Les Cinq Visions - Héritier - Krrkippaal [La Place Aux Merveilles]
Voici donc mon avis sur ton histoire. Avant tout, je veux simplement insister sur le fait que (même si je tente d'être au maximum consciente des biais qui influencent mon jugement), c'est un avis subjectif. Ce n'est pas pour autant qu'il n'est pas argumenté, mais il se peut que tu ne sois tout simplement pas d'accord et il n'y a pas de mal à ça ! Je suis ouverte au débat s'il y a des remarques qui te semblent incorrectes.
De plus, n'hésite pas si tu as des questions, si tu veux des précisions, ou s'il y a un aspect de ta nouvelle dont je n'ai pas parlé.
Enfin, tu recevras, à la fin de l'édition du concours je pense, un compte-rendu de jugement qui détaillera ma note et mon avis par critère. Il y aura sans doute dedans des choses que je n'aurais pas dites ici, mais globalement cela risque d'être une redite de cet avis en plus court.
Il peut arriver que je donne des liens : je les remettrai en commentaires pour que tu puisses les copier-coller ou cliquer dessus.
LA PRÉSENTATION
Ta couverture est vraiment belle ! J'adore l'image de l'homme-arbre, je la trouve très riche : on y découvre de plus en plus de détails à force de la regarder. Ce n'est pas juste un visage dans un arbre, tous deux sont entremêlés. Je ne sais pas en quoi cela correspond à l'histoire mais après six chapitres, ce n'est sans doute pas étonnant, il y a plein d'éléments de l'intrigue (notamment sans doute au niveau de la magie) que je n'ai pas encore découverts. En tout cas, l'image questionne d'emblée le lecteur, on se pose de nombreuses questions sur ton univers et la magie qui semble y œuvrer. Est-ce un personnage en particulier ou bien la représentation de toute une espèce ? Quelle est la nature de cet être, quels sont ses pouvoirs ? Quel rôle jouera-t-il dans l'intrigue ? De plus, je la trouve très jolie, surtout avec les multiples ramifications des racines, ou de la barbe... Elle est très détaillée, précise.
Je trouve en revanche que la couverture pourrait être mieux organisée. L'image donne l'impression d'avoir été repoussée vers le haut pour laisser de la place au titre, ce qui force tout là-haut ton pseudonyme à être décentré (ce que je trouve assez peu harmonieux) pour laisser la place à la cime de l'arbre. Je pense que tu pourrais agrandir un peu l'image, et centrer ton pseudo (soit en baissant l'image, soit en le mettant en bas). Peut-être pourrais-tu réduire la taille du H de « Héritiers » ? Il est vraiment bien réalisé lui aussi, mais je trouve qu'il se marie mal avec le reste du mot. De plus la flèche qui sépare le titre de la saga du titre du tome est à mon sens inutile, l'enlever te permettrait de rapprocher les titres, laissant ainsi plus de place à l'image. Mais je chipote pas mal ici, ta couverture reste très harmonieuse et donne envie de lire l'histoire.
Une nouvelle fois, je ne vois pas en quoi le titre correspond à l'histoire, mais après six chapitres ça n'a rien d'étonnant et ça contribue même à renforcer ma curiosité : que sont donc ces cinq visions ? L'héritier est-il Ali, vu sa chance insolente ? En quoi est-ce en rapport avec les visions – correspondent-elles à des personnes, parmi lesquelles figureraient Ali ? Mais alors qui seraient les quatre autres ? Que le titre demeure mystérieux n'est donc en aucun cas un problème : il ajoute juste quelques questions à la liste de celles qu'on se pose après avoir lu les six premiers chapitres.
Il est bien formulé : harmonieux et percutant à la fois, facile à retenir. Ma seule réserve est qu'il s'inscrit pas mal dans les clichés de la fantasy ; avec un titre de tome et un titre de saga, on pourrait imaginer que l'un des deux se distingue un peu, l'autre étant suffisant pour marquer l'appartenance au genre de la fantasy. Bon, ce n'est qu'une amélioration possible, le titre est tout de même vraiment intrigant et bien trouvé !
Le résumé ne comporte aucune faute, si ce n'est à la toute fin (« * Bienvenue »), et je le trouve vraiment fluide et bien écrit ! Tu nous embarques tout de suite dans l'univers de l'imaginaire avec ce lézard qui nous présente son bouquin. Et il le présente bien ! Son résumé est bien tourné, avec un mélange de grandiloquence et d'humour qui fonctionne à merveille. Le résumé, allié à l'idée d'un lézard qui écrit un roman, était vraiment attractif, c'est typiquement ce qui me donne envie d'en lire plus.
Peut-être cependant que tu pourrais davantage présenter les enjeux de l'histoire, car au final on en sait très peu sur ce que va affronter Ali : le résumé se contente de termes génériques, sans préciser ce qu'est cette aventure – et en lui donnant, j'ai l'impression, un air plus « léger » que ce qu'il en est en réalité.
De plus, j'ai trouvé finalement que l'histoire ne correspondait pas tant que ça au résumé. La présentation faite par le lézard est correcte, elle correspond bien à l'histoire – mis à part la légèreté qu'il prête à l'aventure vécue par Ali. Mais la forme du résumé m'a induite en erreur, je m'attendais à retrouver l'assistant-lézard au sein de l'histoire, probablement en tant que narrateur omniscient assez bavard (un peu à la Lemony Snicket dans Les Orphelins Baudelaire). Cela aurait justifié la forme du résumé... Mais le lézard ne s'est jamais montré dans ces six chapitres. La forme du résumé se comprend étant donné que cela correspond avec l'identité que tu te crées sur ton compte, mais cela pourrait induire en erreur un innocent lecteur (coucou, c'est moi) qui aurait commencé par lire l'histoire avant de regarder ton profil.
Je pense que la partie consacrée au lézard dans l'introduction du résumé pourrait être réduite, par exemple en enlevant la deuxième phrase (qui serait plus à sa place dans ta bio, ou peut-être en avant-propos ?).
Cette première impression est dans l'ensemble très convaincante et colle bien à l'histoire, le seul point négatif étant la confusion induite par le résumé. La couverture, le titre et le résumé mettent chacun l'accent sur un élément différent de l'histoire, mais aiguillent tous trois vers le même type d'histoire. Cela permet de présenter un spectre assez large des éléments qui prendront place dans l'histoire, tout en gardant une certaine unité. En résumé, c'est une première impression très efficace !
Il y avait pas mal de petites fautes qui ont un peu perturbé ma lecture. J'ai l'impression que c'était majoritairement des fautes d'inattention, à part le autant/aussi sur lequel, si j'ai bien compris, tu t'es renseigné depuis, et peut-être la confusion ses/ces puisqu'elle est revenue deux fois. Si jamais tu as un doute sur une règle, je te conseille le Bescherelle, il y a sur leur site Web des petites vidéos qui récapitulent brièvement certaines règles (www.bescherelle.com/videos). Mais dans l'ensemble je pense qu'il s'agit surtout de fautes d'inattention, qu'il suffira de corriger une fois le concours terminé – je te conseille de le faire même si tu préfères avancer sur l'histoire : ça n'impose pas de vraiment réécrire tes chapitres et cela rendra la lecture plus agréable.
Afin d'éviter ce genre de fautes à l'avenir, je te conseille d'utiliser un correcteur grammatical : celui de Word n'est pas toujours efficace mais certains correcteurs en ligne fonctionnent bien, Scribens par exemple (www.scribens.fr) détecte les erreurs d'orthographe, de grammaire et parfois même de ponctuation.
La mise en page est tout à fait correcte, si ce n'est une poignée d'erreurs insignifiantes qui ont déjà été relevées. Les paragraphes sont coupés à des moments logiques et le texte est assez aéré sans pour autant sembler décousu.
Pour ce qui est de la structure du livre, c'est parfait : on se repère bien entre les chapitres, qui me semblent judicieusement découpés pour donner envie de lire la suite : pas mal d'entre eux se terminent sur du suspense. L'avant-propos est clairement indiqué comme une partie hors du livre. Quelque chose qui me semblerait intéressant serait de rajouter une carte de la ville et de ses environs : je n'étais pas sûre de bien me repérer dans les pérégrinations d'Ali et Joline. Mais ce n'est absolument pas une obligation !
L'HISTOIRE
Passons donc à l'histoire – et autant être directe, pour moi c'est un vrai succès ! J'ai été conquise directement par ton histoire qui m'a transportée dans ton univers... Bon, j'ai quelques petites remarques à faire, mais certaines sont assez anecdotiques – et elles ne t'auront pas toutes coûté des points sur la note finale. (J'essaie ici de donner un avis sur TOUT ce qui me vient ; les éléments que je noterai dans le compte-rendu seront ceux qui m'auront fait enlever des points.) Avant tout, quelques précisions :
▸ Cet avis n'engage que moi et est tout à fait subjectif. Bien sûr, je vais justifier au maximum ce que je dis et j'essaie de limiter l'influence de ma subjectivité, mais je ne serai jamais tout à fait objective. Il se peut que tu ne partages pas mon opinion, ou que je sois à côté de la plaque puisque je n'ai lu que le début de l'histoire ; n'hésite pas à intervenir lorsque tu n'es pas d'accord pour qu'on en discute.
▸ Même si ce que je dis te semble justifié, les points que je soulève sont potentiellement des obstacles, mais ils ne sont pas infranchissables. Ton histoire mérite d'être racontée, d'être améliorée, et le seul but de mon avis et de t'y aider. Ce qui est remis en question ici, c'est certains aspects de ton histoire, pas l'histoire en elle-même, ni toi en tant qu'écrivain. (D'autant que très peu de choses risquent ici d'être remises en question...)
Ceci étant rappelé... à nous deux, assistant-lézard !
Je pense que les émotions d'Ali pourraient être mieux décrites à certains moments de l'histoire. J'ai en effet parfois eu plus de mal à me mettre à sa place, j'avais l'impression que la façon d'écrire m'éloignait de lui. Ce n'était jamais très flagrant, il n'y avait pas de longs moments sans aucune description d'émotions ; mais elles m'ont parfois semblé trop légères, ou pas assez immersives, en tout cas j'aurais apprécié les voir décrites plus en profondeur.
Dans le prologue, par exemple, je trouvais la scène d'abord très immersive. Les émotions d'Ali n'étaient pas explicitées mais on les sentait derrière la description qu'il nous faisait de son environnement : c'est une soirée calme et paisible, tout va bien. Le moment où tout bascule est très bien géré. Un court paragraphe qui nous permet de réaliser que quelque chose ne va pas, mais sans qu'on sache quoi ni à quel point c'est inquiétant. Et puis la réplique de la mère, qui en soi n'est pas si terrifiante (elle peut signifier des tas de choses, dont certaines assez inoffensives, et puis on s'attendait bien à ce qu'il finisse par se passer quelque chose...) pourtant à la première lecture elle m'a glacé le sang. Elle brise d'un coup cette soirée paisible, je me suis directement imaginé les pires scénarios...
Il faut dire que, les pires scénarios, tu ne te prives pas pour nous les faire vivre ! Ce qu'il se passe par la suite est clairement affreux, Ali voit sa mère torturée et tuée sous ses yeux, tout en devant protéger sa petite sœur. Il y a de quoi traumatiser n'importe qui et encore plus un gamin de dix ans. Pourtant, je dois dire que je n'ai pas vraiment été touchée par ce passage. Je ne me sentais pas proche de ce que vivait Ali, j'avais l'impression de voir la scène de l'extérieur plutôt que de son point de vue. Bon, je voyais tout de même une femme se faire tabasser à mort ; mais cette femme n'était pas ma mère. Je pense qu'ici tu aurais pu davantage développer le point de vue d'Ali. Cela n'est pas évident du tout car ses émotions et ses pensées doivent partir en vrille, mais je pense que ç'aurait été une façon bien plus immersive de voir la scène. Il s'agirait à mon avis de tout décrire comme il le voit lui, sans formulations qui mettent à distance et résument l'action comme « Durant un temps qui parut infini, gifles et coups de poing se succédèrent ». Je pense qu'ici, il faut nous faire sentir ce temps qui s'étire à l'infini plutôt que de juste le mentionner. Ali pourrait voir tourner les aiguilles d'une horloge ou d'une montre, tenter de compter les coups pour mesurer le temps, ...
Ça n'est qu'un exemple : je te conseillerais, pour toute la scène, de développer chaque affirmation concernant Hazel non pas comme si elle était formulée par un narrateur extérieur, mais à travers les sensations physiques, la réflexion et les émotions d'Ali. Nous plonger nous aussi dans une cachette minable en train de regarder notre mère en train de mourir à petit feu. Si cela me semble si important, ce n'est pas (seulement ?) par masochisme. Mais comme tu le dis dans ton avant-propos et en commentaires (en réponse à je ne sais plus qui), Ali est voué à devenir un personnage assez ambigu voire mauvais. Je pense donc qu'il est primordial de détailler les éléments qui l'ont rendu mauvais, de nous immerger dedans, afin de nous faire perpétuellement hésiter : OK, il est une immonde crapule, il tue des gens et commet je ne sais quelles atrocités ; mais il est aussi ce gamin qui a regardé mourir sa mère en protégeant sa sœur, jusqu'au bout... Là, j'ai l'impression que ta scène n'est pas assez marquante pour contrebalancer la colère qu'on pourrait plus tard ressentir envers Ali. Après c'est aussi une question d'empathie naturelle, je me doute bien que d'autres lecteurs ont davantage ressenti l'impact de cette scène.
Par la suite, les émotions d'Ali ne m'ont pas manqué de manière flagrante mais j'ai trouvé que la narration restait toujours un peu à distance, qu'on ne voyait jamais les choses entièrement de son point de vue. Par exemple lorsqu'il apprend la maladie de sa sœur, on ne le voit pas réagir, juste penser à la naïveté de Joline... Quand il se fait rejeter par les Protecteurs, pareil, le fait qu'il ait perdu son dernier espoir n'est pas vraiment abordé – on en voit juste, de loin, les conséquences. Un point de vue totalement interne, qui nous montrerait tout ce que ressent Ali, me semblerait pourtant plus judicieux vu ton objectif de dégommage du manichéisme : montrer les personnages de l'intérieur, en transcrivant tout ce qu'ils pensent et ressentent, permet de leur donner plus d'humanité, de mêler en chacun d'entre eux des traits de personnalité positifs et négatifs.
Bon, c'est une décision à peser : cela rallongerait tes chapitres (et ralentirait l'intrigue, ce qui est mal vu par pas mal de lecteurs) et diminuerait l'atmosphère assez légère qui plane sur ces premiers chapitres, entretenue par la relation houleuse entre Ali et Joline et la dérision du narrateur pour à peu près tout ce qui lui tombe sous la plume (personnages comme éléments de l'univers). Mais je pense personnellement que cela vaudrait le coup, car les émotions sont décrites à d'autres moments d'une façon très immersive, ce qui laisse présager des choses intéressantes si c'est généralisé au reste du texte...
Tu as en tout cas clairement les ressources pour développer les émotions, je trouve que tu écris vraiment bien : ta plume a cette capacité de dire beaucoup en peu de mots, à plusieurs reprises une ou deux phrases ont suscité en moi des émotions très fortes. C'est le cas avec la réplique de la mère dont je parlais plus tôt, mais pas seulement. D'autres scènes m'ont semblé très évocatrices, par exemple à la toute fin du prologue quand le meurtrier de Hazel jette une bourse à Mani : d'un coup il sort de son rôle de tyran cruel, il ne fait pas que le mal ; on se demande pourquoi il a jeté cette bourse, par culpabilité ? parce qu'il n'a finalement rien contre Mani et ne tient pas à le voir mourir de faim ? (Il y a évidemment la possibilité que ce soit un geste de mépris ou de bravade, mais avec les paroles qu'il prononçait en même temps je ne l'ai, à tort ou à raison, pas du tout ressenti comme cela.) Cela m'a poussée à reconsidérer toute la scène et j'ai trouvé que ça le rendait plus glaçant encore dans son rôle de bourreau : je ne le voyais plus comme un connard sadique, mais comme un type qui voulait quelque chose et était prêt à tout pour l'obtenir, sans pour autant aimer faire le mal, voire en aimant faire le bien... Une petite phrase, un simple geste t'a suffi à flanquer un sacré coup au manichéisme.
Pour ce qui est des descriptions, je les ai trouvées dans l'ensemble vraiment immersives ! Tu réussis très bien à placer des ambiances au sein du texte, différentes selon le lieu. Le début du prologue dégageait une vraie atmosphère dans laquelle on pouvait se plonger ; je ne saurais pas la nommer mais elle résume tout ce que j'ai essayé de dire sur ce passage – le soir paisible, la normalité, l'amour entre Ali et sa mère. Pareil au début du chapitre 1, j'ai trouvé que l'auberge dégageait beaucoup de chaleur, de vie. Puis dans les rues des Faubourgs, qui ont laissé en moi une image assez sombre et glauque, le genre pleine de trucs que tu veux pas croiser.
Ces descriptions rendaient l'histoire très immersive, j'avais l'impression d'y être, de parcourir les lieux aux côtés de tes personnages. Je me suis sentie imprégnée par ces lieux, je ne faisais pas qu'y visualiser les scènes : j'avais l'impression de pouvoir m'y imaginer. Tes descriptions sont efficaces et très bien menées. D'une manière générale, tes scènes sont très visuelles : tu emploies des tournures vraiment marquantes, si bien que l'on peut facilement s'imaginer les personnages et leurs actions même lorsque les descriptions sont courtes (par exemple au moment où Joline se libère de l'emprise d'Ali et dévoile son visage, j'ai vraiment gardé des images de cette scène en mémoire, j'ai eu l'impression qu'elle se déroulait sous mes yeux – sans pour autant que la description soit très étoffée.
J'ai malheureusement eu l'impression que cela se perdait dans les derniers chapitres. Les lieux déjà connus étaient tout à fait visuels mais j'ai trouvé ceux que tu y introduisais plus flous, ils ne m'ont pas marquée. La falaise que gravissent Ali et Joline m'a paru difficile à vraiment visualiser : à quel point le chemin est-il difficile ? Il y a peu de descriptions, personnellement j'ai imaginé un sentier de montagne « par défaut », pentu mais pas dangereux ; puis Joline parle de mourir... Je pense que tu pourrais étoffer un peu la description ici, t'assurer que le lecteur soit en mesure de comprendre les enjeux de la scène : la difficulté de la montée, les conditions extérieures... J'ai eu la même impression avec le domaine des Protecteurs où se rendent Ali et Joline. Les lieux étaient très peu décrits. Une porte imposante, d'accord, ça marque, mais qu'y a-t-il derrière ? On voit la porte s'ouvrir mais tu ne nous dis pas sur quoi, j'ai trouvé cela un peu frustrant. De plus, j'ai l'impression que les lieux manquent d'une certaine ambiance, je ne les ai pas trouvés spécialement effrayants pourtant ils ont l'air de faire de l'effet à Ali... Je pense que tu aurais pu faire durer la scène, prendre le temps de nous y plonger vraiment, créer du suspense sur les paroles des deux enfants, sur le fait qu'ils rejettent ou non la demande d'Ali, afin qu'on ressente nous aussi ce malaise qu'il semble éprouver. Décrire quelques éléments de la pièce qu'aperçoivent Ali et Joline me semblerait un bon moyen d'atteindre ce but !
Ceci étant, j'ai tout de même vraiment apprécié ces descriptions, qui nous permettent de plonger dans l'univers de l'histoire – lequel semble assez développé : même si je n'en ai pas beaucoup vu, j'ai l'impression qu'il est solide, il ne semble pas être de ceux qui se désagrègent au premier coup d'œil. J'aime beaucoup l'introduction de la Tristesse, la maladie est intrigante vu son nom – on pourrait penser à une dépression mais ça n'a pas l'air de coller avec les symptômes de Cidonie, et ça ne serait pas une épidémie... mais alors pourquoi ce nom ? D'autant que les symptômes de Cidonie n'évoquent pas la tristesse ; bref, ça m'intrigue.
Les divisions sociales dans ton univers sont également bien introduites, j'aime beaucoup la façon dont tu décris chaque quartier, dont tu les mets en opposition... Ces descriptions aussi étaient très vivantes et donnaient au lecteur un bon aperçu de l'état d'esprit d'Ali vis-à-vis des quartiers riches. Tu les as placés en hauteur et tu utilises cette symbolique dans plusieurs descriptions, je trouve que cela fonctionne bien ! L'idée de l'escalier escarpé par lequel on monte dans le quartier riche est vraiment bonne aussi, cela rappelle constamment aux personnages leur inaccessibilité...
Un autre point que j'ai aimé au sujet de l'univers est ton traitement de la magie : on n'en sait pas beaucoup pour l'instant mais je trouve intéressante l'idée d'opposer aussi clairement les points de vue d'Ali et de Joline. Le fait qu'Ali ne croie pas à la magie est assez original pour ce type de fantasy, et plutôt stratégique si tu veux par la suite développer cet aspect de l'univers.
Tes personnages sont tous très bien campés, je trouve. Le début du prologue permet tout de suite de visualiser Ali enfant ainsi que Hazel, ils acquéraient tout de suite beaucoup de vie. Je trouve la métaphore du début très bien trouvée pour cela : elle caractérise à la fois Hazel qu'elle désigne, et Ali qui la formule... On sent tout de suite qu'elle est importante pour lui et j'ai trouvé Ali très attachant dès ce paragraphe, avec ce regard qu'il pose sur sa mère. Et ça se confirme ensuite quand on le voit s'occuper de sa sœur puis la protéger : Ali tient énormément à ses proches. Rien d'étonnant à ce que la mort de sa mère puisse le transformer autant.
J'aime beaucoup la façon dont tu introduis Félixtide et Cidonie. Ali n'a pas beaucoup de tendresse verbale pour ses frères et sœurs, c'est le moins qu'on puisse dire ; la description qu'il faisait d'eux était vraiment drôle. Pour autant, il ne semble pas les mépriser, au contraire, on sentait beaucoup d'amour de sa part – surtout envers Cidonie. Tous deux sont vraiment attachants, Cidonie dans son rôle d'enfant à protéger, assez importante aux yeux d'Ali pour qu'il se lance dans une quête insensée ; Félixtide dans le rôle du type pas très intelligent, pas très gâté par la nature, mais loyal et déterminé. J'ai beaucoup aimé le voir parler avec Ali de pourquoi ils ne pouvaient pas attaquer le protégé de Loana, on sentait au « expliqua patiemment Ali » que ça n'était pas la première fois... Je cerne moins Mani pour l'instant, je ne sais pas exactement pourquoi il a trahi Joline (par appât du gain, par vengeance, par peur de s'attirer des ennuis ?) mais son personnage m'intrigue ! La fratrie d'Ali a l'air haute en couleurs, je serais curieuse de les voir interagir tous ensemble...
L'introduction de Joline aussi est réussie. J'ai déjà évoqué la façon très visuelle dont elle débarque, et ça m'a vraiment permis de la trouver vivante dès le début, elle s'est tout de suite créé une place dans ma tête, avec sa personnalité ou plutôt celle que je lui imaginais – j'ai dû quelques fois revenir dessus, par exemple avec la façon dont elle est introduite je ne l'aurais pas imaginée aussi fine bouche ; mais rien de plus que ce que l'on fait lorsqu'on pense à des personnes en chair et en os. Je ne la connais pas encore très bien mais elle m'a l'air attachante, même si sa croyance aveugle en Culpar – aveugle dans le sens où elle n'a pas l'air capable de considérer qu'il puisse ne pas exister, et où elle tourne souvent en rond dans ses raisonnements, justifiant la magie par Culpar et Culpar par la magie – me laisse aussi sceptique qu'Ali et m'a un peu éloignée d'elle.
Mais je trouve que la relation entre Ali et Joline va un peu trop vite. Ça n'était pas très flagrant ou caricatural, on n'est pas dans ce cas de figure où les personnages sont meilleurs amis une heure après leur rencontre et se marient le soir même... simplement j'ai trouvé qu'Ali cernait un peu trop vite Joline, après un jour il pensait déjà à elle comme quelqu'un qu'il connaîtrait bien (quand il pense que Joline sait « parfois se montrer agréable » alors qu'il la connaît depuis un jour, pendant lequel ils ont passé leur temps à se chercher des puces, par exemple). Je pense que tu pourrais faire évoluer plus doucement leur relation, ou trouver un moyen d'étirer le temps dans une de leurs étapes, ou tout simplement ajouter des scènes où ils apprennent à se connaître un peu mieux.
En fait, c'est ce qui m'a surtout posé problème dans le développement de leur relation : en tant que lectrice, j'avais l'impression d'en être exclue. Ali ne partageait que très peu ses émotions et ses pensées au sujet de Joline. Je savais ce qu'elle lui inspirait sur le moment – de l'agacement ou de la colère, en général – mais pas ce qu'il pensait d'elle, d'une façon plus globale. Je pense que cela mériterait d'être précisé, tu pourrais nous montrer comment il la voit désormais – voire peut-être nous laisser comprendre comment elle le voit, même sans écrire de son point de vue. Pas mal de points restaient assez flous dans mon esprit au sujet de leur relation : pourquoi restent-ils ensemble ? Joline a l'air de majoritairement agacer Ali, pourquoi la laisse-t-il le suivre ? Il peut bien sûr commencer à ressentir de l'amitié ou de l'amour pour elle mais je pense que cela devrait se sentir dans les pensées qu'il a à son propos, et peut-être être un peu mieux justifié par leurs expériences communes : pour l'instant Joline ne semble pas avoir fait quoi que ce soit qui puisse plaire à Ali...
Bon, bien sûr, je chipote beaucoup : Ali et Joline restent très attachants ensemble, et leurs joutes verbales m'ont vraiment amusée !
En six chapitres, on n'a pas encore d'idée très précise de l'intrigue mais le texte nous fournit tout de même un début, quelques informations sur ce qu'il va probablement se produire dans la suite de l'histoire. On a un enjeu principal, la Tristesse qui s'abat sur la ville et en particulier sur la petite sœur d'Ali, ce qui justifie qu'il s'implique dans l'intrigue – et prenne tous les risques pour pouvoir la sauver. On ne sait pas encore précisément ce qu'Ali aura à affronter, quelles sont ses options, ni même exactement quel sera son but – combattre la Tristesse ? sauver sa sœur ? ou encore autre chose si la Tristesse a par exemple été créée artificiellement ? Tu restes encore très vague, mais en tant que lecteur on a assez d'éléments pour formuler des hypothèses, se poser des questions, bref s'impliquer dans l'histoire ; ça ne me semble donc pas dérangeant.
En revanche, ce qui m'a un peu embêtée était que les pensées d'Ali au sujet de l'intrigue n'étaient que très peu explorées. On ne le voit pas vraiment s'interroger alors même qu'il est confronté à de nombreux mystères. Il se pose des questions sur les raisons pour lesquelles Joline a fugué, mais c'est à peu près tout. Dans le prologue, c'est très compréhensible, Ali est encore un enfant et il vit une situation traumatisante, il est normal qu'il ne se pose pas trop de questions – ne serait-ce que parce qu'il est en état de choc. Mais par la suite, une fois qu'il est plus vieux, on ne le voit presque jamais se poser de questions.
Pourtant, il en a l'occasion, et pas qu'une fois... Il est tout de même confronté à une série de mystères : sa chance insolente, dont on voit plusieurs manifestations assez criantes dans l'histoire, mais qui ne semble pas le préoccuper plus que ça, même quand il commence à admettre l'idée que la magie puisse exister (après ce point est peut-être normal, c'est tout de même un sacré choc pour lui...) ; la Tristesse sur laquelle il ne s'interroge pas une seule seconde (c'est tout de même un peu étrange de détourner la conversation pour parler des raisons de la fuite de Joline au lieu de demander des précisions à celles-ci du genre si la maladie est mortelle, si oui au bout de combien de temps, comment l'état de Cidonie risque d'évoluer, ...) ; la magie des Protecteurs et des Abjurateurs (on voit fuser pas mal de remarques sarcastiques – qui d'ailleurs étaient très amusantes – mais pas de véritables questions ou réflexions alors que Joline le harcèle avec ça) ; la présence de Joline (sa fugue est déjà étrange et ça il s'en fait la réflexion, mais ça me paraît bizarre qu'il ne s'interroge pas sur les raisons qu'elle a de le suivre, alors qu'il se rend précisément là où elle ne veut pas aller). Qu'il ne revienne sur aucun de ces éléments, ne s'interroge jamais sérieusement, donne l'impression qu'on est mis à distance de ses pensées, qu'il ne nous révèle pas tout, ce qui entame la confiance qu'on lui porte.
C'est dommage car par ailleurs Ali est un personnage principal très bien choisi ! Il est volontaire, il a de sérieuses raisons de s'impliquer dans l'intrigue ; il ne reste pas planté là à attendre qu'une solution se présente, mais décide d'agir par lui-même... Tout cela promet pour son évolution et sa détermination à résoudre l'intrigue !
Néanmoins, je le trouve un peu trop naïf et imprudent pour le rôle qu'il occupe. Il n'a pas vraiment une vie facile, on voit dans le chapitre 1 que son quartier n'est pas un endroit sûr – et qu'il a l'air d'y être pour quelque chose. On s'attend donc à un personnage un tant soit peu prudent, habitué à élaborer une stratégie avant de passer à l'attaque, et pas spécialement porté sur la confiance. Pourtant il ne se méfie pas vraiment de Joline, ne relève rien de suspect dans le comportement des fermiers à qui il demande son chemin (alors que, comme le dit Joline, les explications de la femme sentent la culpabilité à plein nez) et se lance sans préparation pour aller voir les Protecteurs – il ne sait même pas où les trouver. Chez un protagoniste aussi ignorant et inexpérimenté que ce qu'on nous sert souvent en fantasy, ça me semblerait logique, mais je dois dire que j'en attendais plus d'Ali. Ceci étant, je n'ai pas encore assez vu de l'intrigue pour affirmer que c'est incohérent, mais je pense que si ça n'est pas le cas il faudrait le faire sentir au lecteur, lui montrer que c'est voulu.
Bon, malgré tout ce que je peux y redire, Ali reste un protagoniste attachant à suivre, et l'intrigue est prenante je trouve, même si on n'en sait pas encore énormément. Tu termines de plus tes chapitres d'une façon bien sadique qui donne envie de lire la suite, sans pour autant que ça semble forcé ou artificiel.
Au sujet du manichéisme que tu voulais éviter dans cette histoire, il est sans doute trop tôt pour que j'en juge vraiment puisque peu de personnages mauvais sont intervenus pour l'instant ; mais ce que j'en ai vu m'a paru bien géré ! J'ai déjà développé quand je parlais des émotions des personnages mais l'idée de l'assassin de Hazel qui jette une bourse à son fils m'a vraiment marquée. Jusqu'ici la scène était en effet assez classique, la mère torturée et tuée pour protéger son gosse, le type qui se charge du sale boulot... Mais ce geste nous suggère que le type n'est peut-être pas le méchant de sa propre histoire, qu'il agit peut-être pour quelque chose qu'il pense juste. C'est intéressant – et le fait que cela soit juste suggéré par un geste et pas souligné et ressassé dans la narration aussi.
Je me pose néanmoins une question au sujet d'Ali : dans une version précédente de l'histoire que j'ai lue pour le concours Imaginarium (si je ne me trompe pas, mais il y avait quand même un Ali, un Félixtide et un Clovias que Joline semble avoir remplacé), on le voit tuer une vieille femme sans défense dans les premiers chapitres du livre. Je me souviens avoir apprécié cette scène précisément parce qu'elle cassait les clichés manichéens qu'on aurait pu avoir sur Ali, et montrait qu'un type peut être drôle, jovial, aimer sa famille, et pourtant tuer de sang-froid ; de plus, ce meurtre ne me semble pas spécialement exclu par le caractère d'Ali tel qu'on le voit jusqu'ici. Y a-t-il une raison pour laquelle tu ne l'aies pas conservé ? Je trouvais intéressant ce retournement dès les premiers chapitres. (C'est plus une question qu'une critique, je n'en sais pas du tout assez sur ton intrigue ni sur Ali pour affirmer qu'il faille remettre cette scène.)
EN CONCLUSION
Pour le dire brièvement : j'ai adoré ce début.
Il y a bien sûr quelques points à améliorer, j'ai essayé de te dire ce que j'en pensais mais cela reste assez subjectif. Je suis consciente de m'être majoritairement concentrée sur le négatif dans cet avis, parce qu'il y a à mon sens plus de choses à dire dessus, mais cela ne reflète absolument pas ma position sur ton histoire ! Les personnages et l'univers méritent vraiment qu'on s'intéresse à eux et ta façon d'écrire est superbe, tu maîtrises à la fois l'émotion et l'insertion de l'humour. Tout cela me donne très envie de poursuivre ma lecture, ce que je ferai dès que je pourrai !
Je te souhaite une bonne continuation, et du courage pour terminer cette histoire !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top