En attendant l'Éclipse de Lunes - sweet_butterfly_ [La Place Aux Merveilles]

Voici donc mon avis sur ton histoire. Avant tout, je veux simplement insister sur le fait que (même si je tente d'être au maximum consciente des biais qui influencent mon jugement), c'est un avis subjectif. Ce n'est pas pour autant qu'il n'est pas argumenté, mais il se peut que tu ne sois tout simplement pas d'accord et il n'y a pas de mal à ça ! Je suis ouverte au débat s'il y a des remarques qui te semblent incorrectes.

De plus, n'hésite pas si tu as des questions, si tu veux des précisions, ou s'il y a un aspect de ta nouvelle dont je n'ai pas parlé.

Enfin, tu recevras, à la fin de l'édition du concours je pense, un compte-rendu de jugement qui détaillera ma note et mon avis par critère. Il y aura sans doute dedans des choses que je n'aurais pas dites ici, mais globalement cela risque d'être une redite de cet avis en plus court.

Il peut arriver que je donne des liens : je les remettrai en commentaires pour que tu puisses les copier-coller ou cliquer dessus.



LA PRÉSENTATION


Ta couverture me semble plutôt réussie. Elle présente des éléments cruciaux de l'histoire avec les deux lunes, la colombe, la sorcière et l'ombre menaçante derrière la balustrade. Ces éléments sont très bien choisis ! Je pense simplement que tu pourrais davantage faire ressortir les lunes sur la couverture, peut-être en les éclaircissant. C'est en effet l'élément qui fait le lien entre le titre et la couverture, je trouve donc dommage qu'elles soient si effacées... En-dehors de ce point, la couverture parvient à nous transmettre l'essence de l'histoire de façon pertinente : même au-delà des éléments que j'ai mentionnés, elle baigne dans une ambiance de magie grâce aux jeux sur la lumière violette.

La couverture est de plus très jolie ; les teintes de violet choisies s'harmonisent très bien entre elles. J'ai cependant l'impression que certains éléments ne sont pas bien incrustés à la couverture, ils semblent ressortir un peu trop : la colombe, qui est d'un blanc éclatant alors que le reste de la couverture est plutôt sombre (le contraste est peut-être voulu mais, dans ce cas, je pense que tu aurais pu faire en sorte, par exemple, que la colombe dégage un halo lumineux, afin qu'elle se fonde mieux dans la couverture) ; la sorcière dont la silhouette me semble trop dense par rapport au ciel rempli d'étoiles – peut-être que son style légèrement plus « dessiné » joue aussi. De plus, je regrette que la qualité Wattpad ne me permette pas de distinguer certains détails : les traînées blanches sous la colombe sont-elles des plumes, ou autre chose ? Ces remarques restent néanmoins anecdotiques, la couverture est très bien exécutée dans l'ensemble : les couleurs vont très bien ensemble, la plupart des éléments s'intègrent parfaitement et le cadre qui a été placé autour de l'image est très élégant.

J'ai un peu plus de réserves sur l'écriture du titre. Il est certes très bien placé par rapport à l'image : il ne gêne pas le regard mais est placé à un endroit où il attire l'attention. Il est de plus très lisible, sans pour autant trancher sur la couverture puisqu'il reprend ses teintes de violet. Même chose pour ton nom d'auteur qui est placé à un endroit pertinent, même si je te conseillerais de le foncer un peu pour qu'il se distingue mieux de l'image. En revanche, je dois dire que la police utilisée pour le titre et le nom d'auteur me semble discutable. C'est assez hétéroclite, on a trois polices différentes ce qui nuit à l'harmonie de la couverture ; de plus, je pense que des polices plus représentatives du genre de la fantasy auraient pu être choisies. Tout ceci fait que j'ai l'impression que le titre et le nom d'auteur tranchent trop sur la couverture : ils lui correspondent pour ce qui est des couleurs, mais l'ambiance dégagée par la couverture ne colle pas.


Ton titre me plaît beaucoup ! Il correspond encore une fois parfaitement à l'histoire puisqu'il évoque le but principal des personnages ; il induit dès le début l'idée d'un autre monde avec la mention d'une éclipse de plusieurs lunes ; il recèle de plus une certaine poésie. C'est justement cette poésie qui induit pour moi une réserve à ce sujet : ton titre est peut-être un peu trop contemplatif, avec en plus l'idée d'attendre, donc de rester passif. Cela ne colle donc pas tout à fait à l'histoire (dans laquelle les personnages ne restent pas franchement passifs...) et peut donc induire le lecteur en erreur en lui faisant attendre une histoire moins orientée vers l'action.

Cela reste une petite réserve, qui plus est assez subjective : ton titre me semble tout de même très bon, il est harmonieux et attise la curiosité du lecteur.

(Je ne suis pas sûre qu'en français tu puisses y mettre autant de majuscules, notamment sur « attendant », mais pour le coup c'est vraiment un détail.)


Pour ton résumé, je suis assez mitigée – même s'il est globalement très efficace et bien formulé.

Sur la forme, je n'ai rien à redire si ce n'est un petit problème de concordance des temps : je trouve un peu étrange que la dernière phrase soit au passé, comme si le narrateur du résumé avait effectué un brusque bond dans le temps. Je te conseille de mettre plutôt « c'est sans compter ».

Sur le contenu, tu exposes les enjeux de ton intrigue avec beaucoup d'efficacité. En quelques phrases, le contexte est clairement posé et on comprend le but des personnages et les obstacles qu'ils rencontreront. Ma seule réserve est sur l'emploi du mot « contretemps » qui me semble assez faible pour évoquer les obstacles qu'ils rencontrent : cela suggère qu'ils sont simplement ralentis alors qu'atteindre le portail à temps ne semble pas être leur problème le plus urgent – et que ça n'est jamais vraiment présenté comme un obstacle... En-dehors de ça, le résumé permet de saisir l'essence de l'histoire en quelques mots ; bravo !

Néanmoins, il ne m'a pas vraiment convaincue : je ne l'ai pas trouvé très attirant. J'ai eu l'impression qu'il démarrait « trop vite », que tu y introduisais des concepts les uns après les autres. Dans la première phrase, on nous parle d'une « cité céleste » comme si on était censé savoir parfaitement de quoi il retourne. Je pense que ton résumé manque d'une phrase introductive, qui pose le contexte – une cité céleste au-dessus de la Terre. Il me semblerait aussi pertinent d'évoquer le fait qu'il n'y a pas d'humain là-bas pour que l'on comprenne mieux ce qui suit. Là, je trouve ton résumé trop brusque – d'autant plus que l'idée d'un terrien qui apparaît, sans qu'on sache comment, est assez troublante. Je te conseillerais de limiter les précisions annexes (comme celle sur l'éclipse qui ne me semble pas nécessaire dès le résumé) et de mieux enrober ton résumé en essayant de happer l'attention du lecteur.

Malgré cette petite remarque, il reste très bien rédigé et colle parfaitement à l'histoire sans pour autant trop en dire.


Finalement, ta première impression est très complète et permet de cerner les bases de l'histoire et de comprendre ses enjeux. Je pense qu'elle peut être améliorée sur certains points, mais elle reste vraiment efficace !


Au niveau de l'orthographe, il n'y avait presque pas d'erreurs, c'était très agréable ! J'ai relevé quelques fautes mais ce n'était vraiment pas grand-chose. Je te conseille tout de même de vérifier les règles grammaticales si tu as un doute (comme pour l'impératif à la deuxième personne du singulier) ; tu peux t'appuyer sur des dictionnaires, en ligne ou non, par exemple le Bescherelle (www.bescherelle.com pour la version numérique). Pour les règles d'emploi du subjonctif, que tu oubliais parfois d'utiliser, je te conseille la page web www.espacefrancais.com/emploi-du-subjonctif-et-de-lindicatif/#gsc.tab=0 qui est vraiment complète. (Je ne sais pas si c'était des fautes d'inattention ou non, je te donne le lien au cas où). Pour la différence censé/sensé :

▸   L'adjectif « sensé » s'emploie pour qualifier une personne/un comportement raisonnable ; il peut être remplacé par des synonymes comme « avisé » sans changer le sens de la phrase.

▸   En revanche, « censé » est toujours suivi d'un verbe : on est « censé faire » quelque chose, c'est-à-dire que quelqu'un/une loi/... nous a chargé de le faire. Il peut être remplacé, par exemple, par « supposé ».

Un moyen de retenir la différence est de se rappeler qu'une personne sensée est une personne dotée de bon sens ; je trouve cela plutôt efficace, à toi de voir si ça fonctionne pour toi !

J'ai cependant un problème avec ta syntaxe. Tes phrases sont fluides et bien construites, mais la façon dont tu construis tes propositions subordonnées relatives est souvent maladroite. Cela rendait les actions parfois difficiles à suivre. Normalement, il faut placer la subordonnée juste après le nom qu'elle qualifie, mais tu la mettais parfois un peu après, par exemple : « elle réussit à faire apparaître cette nuée jaune à ses paumes, qui se dirigea vers la plume ». Ici, on a envie de lire que le « qui » se rapporte aux paumes de Colombe, pas à la nuée jaune ; cela entraîne donc une certaine confusion avant qu'on comprenne. Je te conseille d'y faire attention lors d'une éventuelle réécriture. Souvent, cela pourrait se régler très simplement, par une simple intervention : ici par exemple, « elle réussit à faire apparaître à ses paumes cette nuée jaune, qui se dirigea vers la plume » me semblerait beaucoup plus clair.

Le deuxième problème avec tes subordonnées relatives est que le pronom relatif est parfois choisi assez maladroitement. Par exemple : « — Moi ! s'écria l'enfant, pour qui la discussion avait soudain capté son intérêt » : écrire plutôt « — Moi ! s'écria l'enfant, dont la discussion avait soudain capté l'intérêt » serait plus correct. En effet, quand en lisant une proposition subordonnée, on essaie de la « remettre à l'endroit » pour en comprendre le sens (par exemple « elle réussit à faire apparaître cette nuée jaune, qui se dirigea vers la plume » donne « elle réussit à faire apparaître cette nuée jaune. Cette nuée jaune se dirigea vers la plume »). Ici, cela donne « — Moi ! s'écria l'enfant. Pour l'enfant, la discussion avait soudain capté son intérêt. » Ce n'est pas incorrect, mais c'est assez lourd et répétitif : « La discussion avait soudain capté l'intérêt de l'enfant » est plus fluide, et ça donne la formulation avec le « dont » que je t'ai suggérée. Je te conseille de faire un tour sur le site https://francais.lingolia.com/fr/grammaire/la-phrase/la-proposition-relative qui explique très clairement comment construire une proposition relative.

Cela restait néanmoins très ponctuel, les fautes étaient loin d'être assez présentes pour gêner ma lecture !

Je n'ai rien à redire non plus sur la mise en page : les dialogues sont correctement présentés, les paragraphes ont une longueur raisonnable et sont coupés à des endroits pertinents. Dans le dernier chapitre les sauts de point de vue se comprennent sans problème. Je te conseillerais juste de mieux marquer les ellipses, en sautant une ligne ou en insérant un symbole : celle du chapitre 1, quand Zade prélève ses dents à Colombe, était difficile à remarquer (je n'ai compris qu'en lisant tes réponses à d'autres commentaires). Ça ne coûterait pas grand-chose et ça simplifierait la lecture ! Pareil pour les flashbacks : je pense qu'ils pourraient mieux être introduits, avec un marqueur de séparation avant comme on te l'a suggéré, et peut-être en mettant l'indication de temps en italique ? De plus – on entre vraiment dans le chipotage extrême –, « il y a deux ans » suggère « deux ans avant l'époque actuelle » ; ici, puisque tu écris au passé, il n'y a pas vraiment d'époque actuelle, donc « deux ans plus tôt » (c'est-à-dire « deux ans avant l'époque dont on parle maintenant ») serait plus correct.


Le livre est vraiment bien organisé, mis à part peut-être les flashbacks qui arrivent de manière un peu aléatoire ; ils sont présentés comme du texte normal et arrivent en plein milieu du chapitre, ce qui peut être perturbant. Je te conseillerais de limiter cela en évitant par exemple, dans un même chapitre, de montrer une scène normale, puis de basculer dans un flashback avant de revenir à la scène précédente. D'autant que certains ne m'ont pas semblé très utiles, comme celui du chapitre 4 qui ne nous apprend pas grand-chose ; je pense que les informations seraient données plus fluidement en les présentant comme des souvenirs de Zade – d'autant qu'elle est en train de penser à ce souvenir, l'intégrer sans flashback à la narration serait donc tout à fait cohérent. Vu leur importance, je te conseillerais également d'écrire la date avant chaque début de partie, ce qui nous permettrait de mieux nous situer (et renforcerait de plus l'immersion dans ton univers). En-dehors de ce détail je n'ai aucun reproche à te faire, on sait parfaitement où on est dans le livre à chaque instant. Tu as fait l'effort de nommer tes chapitres ce qui est une très bonne initiative : cela permet de se repérer dans le livre et de retrouver rapidement un passage précis. (D'autant que tes noms sont vraiment bien trouvés, ils correspondent toujours au chapitre et y apportent une touche d'humour et/ou de poésie !)


L'HISTOIRE


Passons maintenant à l'histoire en elle-même, que j'ai globalement beaucoup appréciée. La lecture en était très fluide, j'enchaînais les chapitres sans les voir défiler. J'ai néanmoins repéré quelques défauts dans le fond et la forme. Avant de poursuivre j'aimerais rappeler deux choses :

▸   Mon avis n'engage que moi et est tout à fait subjectif. Bien sûr, je vais justifier au maximum ce que je dis et j'essaie de limiter l'influence de ma subjectivité, mais je ne serai jamais tout à fait objective. Il se peut que tu ne partages pas mon opinion, ou que je sois à côté de la plaque puisque je n'ai pas lu toute l'histoire ; n'hésite pas à intervenir lorsque tu n'es pas d'accord pour qu'on en discute.

▸   Même si ce que je dis te semble justifié, les points que je soulève sont potentiellement des obstacles, mais ils ne sont pas infranchissables. Ton histoire mérite d'être racontée, d'être améliorée, et le seul but de mon avis et de t'y aider. Ce qui est remis en question ici, c'est certains aspects de ton histoire, pas l'histoire en elle-même, ni toi en tant qu'écrivaine.

Sur ce, c'est parti !


Tu as une façon d'écrire assez fluide et, je trouve, pas mal de talent pour assembler tes mots avec efficacité. Tes descriptions d'actions sont très faciles à comprendre et à visualiser, sans pour autant sembler trop lourdes. Tu utilises des structures de phrase relativement complexes (je veux dire par là qu'on ne reste pas dans le sujet-verbe-complément, il y a de la recherche), ce qui rend ton texte varié et agréable à lire sans devenir trop lourd ou incompréhensible. Même dans les premiers chapitres, pendant lesquels le lecteur devait comprendre ton univers et apprendre à connaître les personnages, les actions restaient très claires et visuelles.

J'ai cependant trouvé, très rarement, que les phrases devenaient maladroites à force d'ajout de compléments et de précisions ; savoir à quel terme se rapportait tel élément n'était pas toujours évident. C'est pourquoi je te conseille de relire tes phrases à voix haute pour tester la fluidité de leur enchaînement. Tu peux aussi davantage varier la ponctuation : tu te reposes principalement sur les simples virgules, alors que d'autres signes (points-virgules, deux-points, tirets) permettraient d'enrichir tes phrases en conservant leur clarté. Si jamais, je te conseille de jeter un œil au site www.la-ponctuation.com qui répertorie les différents signes. Ceci étant, je dois avouer que je chipote pas mal ici : tes phrases étaient en grande majorité très claires, c'est un très bon dosage !

Une deuxième remarque, un peu plus récurrente : j'ai eu l'impression que tu « abusais » parfois de cette aisance pour la description. J'ai relevé plusieurs passages, principalement au début de l'histoire, qui m'ont semblé un peu trop longs pour ce qu'ils racontaient. Ça n'était pas frappant, et ça ne gênait même pas vraiment la lecture, puisque tu te débrouilles assez bien pour que ces passages restent fluides, ce qui faisait qu'ils « passaient tout seuls ». Mais cela restait des passages de vide, qui ne racontaient pas grand-chose et rallongeaient inutilement l'histoire. Je pense par exemple aux moments, dans le chapitre 2, où tu détailles les actions de Colombe lorsqu'elle se douche et s'habille. Ça lit fluidement, ça passe « tout seul », mais c'est un peu creux et au bout d'un moment, j'ai eu l'impression de ne plus trop savoir ce que je lisais.

Je ne sais pas quelle est la raison de ces passages – si c'est par inattention ou pour transmettre quelque chose – mais je pense qu'ils peuvent avoir leur utilité : décrire des actions banales, à petite dose, peut ancrer le lecteur dans la scène. Je ne te conseillerais donc pas de les supprimer mais de les retravailler. Je pense qu'ils seraient tout à fait à leur place s'ils permettaient de souligner les enjeux du livre et/ou de traduire les émotions du personnage. Colombe est heureuse de pouvoir se faire une queue-de-cheval basse, bon, OK... Ça peut devenir intéressant si tu expliques pourquoi : on peut imaginer que ça la ramène mentalement chez elle, sur Terre, et cela peut même être la source d'une anecdote qui nous permettra de mieux la connaître et de comprendre son état d'esprit actuel ; on peut aussi penser que ça lui donne l'impression de se retrouver, d'être à nouveau elle-même après avoir dû fuir comme une bête traquée. Il y a beaucoup de façons de lier des émotions aux gestes du quotidien et c'est ce que je te conseille de faire : te demander, pour les scènes de ce genre, ce à quoi pense et ce que ressent ton personnage pendant qu'il effectue ces actions, et si c'est intéressant le transcrire dans le texte. C'est quelque chose que tu fais très bien à certains moments, par exemple dans le chapitre 8 quand Zade boit son thé : cette action en apparence banale fait remonter des souvenirs, les descriptions d'actions et d'émotions s'entremêlent ; cela m'a paru très efficace.


Plus généralement, je pense que ton texte manque un peu d'émotion. Les évènements étaient, la plupart du temps, décrits d'une manière très factuelle : les actions des personnages étaient décrites, mais on savait peu ce qu'ils pensaient, encore moins ce qu'ils ressentaient. Cela tient en partie au point de vue omniscient que tu as choisi : on ne suit pas un unique personnage ni même un personnage par chapitre, le narrateur est en-dehors, sait tout et choisit ce qu'il nous montre. Je trouve ce choix plutôt pertinent étant donné que ton histoire suit de près un assez grand nombre de personnages : cela te laisse libre de développer la vision de chacun à n'importe quel moment, sans souci du genre « oh merde, pour cette scène j'aimerais bien montrer à la fois l'avis de X et de Y mais je dois en choisir un ». De plus, l'omniscient permet une distance par rapport aux personnages qui est propice à l'humour, ce qui me semble être l'un des buts que tu t'es fixés. Je ne cherche donc absolument pas à remettre en cause ton utilisation de l'omniscient, mais à te conseiller des moyens de faire passer l'émotion à ce point de vue.

Tout d'abord, si je trouve qu'ajouter de l'émotion serait bénéfique, c'est parce que je n'ai pas vraiment accroché aux personnages et que je me suis sentie mise à distance de l'action. Cela s'explique par d'autres éléments que j'aborderai par la suite, mais je pense que le point de vue utilisé joue un peu : je voyais, justement, les personnages « de loin ». J'appréciais leur dynamique, leurs personnalités m'amusaient mais je ne me sentais pas proche d'eux. Je ne les comprenais pas. Cela a surtout impacté mon rapport aux personnages plutôt ambigus comme Zade, qui agit de façon totalement amorale, et Zéas, tourmenté par une douleur bien compréhensible mais choisissant de suivre un chemin assez... particulier. Je pense que, pour que je les comprenne, pour que j'en vienne à les apprécier ou à me retrouver tiraillée à leur sujet, il aurait fallu développer leurs émotions vis-à-vis de la mort de Kaly qui les pousse à agir ainsi, renforcer la douleur de la perte. Même des personnages plus sympathiques comme Colombe, Aelia ou Lay ne m'ont pas vraiment touchée, je n'en avais pas assez pour m'attacher à eux même s'ils étaient moralement respectables (par exemple, j'apprécie la droiture de Lay mais c'est un jugement « de loin », comme on en forge à propos des gens qu'on ne connaît pas vraiment).

Il y a dans ton texte plusieurs amorces qui peuvent permettre de développer les émotions des personnages, mais elles ne me semblent pas assez exploitées. Par exemple à la fin du chapitre 1, lorsque Colombe est évanouie, Zade regarde le portrait de Kaly et lui murmure « Bientôt » : cela pourrait te permettre de développer ses émotions face à sa mort. Mais tu ne t'es pas étendue dessus, ce que j'ai trouvé un peu dommage : la scène restait assez superficielle et banale (dans le sens où ce genre de personnage est assez fréquent, même si on le retrouve surtout chez les antagonistes). Lui donner plus de profondeur m'aurait donc semblé plutôt utile – d'autant que, dans le cas du chapitre 1, cela pourrait te permettre d'introduire de la gravité et de l'émotion dans un texte jusque là narré avec une distance moqueuse. L'effet de rupture que cela pourrait provoquer chez le lecteur me semblerait intéressant puisqu'il traduirait la façon dont Zade semble dissimuler son « humanité » (façon de parler...) derrière un vernis de froideur et de cruauté. Je pense donc que tu aurais pu t'attarder sur ce qu'elle ressent en regardant cette photo, peut-être en profiter pour évoquer la vision qu'a Zade de ce qu'elle est devenue, puisque Kaly n'apprécierait pas : estime-t-elle que ses actes sont justifiés ? Culpabilise-t-elle ? Introduire ce genre de question me semblerait un moyen de donner de la profondeur au personnage de Zade, de montrer qu'elle n'est pas qu'une tueuse sans âme.

Plus généralement, je te conseille pour renforcer l'émotion présente dans tes passages de proposer des scènes d'introspection, où les personnages remettent leurs décisions en question, s'interrogent sur leurs sentiments, ... Je pense que c'est le genre de profondeur qui m'a manqué lors de ma lecture : cela aurait rendu les personnages plus réels et plus proches de moi. D'autre part, je pense que les émotions plus immédiates des personnages pourraient aussi nous être accessibles. Par exemple, dans le chapitre 4, lorsque (dans le flashback) Lay amène Zéas à Zade, la scène est décrite très factuellement, sans que l'on sache ce que l'un ou l'autre ressent. Je pense pourtant que tu gagnerais à faire monter la tension entre eux et au sujet de Zéas : ils décident quand même de le transformer en chat pour l'enfermer dans la boutique de sa belle-sœur, je pense qu'on pourrait donc sentir qu'il est vraiment un problème à leurs yeux, qu'il les effraie... Dans les scènes comme celles-ci où il est primordial que le lecteur comprenne et partage les émotions du personnage, je pense que les décrire davantage serait une bonne chose. Cela peut passer par des jeux sur le rythme (pour la tension dont je prenais l'exemple, on peut imaginer des phrases courtes, peut-être un mot/une expression régulièrement répété...), des figures de style, des descriptions sensorielles qui renforcent l'émotion (toujours pour la tension, donner plus d'importance au silence, par exemple en insistant sur les bruits et en faisant remarquer aux personnages qu'ils les entendent bien mieux que d'habitude, peut fonctionner).

Dans le cas particulier de Colombe, ce manque de descriptions d'émotions est renforcé par le fait qu'on ne sait presque rien d'elle. Son caractère est pour l'instant assez lisse (elle est naïve, gentille et optimiste) et son passé nous est presque entièrement inconnu. On sait qu'elle a un frère et que ses parents sont des hippies, mais ça ne nous permet pas de mieux la connaître... Je pense que tu pourrais davantage creuser cela, évoquer des souvenirs précis, la faire penser à ce qu'elle a perdu et espère retrouver... Cela permettrait de renforcer ses émotions et de creuser son personnage, qui pour l'instant me semble assez vague. Savoir ce qu'elle pense de ses compagnons me semblerait aussi utile : on la sent est mal à l'aise auprès de Lay et on voit qu'elle apprécie Aelia mais ça me semble un peu trop vague pour qu'on puisse s'identifier à elle. Que pense-t-elle de Zade, par exemple ? Elle l'a quand même plus ou moins vue tuer deux elfes et a été choquée sur le coup, mais par la suite elle n'y repense pas, ce qui me semble assez étrange pour une humaine normale... Je te conseille vraiment de modifier ce point car, pour les autres personnages, tu as très bien réussi à développer leurs relations et à leur créer un passé consistant. Cela permet de comprendre leurs actions et leurs réactions ainsi que de mieux cerner leur personnalité – surtout pour Zade et Zéas, qui agissent de façon immorale mais dont on peut comprendre les raisons.


C'est assez relié au point précédent, mais je pense que les intentions des personnages mériteraient d'être mieux compréhensibles. En effet, ne pas les cerner peut rendre les scènes assez brouillonnes ou difficiles à suivre, puisqu'on ne comprend pas ce que veulent les personnages et pourquoi ils agissent ainsi. Même si on comprend l'action en elle-même, cela peut brouiller la perception de l'intrigue : pour voir un peu plus loin que la scène présente – pour tenter d'avoir une vision globale des évènements, de comprendre ce qui s'est produit et d'anticiper ce qui se produira, bref pour s'impliquer dans l'histoire –, savoir ce que veulent précisément les personnages me semble nécessaire. C'est pourquoi je te conseille de veiller à donner les clés au lecteur pour qu'il puisse interpréter les actions des personnages. J'avais bien compris en lisant que les apparentes incohérences pouvaient être expliquées plus tard, mais cela me semble hasardeux : déjà parce que ça nous fixe dans une position de spectateur passif alors qu'on pourrait s'impliquer dans l'intrigue ; ensuite parce que ça ne nous assure toujours pas qu'il n'y ait aucune réelle incohérence... Je pense que les points a priori incohérents mériteraient d'être relevés dans l'histoire : le personnage de point de vue peut s'en étonner avec le lecteur s'il n'est pas au courant ; s'il connaît la véritable histoire derrière l'apparente incohérence, quelques sous-entendus peuvent montrer au lecteur qu'il y a une explication... voire lui donner des indices pour la trouver.

C'était notamment le cas dans la scène de la fuite de Zéas : on ne comprenait pas ce que voulait Zéas, ni ce que voulait Zade, et les raisons de Colombe semblaient assez floues. Cela rendait leur comportement global assez difficile à suivre. Je pense qu'on aurait pu avoir un peu plus d'informations sur la raison qui pousse Zéas à vouloir sortir : Zade dit simplement qu'il a « de mauvaises intentions », ce qui nous renseigne peu (et n'est pas très logique : dire à Colombe « il risquerait de te dénoncer » serait bien plus efficace et ne demanderait pas à Zade de révéler ses secrets... pourquoi ne le fait-elle pas ?). Cela pourrait être très vague, quelque chose comme « j'ai quelqu'un à voir » ou même un prétexte quelconque, mais une justification qui nous fasse comprendre qu'il ne veut pas juste ne plus être enfermé. En effet, c'était un peu déroutant de le voir hésiter sur le seuil de la porte, il ne semblait pas savoir ce qu'il voulait et Zade n'avait pas l'air de savoir qu'il allait s'enfuir (ce qui me semble, rétrospectivement, assez incohérent...) ; je n'ai donc pas compris ce qu'il voulait. Du côté de Zade, on ne sait pas pourquoi elle le garde enfermé, pourquoi elle ne profite pas de sa surprise lorsqu'il découvre qu'il ne peut plus se transformer pour le ramener de force chez elle : cela rend la scène encore plus brouillée. Je pense donc que c'est un cas où une plus grande clarté sur les intentions des personnages (même en les simplifiant ou en mentant légèrement dessus) aurait nettement éclairci l'action.

Je suppose que cette discrétion sur les intentions des personnages vient de la volonté de ne pas trop en dire pour maintenir le suspense. Néanmoins, cela m'a parfois semblé bien trop artificiel en plus d'embrouiller le lecteur... Par exemple, dans le chapitre 6, le narrateur en vient à mentir sur les intentions de Lay, acculé par Zéas et Tox : on nous dit qu'il est « alléché par les arguments » de Zéas... or ce n'était qu'une feinte, l'instant d'après il en profite pour se libérer. Cela me semble assez discutable, ça porte un coup à la confiance qu'on a dans le narrateur. Ou bien on est du point de vue de Zéas, et dans ce cas on devrait savoir qu'il ment ; ou bien on est d'un autre point de vue, et dans ce cas le narrateur ne peut pas parler pour lui. « L'air alléché... » conviendrait par exemple ; c'est un détail mais cela évitera au lecteur de se sentir floué.

Je comprends ta volonté de garder le mystère, mais je pense que cela ne doit pas s'opposer au besoin du lecteur d'être dans l'histoire au moment où il la lit et de pouvoir comprendre les raisons des actions des personnages. Je pense que, par moments, donner au lecteur une version un peu évasive de la vérité serait plus efficace. C'est un peu ce que je te conseillais pour les intentions de Zéas lors de sa fuite... Mentir (tant que ce sont les personnages qui se mentent les uns aux autres et pas le narrateur qui ment directement au lecteur comme dans l'exemple avec Lay) me semble également une solution, si le mensonge est justifié : le mystère reste intact et le lecteur a tout de même l'illusion de saisir la situation.

Pour les mêmes raisons de clarté, je te conseillerais de retravailler le traitement de l'amour entre Zéas et Colombe. L'idée de l'amour surgissant de nulle part à cause d'une malédiction est très bonne pour ajouter un peu de tension à tes scènes, mais j'ai l'impression qu'elle n'est pas assez expliquée. Comment cet amour se manifeste-t-il en Colombe ? La seule chose qu'on en voit est lorsque tu nous parle de l'immense confiance qu'elle aurait soudain pour Zéas, juste avant de le laisser filer ; dit comme ça, on a du mal à le croire, on ne voit pas d'où ça sort. Je pense qu'il serait pertinent de décrire l'état d'esprit de Colombe en cet instant : que pense-t-elle de Zéas à ce moment précis ? S'étonne-t-elle de ce qu'elle ressent ? S'interroge-t-elle à ce sujet ? Identifie-t-elle cela comme de l'amour et si oui, qu'en pense-t-elle, si non, comment explique-t-elle les remarques de Zade là-dessus ? Développer les réponses à ces questions assurerait implicitement au lecteur que ce n'est pas une incohérence, mais un élément de ton univers.

De même, je te conseillerais de développer les intentions à plus long terme de tes personnages. C'était assez flou pour moi... Leur but dans l'histoire est plus ou moins défini : on sait clairement ce qu'il en est pour Zéas et Colombe, mais ceux de Lay et Zade me semblent plutôt flous. Déjà que Lay a l'air de ne pas aider Colombe uniquement par bonté d'âme, alors Zade, je n'y crois pas une seconde... Ce n'est pas forcément un mal mais ça rend assez difficile de se rapprocher d'eux puisqu'on ignore le plus important de leur personnage. (Encore une fois, lancer quelques indices ou donner au lecteur un os à ronger en lui présentant un « faux but », si c'est justifié par l'intrigue, me semblerait pertinent.) De plus, pour ce qui est de Colombe, on ne sait pas trop ce qu'elle veut faire, mis à part rentrer chez elle (et vu qu'on en sait très peu sur « chez elle », ça ne nous renseigne pas beaucoup). Elle doit quand même patienter plusieurs jours avant de se mettre en route et elle se trouve dans un monde totalement inconnu... À sa place, j'aurais envie d'en voir le plus possible, de découvrir tout ce que je peux avant de rentrer (ou pas...). Je pense qu'il serait intéressant d'expliquer davantage ce qu'elle compte faire, car les chapitres de son point de vue m'ont parfois semblé assez vides, même s'ils étaient bien écrits : Colombe regardait les choses se faire en restant très passive. Je pense qu'elle pourrait agir davantage : poser des questions, se préparer à sa quête... Elle ne demande même pas ce qu'il se passera exactement lors de l'éclipse de lunes, je pense qu'elle pourrait se montrer un peu plus curieuse et collecter des informations.


L'univers que tu développes dans cette histoire semble intéressant et très fouillé. Tu pars d'une idée simple et efficace : un monde céleste, peuplé de diverses espèces surnaturelles. C'est très clair dès le début avec la description en incipit, le fait que les humains soient ici inhabituels et les explications que Zade donne à Colombe. L'idée de base est facile à saisir, on peut même se « représenter » ce monde ; cela permet de démarrer notre lecture en ayant en mains les clés pour comprendre ton univers. De plus, je trouve l'idée vraiment jolie ! Un monde céleste, c'est je pense l'un des premiers univers de fantasy qu'on peut imaginer enfant ; je trouve à la fois poétique et amusant que tu reprennes cette idée.

Néanmoins, je pense que l'univers pourrait davantage être relié au nôtre. C'est un monde céleste, au-dessus de la Terre ; pourtant celle-ci est très peu présente. Le portail entre la Terre et ce monde mériterait plus de développement, à mon avis : d'où part-il et où arrive-t-il ? à quoi ressemble-t-il ? comment fonctionne-t-il ? L'absence de ces informations faisait de la Terre une idée très abstraite. D'autant qu'on ignore d'où vient Colombe : elle est notre lien à la Terre mais ça n'intervient pas vraiment, elle ne nous donne aucune information dessus. Je pense que la Terre pourrait être davantage particularisée ; actuellement, du point de vue du monde céleste, elle semble interchangeable avec n'importe quel endroit où vivent des humains... Par exemple, au moment où madame Ulzo explique à Colombe la raison de la fermeture du portail, tu pourrais essayer de lier ton histoire à celle de la Terre : expliquer des évènements historiques par le lien entre les deux mondes, justifier l'extermination des créatures magiques sur Terre, ... Ce genre de développement, même bref, permettrait de donner l'impression que ton univers est vraiment connecté à la Terre, que ton monde est ancré dans le nôtre. Cela pourrait renforcer l'immersion du lecteur en lui permettant de s'imaginer que l'histoire est réelle.

J'aime beaucoup certaines de tes trouvailles pour cette histoire. Le sixième pays, Awan, tout particulièrement : l'idée est assez originale et vraiment intrigante. Elle est bien introduite dès le début avec l'hésitation de Zade dans le chapitre 1, on sent que ce sixième pays « disparu » reviendra. Et effectivement, c'est le cas plus loin. Peut-être que les personnages pourraient d'ailleurs exprimer un peu plus d'angoisse avant de s'y rendre ? J'ai trouvé qu'ils faisaient tous preuve d'un peu trop de légèreté. Zade, Colombe et Kaly s'y rendaient presque sans réfléchir et Lay, pourtant conscient de la menace, les laissait partir sans rien dire, sans s'inquiéter ; cela donnait l'impression que ce n'était finalement pas si dangereux. Peut-être pourrais-tu t'attarder davantage dessus, éviter de les faire partir sans plan ? Cela permettrait de renforcer la menace que dégage le lieu. Néanmoins j'ai beaucoup aimé son traitement une fois qu'on y était. L'idée qu'ils soient plongés dans un rêve est bien trouvée, et j'aime bien la façon dont Zade s'y prend pour le découvrir et le signifier à Kaly. Awan lui-même est très mystérieux, presque attachant en un sens (quand il perd un peu ses moyens face à Zade et Kaly, et par ses quelques sursauts d'enfance – sa curiosité pour « l'homme-chat », sa façon de décrire les personnages) tout en étant glaçant par son amoralité. Je trouve son personnage vraiment intéressant, sa psychologie doit être un sacré sac de nœuds... J'ai aussi été séduite par la façon dont tu traitais la magie même si ce n'était que peu abordé pour l'instant. Ton système magique semble travaillé, la scène où Colombe apprenait à faire de la magie était intéressante et donnait envie d'en savoir plus, et le pouvoir de Zade est intrigant... Tout cela donne envie d'en découvrir plus sur ton univers, c'est très bien géré !

Je trouve de plus que tu réussis vraiment bien à instaurer une ambiance dans certains lieux. La boutique de Zade, par exemple, dégage vraiment quelque chose, on sent l'atmosphère bordélique qui doit y régner (je ne sais pas vraiment comment le décrire mais c'est clair dans ma tête, ce qui traduit sans doute le fait que tu t'y es bien prise pour nous transmettre ces informations). Je pense toutefois que ça pourrait être davantage étendu : certains lieux m'ont semblé plus creux, moins caractérisés. Le marché par exemple n'est pas du tout décrit comme les personnages se focalisent sur les bonbons – de même que la ville en général, simplement brièvement esquissée. Je trouve ça un peu dommage, ça nous empêche de nous y immerger.

Je pense que quelques phrases bien choisies auraient pu donner beaucoup plus de consistance au marché, nous plonger à l'intérieur – tu peux évoquer les articles les plus remarquables, donner un aperçu des couleurs, sons et odeurs qui se dégagent de l'ensemble, décrire l'apparence des clients et des vendeurs (ce que tu fais brièvement, mais peut-être un peu tard), ... Le niveau de description actuel me donne un peu l'impression que l'univers n'existe pas par lui-même, qu'il est conditionné à l'intrigue : il existe quand on a besoin de lui, quand on y pense, mais disparaît quand ce n'est plus le cas. Je ne sais pas si tu vois de quelle impression je parle, je peux développer au besoin. C'est un peu dommage car cela rend l'univers moins réel. N'hésite pas à décrire davantage tes lieux. Je ne veux pas dire d'en faire des tonnes, ça collerait mal avec l'efficacité de ta plume (d'ailleurs tu n'as pas besoin de ça pour rendre la boutique de Zade palpable). Mais je pense que tu peux les décrire efficacement, en quelques lignes. Cela demande de rechercher des éléments qui marqueront directement le lecteur, d'utiliser éventuellement des figures de style frappantes et un vocabulaire précis. Par exemple, je te conseille d'éviter les phrases du genre « vantant l'efficacité de certains produits, faisant la promotion de certains politiciens ou recommandant quelques boutiques » (chapitre 5). En effet tu n'y décris pas les produits, les politiciens et les boutiques en question ; l'image formée dans l'esprit du lecteur est donc très vague et ne permet pas de créer une ambiance au lieu. Je te conseille de décrire plus précisément quelques affiches, d'autant que ça peut ouvrir sur la politique du pays et permettre de donner les bases au lecteur.

En-dehors de ce point sur l'univers, je trouve que le cadre du récit est bien posé ; les enjeux sont clairs dès le départ, exposés avec une efficacité semblable à celle du résumé. On sait que Colombe en tant qu'humaine est recherchée par le monarque, qu'elle ne doit pas se faire repérer, qu'elle a un moyen de rentrer chez elle. La menace immédiate représentée par Zéas est, elle aussi, globalement très claire, une fois réglé le cafouillage du moment où il s'échappe. On comprend clairement les enjeux, tout nous est exposé de façon à ce qu'on ne soit pas perdu dans l'intrigue (par exemple on sait qu'Awan est dangereux avant de voir les personnages s'y rendre). Tout cela ne t'empêche pas de développer beaucoup de mystère. Il y a juste quelques points qui m'ont semblé un peu moins clairs. C'était principalement les intentions des personnages comme j'en ai parlé plus haut, qui pour leur part étaient à mon avis trop peu accessibles.

Mais cela vaut aussi pour le monarque : lorsqu'on le voit au chapitre 10, j'ai eu l'impression que son personnage sortait de nulle part... Pourtant, il était mentionné précédemment, mais ces mentions étaient vraiment vagues. Je pense que tu aurais pu lui accorder plus d'importance, nous faire sentir que son personnage est crucial. Il était le type qui récompensait la capture d'un humain, mais – jusqu'à ce qu'on le voie dévorer l'âme d'un nourrisson – son personnage me semblait assez vide. Je te conseillerais de « teaser » son arrivée en lui donnant davantage de présence dans les premiers chapitres. On peut entendre des rumeurs circuler à son sujet, lire des proclamations de loi ou des extraits de discours, ... Il pourrait même figurer sur une des affiches dont je parlais plus haut, ce qui permettrait de montrer le personnage politique qu'il joue, et la façon dont il est vu. De quoi, en tout cas, lui donner dès le début une certaine aura pour que le lecteur sente qu'il est important en lui-même (qu'il n'est pas juste une vague menace). Il pourrait même être intéressant, si ça ne crée pas d'incohérence, de lui construire une image plutôt positive avant de l'écorner sérieusement lorsqu'il aspire l'âme de cet enfant. La scène en serait, à mon avis, d'autant plus glaçante. Il semble se dessiner comme principal antagoniste de Colombe et de ses alliés, je pense donc qu'il mériterait un traitement plus complexe dès le départ.


Pour terminer par l'intrigue, je dois dire que je trouve son traitement assez inégal au cours de l'histoire.

On commence très fort avec quatre premiers chapitres riches en tension. On débarque chez une sorcière inconnue qui bute nonchalamment un type dans les premiers paragraphes, puis voit débarquer une humaine réclamant protection et deux gardes furieux... Bilan du premier chapitre : trois morts, quatre dents disparues. Et on a appris entre-temps qu'on se trouvait dans une cité céleste et qu'on allait s'embarquer vers une éclipse de lunes pour sauver l'humaine qui risquerait sinon de se faire trucider. Le tout sans que le lecteur ne se sente perdu ou submergé d'informations. C'est vraiment bien joué – encore une fois, tu fais passer les informations d'une manière très efficace qui rend ton chapitre limpide – et c'est prometteur pour la suite.

Malheureusement, je n'ai pas l'impression que la promesse soit entièrement tenue. Les trois chapitres suivants sont eux aussi très riches en informations et globalement très clairs (à l'exception des cafouillages déjà évoqués). L'intrigue se complexifie avec le personnage de Zéas, en qui l'on voyait un simple élément du décor et qui prend une ampleur inattendue, puis avec l'ajout de Lay – ancien ami de Zade qui reste assez énigmatique – et de sa fille Aelia et ses crises dévastatrices que Colombe se découvre le pouvoir d'apaiser. Oh, et puis Zade a eu une fiancée aussi, mais elle est morte – d'où le comportement de Zéas parce que, oui, aussi, c'était son frère, c'est pour ça qu'il a été transformé en chat. Fiancée que Zade tente de ressusciter – d'où les meurtres et les dents. Encore une fois, on reçoit toutes ces informations sans que ça ne fasse trop.

Mais un premier souci commence à se dessiner : Colombe ne ressasse pas. Elle ne repense pas aux informations qu'on lui a données, elle ne tente pas de clarifier les choses. Elle accepte tout sans se poser de questions. Du point de vue de la cohérence, ça pourrait s'expliquer par le choc et le déni (mais je pense que ça devrait alors être plus clair quand on partage ses pensées). Du point de vue de l'intrigue en revanche, je ne te conseille pas cette stratégie. En effet, montrer le personnage se répéter ce qu'il a appris et tenter d'en tirer des conclusions ne sert pas que la cohérence. Cela permet de nourrir la réflexion du lecteur en le poussant à s'interroger sur des éléments dont il avait sous-estimé l'importance, de lui présenter des hypothèses différentes de celles auxquelles il aurait pu songer, donc au final d'orienter son opinion. Ce sont ce genre de moments de réflexion qui donneront de la profondeur à l'intrigue en la faisant vivre dans l'esprit du lecteur.

Ici, j'ai trouvé que ces moments manquaient vraiment. Les évènements se produisaient et semblaient disparaître. Je pense que tu pourrais y consacrer quelques lignes. Par exemple, Colombe peut davantage s'interroger sur le passé commun de Zade, Kaly, Zéas et Lay. Les crises d'Aelia m'ont semblé elles aussi trop vite expédiées, tu nous laisses avec pas mal de questions en suspens : d'où viennent-elles, si les personnages le savent ? Comment se déclenchent-elles ? Et surtout, pourquoi Colombe est-elle la seule à pouvoir les maîtriser ? Je pense que tu pourrais montrer les personnages en discutant ensemble, tentant de comprendre ce qu'il se passe. Bien sûr, il y a tout de même un dosage à respecter : il ne s'agit pas de noyer le lecteur sous les réflexions à propos de l'intrigue au détriment de l'apport d'éléments nouveaux. Mais je pense que tu ne risquerais rien à faire pencher la balance du côté des réflexions et des hypothèses : tu as de la marge pour cela, à mon avis.

De plus, une fois passés ces quatre premiers chapitres, j'ai eu l'impression que l'intrigue s'enlisait. Les choses ne semblaient pas vraiment avancer ; la menace qui pesait sur Colombe et ses amis était très vague, elle ne se concrétisait pas. Les chapitres n'étaient pas ennuyeux pour autant, loin de là : d'une part tu écris d'une manière qui les rendait fluides et très agréables à lire, d'autre part on découvrait tout de même de nombreuses informations intéressantes, avec les souvenirs de Zade, Lay, Zéas et Kaly ainsi que les chapitres de Maka. Néanmoins, je n'avais pas l'impression que l'intrigue avançait ; la tension que tu avais instillée avec tes quatre premiers chapitres se dissipait.

Je pense que cette suite manque d'un enjeu clair. Oui, il y a le fait que Colombe est recherchée et doit atteindre l'éclipse de lunes ; mais cela reste très « flou », on ne la voit pas souvent penser au fait qu'elle est en danger, qu'elle n'appartient pas à ce monde. Insister un peu plus sur ce qu'elle risquerait de perdre me semblerait une bonne idée pour impliquer davantage le lecteur. De plus, cette menace qui pèse sur elle reste presque anecdotique : elle ne se manifeste jamais clairement, on ne sent jamais vraiment Colombe en danger. La seule manifestation concrète de la menace représentée par le monarque est l'intervention de Maka et Lunn... qui n'est pas ce que je qualifierais d'effrayante. D'autant qu'on les voit se laisser berner par Lay au chapitre précédent. Au final, je n'ai jamais eu l'impression que Colombe était en danger à partir du chapitre 5... Vu la tournure plutôt intéressante que prennent les choses là où je me suis arrêtée, je suppose que ce n'est qu'un creux passager et que l'intrigue s'apprête à redémarrer en beauté... mais c'est un creux d'une quinzaine de chapitres, tout de même ; avec en plus la passivité de Colombe, j'ai eu l'impression que les choses restaient figées, que rien n'avançait. C'est assez frustrant, je dois dire.

Je pense que cela peut se régler en rendant Colombe plus active, en la poussant à investiguer pour comprendre ce qu'on lui cache, ce que sont devenus les précédents humains, ... Elle pourrait même, au passage, se fourrer dans quelques situations embarrassantes qui dynamiseraient ces chapitres. Pareil, renforcer la présence du monarque dans les chapitres du point de vue de Colombe et de ses alliés me semblerait une bonne idée pour rendre la menace plus palpable ; Colombe peut entendre des récits d'arrestations, être témoin d'exactions de l'armée... bref, des trucs qui ne nous donnent pas envie de la voir aux mains du monarque si elle était dénoncée. Encore une fois cela renforcerait l'immersion dans l'histoire en nous faisant mesurer l'ampleur du danger que court Colombe. De cette façon ou d'une autre, je te conseille en tout cas de réfléchir à un moyen de donner plus de suspense à l'intrigue à ce stade du récit !


EN CONCLUSION


J'espère que tout ce que j'ai pu dire ne te fera pas douter de ce point : ce début d'histoire est déjà très abouti, ma lecture a été vraiment agréable. Tu as de nombreuses idées assez originales, mais surtout très personnelles : les personnages, les détails de l'univers, le principe de l'intrigue... on sent qu'ils te sont propres, que tu y as posé ta marque. L'univers et les personnages semblent développés derrière ce que tu nous présentes : chaque personnage a sa propre histoire qui explique ses actions ; l'univers, lui aussi, a son histoire personnelle qui façonne ce qu'il est aujourd'hui. Même si on en sait encore relativement peu, on sent qu'il y en a beaucoup derrière ; les allusions des personnages à des éléments futurs, mais aussi tes réponses à certains commentaires, laissent penser que tu maîtrises ton histoire.

Les défauts que j'ai pu y relever viennent sans doute en grande partie du fait que c'est un premier jet : forcément, cela implique une certaine incertitude au sujet de ce qui va suivre (encore plus si tu écris sans plan comme tu me le disais). Cela explique à mon avis quelques creux dans l'intrigue (difficile de gérer ça quand on n'a pas d'idée claire de ce qui va suivre) et le fait que les personnages repensent peu à ce qui leur est déjà arrivé (en tout cas, ça arrive souvent pour moi : j'introduis des éléments à la suite jusqu'à ne plus pouvoir traiter leurs répercussions). Les autres remarques que j'ai pu faire viennent aussi peut-être de là ; tout dépend, en partie, de notre façon d'écrire. En tout cas, les points que j'ai soulevés pourront se régler (si toutefois tu es d'accord avec mon avis, bien sûr !) assez facilement avec une réécriture. Je t'encourage à le faire une fois ton premier jet terminé : l'histoire me semble plus que prometteuse, la suivre a été très agréable et je suis curieuse de voir ce qu'elle pourrait devenir.

Si cela peut t'être utile, je te conseille de regarder le blog de Stéphane Arnier (lien en commentaire), qui donne des conseils d'écriture qui me semblent souvent très pertinents. La série d'articles sur les conseils Pixar est notamment vraiment intéressante pour dynamiser son intrigue ; et il développe des réflexions sur l'écriture que je trouve intéressantes et qui m'ont plusieurs fois poussée à me questionner et à changer d'avis sur certains points.

Dans tous les cas, je te souhaite bon courage pour la suite de l'aventure, dans ce concours et surtout dans l'écriture de cette histoire. C'était une jolie découverte !

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