion en lisant mais je ne me souviens plus de l'endroit exact et relire avec ça en tête est le meilleur moyen de ressentir les choses de travers... bref, ne te fie pas trop à mes exemples précis.)

Quand je parle de mots désincarnés ou de déconnexion du réel, je ne veux pas forcément dire les détails concrets des actions des personnages ou des détails des lieux, mais de l'ambiance que dégage une scène, de son atmosphère qui nous donne l'impression qu'elle existe quelque part, que ce n'est pas juste un assemblage d'idées. Ce qui fait qu'on peut se l'imaginer, en créer notre représentation intérieure.

Ce genre d'ambiance est sans doute plus facile à faire passer dans un texte classique, la forme théâtrale complique les choses. Une description détaillée de l'expression de tel personnage, des émotions de tel autre ou de la treizième fissure du miroir en partant de la gauche ne serait pas à sa place. Mais je pense qu'il y a tout de même des moyens de faire ressentir l'ambiance au lecteur.

Je pense que tu aurais pu davantage jouer sur les didascalies. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'en mettre toujours des tonnes, mais je dois dire que les passages qui dans ta nouvelle me semblent le plus prenants sont ceux où les indications en didascalie complètent le texte, où les deux se répondent. La fin de la scène entre Dramaturge et la Mère, quand les actions de Dramaturge ou de la Mère alternent avec les paroles, en sont pour moi un excellent exemple. C'est pourquoi je te conseillerais de davantage développer cette façon de faire, lorsque c'est pertinent – il y a des moments où ça ne ferait que casser le rythme, moments que je n'indiquerai pas sauf si tu le souhaites parce qu'on entre dans des considérations très personnelles. C'est pour moi un excellent moyen de créer de la tension, le texte entrecoupé par les dialogues crée un rythme plus soutenu. Je te conseille de te demander régulièrement les gestes des personnages, leurs expressions ou leur façon de s'adresser à l'autre ou au public peuvent apporter quelque chose à l'intrigue ; mais aussi si le texte permet de se faire une idée de l'atmosphère qui règne sur « scène » ou si les mots semblent énoncés dans le vide.

De plus, certaines didascalies me semblent assez mal choisies. Je pense surtout au début de la première scène. On nous dit au tout début que les deux personnages tremblent, mais c'est quelque chose qu'on ne voit pas vraiment ensuite. L'Autre paraît très calme au début dans ses paroles, les didascalies le qualifient d'« amusé »... Le Double tueur se montre assez vite fébrile et angoissé mais au début il paraît tranquille, il est « pensif ». Si on n'a pas retenu qu'ils tremblaient, on ne le sentira vraiment pas ; et si on s'en rappelle, cette information semblera en décalage avec le reste du texte. Je pense qu'il aurait fallu qu'on sente ces tremblements, dans leur façon de parler (un peu hachée peut-être ?), dans quelques didascalies si possible... Plus loin, tu donnes en didascalies quelques informations sur l'état d'esprit du personnage, mais cela reste à l'état d'idée (« pensif » – encore que celui-ci est suffisamment évocateur pour que ça ne soit pas si dérangeant –, « amusé », « résigné »). Cela permet de savoir comment se sentent les personnages, mais pas de visualiser la scène ; on reste dans des idées trop génériques. Décrire cet amusement, cette résignation serait plus évocateur, je pense. Il est amusé ; à quoi cela se voit-il ? Un sourire, une intonation de la voix ? Comment sent-on la résignation du Double tueur ? Un ton morne/triste, un geste de lassitude, une expression du visage ? Je te conseille vraiment de te pencher sur tes didascalies et de te demander à chaque fois : « est-ce qu'elle permet de visualiser un élément de l'action, directement, ou juste de savoir quelque chose ? Est-ce qu'elle concerne juste un passage éphémère ou une grande partie du texte – et dans ce dernier cas, est-ce juste une information qui ne demeure pas ou est-ce qu'on la sent au cours du texte ? »

Un autre moyen, moins évident, est de faire passer les informations dans le texte en lui-même, en faisant décrire aux personnages leurs propres actions ou celles des autres. Des remarques comme « Regarde comme tu trembles, tu ne réussiras pas à tirer » ou « Ne souris pas ainsi » (mal écrit mais tu vois ce que je veux dire) peuvent suffire à transmettre les actions des personnages en faisant en prime passer des émotions que les didascalies, généralement plus neutres, occulteraient. Mais ce moyen reste limité – les personnages ne vont pas passer la moitié de leur temps à décrire la scène – et est plus difficile à mettre en place en restant fidèle au déroulé de l'intrigue et aux personnages.

Bref, je pense que même si ce n'est pas évident tu gagnerais à nous permettre de mieux nous projeter dans la scène, que ce soit avec les didascalies ou directement dans le texte.


Je pense avoir (déjà) fait le tour des points que je peux véritablement reprocher à ta nouvelle. Elle m'a par ailleurs vraiment emportée. L'idée est vraiment bien trouvée, le fait de représenter l'auteur de la pièce à l'intérieur même de celle-ci. J'apprécie le fait qu'il ne façonne pas entièrement ses personnages mais intervienne pour modifier leur destin une fois ceux-ci créés.

J'ai aussi beaucoup apprécié ta façon d'écrire. J'ai souvent eu l'impression que tu avais trouvé la tournure exacte pour coller à l'intrigue, pour faire passer en peu de mots des idées très riches. Pour ne citer qu'un exemple, le « bien qu'elle n'en ait pas l'air à première vue, elle reste humaine. — Terriblement » m'a paru très bien choisi, le « Terriblement » de Dramaturge réveille le souvenir de tout ce qu'on a perçu chez la Mère au chapitre précédent sans que tu aies besoin d'enchaîner sur un long discours qui nous expliquerait en détail en quoi cette réaction de fuite est justement humaine. La discussion entre le Double tueur et l'Autre était elle aussi très bien réalisée, j'ai beaucoup aimé certains passages comme celui où le Double tueur énumère ce qu'il perdra en mourant. Tu passes de considérations biologiques (qui ont déjà elles-mêmes quelque chose de saisissant, peut-être par leur côté définitif) à des observations plus chargées émotionnellement, le tout brisé par ces « Oui » répétés. J'ai trouvé ce procédé vraiment efficace pour qu'on réalise avec l'Autre la brutalité de sa mort imminente. Tu sais vraiment choisir les mots que tu emploies pour créer l'émotion voulue chez le lecteur.

J'ai beaucoup aimé la façon dont tu construisais le personnage de la Mère. Tu lui donnais vraiment une voix à part, elle avait une façon de parler qui la distinguait des autres personnages, lui donnait tout de suite une identité. Cela collait parfaitement avec son personnage, on pouvait sans problème l'imaginer prononcer ces mots-ci avec cette attitude-ci. Tu as vraiment réussi à donner une existence à son personnage, on la sentait réelle, quelque part...

J'ai aussi beaucoup aimé la scène 1 et la façon dont certaines répliques, anodines en apparence, prenaient un sens nouveau lorsqu'on connaissait la vérité. Ce qui m'a le plus marquée est le « Si je suis fou, alors tu n'es rien » du Double tueur à l'Autre : alors qu'à la première lecture j'avais interprété ça comme une simple comparaison, sans aucun lien de cause à effet (« je suis peut-être fou mais toi tu n'es rien »), il se révélait bien plus significatif après lecture du début du deuxième chapitre. Toute la première scène est parsemée de ce genre de répliques, vraiment bien choisies pour ne pas paraître incohérentes à première vue tout en étant très éloquentes en deuxième lecture. Cela a rendu ma deuxième lecture vraiment fascinante.

Bref, je pourrais continuer sur ce sujet mais je pense que c'est compréhensible (n'hésite pas à me signaler si ce n'est pas le cas, hein). La majorité des aspects de ta nouvelle sont de gros points positifs pour moi. Il y a néanmoins quelques éléments qui, s'ils ne sont pas vraiment des défauts, auraient pu être améliorés, je pense.


En parallèle avec ce que tu as fait de la Mère, je pense que tu aurais pu davantage caractériser la Fiancée. Cela ne servirait pas directement le but du texte, mais ça rendrait son personnage plus réel, solide, et nous aiderait à visualiser la scène. Cela peut passer par sa façon de parler, un ton peut-être plus hésitant ou plus abattu, un registre de langue plus soutenu. Tu peux aussi davantage creuser ce qu'elle nous montre de son caractère à travers ses paroles. Dramaturge nous dit qu'elle est intelligente, et sa réplique au sujet des miroirs est effectivement pertinente, mais ça reste quelque chose de ponctuel, par la suite on perd un peu cela. Tu pourrais montrer davantage son intelligence, elle pourrait par exemple être sur le point de confondre Dramaturge mais se laisser convaincre qu'elle psychote.

Je pense que développer la Fiancée adoucirait certaines transitions peut-être un peu brutales ; celle entre le moment où Dramaturge déplore son intelligence et celui où elle évoque sa culpabilité me semble en relisant un peu trop rapide, presque forcée : elle est trop opportune, la Fiancée lui présente sa faiblesse pile au moment où iel se demande comment attaquer. Prolonger le dialogue entre les deux moments permettrait de faire venir la solution de Dramaturge et non de la Fiancée, si c'est ellui qui amène la discussion sur le terrain de la culpabilité, des raisons de ce geste. Pareil le « Dormez maintenant » à la fin me semblait un peu trop facile : la Fiancée ne semblait pas abattue mais désorientée, quelques lignes de dialogue qui la feraient passer à cet état d'abattement – chose que tu as vraiment bien réussie avec la Mère, d'ailleurs – seraient bienvenues.


Je pense aussi que tu aurais pu donner à Dramaturge une façon un peu plus particulière de s'exprimer. Tu lea caractérises pas mal sur le plan physique, je trouve, même sans vraie description (comme c'est étonnant) le détail du veston bleu-gris fait surgir une image – pas la même pour tout le monde, certes, mais c'est évocateur et ça nous permet de lea visualiser. En revanche je pense que cela aurait pu être développé au sujet de la façon de parler, qu'il pourrait par exemple utiliser un registre plus soutenu ou des tournures plus alambiquées que les autres personnages. C'est déjà un peu le cas, j'ai l'impression, mais cela m'a semblé noyé au milieu du langage des autres personnages, la Fiancée et l'Assistant utilisant tous les deux un langage semblable. Je pense que tu aurais pu accentuer le contraste, pas forcément sur le niveau de langue – je dois dire qu'un niveau plus familier me semblerait déplacé ici, après il faudrait voir ce que ça donne pour juger – mais peut-être sur la complexité des phrases ? Je verrais bien l'Assistant se contenter de phrases simples, voire s'exprimer de façon un peu maladroite pour contraster avec l'aisance de Dramaturge.


Enfin, je trouve que le rapport au lieu aurait pu être développé. Ce que tu en faisais dans les indications en début de scène était bien trouvé, avec la place qui servait de décor à toutes les scènes sans jamais être « la même ». J'ai apprécié aussi le fait que tu ressortes le miroir dans le chapitre de la Fiancée – même si je m'interroge sur son absence dans la scène précédente –, cela donnait plus d'intensité à la scène, on vivait dans le souvenir de la mort du Double tueur. Mais en-dehors des débuts de scène, on ne revenait pas sur le lieu, il ne semblait pas vraiment faire partie de l'histoire. Je pense que l'utiliser aurait apporté quelque chose, les personnages auraient pu davantage interagir avec lui.

Dans la première scène, le Double tueur et l'Autre auraient pu montrer leurs émotions en faisant les cent pas, en s'asseyant sur le banc évoqué dans la troisième scène. Les agents de police de la deuxième scène pourraient avoir une présence muette plus importante – s'entretenir avec la Mère au début de la scène par exemple ; ils auraient pu être utilisés vers la fin, en montrant leur nombre décroître peu à peu jusqu'à ce que la Mère soit seule avec Dramaturge, ou bien en mentionnant qu'ils ne remarquent pas la scène ou sont indifférents... Enfin, dans la troisième scène, la Fiancée pourrait jouer avec le miroir : se regarder dedans comme si elle cherchait à y voir le Double tueur, suivre une fissure du doigt, ... Je pense que cela ancrerait davantage l'histoire dans le réel en la faisant interagir régulièrement avec le lieu ; on s'imaginerait mieux les actions des personnages.


Bon, je chipote beaucoup mais sincèrement cette nouvelle est géniale. C'était bien écrit, saisissant, la chute était brutale (sans être vraiment surprenante, elle était marquante et collait parfaitement à la nouvelle) ; l'idée que tu as eue a beaucoup de potentiel, potentiel exploité presque à son maximum.

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