Complainte d'un garçon solitaire - Imaginadream [Critiques CDN]
Avant de commencer...
AU LECTEUR LAMBDA
▣ Cet avis est long. Le lire entre deux cours, à moins d'avoir une (ou deux) heures de permanence, n'est pas une bonne idée. (Non, sincèrement. Si tu n'es pas l'autrice, est-ce que tu as vraiment envie de m'entendre déblatérer pendant vingt pages sur une histoire qui n'est pas la tienne ? Je serais honorée que tu lises cet avis, hein. Mais je préfère que tu saches dans quoi tu t'engages.) Il peut être pertinent de le lire en plusieurs fois.
▣ Il y aura des spoils. Jusqu'à la partie « Introduction » incluse, rien n'est spoilé, tranquille. Ensuite en revanche, certains éléments d'intrigue pourront être révélés.
▣ Les bannières toutes mignonnes que tu peux trouver un peu partout sont l'œuvre de petite_lune_bleue (je te conseille vraiment de t'intéresser à son travail, très qualitatif). En revanche, c'est moi qui ai bidouillé le texte : si tu trouves que c'est mal fait, c'est normal, c'est la faute à mon absence de sens esthétique. De même, la couverture et la bannière en tête de chapitre sont de moi.
À L'AUTRICE
▣ Ceci est un avis personnel, c'est-à-dire subjectif – n'étant pas une machine, je ne prétendrai jamais à l'objectivité totale. Malgré mes efforts d'impartialité, ma personnalité et mes expériences passées influent forcément sur cette critique. N'hésite pas, donc, à mettre en doute ce que je dis et à exprimer ta propre opinion. (Et, au cas où, n'aie pas peur de « déranger » en me répondant : je suis toujours ravie d'avoir des retours sur mes avis !)
▣ Même en-dehors de ça, je suis une humaine faillible et je peux me tromper. (Y'a qu'à voir mes DS de physique en prépa pour s'en convaincre...) Si j'ai fait une erreur, n'hésite pas aussi à la signaler, ça m'aidera ! Pareil, si un point n'est pas clair, si tu as des questions ou si tu as l'impression que je n'ai pas abordé un aspect de l'histoire, les commentaires te sont ouverts.
▣ Même si ça commence à faire longtemps que je donne mes avis sur Wattpad, je débute dans l'art des critiques littéraires et je ne suis pas du tout certaine de la méthode que j'emploie. Si tu as des retours sur ma façon de faire, que ce soit sur le fond ou la forme, tes commentaires seront les bienvenus.
▣ Mon avis pourra par moments être négatif. En aucun cas cela ne doit te faire douter de ton histoire... Si tu l'as écrite, c'est que tu as des choses à dire, et cela prime sur toutes les remarques qu'on pourra t'adresser. Un avis est fait pour te pousser à remettre certains aspects de l'histoire en question, pas pour te décourager ; si tu sens que cela risque d'avoir cet effet, préviens-moi pour que je reformule et/ou remets ta lecture à plus tard. Toute histoire mérite d'être racontée, à partir du moment où l'auteur y met une part de lui-même.
▣ Je peux supprimer cet avis. Pas besoin de justification, si tu préfères pour une raison ou une autre qu'il n'apparaisse plus ici, demande-moi juste de l'enlever.
▣ Enfin – et c'est peut-être le plus important – aucune de mes remarques n'a vocation à être gobée toute crue et appliquée sans réflexion. Je me permets cette remarque car j'ai déjà vu des auteurs suivre à la lettre ce qu'on leur indiquait en commentaire, sans prendre la peine de se demander « dans quel but modifier cela ? Quelle faille de mon histoire cette suggestion traduit-elle ? » Le résultat était des passages qui semblaient sortir de nulle part, dont on comprenait mal l'utilité. Si tu n'appliques pas mes suggestions, je n'en serai pas vexée. Il se peut tout simplement qu'elles ne correspondent pas à ton histoire, malgré mes efforts. Je te conseille donc de te demander à chaque fois si le problème soulevé te semble réel, et si la suggestion proposée est adaptée à tes yeux. Un rappel qui te paraîtra peut-être inutile, mais ce n'est malheureusement pas une évidence pour tout le monde...
Que s'attend-on à lire ?
LE TITRE
Je trouve ton titre plutôt mélodieux, il dégage une impression de douceur et de mélancolie. Il est plutôt original dans sa construction, j'ai rarement croisé des titres de cette forme. Cela peut renforcer l'attractivité de l'histoire, en retenant l'attention d'un potentiel lecteur. À ce niveau, le seul point de vigilance que j'ai à soulever est le terme complainte, assez négatif, qui peut faire craindre un personnage assez égocentrique et passif, qui s'épancherait sur ses petits problèmes sans chercher à les régler ni considérer ceux des autres.
Ce titre me fait attendre une histoire centrée sur un personnage affrontant une solitude forcée, ou les conséquences déplaisantes d'une solitude choisie. Le mot « complainte » me fait penser que l'histoire prendra (en totalité ou en partie) la forme d'un journal intime, ou du moins de textes au sujet de la solitude. Je m'attends donc à ce que le personnage déplore sa solitude, et tente peut-être de réfléchir plus généralement à ce sujet. J'imagine une histoire plutôt contemplative, centrée sur les émotions et les réflexions du personnage, dans laquelle l'action ne sert qu'à illustrer le texte. J'envisage que ce personnage rencontrera quelqu'un qui lui permettra de ne plus se sentir seul – une histoire a rarement un unique personnage – mais le titre me donne l'impression que sa situation n'aura pas vraiment évolué à la fin de l'histoire, on n'y sent pas d'espoir.
Est-ce que ça correspond à l'histoire ? Globalement, oui. On a comme personnage principal un garçon solitaire au début et à la fin, qui tente dans son journal de bord de réfléchir à propos de sa solitude et de ses causes pour mieux s'en libérer. Néanmoins, je ne suis pas entièrement convaincue. L'histoire est moins contemplative que ce que le titre laisse penser : on a une véritable action, Nathan interagit avec d'autres personnages et agit tout au long de l'histoire ; les réflexions sur la solitude sont centrales, mais pas au point de faire de l'histoire une complainte. De plus, le titre donne l'impression que l'ensemble de l'histoire se focalisera sur Nathan, or plusieurs passages sont centrés sur Émile, qui est presque aussi important que Nathan. L'histoire correspond donc au titre dans les grandes lignes mais certains éléments ne s'y retrouvent pas.
Pour ce qui est de l'atmosphère véhiculée par le titre, en revanche, je la trouve très juste. Chaque passage de l'histoire est imprégné de la mélancolie et de la douceur que suggèrent le titre. Le déchirement de la fin, lui aussi, colle parfaitement. L'histoire me semble correspondre au titre dans les émotions qu'elle véhicule.
LA COUVERTURE
La couverture dégage beaucoup d'harmonie. On reste principalement dans des teintes de brun/doré avec les fauteuils, les murs de la librairie et la lumière du dehors, les couleurs se marient bien et le contraste entre l'ombre et la lumière donne de la vie à la couverture. J'aime aussi la façon dont la lumière se dépose sur les objets de la pièce, permettant tout juste de les distinguer ; je trouve la photographie très belle. En revanche, si tu as une image d'une meilleure qualité, je te conseille de l'utiliser : ta couverture est pixellisée et ça se voit assez vite. Sur ordinateur, elle semble d'abord juste floue, mais il me suffit de zoomer un peu pour voir les pixels. Le flou dessert un peu la couverture, cela donne l'impression qu'elle est brouillonne.
De plus, je te conseille de revoir la disposition du titre. Tu as en effet évité de le placer sur la zone illuminée par souci de lisibilité, mais je trouve que le ranger ainsi sur le côté de la couverture nuit à sa visibilité. Même si sa taille est suffisante pour qu'il soit parfaitement lisible, en voyant la couverture je n'y prête pas attention tout de suite, il n'attire pas vraiment l'attention. Il semble mis de côté : on voit de façon flagrante qu'il a été adapté à l'image, ce qui donne l'impression que ce n'est que du texte accessoire. C'est pourquoi je te conseille de le placer plutôt en bas de la couverture, à l'endroit où tu as mis ton nom d'auteur : la zone est assez sombre pour qu'il se voie bien, il ne cacherait pas d'élément important et pourrait occuper toute la largeur de la couverture, ce qui renforcerait son importance. De plus, comme il est assez long, tu peux jouer sur la taille des mots pour « rompre la monotonie » et insister sur les mots les plus importants. (La couverture de ce recueil est un exemple d'utilisation de ce procédé, mais d'une façon hasardeuse qui la rend assez moche ; je peux trouver des exemples mieux réalisés si cela t'intéresse.)
Je trouve que l'image de couverture est un excellent choix. Le seul bémol est pour moi, une nouvelle fois, l'absence d'Émile qui induit partiellement le lecteur en erreur. En-dehors de ça, les choix que tu as faits me semblent tout à fait pertinents. On a un lieu d'apparence plutôt ancienne – le parquet, le fauteuil qui semble usé – et calme, en lequel on peut facilement voir la librairie dans laquelle travaille Nathan. Un personnage, seul, assis dans l'encadrement d'une fenêtre, regarde à l'extérieur. Tout de suite, on s'imagine un garçon qui espère rompre sa solitude : l'image semble un peu mélancolique, on sent l'espoir et la tristesse du personnage. Cela est renforcé par le contraste entre l'extérieur, lumineux, qui attire tout de suite le regard, et la pièce sombre dont on ne distingue que les angles. Le personnage est bloqué dans sa solitude, il observe la lumière de l'extérieur derrière sa fenêtre. On se demande quel obstacle le sépare des autres : leur rejet, sa timidité, sa peur ? On sent que sa solitude lui pèse, qu'il ne peut pas nouer de relations avec les autres. L'ambiance que dégage la couverture me semble donc tout à fait adaptée au ton de l'histoire.
LE RÉSUMÉ
Je me propose de l'analyser phrase par phrase afin de comprendre précisément quelle histoire il nous fait attendre.
« Nathan est un écrivain et un invisible. » Le (probable) personnage principal est écrivain ; on s'attend à ce que cette caractéristique soit centrale dans son histoire. Il est de plus « invisible » ; on se doute qu'il faut le prendre au sens figuré, le personnage est transparent, effacé... solitaire ? Ces deux caractéristiques sont mises sur le même plan, ce qui nous amène à chercher un lien : l'écriture l'isole-t-elle, ou bien s'est-il mis à écrire pour exorciser son sentiment de solitude ?
« Il a cette perpétuelle impression de solitude et ce besoin constant d'écrire, car tout ce dont il rêve, c'est de faire disparaître ses douleurs. » Voici qui confirme l'intuition du premier paragraphe : Nathan est un solitaire, et cela semble lié à son penchant pour l'écriture. Un troisième élément est introduit : il souffre et rêve de voir disparaître cette souffrance. On suppose qu'elle est liée à sa solitude, et qu'écrire lui permet de s'en libérer. L'idée de l'impression de solitude est intéressante : peut-être n'est-il pas vraiment seul, mais isolé de son entourage ?
« Mais lorsque l'on connaît la joie la tristesse n'en est-elle pas plus douloureuse ? » (Je te suggère, pour la lisibilité de la phrase, de mettre une virgule après « joie ».) Cette phrase introduit l'enjeu de l'histoire : le personnage sera amené à ressentir de la joie, ce qui renforcera sa conscience de la tristesse de sa situation. En faisant le lien avec les phrases précédentes, on suppose que sa solitude sera rompue : il rencontrera quelqu'un, qui lui montrera ce que c'est de ne pas être seul ; mais d'une manière ou d'une autre, cette relation lui fera également prendre conscience de l'ampleur de sa solitude.
Sur la forme, le résumé est correct : il n'y a pas de fautes, les phrases sont bien construites et le texte est fluide. Néanmoins, je trouve la formulation incorrecte d'un point de vue logique ; j'ai l'impression que les idées sont mal exprimées. Ce n'est pas grand-chose, mais ça m'a personnellement dérangée à la première lecture en produisant une impression de fouillis. Dans la deuxième phrase, on nous dit que Nathan rêve de faire disparaître ses douleurs, donc il écrit – logique – et se sent seul – là, sans explication, on ne voit pas le lien. Tu énonces trois idées qui ont du sens individuellement, mais qui ne s'agencent pas ensemble. Je pense donc qu'il faudrait justifier le lien, ou séparer la solitude du reste.
De même, la troisième phrase commence par un « Mais » qui nous fait attendre une opposition avec la précédente ; pourtant, je n'ai une nouvelle fois pas compris le lien qu'il y avait. Rien, auparavant, ne sous-entend qu'il va connaître la joie... Ici, il me semblerait pertinent d'intercaler une phrase qui suggère la rencontre avec Émile. Même si on peut la deviner, comme le résumé n'en parle pas explicitement, la dernière phrase semble sortir de nulle part.
Le résumé correspond au ton de l'histoire, une nouvelle fois on sent bien l'atmosphère qui imprègne la nouvelle, mais je pense que mentionner Émile, même brièvement, rendrait mieux justice à l'intrigue. À vrai dire, vu l'attention accordée à son personnage, quelques lignes de plus sur sa personnalité n'auraient à mon avis pas détonné. (Je pense à ce genre de résumé certes assez courant mais efficace : Présentation du personnage 1/présentation du personnage 2/enjeux de leur relation.)
Le résumé est plutôt attractif, on devine que le thème de la solitude sera traité en profondeur. La dernière phrase laisse en effet penser qu'il y aura une véritable réflexion sur le sujet ; de plus, tu mentionnes que Nathan est écrivain, ce qui ajoute de la profondeur au personnage et le caractérise directement. Néanmoins, le thème reste assez classique et le résumé ne permet pas à l'histoire de se démarquer. Je te conseille de réfléchir à un élément de l'intrigue qui pourrait avoir cet effet.
EN BREF...
Cette première impression est globalement réussie. Il y a pour moi quelques détails à régler au niveau du titre et de la couverture pour augmenter l'attractivité de l'ensemble, mais les trois éléments nous font attendre une histoire soignée, bien écrite et assez réfléchie.
Tu parviens à retranscrire fidèlement l'ambiance de l'histoire, on sent la solitude et la tristesse planer d'abord sur le titre et la couverture, puis sur le résumé. Mais je dois dire que l'absence d'Émile dans ces éléments m'interroge. L'importance qu'il a actuellement dans l'histoire me fait penser qu'il mériterait d'y avoir sa place : on ne nous parle pas que de Nathan. Émile est plus qu'un moyen de faire progresser l'intrigue, il a sa propre personnalité et son propre développement. Je reviendrai là-dessus par la suite ; je n'ai rien d'absolu à te conseiller sur le sujet, tout dépend de l'importance que tu veux donner à Émile.
Remarques un peu chiantes sur la mise en page et la correction du texte
ORTHOGRAPHE ET SYNTAXE
Je n'ai pas eu grand-chose à redire sur l'orthographe, comme tu me l'as signalé il restait peu de fautes. J'ai néanmoins repéré trois erreurs qui m'ont semblé trop systématiques pour être des erreurs d'inattention :
▣ Tu mettais souvent des accents circonflexes sur les verbes au passé simple (« fît », « eût »). Sauf erreur, pour les verbes conjugués, un accent circonflexe sur la dernière voyelle marque le subjonctif imparfait. Il ne faut donc pas en mettre en-dehors de ce cas.
▣ Dans une phrase du type « A agit tel B », tu accordais « tel » selon A alors qu'il faut le faire selon B. (Règle assez contre-intuitive, je peux retrouver une source si tu veux.)
▣ Les adjectifs de couleurs issus d'un nom (comme « marron » dans ton texte) ne s'accordent pas au féminin ni au pluriel (on dit « des yeux marron »), de même que les adjectifs de couleur composés. Il y a quelques exceptions à l'exception, dont « rose » par exemple, sinon ça serait pas drôle... (Une nouvelle fois, je peux te donner une source si tu le souhaites.)
Il y avait quelques autres fautes mais elles étaient plus anecdotiques, et peut-être dues à l'inattention. Vu leur faible nombre, je crois t'avoir signalé toutes celles qui venaient des règles que je connais.
Au niveau de la syntaxe, le texte manquait de virgules. Je ne connais pas par cœur les règles de placement de virgules mais je me souviens en avoir trouvé de très restrictives ; si l'on se fie entièrement à ces règles, peu de place est laissée à l'interprétation. Je ne te conseille pas de t'y fier à la lettre, réfléchir au sens et au rythme que tu veux donner à la phrase me semble plus pertinent, mais chercher les règles exactes peut fournir une base de réflexion. Je reviendrai là-dessus, mais il est aussi conseillé de varier les signes de ponctuation.
ORGANISATION DES CHAPITRES, MISE EN PAGE
Il y a à mon avis une réflexion à mener sur le découpage du troisième chapitre. En effet, tu y fais une ellipse de six ans qui m'a semblé trop peu mise en avant. Six ans, ce n'est pas rien tout de même, et j'ai eu l'impression que tu passais trop vite dessus (je reviendrai dessus aussi). Je pense que tu pourrais rendre cette ellipse plus frappante en la plaçant à la fin d'un chapitre – soit en mettant le passage au début du chapitre 3, avant l'ellipse, à la fin du chapitre 2 ; soit en séparant le chapitre 3 en deux chapitres. Cela ne m'aurait pas choquée que le début du chapitre 3 s'étire davantage, qu'on nous fasse pénétrer plus en profondeur dans l'angoisse des personnages.
En revanche, j'ai trouvé que c'était une très bonne idée de conclure chaque chapitre par un passage du carnet de Nathan. Cela permettait de revenir sur les thèmes que le chapitre avait abordés et cela garantissait des conclusions percutantes, qui marquaient bien la fin du chapitre.
Je pense de plus que tes paragraphes auraient parfois pu être raccourcis. La longueur en elle-même ne m'a pas vraiment dérangée au cours de ma lecture, mais je pense que scinder davantage tes paragraphes donnerait davantage de rythme au texte. Une nouvelle fois, j'y reviendrai mais je te conseille d'essayer de faire une idée par paragraphe, ce qui serait plus clair et plus facilement assimilable.
La mise en page du texte me semble tout à fait correcte. La seule chose qui me chiffonne est les marqueurs de séparation des parties, qui rendraient mieux à mon avis s'ils étaient centrés. En-dehors de ça le texte est bien présenté, la mise en page choisie pour les écrits de Nathan est claire.
Nous y voilà enfin, après ces parties un peu longues. L'avis qui va suivre sera découpé en plusieurs parties assez arbitraires. Je n'ai pas totalement suivi le classique plume – intrigue – univers – personnages car trop d'éléments de l'un se répercutent sur les autres, ce qui aurait rendu mon avis vraiment bordélique (et il n'en a pas besoin...). Il y a tout de même des renvois d'une partie à l'autre ; un texte est avant tout une unité, tous les éléments sont imbriqués, donc ce n'est pas très étonnant.
La conclusion de l'histoire, telle qu'on peut l'interpréter avec les textes de Nathan, m'a semblé très claire et pertinente, et les personnages étaient bien imaginés par rapport à cela ; j'ai trouvé en revanche que la façon dont tu les as abordés n'était pas idéale pour parvenir à cette conclusion. Je développerai cela dans les parties à venir, ainsi que quelques détails sur la façon d'écrire – si le texte est globalement bien écrit, avec de jolies trouvailles, certains points m'ont semblé améliorables. C'est parti pour détailler tout ça !
Au cours de ma lecture, si j'ai trouvé que le texte était par moments très bien écrit, j'ai aussi parfois buté sur certaines phrases, que je trouvais un peu trop laborieuses. Je pense que le texte manque un peu de fluidité ; c'est dommage car cela « accroche » l'attention au détriment de ce qui est dit – j'avais l'impression de buter sur des tournures qui me forçaient à me concentrer uniquement sur la formulation du texte. Je caricature un peu, ma lecture a été agréable dans l'ensemble ; mais je pense que fluidifier le texte permettrait vraiment de mieux s'y plonger.
LA CONSTRUCTION
Tout d'abord, je pense que la façon d'organiser le texte peut être améliorée. Certains paragraphes étaient assez longs ; honnêtement, ça ne m'aurait pas dérangée sur papier mais sur écran, lire de gros blocs de texte peut décourager. De plus, les retours à la ligne semblaient parfois un peu aléatoires, dans le sens où plusieurs idées assez différentes cohabitaient parfois dans un même paragraphe. Par exemple, le troisième paragraphe du chapitre 1 contient plusieurs idées très différentes : la joie de Nathan de s'installer dans la librairie ; le récit de ses actions ; le silence dans la librairie ; sa solitude. Je ne pense pas que chacune d'elle devrait faire l'objet d'un paragraphe, le rendu serait sans doute trop espacé et décousu. Mais le fait de rassembler, en un seul paragraphe, tant d'idées différentes donne au texte un aspect de confusion. Ici, par exemple, je pense que le silence et la solitude pourraient à eux seuls faire l'objet d'un paragraphe ; cela diminuerait l'effet de « bloc » et rendrait l'agencement du texte plus logique aux yeux du lecteur.
De façon plus rapprochée, j'ai trouvé certaines phrases un peu trop longues, la lecture en devenait par moments laborieuse. Comme je l'ai mentionné plus haut, ajouter quelques virgules pourrait parfois être pertinent. Je te conseille de plus de varier davantage les signes de ponctuation. En effet, le seul que tu utilises à l'intérieur d'une phrase est la virgule, ce qui donne parfois des phrases assez lourdes, dont on a du mal à voir le bout. Utiliser d'autres signes de ponctuation te permettrait de faire varier le rythme de la phrase, de mieux distinguer son enchaînement. Ainsi tu peux utiliser :
▣ les points-virgules pour marquer dans la phrase une pause plus importante, pour regrouper plusieurs idées en une même phrase sans perdre en clarté, ou (comme je le fais ici) pour séparer les éléments d'une énumération ;
▣ les deux points pour marquer un lien d'effet à cause, pour ouvrir une énumération ou parfois pour donner un certain rythme à la phrase ;
▣ les tirets demi-cadratins (–) qui, comme les parenthèses, permettent d'isoler un bout de phrase.
Je te conseille, si tu réécris ce texte, de te repencher sur tes phrases les plus longues pour déterminer si certaines virgules ne pourraient pas être remplacées par un autre signe. Par exemple, lorsque tu écris au sujet de Nathan « Il laissait volontiers quiconque voulait lire ses débuts de roman, ses histoires d'un monde où la solitude n'était plus, mais ses pensées les plus sombres, il les gardait enfermées », la phrase est asse longue à lire, des propositions entre virgules s'enchaînent sans qu'on devine tout de suite quel est leur lien avec ce qu'on a déjà lu. Personnellement, j'aurais ajouté à cette phrase un point-virgule entre « n'était plus » et « mais ». Cet ajout permettrait, à mes yeux, de rendre la phrase plus dynamique (au lieu de quatre bouts de phrases séparés par des virgule, on aurait deux phrases juxtaposées. De plus, le point-virgule rend l'opposition entre les deux bouts de phrase plus réelle et tangible, surtout avec la symétrie que cela claire.
Un autre exemple : lorsqu'Émile rend visite à Nathan, tu écris « Il s'approcha lentement de celle-ci, peu rassuré, seulement pour apercevoir le visage souriant d'Emile tenter de trouver quelque chose alors même que la boutique était plongée dans le noir. » Cette phrase me semble assez maladroite, elle contient beaucoup d'informations qui sont données d'une façon un peu chaotique. Une solution serait de la séparer en deux : « le visage souriant d'Émile. Le jeune homme tentait ». Tu peux aussi reformuler : « le visage souriant d'Émile, qui tentait ». (Aussi, au passage, je te conseille d'écrire « tenter d'apercevoir quelque chose » ou « scrutait l'intérieur de la librairie » qui me semble plus explicite que « tentait de trouver quelque chose ».) De plus, un moyen de dynamiser la phrase (qui me semble un peu trop « molle » pour une phrase qui contient du suspense : même si on se doute bien de l'identité du visiteur, ce n'est pas une évidence pour Nathan) serait de mettre des points de suspension au lieu de la virgule après « peu rassuré ».
DANS L'ÉCRITURE
Il y a également trois points dans la façon d'écrire qui m'ont semblé nuire à la fluidité du texte, en me faisant régulièrement buter sur des formulations.
Tout d'abord, tu utilises pas mal d'adverbes dans le texte. Je te conseille de rechercher le nombre d'occurrences de « ment » pour t'en rendre compte (ça ne prend pas que les adverbes en compte, et certains adverbes ne se terminent pas par -ment, mais ça donne une idée). Le problème est que, lorsque plusieurs adverbes en -ment sont placés à une distance relativement faible, on a vite une impression de lourdeur. D'autant que, parfois, les adverbes sont utilisés presque comme à l'oral, pour insister sur une idée, alors que ce n'est pas nécessaire : les phrases parlent d'elles-mêmes. « Simplement » et « seulement » surtout étaient très présents, sans toujours être utiles. Par exemple, « il suffit simplement » ne véhicule pas plus d'informations que « il suffit ». On est tenté de le prononcer à l'oral pour insister ; mais, à l'écrit, l'utilité n'est pas flagrante – « il suffit » est d'ailleurs une tournure plus percutante. Je te conseille donc, lorsque tu utilises un adverbe, de visualiser la phrase sans afin de déterminer s'il est nécessaire.
Je ne veux pas dire que les adverbes sont à bannir, ce serait irréaliste et ça ne servirait pas forcément le texte ; mais je pense qu'il faut s'interroger sur leur utilité lorsqu'on en emploie. Un adverbe inutile ou répété peut vite donner l'impression que le texte est lourd, encombré de mots inutiles. Cette lourdeur est surtout problématique lorsque le but est justement de donner un rythme rapide ou de surprendre le lecteur. Écrire par exemple « la porte de la librairie s'ouvrit soudainement » me semble assez contre-productif : pour décrire une action soudaine, il est plus efficace d'utiliser une phrase sèche, brusque. Il aurait ainsi été possible d'écrire comme une seule phrase « La porte s'ouvrit » puis de montrer par exemple un sursaut de Nathan.
Enfin, je te conseille de réfléchir au placement de tes adverbes, qui me semble parfois peu optimal. « La propriétaire lui faisait confiance aveuglément » me semble par exemple trop peu fluide, les adverbes étant plus souvent placés juste après les verbes (ce qui donnerait « lui faisait aveuglément confiance »).
Un autre point qui m'a pas mal gênée est l'emploi récurrent de périphrases pour désigner les personnages, par exemple « le brun ». En effet, comme il s'agissait d'une nouvelle, je n'ai pas vraiment eu le temps de me familiariser avec l'apparence physique des personnages, puisqu'elle n'était pas déterminante dans l'histoire et que tu n'insistais pas vraiment dessus. J'avais donc du mal à me situer lorsque tu employais ces termes.
Même en-dehors du cadre de la nouvelle, je dois dire que désigner les personnages par de telles caractéristiques me semble peu pertinent. En effet, personnellement, je ne pense pas à moi en fonction de mon apparence physique ou des activités qui me passionnent, tout simplement parce que ça ne représente qu'un aspect de ce que je suis. Ainsi, lorsque le personnage de point de vue se désigne par « le brun », « l'écrivain », ..., j'ai l'impression d'être mise à distance : le narrateur s'est éloigné de lui et l'observe de loin. Pareil lorsque tu décris les autres personnages : Émile n'est pas qu'une couleur de cheveux aux yeux de Nathan... Désigner un personnage inconnu par son apparence ou sa profession me semble pertinent, mais pour des personnages que l'on connaît ne serait-ce qu'un peu, ou pour soi-même, cela ne me semble pas convenir pour un narrateur interne (ni pour un narrateur omniscient proche des personnages). Dans ce genre de cas, quelque chose que je trouve utile est de se demander : « Si mon personnage devait évoquer X en présence de quelqu'un qui le connaîtrait aussi bien que lui (ou pourquoi pas dans son journal intime), comment le nommerait-il ? » Bien sûr, cela demande de faire attention aux répétitions, mais c'est faisable, et je trouve un nom répété bien moins dérangeant qu'une appellation qui ne colle pas avec le narrateur. Ce n'est que mon avis et je sais bien, pour voir très fréquemment ce genre de dénominations, que tout le monde ne pense pas de la même manière, à toi de voir si cela te convainc ou non.
Enfin, je pense qu'il y a quelque chose à retravailler dans les dialogues, un peu trop mécaniques à mon goût, d'un niveau de langue trop élevé. Par exemple, leur premier dialogue m'a étonnée par sa politesse, les phrases étaient toujours bien formulées, sans maladresses de langage ni raccourcis. Ne pas distinguer le dialogue de la narration me paraît un peu étrange, ça donne l'impression que les dialogues sont vides même lorsque leur contenu est, dans le fond, intéressant : ils ne se distinguent pas, ils sont « transparents » sur le reste du texte en quelque sorte. Je pense qu'ils pourraient être rendus plus dynamiques ; n'hésite pas à donner des caractéristiques à la façon de s'exprimer des personnages (l'idée n'est pas de faire dans l'excès mais de pouvoir s'imaginer les personnages en train de parler) : un tic de langage, un accent, des paroles brèves ou au contraire volubiles, ...
De plus, je te conseille de faire attention aux longs monologues, comme dans le chapitre 2 : celui d'Émile m'a un peu coupée de la scène. Je pense qu'il pourrait être pertinent d'y intercaler des informations sur les expressions ou les gestes d'Émile, afin de donner un peu de chair à ses paroles (qui semblent sans cela un peu déconnectées de la scène), et de mentionner la façon dont Nathan y réagit : ces paroles lui sont destinées mais on ignore l'effet qu'elles ont sur lui. Émile lui balance quand même des informations assez violentes, on a envie de savoir ce qu'il en pense et ne pas le voir nous donne l'impression que le monologue n'a pas vraiment sa place dans la scène. Je ferais la même remarque pour le chapitre 3, où le dialogue entre Nathan et Émile une fois ce dernier revenu est composé de répliques longues et désincarnées, sans informations sur les réactions des deux personnages.
On a fait plus explicite, comme titre. Je ne parle pas ici de l'intensité des évènements vécus par les personnages (qui me semble clairement suffisante), mais de l'intensité dans la façon d'écrire, de l'importance qu'ont les évènements les uns par rapport aux autres. J'ai en effet eu l'impression d'un certain déséquilibre en la matière.
ALLER AU CŒUR DES CHOSES
J'ai souvent eu l'impression de ne pas vivre vraiment l'histoire, de ne pas être plongée dedans. L'écriture semblait me tenir à distance en quelque sorte, et me faisait passer « à côté » de l'intrigue. J'ai identifié à cela plusieurs raisons que je vais essayer de développer ici.
Tout d'abord – un point qui sera davantage détaillé dans les deux parties suivantes –, je me sentais exclue de certains évènements importants. Ceux-ci se déroulaient « en l'absence du lecteur », dans le sens où il ne les vivait pas mais les apprenait par le biais d'autres personnages. Par exemple, quand Émile voit son ami se noyer, ou décide de fuir, on aimerait être aux premières loges, ressentir ce qu'il ressent, voir sa pensée se modifier... Mais on ne vivait pas ces évènements de son point de vue. C'est assez dommage car tu as pourtant montré, au début du chapitre 2, une scène dans la tête d'Émile. Ça ne serait donc pas surprenant de revoir son point de vue, surtout pour nous montrer une scène aussi importante. Certes, le suspense en prendrait un coup, mais j'ai tendance à penser qu'ici le plus important est de nous plonger dans les personnages et non de nous faire peur. (Cela dit, j'y reviendrai plus tard, tout dépend des choix que tu veux faire et de ce sur quoi tu veux focaliser l'histoire.) Ce genre de moments m'a donné l'impression d'être tenue à l'écart, comme si l'histoire était racontée par quelqu'un qui verrait les personnages principaux évoluer de loin.
Ensuite, j'ai eu l'impression que la narration en elle-même me tenait éloignée de l'intrigue. Les évènements me semblaient survolés ; j'ai souvent eu l'impression de lire davantage le résumé d'un roman qu'une nouvelle en elle-même. Il y avait bien sûr plusieurs passages détaillés, que j'ai trouvés bien écrits et immersifs. Mais, d'un autre côté, les passages où Nathan et Émile apprenaient à se connaître étaient presque exclusivement présentés sous forme de résumé, de même que le moment où Nathan apprenait la disparition d'Émile. Je n'avais donc pas l'impression d'être impliquée dans leur relation, puisque je la voyais évoluer de loin.
Je pense que tu pourrais te permettre de détailler davantage certains passages. Cela rallongerait la nouvelle, mais ça ne me semble pas vraiment problématique : je dois dire que même si les chapitres étaient assez longs pour une nouvelle, je n'ai pas senti le temps passer ; ton écriture est assez immersive pour que tu te permettes des chapitres de cette taille. Résumer n'est pas en soi un problème, il faut bien le faire dans une nouvelle qui s'étend sur des années, mais je pense que dans ce cas il faut se questionner sur l'importance de ce qu'on résume. Ici, au lieu de résumer la relation entre Nathan et Émile – leurs personnalités, ce qu'ils s'apportent l'un à l'autre –, je pense que tu pourrais transcrire une discussion entre eux à un moment où ils se connaissent déjà pas mal ; on pourrait ainsi pénétrer au cœur de leur relation, les comprendre directement. De même, je pense que le moment où Nathan apprend qu'Émile a disparu mériterait d'être raconté en direct, que l'on pourrait sentir monter l'angoisse puis le désespoir. Il est certes plus facile de résumer ces éléments que de les détailler, mais je pense que c'est ce qui donnera vie aux personnages.
LE SHOW, DON'T TELL
C'est un outil assez classique : pour véhiculer une émotion ou une impression, la faire ressentir au lecteur au lieu d'expliquer que le personnage la ressent. Je pense qu'il est intéressant de se pencher dessus, car justement j'ai trouvé que ça manquait à l'histoire. C'est également ce à quoi je pensais en parlant, dans le paragraphe précédent, d'action résumée : si je ne me suis pas vraiment sentie proche du désespoir de Nathan ou de l'évolution de sa relation avec Émile, c'est aussi parce que la façon d'écrire ne me donnait pas vraiment les moyens de m'identifier à lui dans ces moments.
Par exemple, lorsque tu expliques que Nathan se sent mieux qu'il n'a jamais été, que c'est la première fois qu'il ne se sent pas seul, c'est quelque chose d'extrêmement fort. Trop fort, à mon avis, pour être simplement balancé en deux lignes... Je pense qu'ici tu aurais pu par exemple nous faire sentir leur complicité en montrant une interaction plus tard dans l'été, et montrer l'évolution de l'état émotionnel de Nathan à travers une introspection. Dans tous les cas, pousser le lecteur à parvenir de lui-même à la conclusion.
D'autant que, dans les scènes qui visaient à montrer quelque chose plutôt qu'à le raconter, tu écrivais très bien et cela permettait de vraiment s'immerger dans la scène. Par exemple, dans le chapitre 2, la détresse de Nathan qui tente d'approcher Émile, de comprendre pourquoi il le fuit, était vraiment bien retranscrite. Le passage écrit par Nathan dans son carnet illustrait parfaitement la situation et nous plongeait dans son état d'esprit. Pour moi, cela a très bien fonctionné, le reproche d'Émile sur le manque de confiance de Nathan en devenait très irritant et ironique...
Je te conseille donc de t'appuyer sur les extraits du cahier de Nathan pour transmettre ses émotions : ces passages constituaient pour moi les plus riches émotionnellement de l'histoire. Par exemple, le passage de la fin du chapitre 1 transmet vraiment bien son bonheur. Je pense que tu n'as pas besoin de dire plus haut qu'il est heureux : ce qu'il écrit dans son carnet le montre à merveille. De plus, le fait qu'il écrive dans ce carnet montre qu'il a un tempérament plutôt introspectif. Je pense donc que ces passages pourraient être « prolongés » dans l'histoire : on pourrait voir Nathan réfléchir à son comportement, à ses sentiments, tenter d'analyser sa relation avec Émile et son rapport à la solitude.
Pour décrire les émotions des personnages dans les moments de tension, qui sont peu propices à l'introspection, je te conseillerais d'insister sur l'origine de l'émotion plutôt que sur l'émotion en elle-même : quand on est furieux, on pense à ce qui nous irrite, pas au fait qu'on est en colère. Ainsi, lors de la disparition d'Émile, on pourrait le voir se faire des films sur ce qui a pu la causer, s'imaginer sa vie sans lui, craindre le retour à l'ennui et à la solitude, repenser à leurs moments de complicité et se dire qu'ils ne reviendront pas...
Ce ne sont que des exemples, je n'ai pas vraiment de méthode générale, mais je te conseille de réfléchir à ce sujet car c'est ce qui te permettra d'emmener ton lecteur où tu le souhaites, de lui faire éprouver tout et son contraire.
MIEUX ÉQUILIBRER LES INFORMATIONS
Je te conseille enfin de te pencher sur la place que tu accordes à certaines informations par rapport à d'autres. J'ai eu en effet l'impression d'un déséquilibre : alors que, comme je l'ai expliqué dans les sous-parties précédentes, j'avais l'impression que tu survolais certains éléments, d'autres m'ont semblé prendre trop d'importance dans la narration par rapport à leur impact sur l'intrigue. L'attention que l'on peut porter à une histoire est (malheureusement) limitée, si bien que les informations qu'on y donne entrent en concurrence : s'attarder sur un détail, c'est prendre le risque qu'une information plus importante ne puisse pas être bien transmise.
Par exemple, le deuxième paragraphe du premier chapitre me semble de trop. Il pourrait avoir sa place dans un roman, pour glisser une information sur l'apparence du personnage principal et permettre au lecteur de s'identifier à son quotidien ; mais ici, dans une nouvelle, on attend que les informations données aient une importance par la suite, qu'elles permettent de faire avancer l'intrigue. En lisant pour la première fois ce paragraphe, j'ai été un peu perdue, je ne comprenais pas où tu nous emmenais. Je te conseille donc de te demander, pour les passages qui s'écartent un peu de l'intrigue, s'ils apportent vraiment quelque chose à l'histoire.
De même, je te conseille de limiter les personnages inutiles. Je pense surtout à la scène où Émile discute avec ses amis. Tu nous présentais quatre personnes, qui pour la plupart intervenaient pour une seule réplique et l'un d'eux était désigné par deux prénoms différents. Cela m'a donné l'impression d'être complètement exclue de la scène : je ne connaissais presque aucun des protagonistes. Je ne voyais donc pas vraiment à quoi elle servait : au final, on a juste Émile qui s'avoue son amour pour Nathan, ce qui pourrait se faire d'une façon plus simple...
Le cas est particulier, puisque la nouvelle est liée à une histoire plus longue, dans laquelle ces personnages apparaissent. Je suppose que c'est ce qui a motivé cette scène, mais (si tu pars du principe que la lecture de la nouvelle peut se faire indépendamment de celle de l'histoire principale) je pense qu'il faudrait s'y prendre autrement. Peut-être qu'Émile pourrait en discuter avec sa cousine, puisque le personnage de cette dernière est également survolé. On pourrait aussi imaginer une discussion avec un seul de ses amis, afin d'éviter d'introduire trop de nouveaux personnages et d'en profiter pour discuter plus en profondeur de la relation entre Émile et Nathan.
Si certains points liés à la solitude de Nathan m'ont semblé très bien traités – notamment son évolution suite à la relation avec Émile –, j'ai trouvé que d'autres étaient trop peu abordés.
CLARIFIER LE CONTEXTE
Nathan est présenté comme seul dès le début de la nouvelle, on est donc prêt à te croire sur parole, mais cela soulève tout de même pas mal de questions, à mon avis. En effet, on comprend des premiers paragraphes qu'il est, avant de remarquer Nathan, entièrement seul, tout le temps. Ce qui m'a naturellement amenée à me questionner sur sa famille. Elle semble être toujours en vie, sinon je suppose que ce serait évoqué – d'autant qu'Émile mentionne la perte de ses parents –, mais elle n'intervient pourtant à aucun moment du livre. Il semble un peu jeune, au début, pour avoir coupé tout lien avec sa famille sans qu'il n'y ait quelque chose à raconter là-dessus. Je pense vraiment que mentionner ses liens avec ses parents et ses éventuels frères et sœurs serait bénéfique : actuellement, j'ai l'impression que c'est un angle mort de l'histoire, une information cruciale qu'il me manque pour pouvoir la comprendre, comme si Nathan me cachait quelque chose d'essentiel – alors que, des deux personnages, il est celui qui accepte le mieux de se dévoiler. De plus, expliquer comment agit sa famille avec lui permettrait de rendre sa solitude plus concrète : on la verrait directement à l'œuvre, et ce serait un moyen assez immersif de la montrer. D'autant que, vu le début de l'histoire, cela peut sans doute se faire assez simplement, par exemple par une discussion matinale avec ses parents qui nous permette de saisir la dynamique de leur relation.
De même, je pense qu'être plus explicite sur sa relation avec ses amis serait une bonne idée. Ce genre de problème m'est assez étranger dans la vraie vie, donc je ne pouvais pas compter sur mon expérience personnelle pour comprendre leur relation. La façon dont tu la présentais me paraissait, à vrai dire, assez symétrique : Nathan ne donnait pas de nouvelles, ses amis non plus. Je devinais, à travers sa réaction, qu'il se sentait négligé par ses amis, mais ça ne collait pas complètement avec ce que je comprenais du début du paragraphe : qu'il y avait entre eux une indifférence mutuelle. (Il se peut que l'incompréhension vienne entièrement de moi – je ne suis pas très douée pour décoder les relations sociales –, mais après plusieurs relectures du début du paragraphe j'ai toujours la même impression, c'est pour cela que j'en parle.)
Je pense donc que tu pourrais évoquer directement ces efforts faits par Nathan au début de leur relation dont tu me parlais en commentaires. À vrai dire, je te conseillerais de montrer directement dans la nouvelle l'interaction entre Nathan et ses amis : cela renforcerait l'impact de la scène et permettrait d'insérer plus fluidement les commentaires indignés de Nathan. Je pense qu'il serait intéressant d'explorer également la frustration de Nathan à l'idée d'être toujours celui qui fait les efforts.
Dans les deux cas, au final, je te conseille de rendre la solitude de Nathan plus explicite : même si elle était l'élément central de la nouvelle, on ne la voyait pas vraiment. Certes, il était seul avant de rencontrer Émile, mais on peut être seul sans en souffrir ; je te conseille donc de montrer, à travers des interactions avec sa famille et ses amis, que chez lui, la solitude est bien une souffrance. Je ne vais pas me remettre à disserter sur le Show, don't tell, mais je pense que laisser le lecteur voir qu'il souffre de la solitude, même lorsqu'il est accompagné, aurait un impact plus fort que d'expliquer seulement qu'il se sent seul. D'autant que j'ai eu l'impression que le texte glissait sans s'y arrêter sur l'idée, pourtant très intéressante, que Nathan souffrait de la solitude non parce qu'il n'était pas entouré, mais parce que son entourage le délaissait et ne lui convenait pas. (L'idée était exprimée, mais pas vraiment développée.)
LA RÉACTION DE NATHAN
Je pense également que développer la réaction de Nathan face à sa solitude serait approprié. En effet, on sait qu'il est seul, qu'il en souffre... mais on ne voit pas vraiment ce qu'il fait par rapport à cela. Est-il résigné ? C'est ce que le début me laisse penser – il ne cherche pas de solutions –, pourtant il n'hésite pas à se rapprocher d'Émile dès qu'il le peut.
Je pense que tu pourrais, dans les premiers paragraphes, mieux montrer ce qu'il pense de sa situation : le montrer chercher des solutions, envisager des moyens d'approcher de nouvelles personnes ou de se rapprocher de ses « amis » ; ou, s'il n'est pas dans cet état d'esprit, le montrer penser qu'il n'y a aucune issue. Ainsi, on connaîtrait sa position de base dès le début et on pourrait mieux s'intéresser à son évolution. Pour la même raison, je pense que développer son lien à l'écriture serait intéressant : on comprend qu'il y a un rapport avec sa solitude mais cela reste assez flou. Je pense que détailler les raisons pour lesquelles il écrit serait intéressant : est-ce pour que les personnages et les univers qu'il invente lui tiennent compagnie ? pour s'évader de la réalité ?
De plus, je te conseille de détailler davantage ses émotions lors de sa rencontre avec Émile. Je les ai trouvées assez survolées, or il me semble crucial de développer ce qui le pousse à agir comme il le fait. C'est quand même lui qui initie le rapprochement en offrant à Émile de lui faire aimer la lecture : ce n'est pas rien, comme proposition... Ici, j'ai trouvé qu'il manquait vraiment la raison pour laquelle il disait cela. Est-ce qu'il proposerait ça à tous les non-lecteurs qu'il pourrait croiser ? Si oui, cela montre une sacrée capacité à aller vers les autres et je pense qu'il faudrait le développer, expliquer pourquoi il est seul malgré cela ; si non, je te conseillerais de montrer ce qui, en Émile ou dans sa situation présente, est suffisamment particulier pour qu'il s'expose ainsi.
Plus généralement je pense que la solitude de Nathan restait trop générique : elle n'était pas particularisée. Certes, cela la rend universelle et n'importe quelle personne souffrant de solitude peut s'y reconnaître. Mais cela la rend aussi moins immersive : j'ai eu l'impression d'avoir trop peu de détails auxquels m'accrocher, si bien que je n'arrivais pas à me mettre à sa place et à compatir à sa situation. J'ai trouvé que la solitude était développée par elle-même, et non en tant que caractéristique de Nathan. L'intégrer davantage à son personnage l'aurait rendue moins universelle, mais ç'aurait permis de caractériser davantage Nathan.
En revanche, j'ai trouvé l'évolution du rapport qu'avait Nathan à la solitude au cours de la nouvelle très intéressante. Son état d'esprit était vraiment bien montré, ce qu'il écrivait dans son carnet m'a paru très pertinent. Il y avait un véritable changement, qui m'a paru réaliste et bien amené. J'ai beaucoup aimé suivre l'évolution de son opinion à travers les passages de son carnet.
Je pense que la place que tu accordes à Émile mériterait d'être mieux réfléchie ; j'ai en effet trouvé cet élément assez ambigu.
UNE IMPORTANCE VARIABLE
J'ai trouvé que l'importance qu'Émile avait dans l'histoire manquait de clarté.
Tout d'abord, comme je l'ai fait remarquer dans la première partie, le titre, la couverture et le résumé annonçaient une histoire centrée sur Nathan, dans laquelle Émile aurait à peine le statut de personnage et serait davantage un moyen comme un autre de montrer à Nathan ce que c'est que l'absence de solitude. Et, en effet, l'histoire était principalement racontée par Nathan, peu de passages étaient du point de vue d'Émile. L'histoire était centrée sur l'évolution du point de vue de Nathan, sur son opinion sur la solitude.
Pourtant, Émile était loin d'être un simple figurant. Il existait pour lui-même, en-dehors de Nathan. Il avait ses propres défis, ses propres obstacles. Ce n'est pas un problème en soi : une histoire où Émile aurait été considéré uniquement par rapport à Nathan aurait été cohérente avec ce qui était annoncé, mais m'aurait paru bien moins intéressante. La personnalité d'Émile apportait de nouveaux thèmes à la nouvelle, la rendait plus développée. Ce qui, en revanche, me pose problème, c'est que j'ai eu l'impression que l'intrigue d'Émile éclipsait celle de Nathan, qui aurait dû être au centre de l'histoire.
À cet égard, la scène de la discussion entre Émile et ses amis m'a semblé assez déplacée ; il m'aurait semblé plus logique de voir une telle scène du point de vue de Nathan, puisque c'est sur ses sentiments qu'est centrée l'histoire. Je n'ai donc pas compris, en la lisant pour la première fois, ce que la scène faisait là.
Mais ce qui m'a principalement donné cette impression est le fait que, si les émotions de Nathan sont centrales dans l'histoire, ses actions ont pour leur part une importance assez limitée. À vrai dire, j'ai eu l'impression que l'intrigue était presque exclusivement dictée par les actions d'Émile. C'est lui qui initie la discussion avec Nathan, lui qui introduit les problèmes dans leur relation en refusant de s'ouvrir, lui qui l'embrasse le premier, lui qui met fin à leur relation en disparaissant, lui qui choisit de revenir puis de repartir... À côté de ça, Nathan semblait surtout subir : il souffrait ou se réjouissait des décisions d'Émile, mais il agissait peu.
De plus, j'ai trouvé Émile assez intriguant avec le mystère qui planait autour de lui, le fait qu'il craigne de déclencher des accidents mortels. Si la culpabilité ressentie après la mort de ses parents était compréhensible et attendue, la façon dont elle se manifestait était en revanche peu banale. Et j'ai eu l'impression qu'il y avait un véritable mystère là-dessous : cela n'était pas arrivé une fois, ni deux, mais trois... La situation est tout de même particulière, cela pourrait même être le début d'un roman de fantasy... Mais on ne faisait qu'effleurer ce mystère, sans comprendre ce qu'il se passait, et Nathan ne se posait pas vraiment de questions. J'ai trouvé cela assez frustrant.
Au final, cela m'a donné l'impression de suivre le « mauvais » personnage : l'histoire semblait se dérouler du côté d'Émile plutôt que de Nathan, c'est lui qui vivait toutes les péripéties alors que Nathan en subissait le contrecoup. Cela m'a un peu perturbée, j'avais l'impression de passer à côté du centre de l'histoire.
RECENTRER LES ENJEUX
J'ai donc l'impression qu'il y a deux thèmes traités dans cette nouvelle – la solitude de Nathan et le traumatisme d'Émile – et qu'actuellement le second éclipse le premier. Je te conseillerais donc de rééquilibrer cela ; j'ai plusieurs suggestions (mais bien sûr c'est à toi de voir si tu partages mon opinion).
Une première option me semble être de simplifier l'histoire d'Émile, afin de recentrer l'histoire sur la solitude de Nathan. Cela demanderait de développer cette solitude, comme je l'ai détaillé dans la partie précédente. L'idée n'est pas de supprimer la personnalité d'Émile ou d'amoindrir son traumatisme, mais de centrer l'attention sur le ressenti de Nathan : en parallèle de l'évolution de son avis sur la solitude, le montrer essayer de comprendre et d'aider Émile et constater les répercussions sur sa propre personnalité. Ainsi, le traumatisme d'Émile n'éclipserait pas l'intrigue de Nathan mais viendrait la renforcer. Cependant, cela demanderait à mon sens de supprimer le fait qu'Émile pense déclencher des accidents : c'est quelque chose qui attire l'attention, on y cherche une explication rationnelle lorsque le hasard ne suffit plus ; finalement, je pense que cet élément détourne l'attention sans apporter grand-chose au traitement de la solitude de Nathan.
Néanmoins, si le but est de donner une place significative à cet élément, je pense qu'il faudrait modifier l'équilibre de la nouvelle pour qu'elle ne se centre pas uniquement sur Nathan mais sur les deux personnages, par exemple en alternant leurs points de vue. Il me semblerait alors pertinent d'accentuer les émotions d'Émile et de retranscrire son avis, à lui aussi, sur la fin de leur relation. Ce serait de plus assez intéressant d'avoir le point de vue de chacun sur la relation et sur l'autre... Ainsi, on pourrait être aux premières loges dans les évènements déterminants de la vie d'Émile (comme le moment où il choisit de disparaître) sans que ça ne semble nous détourner du thème principal. Cette possibilité me semblerait donc coller davantage à la trame actuelle de l'histoire, même si elle demande de développer davantage les sentiments d'Émile.
Même en suivant cette option, néanmoins, je pense que les accidents qu'Émile croit déclencher mériteraient un meilleur traitement. En effet, je trouve un peu dommage d'aborder quelque chose d'aussi intrigant pour finalement ne plus trop en parler et l'utiliser simplement comme ressort narratif. Je pense que tu aurais pu donner plus de détails sur la façon dont les évènements se sont produits, et peut-être suggérer une réponse – une exagération d'Émile, de simples coïncidences, ou autre chose à laquelle je n'aurais pas pensé... Introduire cela sans y répondre me semble assez frustrant et un peu facile. (Après, la façon dont on réagit à un élément inexpliqué est très variable, ceci reste une opinion subjective.)
En somme, je te conseillerais de choisir sur quels thèmes tu veux recentrer l'histoire, puis de déterminer l'importance des éléments qui la composent en fonction de leur lien à ces thèmes.
Je pense enfin que tu pourrais te pencher davantage sur le cadre – les éléments de l'histoire qui n'influencent pas directement l'intrigue, mais participent à la rendre plus réelle et vivante dans l'esprit du lecteur.
LES DESCRIPTIONS DE LIEUX
J'ai trouvé au cours de ma lecture que les scènes pouvaient sembler un peu désincarnées. C'était très léger et ça ne m'a pas vraiment dérangée, mais je pense que c'est une piste d'amélioration à creuser : se servir des particularités des lieux pour donner plus d'intensité aux scènes et les ancrer dans le réel.
Cela pourrait être fait surtout dans les scènes chargées en émotion. Je pense néanmoins à la première dispute entre Nathan et Émile, dans le parc, et au moment où Émile retrouve Nathan six ans après sa disparition, dans l'hôtel de Nathan. À ces occasions, je pense que décrire des éléments des lieux pourrait rendre les scènes plus réelles et souligner les émotions des personnages. Ils peuvent par exemple percevoir les lieux différemment selon leurs émotions : la chambre d'hôtel de Nathan peut lui paraître impersonnelle et froide avant l'arrivée d'Émile, lorsqu'il est épuisé par sa journée, puis une fois celui-ci arrivé il peut la trouver plus chaleureuse. De même, lors de leur dispute dans le parc, l'atmosphère du lieu peut refléter leurs émotions – d'autant qu'un parc est un lieu assez riche pour cela : il y a des promeneurs, des enfants qui jouent, de la végétation, peut-être même des animaux... de quoi modifier en quelques minutes l'ambiance du lieu.
Mais le moment où cela me semble surtout utile est la librairie où travaille Nathan : c'est son refuge, un endroit où il se sent bien et je pense que cela pourrait transparaître dans les descriptions que tu en fais. En décrivant la disposition des lieux, la façon dont la lumière tombe sur certains éléments et en laisse d'autres dans la pénombre, le comportement et le nombre des clients, tu peux créer une atmosphère particulière, qui plongera le lecteur dans ce lieu et lui fera ressentir en quoi il est un refuge pour Nathan. Cela permettrait donc de se rapprocher du personnage, en ressentant les choses comme lui et en compatissant à son mal-être. Si je n'ai pas perçu de réelle ambiance dans tes descriptions de la librairie, j'ai en revanche ressenti quelque chose d'approchant en regardant la couverture. Elle dégage vraiment cette impression de calme et de sécurité, en opposition à la froideur et au tumulte de l'extérieur. Le contraste est flagrant et je pense que c'est aussi quelque chose que tu pourrais exploiter : faire sentir au lecteur le changement d'atmosphère lorsque Nathan pénètre dans la librairie, en utilisant des sensations physiques (température, bruits, luminosité, mouvement, odeurs, ...) et en nous faisant ressentir l'effet sur les émotions de Nathan.
QUELQUES INCOHÉRENCES
Un autre élément du cadre qu'il me semblerait nécessaire de travailler, ce sont les incohérences. Celles que j'ai repérées n'influençaient pas l'intrigue mais rendaient l'histoire moins réelle : il m'était plus difficile d'imaginer l'histoire, de la faire vivre dans ma tête.
Je trouve par exemple assez incohérent le fait que, alors que Nathan utilise son carnet entre autres lorsqu'il se sent mal, et souffre la plupart du temps de la solitude, il ne remplisse son carnet que dans les scènes que tu nous montres. Il a bien rempli quatre-vingt-quatorze pages auparavant, donc le fait que soudain il ne ressente plus le besoin d'écrire au cours de l'année scolaire me paraît peu plausible. Bien sûr, il y a plusieurs explications possibles – on peut par exemple imaginer qu'étant privé du contact avec Émile, il se sente trop vide pour écrire, ou qu'il ne ressente plus le besoin d'écrire sur sa solitude « ordinaire ». Mais je pense que, dans ce cas, il faudrait les expliciter : cela permettrait de renforcer la vraisemblance de l'histoire – et cela nous permettrait d'imaginer Nathan « hors champ », dans les scènes de sa vie quotidienne auxquelles on n'assiste pas, ce qui caractériserait davantage le personnage.
Je pense aussi que la scène de leur rencontre mériterait d'être mieux développée. J'ai trouvé en effet qu'elle comportait un peu trop de facilités, ce qui est dommage par rapport au reste de l'histoire – le rapprochement entre Nathan et Émile étant en-dehors de ça assez réaliste. Tout d'abord, le fait que Nathan décide de convaincre Émile des bienfaits de la lecture m'a semblé trop précipité ; comme je te le faisais remarquer plus haut, il serait sans doute pertinent de développer les émotions de Nathan pour que cette proposition nous semble couler de source. De plus, je trouve qu'Émile se laisse trop facilement convaincre : que quelqu'un qui n'aime pas du tout lire se retrouve à dévorer un livre en une après-midi, à lire sans interruption pendant plusieurs heures, me semble un peu gros, surtout que c'est sur les conseils d'une personne qui ne le connaît pas. J'aurais trouvé intéressant de voir Émile venir plus progressivement à la lecture, de le voir tâtonner avec Nathan pour trouver le livre. Ce serait d'ailleurs un bon moyen d'illustrer leur rapprochement ; on pourrait par exemple voir Nathan essayer plusieurs livres sur Émile jusqu'à trouver le bon, lui poser des questions personnelles pour mieux connaître ses goûts ; le livre choisi par Nathan pourrait ainsi être un moyen de faire écho à l'histoire personnelle d'Émile, voire aussi à celle de Nathan... Cela rendrait leur rencontre plus forte, plus symbolique : actuellement, ils se rencontrent grâce à un livre dont on ne sait rien si ce n'est qu'il est adapté aux non-lecteurs...
LE PASSAGE DU TEMPS
Je te conseillerais enfin, afin que l'on sente vraiment l'évolution de l'intrigue, de te pencher sur l'impact du passage du temps sur tes personnages.
On suit Nathan et Émile pendant trois ans avant que ce dernier ne disparaisse, et on les retrouve ensuite six ans plus tard. C'est assez perturbant de constater que, pourtant, rien ne s'est modifié dans leur caractère : ils agissent, parlent et pensent de la même façon. Pourtant, neuf ans c'est tout de même une assez longue période : non seulement on a largement le temps de vivre des choses qui peuvent nous transformer, mais en plus (dans leur cas) on passe de l'adolescence à l'âge adulte, ce qui implique en soi des changements.
On devrait normalement voir le caractère des personnages évoluer drastiquement – sans pour autant qu'ils soient méconnaissables – ; mais Nathan et Émile restent presque les mêmes qu'au jour de leur rencontre. Nathan change un peu au sujet de son rapport à la solitude, mais Émile reste tout du long confronté aux mêmes faiblesses : huit ans après qu'il se soit confié à Nathan, il fuit toujours pour les mêmes raisons et répète plusieurs fois son erreur.
Qu'il tombe toujours dans les mêmes pièges, qu'il ne réussisse jamais vraiment à guérir, ne me dérangerait pas ; au contraire, malgré le pessimisme de cette vision, elle me semble juste (au moins dans certains cas). Le problème à mes yeux était qu'il n'évoluait pas du tout : il tombait dans le même piège, de la même façon, sans une pensée pour ses erreurs précédentes. Cela freinait une bonne partie de la compassion que j'aurais pu ressentir pour lui.
En faisant évoluer ton histoire sur une période aussi longue, je pense que tu t'imposes nécessairement de te questionner sur l'évolution de tes personnages. Je te conseillerais de vraiment prendre le temps de te demander ce qu'ils pourraient devenir, en quels adultes ils pourraient se transformer, quels évènements pourraient les façonner. Ainsi, je pense que tu pourras vraiment construire l'évolution de tes personnages – et, personnellement, j'aurais trouvé vraiment intéressant de voir où les ont entraînés les chemins qu'ils ont suivis.
Mon avis en quelques mots
Je t'ai listé ici quelques points qui me semblent perfectibles dans Complainte d'un garçon solitaire, mais j'ai dans l'ensemble trouvé ma lecture vraiment agréable. C'était fluide, bien écrit, il était facile de se laisser prendre par l'histoire. J'ai beaucoup apprécié les conclusions sur la solitude auxquelles tu nous amènes avec le personnage de Nathan, mais surtout ce que tu développes à travers Émile – la peur rationnelle ou non de blesser la personne qu'on aime, le dilemme entre la perdre ou rester au risque de la faire souffrir... Même si elles n'étaient pas développées, faute de moments passés du point de vue de Nathan, elles m'ont intéressée. Je pense que la façon dont tu amènes le lecteur à ces réflexions peut être améliorée ; c'est le but dans lequel j'ai tenté de diriger mes conseils.
Si jamais tu décides de te lancer dans une réécriture, n'hésite pas à m'en informer : je serais très curieuse de te lire !
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