Lettres à la brise - jeannefostergoriot [Mélodie Boréale]
Quelques points que j'aimerais rappeler :
- Cet avis n'est justement qu'un avis, avec toute la subjectivité que ça implique. N'hésite pas à le croiser avec ceux d'autres lecteurs.
- Si je ne suis pas claire, n'hésite pas à me demander de préciser un truc ! De même, si tu n'es pas d'accord, sens-toi libre de protester ; et s'il te reste des questions, ou s'il y a des points que tu aurais aimé que j'aborde, je serai ravie d'y répondre.
- Toutes remarques que j'ai faites ne veulent pas dire que j'ai enlevé des points sur le barème. Notamment, si une critique me semble trop subjective, je la formule au cas où elle puisse t'être utile, mais je n'enlève rien pour cela.
- Les suggestions que je fais sont de simples suggestions, je ne vais pas t'ordonner de modifier ton texte ou je ne sais pas quoi : je ne fais que souligner une possibilité.
Voilà voilà, passons à l'avis !
La couverture est très jolie, j'aime beaucoup sa simplicité et son élégance. Je pense toutefois qu'elle pourrait être un peu plus lisible : ton nom d'auteur pourrait être un peu plus gros (on le distingue vraiment mal), le titre aussi pour attirer davantage l'attention, et je pense que les lettres gagneraient elles aussi à être mises en avant : on ne les remarque qu'après coup alors que c'est le centre de ton histoire. Je dois dire qu'après avoir lu la nouvelle, je comprends mal la présence de la rose sur la couverture : elle ne semble pas avoir d'importance particulière dans l'intrigue... (N'hésite pas à me dire si j'ai manqué quelque chose.) Ce n'est qu'un conseil, mais je pense que tu pourrais davantage insister, dans la couverture, sur l'aspect principal de l'histoire : le fait que ces lettres aient apporté une famille aux personnages, qu'elles les aient fait sortir de leur solitude pour les réunir. Je trouve dommage que ça n'apparaisse pas dans la couverture, mais je dois dire que je ne saurais pas du tout comment le transmettre sans en casser l'harmonie (peut-être au moins suggérer l'idée de hasard, de « bouteille à la mer », en représentant les feuilles en mouvement, prises dans une tempête ?). Bon, après, même si selon mon impression elle ne colle pas totalement avec l'histoire, ta couverture accomplit très bien ce qu'elle est censée faire : elle intrigue, donne envie de découvrir l'histoire, tout en donnant une première idée de ce qu'on s'apprête à lire : une nouvelle épistolaire.
Le titre me semble très bien choisi. Assez court pour être percutant, il renseigne pourtant très bien sur le contenu de l'histoire : des lettres écrites « au vent », sans doute sans destinataire. Il est de plus assez poétique, il amène vraiment à mon esprit l'image d'une lettre portée par le vent. C'est vraiment un bon choix, auquel je n'ai rien à redire !
Sur le fond, ton résumé est pour moi vraiment bon : il confirme l'idée de « lettres à la brise », chaque personnage écrit une lettre sans destinataire précis, juste comme ça. La deuxième phrase attise la curiosité avec le « différentes et liées » : on se demande ce qui viendra créer ce lien, on peut déjà envisager que ces lettres seront ce qui les rapprochera (à vrai dire, avant de commencer ma lecture, je m'attendais à ce que la lettre de chaque personnage vienne répondre à celle de celui d'avant). Tu parviens donc en quelques lignes à nous donner une solide idée de ce qu'on s'apprête à lire, sans pour autant laisser retomber la curiosité. Sur la forme, j'ai en revanche quelques petites critiques. Il n'y a pas de faute d'orthographe (même s'il faudrait un espace avant les deux points à la fin), mais la première phrase me semble un peu trop longue, je pense que tu pourrais la couper après « sans destinataire précis ». De plus, le « une seule histoire », pourtant assez important (alors que tous les autres bouts de phrase de la première phrase insistent sur chaque personnage individuellement, celui-ci les rapproche), passe un peu inaperçu dans la phrase : il est tout au bout, bien plus court que les éléments qui le précèdent... Je pense que tu pourrais le mettre en relief, par exemple avec un point-virgule (« trois lettres qui pourraient bien t'être adressées à toi, lecteur ; une seule histoire ») ou un tiret. En-dehors de ça, je n'ai rien à reprocher à ce résumé, vraiment bien construit.
Je n'ai presque rien à redire non plus sur la présentation. Il y avait très peu de fautes, les paragraphes sont parfois un peu longs pour un format Wattpad mais ça ne m'a absolument pas gênée. Petite remarque sur l'écriture de la date : je pense que tu pourrais mieux la séparer du texte, surtout si tu veux insister dessus pour mettre en évidence le temps écoulé lorsqu'Aube écrit à son tour. De plus (nous entrons ici dans le chipotage ultime), il y a une virgule après la date dans le premier chapitre, et pas dans les autres. Mais bon, en-dehors de ces micro-détails, la forme et la présentation du texte sont impeccables.
Le thème « Au gré du vent » est parfaitement respecté, puisque c'est par ce biais que la lettre d'Harmonie trouve Wilfred. L'idée de lettres à la brise ne fait que renforcer cette correspondance. La contrainte des points de vue est également bien respectée, et tu l'exploites d'une manière intéressante en te servant des lettres pour regrouper tes personnages.
Dans l'ensemble, j'ai beaucoup aimé cette nouvelle. Ta plume est vraiment maîtrisée, poétique sans être lourde. Sur ce point j'ai particulièrement apprécié le chapitre d'Harmonie : elle passe d'un sujet à l'autre d'une façon très fluide, développe certains détails pour leur donner un nouveau relief, comme avec les tours dans lequel elle vit... Les descriptions étaient alors très visuelles ; toujours avec l'exemple des tours j'avais l'impression d'être dans sa chambre et de la voir assise contre sa fenêtre, enroulée dans sa couverture, à regarder la nuit tomber sur la ville en contrebas. (Pourquoi la nuit ? C'est seulement en relisant que j'ai réalisé que c'était pas dans le texte, mais bref ; j'aime beaucoup l'atmosphère que tu réussis à installer en quelques mots.) C'était moins visible chez Wilfred et Aube, qui n'allaient pas autant dans les détails, mais tu réussis dans tous les cas à placer l'ambiance qui convient au texte.
Il y a néanmoins quelques points qui ont fait que je n'ai pas apprécié cette nouvelle autant que j'aurais pu. Tout d'abord (même si ce n'est qu'un détail qui, pour être honnête, n'a pas eu beaucoup d'incidence sur mon appréciation de la nouvelle), je n'ai pas très bien compris comment Wilfred trouvait la lettre d'Harmonie. Aube nous dit qu'elle flottait dans le ciel depuis deux jours, mais j'avoue que ça me laisse dubitative. J'ai du mal à imaginer qu'une feuille puisse rester en l'air aussi longtemps, et parcourir une telle distance (puisque Wilfred habite à une heure de la ville). Tu pourrais me dire, et tu n'aurais pas tort, que ce genre de détail n'est pas primordial dans une nouvelle comme la tienne, où la symbolique est plus importante que l'histoire en elle-même ; mais je pense qu'il mérite que tu te penches dessus : c'est tout de même le début de leur rencontre, et le fait que ça ne semble pas « vrai » rend dans mon esprit le début de leur relation un peu brouillé.
C'est tout pour les remarques sur la cohérence des actions, en-dehors de cela l'histoire se tient totalement.
Néanmoins, et malgré ce que tu réussis à créer avec l'atmosphère que tu instaures, je dois dire que je n'ai pas ressenti beaucoup d'attachement aux personnages, j'avais l'impression qu'ils étaient un peu flous, irréels ; je crois avoir identifié, pour chacun des trois, d'où cela venait.
J'ai vu qu'un lecteur te reprochait le côté « stéréotypé » de Wilfred, je n'ai personnellement pas eu cette impression (la seule chose qui, chez lui, est « clichée », c'est le fait qu'il se fasse harceler ; mais que le sujet soit beaucoup traité sur Wattpad n'implique pas qu'on doive s'en écarter, juste qu'il faut adopter une approche personnelle, ce que tu fais très bien avec l'idée des lettres) ; en revanche, c'est Harmonie qui m'a semblé assez stéréotypée. Beaucoup d'histoires (et encore plus sur Wattpad), de quelque genre que ce soit, ont ce genre de personnage principal : une jeune fille solitaire, qui a de très bons résultats et est isolée par ses camarades. Ce n'est pas un mal en soi, d'autant plus que c'est cette solitude qui permet de rapprocher les Wilfred et Harmonie. Mais cette jeune fille, c'est un « type », une base à partir de laquelle créer un personnage, en lui ajoutant des traits de caractère, des pensées, une histoire qui le rendront unique. Et dans le cas d'Harmonie, j'ai eu l'impression qu'elle en était restée à ce stade de « type », qu'elle manquait de développement. Elle m'a semblé ne présenter qu'une facette, et je me suis retrouvée à attendre qu'elle se montre sous un autre jour, ou qu'elle se dévoile plus profondément, en creusant les motivations derrière son comportement... sauf que cela n'arrivait pas. Je n'ai pas réussi à accrocher à son personnage, qui me semblait en quelque sorte trop lisse, impossible à approcher. Tu écris vraiment bien, je compatissais donc avec sa douleur ; mais je ne la ressentais pas comme si c'était la mienne.
Pourtant, en relisant le chapitre, je vois beaucoup de « pistes de développement » lancées au fil du texte, qui pourraient te permettre de rendre Harmonie plus « personnelle ». Sa sensibilité (empathique et sensorielle) exacerbée ; ses pensées au sujet des tours, son envie de sauter « pour voir » ; et le fait qu'elle se réfugie dans l'écriture. Je pense que tu pourrais en développer certains, les creuser vraiment, les lier à la personnalité d'Harmonie. Elle peut dans sa lettre s'interroger à ce sujet, tout expliquer à son lecteur (elle s'adresse à quelqu'un qui ne connaît rien d'elle, beaucoup d'auteurs t'envieraient cette possibilité d'expliquer aussi simplement le caractère de ton personnage !). Cela donnerait de la profondeur à Harmonie, la rendrait plus réelle, car mieux compréhensible, accessible. Tu pourrais aussi, par exemple, détailler un peu plus les raisons qui la poussent à envoyer sa lettre. On sait que pour elle écrire est un moyen de se libérer et qu'elle espère, sans se faire d'illusions, avoir une réponse. Mais on ne sait pas ce qui a motivé cette envie. Est-ce un simple coup de tête, est-ce au contraire quelque chose à quoi elle réfléchissait depuis longtemps sans oser le mettre en œuvre ? À moins que ça ne soit entre les deux, un certain évènement qui lui aurait donné envie de s'y mettre ? Dans tous les cas cela mériterait d'être développé, je pense.
Au sujet de Wilfred, cela m'a moins dérangée (je pense qu'il aurait tout de même pu être un peu plus développé, mais je reviendrai là-dessus). Il m'a semblé mieux caractérisé, peut-être grâce à l'évocation de sa famille : il n'était plus juste « le garçon harcelé pour son orientation sexuelle », cela permettait de l'imaginer dans un autre contexte.
En revanche, ce qui m'a dérangée (si bien que je n'ai pas réussi à m'investir pleinement dans son histoire), c'est le côté « lettre ». Si pour Harmonie, je pouvais sans peine m'imaginer qu'elle racontait tout cela par écrit, pour lui, ça ne collait pas. C'est un ressenti que j'ai eu du mal à m'expliquer, je vais essayer de le détailler et j'espère que ça ne sera pas trop fouillis.
D'une part (commençons par le plus simple...) à cause de certaines phrases du genre de celles qu'on n'écrit habituellement pas à l'écrit. Des exclamations comme « Mais c'était quoi mon idée en faisant mon coming-out à Matthias ?! », mais aussi la description « Mon regard se perd dans les champs autour de ma maison ».
Dans le premier cas, cela faisait beaucoup trop spontané, c'est quelque chose qu'on pense en un éclair, un brusque éclat de colère. Je n'arrive pas à imaginer quelqu'un écrire ces mots, cela me semble vraiment manquer de naturel à l'écrit. Si je pense au personnage, occupé à écrire sa lettre, se reprocher brutalement sa naïveté, je le verrais mieux décharger sa colère d'une autre manière (en jetant son stylo contre le mur, en frappant quelque chose, en hurlant, ...), puis revenir plus calmement poser des mots dessus, en écrivant par exemple « Je ne comprends toujours pas ce qui m'a poussé à... » Certes, écrire est un moyen de décharger sa colère ; mais pas n'importe quelle colère, ça n'apporte pas une satisfaction immédiate (rien que parce qu'il faut le temps d'écrire la phrase), et ce genre d'explosion de rage me semble trop instantané. En résumé, j'aurais mieux vu un style plus posé, qui lui permette de se libérer d'une colère plus stable, enracinée en lui ; quitte à ce qu'il s'interrompe pour décharger des accès de rage plus brefs. Là, le fait de retranscrire des explosions de colère m'a semblé assez artificiel.
Le deuxième cas passerait très bien si on suivait les pensées du personnage, qu'on le voyait regarder autour de lui. Mais ça m'a semblé bizarre de le voir décrire ses propres actions. Je pense que cela serait mieux passé s'il avait dit quelque chose comme « Quand j'y pense, perdre mon regard dans les champs autour de ma maison m'apaise », ou même s'il avait sauté du coq à l'âne en décrivant les champs sans transition. Le fait que ce soit lui l'auteur, dans l'état émotionnel instable où il est, autoriserait pour moi des changements de sujet assez brusques : il ne se soucie pas, a priori, de s'exprimer avec une grande cohérence ; et même s'il le veut pour être compris, il peut se laisser déborder par ses pensées.
La première raison de ce ressenti était donc les phrases un peu « déplacées », qui ne collaient pas vraiment quand j'essayais d'imaginer Wilfred les écrire. L'autre explication est nettement moins claire dans ma tête, j'espère réussir à l'exprimer de manière cohérente.
J'ai eu l'impression que le caractère de Wilfred, ou peut-être plutôt son état émotionnel, ne correspondait pas avec le fait d'écrire une lettre. En tout cas... cette lettre. Je vais essayer de m'expliquer, on va voir ce que ça va donner...
Il arrive sans une salutation, contrairement à Harmonie (et plus tard à Aube, même si on ne le sait pas encore), et nous balance en plein visage un « J'ai besoin d'écrire », avant de préciser « j'ai besoin de jeter mes pensées sur le papier ». C'est direct, brutal ; on le sent à bout de nerfs, proche du désespoir, se raccrochant à la dernière échappatoire qu'il ait trouvée. On attend que la suite suive ce modèle ; que sa lettre soit écrite dans un style vif, sec, reflétant l'urgence qui transparaît dans le premier paragraphe. Des phrases courtes, percutantes, quelque chose qui aille à l'essentiel sans ménager le lecteur.
Et en fait... il s'attarde. Il évoque le temps des amourettes de sixième, l'acceptation de ses parents, le contexte familial de son ancien ami devenu tortionnaire... Il raconte tout, analyse sa situation, cherche des explications, presque des excuses à ses agresseurs, des liens de cause à effet. Il nous explique sa propre réaction, comment sa façon de prendre les choses a évolué ; il affirme même s'en sortir à présent, même si c'est difficile.
Au final, on a une lettre qui commence avec un personnage au bord du gouffre, mais qui se poursuit de manière bien plus tranquille, distanciée, avec de temps en temps de brèves explosions de colère. Ce mélange m'a pas mal perturbée, je pense ; je ne comprenais pas ce que le personnage ressentait, comment il prenait la situation. Au début, il semblait totalement désespéré ; ensuite, il affirmait pourtant que le pire était derrière lui. Cette évolution pourrait s'expliquer (mais seulement en partie, je pense) par le fait qu'écrire l'apaise, mais je n'ai pas eu l'impression de le voir progresser au cours de sa lettre : il y avait simplement le premier paragraphe en contradiction avec le reste.
D'où mon impression que cette lettre ne lui correspondait pas. J'avais gardé de Wilfred l'impression que laissaient les premières lignes, et je ne voyais pas comment un personnage aussi désespéré pouvait revenir sur son harcèlement avec un tel calme. Telle qu'elle est écrite, la lettre ressemble plus à ce que pourrait écrire une personne dans un état d'esprit bien plus apaisé, quelqu'un qui ne se sente pas pris jusqu'au cou dans la situation, mais qui ait la distance nécessaire pour analyser la chose comme il le fait. Je ne sais pas si ton intention était de le montrer dans cet état d'esprit-là, ou si tu voulais le faire plus désespéré ; mais je pense que, dans ce dernier cas, il ne reviendrait pas aussi calmement sur son histoire. Je le verrais mieux alors jeter quelques mots sur la feuille (peut-être même pas des phrases), des idées lancées ici et là qui nous permettraient de comprendre qu'il est harcelé, que seuls ses parents le soutiennent, que malgré leur aide et leurs exercices il n'y arrive plus... quitte à ce qu'Aube, ensuite, vienne rajouter du contexte. Mais plus je relis cette lettre, plus je sens que tu le présentes comme sur la voie de la guérison, capable de supporter la situation même si elle le fait énormément souffrir ; et je pense donc que le premier paragraphe devrait peut-être être nuancé.
Tu gagnerais peut-être aussi, dans ce cas, à davantage détailler les raisons qui poussent Wilfred à écrire. Est-ce qu'il a besoin de mettre la situation à distance en la posant sur le papier ? Est-ce qu'il cherche à se libérer de sa colère ? Est-ce le fait de se confier à quelqu'un (même au vide) qui l'attire ? Si l'on comprend que sa solitude et sa souffrance le poussent à écrire, une vision plus précise du mécanisme qui s'est enclenché en lui serait bénéfique, je pense.
Pour le personnage d'Aube, enfin, c'est une troisième raison qui m'a un peu éloignée d'elle. Aube, c'est le lien, celle qui vient ensuite expliquer ce que sont devenues les deux lettres ; c'est l'enfant élevée, comme elle le dit elle-même, dans un milieu privilégié, avec en plus une famille idéale. Le premier point fait que sa lettre se centre moins sur elle-même, puisqu'elle nous décrit sa « famille étendue ». Ce n'est pas un défaut, j'ai beaucoup aimé découvrir la façon dont tu avais relié les deux premières lettres ; mais cela nous éloigne d'Aube, qui devient un peu un prétexte à l'explication de ce que sont devenus les personnages.
En conséquence du deuxième point, Aube n'a pas de problème particulier, rien qui la pousse à écrire, contrairement à Harmonie et Wilfred. Je n'ai pas réussi à cerner ses raisons ; au début de sa lettre, elle affirme qu'écrire une lettre sans destinataire a du sens pour elle, qu'elle espère qu'une personne différente des gens qu'elle fréquente habituellement la trouvera ; et alors qu'on s'attend à ce qu'elle développe – qu'elle explique quel sens elle trouve à son geste, ce qu'elle veut partager avec cette personne –, elle change de sujet pour évoquer le passé de sa mère. Ses motivations étaient donc vraiment floues pour moi.
Il y a aussi le fait qu'elle s'exprime d'une façon qui ne me semble pas correspondre à une enfant de douze ans. Ses tournures de phrase semblent trop posées et réfléchies, trop distanciées d'elle-même parfois (lorsqu'elle évoque le fait que ses camarades, comme elle, soient privilégiées) ; elle a des expressions qui détonnent un peu pour son âge. Pour moi, cela correspondrait mieux si elle avait trois ou quatre ans de plus (et ça collerait mieux aussi avec le fait qu'elle poste ses chansons sur Youtube, même si je suppose qu'en 2045, ce sera totalement normal de voir un enfant le faire).
C'est en partie une conséquence du premier point que j'ai évoqué, mais j'ai trouvé la lettre d'Aube un peu décousue. Elle parle très vite de beaucoup de choses, sans vraiment les creuser. Je dois dire que je n'ai pas trop compris l'intérêt du personnage de Cam. Son histoire est certes en lien avec le thème, mais n'est pas très développée ; je ne trouve pas que cela apporte quelque chose par rapport à celle d'Harmonie. Avec en plus le paragraphe sur les disputes entre les amies qui semble sortir de nulle part, la lettre d'Aube m'a semblé partir dans tous les sens : je ne voyais pas quel était son but, ce qu'elle cherchait à nous dire...
Je réalise, en relisant ce que j'ai écrit pour les trois personnages, qu'il y a quelque chose en commun : les raisons qui les poussaient à écrire me semblaient trop peu développées. Dans le cas d'Aube particulièrement, puisque pour Harmonie et Wilfred on a l'idée générale ; mais même chez eux, les raisons n'étaient pas totalement claires. Ils écrivaient en exutoire à la solitude, mais pourquoi cette solution, pourquoi maintenant ?
D'une manière plus générale, j'ai trouvé qu'à certains moments, tu lançais des pistes que tu n'exploitais pas. Je t'en ai fait la remarque au sujet d'Harmonie, mais j'ai repéré cela chez les autres aussi. Chez Wilfred, c'était très peu présent, juste le fait que la peinture et le dessin l'aident qui auraient peut-être mérité un peu plus de développement (mais c'est plus que je pense qu'en parler serait intéressant : le fait de simplement le dire ne donne pas une impression de trop peu, on a une idée de ce qu'il se passe en lui lorsqu'il peint ou dessine). Chez Aube, en revanche, il y a pas mal d'éléments qui étaient lancés au lecteur sans être utilisés ensuite (d'où mon impression d'une lettre décousue). Je pense notamment qu'il faudrait développer ce qu'elle dit au début de la lettre : les motivations d'Aube mériteraient que tu les explicites.
Ne va surtout pas penser, cependant, que je n'ai pas aimé l'histoire, qu'elle ne m'a pas emportée. Je n'aurais sans doute pas pu écrire deux mille quatre cents mots sur tes personnages s'ils ne m'avaient pas parlé, si je n'avais rien ressenti avec eux. Au risque de me répéter, tu écris vraiment bien. Le chapitre d'Harmonie était, justement, très harmonieux en quelque sorte, grâce à l'ambiance douce-amère qu'il instaurait. Celui de Wilfred était poignant par moments, sa douleur brute au début, les mots jetés les uns à la suite des autres quand il décrit ce qu'on lui fait subir, l'ironie très amère (je l'ai ressenti comme ironique – une forme d'ironie désespérée – mais je ne sais pas si c'est vraiment ça) lorsqu'il explique que Matthias n'a tenu que deux semaines face à son éducation. Et celui d'Aube avait quelque chose de frais et de réconfortant, quand elle évoquait sa famille, quand elle expliquait qu'elle souriait pour changer le monde.
J'ai l'impression néanmoins que ta façon d'écrire correspond très bien à Harmonie, un peu moins aux deux autres, et que tu gagnerais peut-être à chercher leur « voix » à eux. J'ai eu l'impression de le voir dans certains passages de Wilfred (ce que j'ai cités à l'instant, principalement), mais pas tellement chez Aube, je trouve. Sa façon de s'exprimer ressemble finalement beaucoup à celle d'Harmonie, alors qu'elles n'ont pas le même caractère. Je te conseille vraiment d'essayer de renforcer cela chez Wilfred, et de le créer chez Aube.
Et c'est là que j'en arrive à ce que je disais de Wilfred il y a des plombes : que je pensais qu'il méritait d'être plus développé, même s'il ne m'avait pas posé le même problème qu'Harmonie.
Je pense en effet que, avec le format que tu as choisi pour cette nouvelle, tu as tout intérêt à creuser les personnages à fond, à les rendre vivants, tangibles. Ils nous racontent l'histoire, directement, sans l'intermédiaire d'un narrateur, puisqu'on n'a accès qu'à leurs lettres. C'est donc entièrement sur eux que repose l'adhésion du lecteur. Je te conseille donc d'exploiter jusqu'au bout le format de lettres pour creuser tes personnages, les disséquer entièrement. Pour cela, tu peux te poser des questions sur eux, inlassablement : pourquoi ont-ils pris telle décision, qu'est-ce qui est important pour eux au moment où ils écrivent, qu'est-ce qu'ils veulent partager... Et, à chaque fois, remonter les chaînes de causalité, te demander « pourquoi ? » jusqu'à ce que le personnage te semble cohérent et complet. Ensuite, trouver le moyen de transmettre au lecteur assez d'éléments sur le personnage que tu auras créé pour qu'il sente, derrière, toute sa complexité. (Naturellement, tout ceci n'est qu'une suggestion, hein, je veux rien t'imposer.)
Et pour cela, le format d'une lettre est justement idéal. Ce que tu nous a laissé voir du tempérament d'Harmonie se prête très bien à l'introspection, et ça ne me surprendrait pas de la voir s'auto-analyser, disséquer ses raisons, dans sa lettre. Wilfred semble avoir un penchant pour l'analyse, si je me fie à ses remarques sur le contexte familial de ses harceleurs ; n'hésite pas à le pousser plus loin, pour qu'il s'interroge également sur les causes de son propre comportement. Pour Aube, cela me semble un peu plus complexe, je dois dire que je ne cerne pas assez son caractère pour avoir des conseils un minimum pertinents.
J'espère ne pas t'avoir trop laissé penser le contraire : j'ai vraiment apprécié ma lecture. Il y a dans cette nouvelle beaucoup de choses que j'ai aimées.
L'idée de base, déjà : rassembler les personnages par des lettres écrites à personne, c'est une idée qui me séduit beaucoup. L'intervention quasi incroyable du hasard rend leur rencontre miraculeuse, leur relation en devient précieuse et symbolique. J'ai vraiment été émue par le message d'espoir derrière, que nos solitudes peuvent toujours être reliées, qu'on n'est jamais seul à ressentir ce qu'on ressent, que même un appel au secours adressé à personne peut être entendu.
Des messages d'espoir, il y en a beaucoup dans cette nouvelle et c'est quelque chose que j'ai adoré. D'abord, évidemment, tout le chapitre d'Aube et sa « famille d'atypiques » qui semble vraiment chaleureuse et aimante. Mais surtout – c'est là que ça m'a le plus marquée – dans le chapitre de Wilfred. Il aurait pu être sombre, sans une lueur d'espoir, pour contraster avec le suivant. Mais tu as choisi de montrer que sa situation n'était pas aussi noire qu'on pouvait s'y attendre. J'aime beaucoup ce que tu as fait de ses parents (c'est rare d'en trouver de vraiment compréhensifs et aidants, sur Wattpad). Wilfred n'attend pas la lettre d'Harmonie pour reprendre confiance : malgré la difficulté de la chose, il trouve la force de garder confiance en lui, de continuer à entretenir des relations amicales (donc à faire confiance). En plus d'être vraiment original, c'est quelque chose qui peut, je pense, vraiment donner de la force aux personnes harcelées qui liraient ceci.
J'ai aussi aimé ta façon de nommer tes personnages. Je dois dire que j'ai un coup de cœur pour le prénom d'Aube, j'imagine totalement Harmonie choisir ce nom parce que sa fille ouvre pour elle une nouvelle période de sa vie, plus heureuse et aimante. Je ne connaissais pas du tout le chanteur Troye Sivan, mais c'est un bel hommage de donner son nom à Wilfred !
En résumé, je te félicite pour cette nouvelle ; je pense qu'il y a quelques améliorations à apporter concernant les personnages, mais elle est très bien écrite, véhicule beaucoup d'espoir et repose sur une idée vraiment belle.
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