30 Jours - Ange_Youmi [Critiques CDN]
Avant de commencer...
AU LECTEUR LAMBDA
▣ Cet avis est long. Le lire entre deux cours, à moins d'avoir une (ou deux) heures de permanence, n'est pas une bonne idée. (Non, sincèrement. Si tu n'es pas l'auteur, est-ce que tu as vraiment envie de m'entendre déblatérer pendant vingt pages sur une histoire qui n'est pas la tienne ? Je serais honorée que tu lises cet avis, hein. Mais je préfère que tu saches dans quoi tu t'engages.) Il peut être pertinent de le lire en plusieurs fois.
▣ Il y aura des spoils. Jusqu'à la partie « Introduction » incluse, rien n'est spoilé, tranquille. Ensuite en revanche, certains éléments d'intrigue pourront être révélés.
▣ Les bannières toutes mignonnes que tu peux trouver un peu partout sont l'œuvre de petite_lune_bleue (je te conseille vraiment de t'intéresser à son travail, très qualitatif). En revanche, c'est moi qui ai bidouillé le texte : si tu trouves que c'est mal fait, c'est normal, c'est la faute à mon absence de sens esthétique. De même, la couverture et la bannière en tête de chapitre sont de moi.
À L'AUTEUR
▣ Ceci est un avis personnel, c'est-à-dire subjectif – n'étant pas une machine, je ne prétendrai jamais à l'objectivité totale. Malgré mes efforts d'impartialité, ma personnalité et mes expériences passées influent forcément sur cette critique. N'hésite pas, donc, à mettre en doute ce que je dis et à exprimer ta propre opinion. (Et, au cas où, n'aie pas peur de « déranger » en me répondant : je suis toujours ravie d'avoir des retours sur mes avis !)
▣ Même en-dehors de ça, je suis une humaine faillible et je peux me tromper. (Y'a qu'à voir mes DS de physique en prépa pour s'en convaincre...) Si j'ai fait une erreur, n'hésite pas aussi à la signaler, ça m'aidera ! Pareil, si un point n'est pas clair, si tu as des questions ou si tu as l'impression que je n'ai pas abordé un aspect de l'histoire, les commentaires te sont ouverts.
▣ Même si ça commence à faire longtemps que je donne mes avis sur Wattpad, je débute dans l'art des critiques littéraires et je ne suis pas du tout certaine de la méthode que j'emploie. Si tu as des retours sur ma façon de faire, que ce soit sur le fond ou la forme, tes commentaires seront les bienvenus.
▣ Mon avis pourra par moments être négatif. En aucun cas cela ne doit te faire douter de ton histoire... Si tu l'as écrite, c'est que tu as des choses à dire, et cela prime sur toutes les remarques qu'on pourra t'adresser. Un avis est fait pour te pousser à remettre certains aspects de l'histoire en question, pas pour te décourager ; si tu sens que cela risque d'avoir cet effet, préviens-moi pour que je reformule et/ou remets ta lecture à plus tard. Toute histoire mérite d'être racontée, à partir du moment où l'auteur y met une part de lui-même.
▣ Je peux supprimer cet avis. Pas besoin de justification, si tu préfères pour une raison ou une autre qu'il n'apparaisse plus ici, demande-moi juste de l'enlever.
▣ Enfin – et c'est peut-être le plus important – aucune de mes remarques n'a vocation à être gobée toute crue et appliquée sans réflexion. Je me permets cette remarque car j'ai déjà vu des auteurs suivre à la lettre ce qu'on leur indiquait en commentaire, sans prendre la peine de se demander « dans quel but modifier cela ? Quelle faille de mon histoire cette suggestion traduit-elle ? » Le résultat était des passages qui semblaient sortir de nulle part, dont on comprenait mal l'utilité. Si tu n'appliques pas mes suggestions, je n'en serai pas vexée. Il se peut tout simplement qu'elles ne correspondent pas à ton histoire, malgré mes efforts. Je te conseille donc de te demander à chaque fois si le problème soulevé te semble réel, et si la suggestion proposée est adaptée à tes yeux. Un rappel qui te paraîtra peut-être inutile, mais ce n'est malheureusement pas une évidence pour tout le monde...
Que s'attend-on à lire ?
LE TITRE
Le titre choisi pour cette histoire est percutant et intrigue tout de suite. Mettre en titre une durée relativement courte donne un sentiment d'urgence. On peut déjà formuler des hypothèses sur le contenu de l'histoire – envisager qu'il ne reste que trente jours à vivre au personnage, que sa vie bascule en trente jours, qu'il doive accomplir quelque chose d'ici trente jours... C'est un titre qui ouvre de nombreuses possibilités, toutes intrigantes, et donne envie de lire le résumé. On pourrait lui reprocher un certain manque d'originalité : je vois souvent passer des titres énonçant simplement une durée précise (même s'il s'agit souvent de durées plus courtes, des heures ou des minutes). Cela peut effectivement atténuer la curiosité qu'inspire ce titre puisqu'elle est contrebalancée par le déjà-vu. Néanmoins, ce genre de titre reste efficace, il promet une histoire pleine de tension, avec l'angoisse de l'écoulement du temps.
En lisant ce titre, je m'attends à une histoire dans laquelle le temps serait une notion primordiale. Je m'attends à un décompte, par exemple, l'urgence de respecter une deadline et une menace palpable si on n'y parvient pas, ou bien à la certitude que quelque chose surviendra après les trente jours en question... Dans tous les cas, je suppose que le temps constituera un enjeu majeur de l'histoire, je m'attends à ce que ces trente jours jouent un rôle capital dans le récit.
Est-ce que ça correspond à l'histoire ? Pour moi, pas vraiment. La correspondance factuelle y est : les missions du personnage, qui sont au centre de l'intrigue, durent au maximum trente jours. Mais un titre ne renseigne pas que sur les faits : il permet de connaître l'ambiance de l'histoire, les thèmes qu'elle abordera ou bien un élément-clé de l'intrigue... Ici, les trente jours demeurent une notion assez abstraite, déconnectée des enjeux. Au fond, s'il avait eu vingt-cinq jours, s'il en avait eu quarante, ça n'aurait pas changé grand-chose à la mission du personnage. Aucune pression liée au temps ne se fait sentir : il respecte parfaitement les délais – il est même largement dans les temps et ne montre jamais la moindre angoisse à ce sujet.
Je pense que tu aurais pu, pour choisir ton titre, te pencher sur la relation entre le personnage et Ashley, sur le développement de ses émotions, ou encore sur le fait qu'il soit obligé de garder le secret sur ses ailes – des enjeux qui ont bien plus d'importance dans l'histoire. Ainsi, ton titre aurait un lien solide avec le texte et reflèterait un conflit central de l'intrigue.
LA COUVERTURE
Je trouve ta couverture vraiment belle ! Les teintes de bleu s'harmonisent très bien et donnent une impression d'unité, la police du titre est assez jolie et sa couleur correspond à celle de la couverture. Le rendu global est superbe, la couverture dégage une ambiance saisissante et attire l'attention. Au niveau de l'esthétique, la seule chose que je pourrais te conseiller serait de centrer ton nom d'auteur : le fait qu'il soit nettement plus à gauche brise la symétrie et l'harmonie de la couverture. (Je te conseille aussi de le changer pour qu'il corresponde à ton pseudonyme actuel.)
J'aime également beaucoup l'atmosphère qui s'en dégage – une ambiance onirique, très éloignée de la réalité, qui nous fait directement sentir que la scène ne se passe pas dans notre monde. Sur ce point, cela correspond parfaitement à l'histoire : on peut s'imaginer dans le lieu décrit au début du chapitre 1, où le personnage est invoqué par son créateur. Je trouve seulement un peu dommage qu'on n'ait pas la présence d'un peu de rouge puisque tu mentionnes « deux faux soleils rouge et bleu », cela retranscrirait plus fidèlement encore l'ambiance de l'histoire ; mais je reconnais que ça puisse être difficile de mélanger plusieurs couleurs sur une couverture en conservant un rendu aussi esthétique. Le lieu est déjà assez reconnaissable comme ça une fois qu'on a lu l'histoire (à moins que je ne me trompe totalement) et c'est vraiment intrigant, on a envie de savoir à quoi correspondent ce lieu et cette atmosphère si particuliers.
En revanche, quelque chose qui dans l'ambiance me semble moins adapté, c'est l'impression de fragilité que dégage cette couverture. Tout d'abord, le personnage a un air de vulnérabilité : il prend très peu de place sur la couverture, sa silhouette est frêle, sa posture donne l'impression qu'il pourrait tomber d'un instant à l'autre. La police du titre renforce cette impression : manuscrite, tremblante, avec en plus un effet qui donne l'impression qu'elle est « grignotée ». Finalement, la couverture donne l'impression que le personnage est écrasé par le lieu dans lequel il se trouve. Certes, il est entièrement soumis à l'autorité de son maître et n'a aucun moyen de la contourner... néanmoins, au cours de l'histoire, il ne m'a jamais donné l'impression d'une telle vulnérabilité. Il semblait au contraire toujours contrôler la situation : même quand on aurait pu penser qu'il se laisserait abattre, au moment où son maître lui signalait qu'il devait tuer Ashley puisqu'elle avait vu ses ailes, il gardait son calme et prenait rapidement sa décision.
Je pense donc qu'il aurait été plus pertinent de montrer un personnage plus solide, plus charismatique peut-être, et qui occupe une place plus importante sur la couverture. Ce n'est sans doute pas évident à réaliser, mais si tu arrivais à garder la même image en fond en modifiant juste le personnage, la couverture correspondrait bien mieux à l'histoire. La police du titre pourrait elle aussi modifiée, je te conseille de faire un tour sur un site comme Dafont pour en trouver une qui corresponde à l'histoire et à l'ambiance de la couverture.
Un désavantage moins important de cette couverture est qu'on a du mal à se représenter l'histoire que tu nous proposes. L'aura magique et irréelle laisse deviner qu'on aura au moins une excursion dans un autre monde, une partie de l'intrigue centrée sur la magie. Mais rien ne nous indique le conflit central de l'histoire, ni la nature/le but du personnage principal. Ça ne me semble personnellement pas très dérangeant : ce que la couverture laisse supposer correspond à l'histoire et est intrigant. Mais avec une couverture et un titre peu explicites, on s'attendra à ce que le résumé donne plus d'informations.
LE RÉSUMÉ
Je me propose de l'aborder phrase par phrase afin d'expliciter à chaque fois les informations qu'on en tire et éventuellement de relever les erreurs.
« 30 Jours. » (Je te conseille de mettre « trente » en toutes lettres, comme le veut la convention pour les nombres relativement petits (j'admets ne pas connaître la limite exacte). De plus, « jours » n'a pas à prendre de majuscule puisque « trente » commence déjà la phrase. D'ailleurs, je n'avais pas relevé, mais cette remarque vaut aussi pour le titre.) Cette première phrase ne donne pas d'informations sur l'histoire mais elle attire tout de suite l'attention, un bref rappel du titre qui permet d'introduire le centre de l'intrigue.
« C'est le temps que j'ai pour accomplir les missions de mon créateur : éliminer ceux qui menacent de détruire leurs mondes, dans l'espace-temps infini où sont emmagasinés plusieurs univers parallèles. » (Je mettrais « les missions transmises/imposées par mon créateur », sans quoi on a l'impression que c'est le créateur qui est chargé de ces missions.) Une première phrase riche en informations qui nous donne un contexte de base : le personnage a été créé pour maintenir l'ordre dans l'univers – dans plusieurs univers – en tuant ceux qui le menacent. On devine une histoire de science-fiction ou de fantasy : des mondes parallèles, des mondes menacés de destruction et un personnage luttant contre cela.
« Mais malgré cela, je vis seul, dans mon "territoire" où je réfléchis à moi-même, ma façon d'agir, en attendant les prochaines missions. » On découvre que, lorsque le personnage n'est pas en mission, il vit dans un espace particulier, son « territoire ». La formulation laisse penser qu'on va assister à des scènes d'introspection où le personnage questionnera ses actions. On attend un être particulier : il est seul avec ses pensées la majorité du temps, vit dans le but de tuer.
« Mais le destin * t'a* mise sur mon chemin... » (J'ai indiqué « mise » car j'ai supposé que tu parlais d'Ashley, est-ce le cas ?) On a une indication sur un évènement déclencheur qui induirait un changement dans la routine du personnage : l'irruption d'un autre personnage. On suppose que d'une façon ou d'une autre, il aura un impact sur le personnage principal, qu'il le poussera à considérer ses actions ou sa situation d'une nouvelle manière. On imagine une relation entre eux, qu'on peut supposer romantique (honnêtement, je te suis reconnaissante de t'être éloigné de cette attente) ; en tout cas, on sent que ce nouveau personnage fera basculer l'histoire.
Ce résumé me pose quelques problèmes sur la forme ; je le trouve assez maladroit. La deuxième phrase (« Mais malgré cela, [...] ») est assez mal introduite : elle commence par « Mais », or on ne voit pas l'opposition avec le paragraphe précédent. De plus, ce « Mais » fait une répétition avec la phrase suivante, je te conseille donc de l'enlever ; pour mieux la lier à la première phrase, je te conseille quelque chose comme « Quand je ne suis pas en mission, je vis seul, [...] ». De plus, le fait de mettre territoire entre guillemets me laisse perplexe. Cela donne une impression d'approximation lorsqu'on le lit : on a l'impression que tu emploies ce mot parce que tu ne trouvais pas de terme plus adapté, mais que tu n'assumes pas totalement cette utilisation et que tu t'en dédouanes avec ces guillemets. Pourtant le terme de territoire ne me semble pas inadapté, je pense que tu n'as pas besoin de ces précautions.
Je pense aussi que la dernière phrase manque de lien avec le reste du résumé. Il serait peut-être pertinent de nous donner une idée de l'état d'esprit initial du personnage, pour montrer en quoi Ashley le transforme. Actuellement la phrase tombe comme un cheveu sur la soupe : on ne comprend pas ce que le « Mais » vient contredire (s'il s'agissait de la solitude du personnage, je pense que tu aurais pu davantage insister dessus dans la deuxième phrase).
Cependant, j'aime beaucoup l'accroche du résumé, commencer par « 30 Jours » intrigue – que ce soit ou non le titre de l'histoire. Cela pose tout de suite un contexte et – contrairement à ce que j'ai dit pour le titre – cela reste une accroche pertinente même si les trente jours ne sont pas un point déterminant de l'intrigue.
Au niveau du lien au texte, le résumé est bon : il colle à l'histoire dans les faits et dans l'impression qu'il renvoie. On nous donne le contexte nécessaire pour comprendre de quoi parlera l'histoire. Je pense simplement que la deuxième phrase est superflue : la majorité de l'histoire se concentre sur ce qu'il se passe dans le monde d'Ashley, et le lieu où se trouve le personnage en-dehors de ses missions n'a pas d'influence sur l'intrigue. Je pense donc que tu pourrais supprimer cette phrase, d'autant qu'elle reste assez vague : qu'est-ce que ce territoire ? un monde parmi ceux qu'il protège, un lieu en-dehors du monde physique ? Sans plus de précisions je pense que la phrase risque d'apporter plus de confusion que d'informations.
Peut-être pourrais-tu en dire aussi un peu plus sur les enjeux de l'histoire, évoquer le fait qu'il ne s'attache à personne et se distancie de ses émotions. Cela permettrait de comprendre réellement ce sur quoi se centrera l'histoire, le conflit auquel le personnage se heurtera.
Néanmoins, ce résumé reste bien construit, il permet de comprendre quel personnage on va suivre et on peut se faire une idée du schéma de l'histoire.
EN BREF...
Ta première impression est assez complète : on connaît le thème de l'histoire, on sait quel personnage on va suivre. La couverture retranscrit bien le côté irréel de la scène qui ouvre le récit. Les trois éléments sont bien reliés les uns aux autres, ils se complètent mais ont assez en commun pour qu'on sente l'unité de l'histoire.
Ces premiers éléments peuvent néanmoins nous faire attendre une histoire un peu différente : on peut s'attendre à un personnage plus fragile, à ce que les trente jours constituent vraiment un enjeu. Néanmoins, ce n'est pas très dérangeant, le résumé introduit assez bien l'histoire pour compenser cela.
Remarques un peu chiantes sur la mise en page et la correction du texte
ORTHOGRAPHE ET SYNTAXE
Les règles orthographiques sont globalement respectées ; j'ai cependant relevé plusieurs fois des problèmes d'accords. Je pense que cela peut se régler avec une réécriture attentive ; je te conseille d'utiliser un correcteur grammatical, celui de Word si tu l'as, sinon il est sans doute possible de télécharger des correcteurs sous forme d'extensions à ajouter à ton navigateur (je sais que ça existe pour Chrome). Bon, aucun logiciel de correction n'est fiable à 100% quand il s'agit de grammaire, donc ça ne dispense pas de connaître les règles – mais c'est tout de même utile. Il y avait aussi quelques fautes sur la conjugaison ; pour les verbes du premier groupe à la première personne du singulier, attention à la différence entre le passé simple (terminaison en -ai) et au conditionnel (terminaison en -ais). N'hésite pas à me demander des précisions si ce n'était pas clair !
Il y avait quelques soucis au niveau de la concordance des temps, certains verbes étant conjugués sans raison au passé – je crois te les avoir indiqués.
J'ai également relevé plusieurs fois quelques mots ou expressions utilisés de façon incorrecte, comme « remarquer » au lieu de « distinguer » ou « en vue de » au lieu de « au vu de ». Je te conseille de vérifier la signification exacte des expressions que tu emploies au moment où tu les écris ou en réécrivant. La formulation des phrases, également, m'a parfois dérangée : les prépositions étaient parfois mal utilisées. Par exemple, lorsque tu dis « une de ses mains va vers ses yeux pour qu'elle se réveille », le « pour » sous-entend qu'Ashley met sa main sur ses yeux dans le but de se réveiller, ce qui serait assez étrange. J'ai également trouvé certaines phrases un peu alambiquées – je crois t'en avoir indiqué en commentaires ; je pense que ça se règle plus facilement en réécriture, relire ton texte à voix haute peut être assez utile pour remarquer si une phrase sonne bizarrement ou est trop compliquée pour ce qu'elle dit.
Pour les dialogues, il faut utiliser les tirets cadratins (—) et non les tirets du 6 (-). Il faut de plus un espace entre le tiret et le début du dialogue.
ORGANISATION DES CHAPITRES, MISE EN PAGE
Je pense que l'organisation des chapitres mériterait que tu te repenches dessus. En matière de longueur, c'était assez inégal – le chapitre 1 est deux fois plus long que le 2 d'après les temps de lecture donnés par Wattpad. Les découpes ne correspondent pas non plus à des évènements particuliers de l'intrigue. La plupart des coupures sont faites lorsque l'action du jour s'achève, ce qui pourrait être pertinent ; mais cela a parfois des effets indésirables. Le chapitre 1 se termine par exemple sur l'irruption d'une femme que tu prends la peine de décrire ; à partir de ce moment, tu la fais exister dans l'esprit du lecteur, tu donnes de l'importance à son personnage... et comme le chapitre se termine là-dessus, elle nous reste en mémoire. C'est donc assez perturbant de constater que, finalement, elle n'est pas utilisée par la suite. Étant donné que le chapitre 2 commence cinq jours plus tard, je pense qu'une coupure plus douce, qui ne nous laisse pas supposer qu'on s'arrête sur un moment de suspense, serait mieux adaptée. Mais, à vrai dire, je trouverais plus logique que le chapitre 1 se termine au moment où le personnage bascule dans le monde du tyran : la fin du chapitre 1 a bien plus en commun avec le chapitre 2 qu'avec le début du chapitre 1. Entre les chapitres 3 et 4, la coupure intervenait en plein dans l'action ; ça m'a donné l'impression que tu avais rédigé les deux chapitres d'un trait, puis coupé au milieu pour ne pas avoir de chapitre trop long. Je pense qu'il aurait été pertinent de chercher un endroit où la coupure aurait du sens (par exemple juste après que Simon est démasqué, ou juste après que le personnage le tue).
Plus généralement, je te conseille de réfléchir à tes coupures de chapitres en te demandant si l'évènement qui les termine a assez d'importance pour être le dernier du chapitre – puisque mettre un évènement ou une phrase en fin de chapitre augmentera automatiquement l'importance qu'on lui accordera.
Pour ce qui est de la mise en page, elle était dans l'ensemble correcte ; je n'ai que deux remarques à faire. La première concerne les pensées ; tu as choisi de les indiquer entre accolades. Ce qui me pose problème avec ce choix, c'est que ça n'a rien d'intuitif : la première fois que j'ai vu un bout de texte entre accolades, je n'ai pas compris à quoi cela correspondait. Il existe déjà des conventions pour montrer les pensées d'un personnage, qui seront plus parlantes puisque ton lecteur les aura vues écrites ainsi dans de nombreux autres livres : on les met en général en italique, plus rarement entre guillemets. Mettre la première fois « pensé-je » ou quelque chose du genre en incise pourrait aussi faire comprendre au lecteur que c'est ainsi que tu notes les pensées, mais je dois dire que je ne vois pas l'intérêt de choisir cette convention : l'attention dont le lecteur aurait besoin pour se rappeler que ce sont des pensées serait mieux employée pour comprendre l'intrigue ou l'univers de l'histoire. Les conventions d'écriture ont l'avantage de libérer un espace-mémoire chez le lecteur.
Au sujet des dialogues, tu n'as pas besoin de mettre les incises en italique, le texte « normal » suffit. De plus, certaines de tes incises ne sont pas correctes, par exemple « — Hé ! venant d'une voix féminine assez forte ». Il faut un verbe de dialogue après les paroles du personnage ; une incise n'est pas juste une indication sur la façon dont le dialogue est prononcé. Ainsi, dans l'exemple, « me lance une voix féminine assez forte » conviendrait mieux.
En-dehors de ces quelques remarques, ta mise en forme est tout à fait correcte.
Nous y voilà enfin, après ces parties un peu longues. L'avis qui va suivre sera découpé en plusieurs parties assez arbitraires. Je n'ai pas totalement suivi le classique plume – intrigue – univers – personnages car trop d'éléments de l'un se répercutent sur les autres, ce qui aurait rendu mon avis vraiment bordélique (et il n'en a pas besoin...). Il y a tout de même des renvois d'une partie à l'autre ; un texte est avant tout une unité, tous les éléments sont imbriqués, donc ce n'est pas très étonnant. J'évoque les deux points que tu m'avais demandé de traiter – l'évolution du personnage et la mise en place de l'univers – dans deux parties à la fin ; je considère en effet que les éléments évoqués dans les premières parties se répercutent sur ces deux sujets.
(Tu noteras sans doute que je n'ai jamais appelé ton personnage « Youmi » ; j'ai fait ce qui me venait naturellement, et comme je l'ai connu dans la quasi-totalité de l'histoire comme « le personnage » et pas « Youmi », il n'a pas vraiment de nom dans ma tête. Comme en plus j'aurais l'impression de parler de toi et pas de lui, j'ai préféré ne pas le nommer.)
Globalement, le squelette de l'histoire est vraiment bon malgré quelques failles ; c'est à mon avis au niveau de l'enrobage – la narration, la façon dont tu amènes les choses – qu'on trouve la majorité des points d'amélioration. C'est parti pour développer là-dessus !
Rendre l'histoire accessible et immersive
UNE PREMIÈRE SCÈNE TRÈS IMMERSIVE
C'est quelque chose qui m'a directement frappée : la toute première scène est très bien pensée pour faire entrer le lecteur dans le monde de 30 Jours. Tu nous places directement dans le lieu le plus exotique de l'histoire ; on se trouve dans la tête du personnage, on s'éveille en même temps que lui. Il prend le temps d'observer les lieux, ce qui te permet de les décrire en détail. Dès la première scène, on se trouve plongé dans un lieu complètement différent de tout ce qu'on connaît, un lieu qui dégage une ambiance très particulière (malgré quelques maladresses dans la description que j'évoquerai dans une prochaine partie).
En tant que lecteur, on comprend directement qu'on n'est plus sur Terre et on mesure tout de suite l'importance qu'aura la magie dans l'histoire puisqu'on la sent imprégner la scène. On comprend également très vite quel est le but du personnage lorsqu'on le voit interagir avec son créateur. On a également une idée rapide de ce qu'est le personnage, même si on ne connaît pas les détails on comprend qu'il a été créé pour tuer, qu'il n'a jamais connu que cela, qu'il n'est que l'objet de son créateur.
De plus, la scène a une certaine ampleur – on sent que ce n'est pas n'importe quoi, que les personnages ne sont pas n'importe qui. Tu transmets vraiment bien leur calme, leur puissance, et tu nous fais sentir que les enjeux seront à leur hauteur. On s'attend à une histoire d'envergure – des personnages et des obstacles forts. Cette première scène attire tout de suite l'attention et donne envie de poursuivre : son but est clairement rempli.
Les premiers mots de l'histoire sont eux aussi bien trouvés – un ordre donné au personnage, ce qui est assez révélateur de l'intrigue. Commencer par une phrase de dialogue avant la description permet au lecteur de savoir qu'il se passe quelque chose, qu'il n'est pas juste là à observer un lieu étrange, et de maintenir une certaine tension – une attente – avant que l'action ne commence.
Bref, c'est un début bien géré, qui plonge tout de suite le lecteur dans l'univers tout en lui donnant un bon aperçu de la suite de l'histoire.
J'ai néanmoins relevé quelques maladresses dans l'exposition ; certains dialogues et certains commentaires du personnage semblaient trop explicatifs, peu naturels. Par exemple quand il rétorque à son créateur qu'il a tué tous ses prédécesseurs (d'ailleurs ce n'est pas exact, non ? Il n'a pas tué Lola), sa réplique semblait forcée : elle sortait de nulle part et était un peu trop détaillée pour une phrase prononcée sous le coup de la colère (je ne vois que cette émotion pour justifier qu'il verbalise quelque chose qu'eux deux savent déjà). De même, le fait qu'il demande confirmation pour des règles qu'il applique depuis des centaines d'années m'a interpellée – surtout que celle sur les ailes doit être assez handicapante pour qu'il s'en souvienne... Les réponses du créateur me semblaient également trop informatives, après plusieurs siècles beaucoup de ce qu'il énonce devrait être devenu une évidence pour le personnage.
Cela restait assez anecdotique et ce n'était pas extrêmement dérangeant ; néanmoins, pour la vraisemblabilité de l'histoire, je te conseille de retravailler le texte pour éliminer ce genre de passage : ils risquent de couper l'immersion du lecteur dans l'histoire.
DONNER PLUS D'INFORMATIONS POUR IMPLIQUER LE LECTEUR
Quelque chose qui m'a dérangée à propos de l'exposition, plus que les quelques informations données maladroitement – ce qui n'était qu'épisodique –, c'est justement son absence sur certains sujets. L'histoire débute alors que le personnage a déjà bien vécu, il est familier de son univers ; ce n'est pas notre cas. On ignore tout des lois de ton univers, de la façon dont sa magie fonctionne.
Certes, le système de magie semble complexe, tout comme les lois imposées au personnage par son créateur. Les expliquer en huit chapitres n'a rien d'une évidence. De plus, tu en dis assez pour qu'on soit capable de suivre : même en n'ayant lu aucun de tes livres connectés à 30 Jours, je comprenais les évènements. Ce qui m'a manqué n'était pas de comprendre, mais de participer.
Avant que je n'aille plus loin, je préfère préciser que la suite de cette sous-partie n'est valable que si tu considères que 30 Jours peut se lire indépendamment de tes autres histoires. Je l'ai supposé puisque tu as demandé une critique sur cette histoire uniquement, mais si ce n'est pas le cas, cette sous-partie ne te sera sans doute pas très utile.
Ce que j'entends par participer, c'est, en tant que lecteur, de s'impliquer dans l'intrigue, de suivre le cheminement de la pensée des personnages, de chercher des solutions avec eux... Tout ce qui nous pousse à faire vivre l'histoire dans notre tête, plutôt que de juste la suivre à distance. Et, pour cela, il faut avoir les clés pour comprendre les enjeux. Si le personnage est confronté à un obstacle, cela signifie comprendre pourquoi cet obstacle le bloque, pouvoir envisager des solutions et connaître leur coût, et au contraire savoir ce qui n'est pas envisageable. Si le personnage découvre quelque chose qui le sidère ou l'attriste, cela signifie savoir en quoi c'est surprenant/triste/...
Par exemple, lorsque le personnage cherche à s'introduire chez Ixnior, en tant que lecteur, on ne peut pas s'interroger avec lui. Les défenses d'Ixnior sont bien expliquées, on connaît les obstacles ; mais on ignore totalement ce dont le personnage est capable. C'est en grande partie pour cela que je t'ai demandé pourquoi il ne pouvait pas jouer sur la surprise en se téléportant : parce que rien ne me permettait d'éliminer cette option (si ce n'est la quasi-certitude que tu n'allais pas créer un système de magie qui soit aussi favorable à ton personnage). Tu m'as dit que c'était « mal connaître notre façon de penser » : c'était justement – en quelque sorte – la raison de ma question : je n'avais aucun moyen de connaître cette façon de penser et, à cette étape du récit, cela m'empêchait de vivre l'histoire.
En voyant un personnage tenter de contourner un obstacle, on a tendance à réfléchir avec lui, et à envisager d'abord les solutions les plus simples. À ce moment – et ce même si on se doute que ça sera plus complexe – on s'étonne que le personnage n'y pense pas aussi. On ne peut plus suivre la situation de son point de vue, il nous manque des clés.
Dans ce genre de cas, je te conseille donc de permettre au lecteur de se faire une idée des capacités du personnage avant de lancer une scène où il s'interroge sur sa stratégie. Ici, je pense qu'il aurait fallu que tu donnes des limites à sa magie, même si elles restent larges. Cela restait très vague jusqu'au moment du combat avec Ixnior : on savait qu'il était puissant, mais à quel point ? Pour cela, tu peux par exemple montrer une scène de combat « didactique », sans enjeu, où l'on sait très bien qu'il va gagner mais qui nous permet d'évaluer ses pouvoirs. La scène dans le chapitre 1 pourrait jouer ce rôle si elle était plus développée (on pourrait le voir penser à ses opportunités en même temps, ce qui nous permettrait de savoir ce qu'il est capable de faire). Un autre moyen est de le faire penser à sa magie, par exemple se souvenir du moment où il a appris à la maîtriser, à connaître son potentiel et ses limites ; ou encore, si c'est assez simple pour ne pas en devenir pesant, d'expliquer comment elle fonctionne – ce qui nous permettrait de déduire ses limites.
J'ai beaucoup détaillé cet exemple mais c'est quelque chose que je te conseillerais de faire assez souvent : à chaque moment-clé, te demander si le lecteur en sait assez pour participer activement à l'histoire en cherchant des solutions aux problèmes présentés. De la même manière, je pense que tu pourrais expliquer l'Héritage avant que le personnage ne l'utilise (tu le fais un peu en parlant de Lola, je pense que ça serait l'occasion de développer davantage).
Un vocabulaire riche parfois mal employé
LE CHOIX DU VOCABULAIRE
Tu as un vocabulaire développé, ce qui rend le texte plus agréable à lire. Cela donne plus de force à certains de tes passages et c'est plutôt bien utilisé. Grâce à cela en partie, les descriptions dans le premier et le dernier chapitre permettaient de visualiser vraiment l'endroit et y instillaient une véritable ambiance. C'est un point que j'ai beaucoup apprécié.
Néanmoins, j'ai trouvé qu'à certains moments il n'était pas très adapté. Comme je l'ai mentionné dans une partie précédente, certains mots n'étaient pas utilisés avec la bonne signification, ce qui empêchait de s'immerger totalement dans le texte. Une ou deux fois, ce n'est vraiment pas grave (d'ailleurs je ne l'ai pas toujours remarqué en première lecture, il m'a parfois fallu relire pour m'en rendre compte ; preuve que ce n'était pas si dérangeant), mais cela s'est répété et ça a fini par être quelque chose qui m'interpellait fréquemment.
De plus, je pense que le registre de langue manque de cohérence. La majorité du texte est écrite dans un niveau de langue plutôt classique, racontée sur un ton calme voire distant, mais il y avait régulièrement des incursions d'un langage plus familier qui donnait une impression de proximité. Un exemple, lorsque tu décris Ixnior dans le chapitre 1 : après une description dans un registre classique, tu enchaîne sur « Les vêtements de cet humain sont dans le même délire » – une phrase qui détonne sans raison par son niveau de langue. Lors des combats, tu utilises souvent claquer pour un coup (« lui claquer un uppercut », « lui claque un coup de poing ») quand d'autres termes seraient mieux adaptés au registre du texte : tu peux utiliser asséner, envoyer, ou en modifiant la phrase frapper, attaquer... (Il y a sans doute plein d'autres possibilités que je ne connais pas, les combats n'étant pas du tout mon domaine.)
Je ne veux pas dire qu'il ne faut pas utiliser le langage familier, cela peut être un choix très pertinent – même si je pense qu'ici il s'accorderait mal avec le personnage –, mais il faut alors rester dessus pour le reste de l'histoire ; ici, on passait du langage courant au langage familier sans transition, à de brefs moments. Ceci pourrait encore une fois se justifier, on peut par exemple imaginer que le langage devienne familier lorsque le personnage est en colère. Néanmoins, ici je n'avais pas l'impression qu'il y avait une raison particulière : l'état d'esprit du personnage ne semblait pas particulièrement différent. Cela m'amène à penser que ces changements étaient involontaires. Je te conseille d'y faire attention : cela peut vite casser le rythme, en modifiant brusquement le niveau de langue tu crées une rupture dans le texte qui peut sortir le lecteur de l'histoire. On ne s'en rend pas compte en écrivant – cela peut venir naturellement à cause d'un changement d'humeur, ou on peut écrire une phrase dans un autre registre parce que sur le coup on ne voit pas comment l'exprimer autrement –, mais en relisant ton texte après coup je te conseille de te poser la question. Ces moments restaient assez rares, mais ils m'ont parfois dérangée.
LES VERBES FAIBLES
(Je ne sais pas si tu as déjà lu des trucs dessus, si c'est le cas je suis désolée pour ce rappel inutile.) On appelle « faibles » tous ces verbes qu'on a naturellement tendance à utiliser (je préfère ne pas les compter dans cet avis...) : être, avoir, faire, dire, sentir, donner... S'ils sont si courants, c'est parce qu'ils sont passe-partout – ils peuvent avoir une multitude de significations – et faciles à utiliser. Ils pullulent dans les phrases qu'on prononce à l'oral et, parfois, dans nos textes. Si je t'en parle, c'est bien parce que j'ai eu l'impression qu'il y en avait un peu trop dans ton texte. (Je ne les ai pas comptés, je ne verrais pas l'intérêt de le faire. J'ai vu des gens préconiser moins de 10-15 % de verbes faibles dans un texte et peut-être que ça marche, mais intuitivement j'en doute : l'impact d'un verbe faible varie énormément selon le verbe en question et le contexte.)
Le problème des verbes forts est l'envers de leur avantage : ils sont passe-partout, donc imprécis. Ils ne disent rien – ils n'apportent pas d'information en eux-mêmes. Un ou deux dans un texte, ce n'est pas un problème. Ils sont parfois indispensables et les supprimer à l'excès peut rendre les phrases alambiquées et incompréhensibles. Mais en accumuler trop peut donner une impression de lourdeur au texte et le rendre assez plat. Lorsque c'est possible, remplacer un verbe faible par un verbe plus précis donnera plus d'énergie à la phrase. Par exemple, lorsque tu décris Ixnior, tu écris « Sa jambe droite est repliée pour poser son pied sur sa jambe opposée, son bras gauche est couché sur l'accoudoir, et sa tête est posée contre son poing droit ». Cette description est assez passive ; personnellement, je visualisais la position d'Ixnior mais je le voyais comme un tableau figé. Avec une description plus précise, j'aurais imaginé la scène en mouvement, ce qui lui aurait donné plus de vie. Remplacer les « est » par des verbes plus précis, quitte à réarranger un peu les phrases, t'aurait forcé à caractériser davantage l'attitude d'Ixnior, au-delà de sa position. En effet, la description ne m'a pas permis de comprendre ce qu'il dégageait : avait-il l'air nonchalant, pensif, effrayant, ridicule, ... ? Je pouvais le visualiser, mais pas m'imaginer en face de lui.
De plus, l'usage excessif des verbes faibles peut rallonger inutilement certaines phrases, ce qui renforce l'impression de lourdeur. Ainsi, lorsque tu écris « Je me déplace très vite pour me retrouver devant les civils, leur faisant dos pour faire face aux gardes encore surpris », le « faire dos/faire face » crée une répétition un peu dérangeante et peut être remplacé de façon plus concise, par exemple « Je me précipite en face des gardes encore surpris, protégeant de mon corps les deux civils ». De même, quand tu dis « le tyran a son corps qui roule au sol », il est plus rapide et plus expressif de dire « le corps du tyran roule au sol ».
Je te conseille de veiller à cela en relisant ; la présence d'un verbe faible peut indiquer une phrase trop vague ou peu optimisée, auquel cas il est pertinent de remplacer. En relisant le premier chapitre, j'ai constaté que les paragraphes qui m'impliquaient le plus étaient justement ceux où le nombre de verbes faibles était le moins important ; les descriptions étaient alors plus efficaces.
LES RÉPÉTITIONS
Je dois dire que c'est quelque chose qui m'a pas mal intriguée. D'un côté, tu as un vocabulaire développé qui te permet de varier les tournures de phrase et les expressions employées. De l'autre, j'ai constaté pas mal de répétitions, surtout dans les descriptions. Ç'en est devenu assez dérangeant, cela m'empêchait de m'immerger totalement de la scène : je ne sais pas si tu verras ce que tu veux dire, mais personnellement lorsque je lis, j'« entends » le texte récité dans ma tête, si bien que les accrocs comme les répétitions et les phrases mal formulées ressemblent à des « fausses notes ». Quand il y en a trop, cela me déconcentre de l'histoire.
Pour repérer les répétitions, je te conseille de lire ton texte à voix haute : cela oblige à le lire d'une façon plus distanciée que si tu le relisais juste dans ta tête, à t'attarder sur chaque phrase au lieu de survoler les passages que tu connais bien. Cette technique fonctionne plutôt bien pour moi. Si ce n'est pas le cas pour toi, je pense qu'il est possible de trouver un logiciel qui détecte les répétitions ; il paraît qu'Antidote le fait, mais cela doit être faisable aussi sur un logiciel gratuit (même le logiciel LaTeX, conçu pour rédiger des articles scientifiques, les détecte, donc il doit exister pas mal de logiciels de détection gratuits pour les ouvrages littéraires).
Une fois que tu les as repérées d'une façon ou d'une autre, tu as plusieurs façons de t'en débarrasser :
▣ La plus évidente, lorsque c'est possible : remplacer par un synonyme. Lorsque tu n'en trouves pas, je te conseille le site Crisco, qui est le plus complet que j'aie pu trouver. Malheureusement, remplacer n'est pas toujours possible : même quand il existe des synonymes au mot en question, il faut encore qu'ils ne détonnent pas parmi le texte (s'ils créent un changement de niveau de langue non justifié ou tranchent pour une quelconque raison sur le reste du texte, une alternative peut être préférable) ; de plus, il y a la plupart du temps de petites variations de sens entre deux synonymes, qui peuvent devenir cruciales dans le texte. Remplacer ne suffit donc pas toujours.
▣ La deuxième solution est donc de reformuler les phrases. Le cas « basique » serait de transformer « A est X, B est X » en « A et B sont X », plutôt que de rechercher un synonyme à X – même si c'est rarement aussi évident. Ainsi, tu peux te demander si les deux phrases/bouts de phrases où le mot est répété ne peuvent pas être mises en commun ou regroupées par une préposition.
Pour prendre un exemple dans le texte, lorsque tu décris sa tenue au tout début, tu peux bien sûr trouver des synonymes au mot « bleu » – azur, céruléen, cobalt, ciel, ... Tu peux aussi de temps à autre utiliser une expression comme « de la même teinte ». Mais un moyen plus simple, et moins lourd, peut être de dire au tout début que l'ensemble de sa tenue est en différentes teintes de bleu, puis de reprendre ta description en enlevant les descriptions de couleur (et en indiquant des nuances comme sombre, clair, profond lorsque c'est nécessaire). Du point de vue du lecteur, cela a une certaine logique : on nous indique d'abord l'apparence d'ensemble (le personnage est bleu), puis on décrit de façon plus détaillée, ce qui donne l'impression de le voir de plus en plus près.
Je n'ai pas d'autre moyen de lutter contre les répétitions, mais je pense que ceux que je t'ai donnés sont suffisants pour éradiquer la plupart d'entre elles. Je ne conseille pas non plus de faire de l'excès de zèle : une répétition de temps en temps est moins dérangeante qu'une suite de phrases alambiquées et de synonymes tordus.
Des scènes parfois peu immersives malgré le potentiel de l'écriture
AMÉLIORER LES DESCRIPTIONS STATIQUES
Un autre contraste qui m'a frappée, dans ta façon d'écrire, c'est le contraste entre les descriptions statiques – les lieux et les personnages, principalement – et mobiles – les actions et les combats. En effet, j'ai souvent eu du mal à me sentir impliquée dans les descriptions statiques, qui m'ont pour la plupart paru assez lourdes, alors que j'ai trouvé les combats très immersifs. Celui dans les chapitres 3 et 4 était vraiment bien rédigé. Il y avait quelques maladresses correspondant aux points que j'ai cités dans la partie précédente, mais l'action était tout de même vraiment prenante.
Je me suis dit au début que mon impression sur les descriptions statiques venait des points que j'ai cités plus haut. Il est vrai qu'ils l'expliquent en partie, mais cela ne suffit pas : j'ai constaté les mêmes défauts dans les descriptions d'actions, qui ont pourtant réussi à m'impliquer réellement. Je pense qu'il y a autre chose, une sorte d'« intention » derrière la description – la raison pour laquelle elle est faite – qui manquait dans la plupart des descriptions statiques mais dont on n'avait pas besoin dans les descriptions de combat. Le personnage raconte le combat parce qu'il y participe, tout simplement ; mais pour qu'il décrive un lieu ou un personnage, il faut qu'il y ait une raison, qu'on puisse en tant que lecteur le sentir l'observer avec nous.
Ainsi, le tout début du premier chapitre m'a vraiment immergée : on nous décrivait un lieu complètement étranger et j'avais l'impression que le personnage l'observait en guidant mon regard (l'ordre « Lève-toi » et la description qui a suivi me donnait l'impression que le personnage venait d'arriver, ou de s'éveiller, et qu'il observait un lieu familier dont il avait été éloigné un moment). En revanche, lorsque le personnage a commencé à se décrire lui-même, j'ai senti mon intérêt faiblir : je n'étais plus impliquée dans la scène. En effet, je ne comprenais pas ce qui pouvait pousser le personnage à décrire sa propre apparence, et je ne voyais pas comment cette c'était possible : il semblait se voir d'un point de vue extérieur, comme devant un miroir – sans que cet objet ne soit mentionné –, à croire qu'il n'était plus le narrateur.
C'est par la suite ce qui m'a gênée avec les descriptions : je n'avais pas l'impression que c'était le personnage principal, censé être le narrateur, qui les formulait. Elles semblaient faites d'un point de vue plus général, comme si l'histoire était écrite en focalisation externe ou omnisciente.
Ainsi, lorsque tu fais une description d'un lieu ou d'un personnage, je te conseille de t'assurer que ton personnage a une raison de la faire – pourquoi vient-il à y penser ? De plus, n'hésite pas à faire intervenir ton personnage dans la description, en montrant sa subjectivité – qu'il trouve un élément beau, laid, inhabituel, impressionnant, ridicule, ... Il peut aussi comparer cela à son expérience passée : cela peut lui rappeler un objet/lieu/personnage semblable qu'il a déjà connu. L'idée est de rappeler dès que possible que la description n'est pas faite par n'importe qui mais qu'on se trouve dans l'œil du personnage, qu'on voit à travers lui.
CRÉER UNE AMBIANCE
Je pense que c'est quelque chose sur lequel tu pourrais davantage t'attarder. Les descriptions sont très fonctionnelles et assez claires (ça m'a particulièrement marquée dans les combats, qui étaient vraiment clairs et faciles à visualiser – ce qui est loin d'être évident).
Néanmoins, je pense que tu n'utilises pas tout le potentiel d'une description. On ne décrit pas juste pour permettre au lecteur de visualiser la scène – une description permet aussi d'installer une ambiance particulière, de plonger davantage encore le lecteur dans les scènes. C'est quelque chose qu'il serait intéressant d'exploiter plus en profondeur, je pense : cela permet de faire passer énormément de choses, de rendre les sentiments des personnages réellement prégnants.
Je te conseillerais principalement de jouer sur les cinq sens, car ils permettent de décrire des impressions très variées, ce qui donne l'impression au lecteur d'être vraiment « là » :
▣ La vue et l'ouïe sont très adaptées pour décrire une impression « d'ensemble » : les teintes dominantes d'un lieu (claires ou sombres, chaudes ou froides, ternes ou explosives, ...), le bruit qui domine, ou bien un silence total.
▣ Le goût et le toucher, au contraire, permettent de décrire des impressions plus détaillées de façon très immersive. Décrire la texture des objets que touche le personnage, dire que tel goût s'infiltre dans sa bouche, permet de donner une véritable consistance à la scène.
▣ L'odorat s'adapte assez facilement aux deux, et a pour avantage d'impliquer l'appréciation du lecteur, au sens où peu d'odeurs laissent indifférent.
Bien sûr ce ne sont que des idées générales, tout peut être très différent dans certaines situations. (Si tu veux plus de détails, j'ai digressé là-dessus dans la critique précédente, celle de Servitude ; je peux t'y taguer si tu le souhaites.)
Ainsi, lorsque le personnage décrit la ville dans le chapitre 1, il pourrait être intéressant de la décrire plus en profondeur, pour faire sentir au lecteur en quoi elle est désagréable – ce qui permettrait de justifier le « Je déteste votre monde » que pense le personnage par la suite. Tu peux par exemple décrire, de loin, l'ambiance visuelle, sonore et olfactive de la ville afin de traduire le chaos et/ou le désespoir, et renforcer cela en décrivant, de façon plus resserrée, l'immeuble dans lequel s'est réfugié le personnage.
De même, dans la salle du trône d'Ixnior, pour renforcer la tension lorsque le personnage croit qu'il a été découvert, tu peux mettre en valeur le silence et l'immobilité des soldats, l'excitation contenue. Dans ce genre de moment, insister sur les sensations internes du personnage peut aussi être pertinent – que ce soit pour montrer son stress (avec un cœur qui s'affole, un goût amer dans la bouche, le souffle qui se bloque) ou au contraire sa sérénité (respiration profonde, pulsation cardiaque normale).
Plus généralement, lorsque le personnage vit quelque chose d'intense émotionnellement, une description adaptée des sensations physiques et parfois de l'environnement peut permettre de renforcer l'implication du lecteur dans le personnage : on peut avoir tendance à projeter ses émotions sur ce qui nous entoure – particulièrement lorsque, comme ton personnage, on rejette ses émotions pour se persuader qu'on ne ressent rien.
SHOW, DON'T TELL
C'est un outil assez classique dont tu as probablement entendu parler, mais il me semblait adapté de l'aborder ici. Son but est de renforcer l'immersion du lecteur dans la scène en lui permettant de la vivre au lieu de juste lui expliquer ce qu'il se passe.
Cet outil est assez large, certains des conseils que je t'ai donnés y sont reliés. Par exemple, le fait d'utiliser les cinq sens pour les descriptions en fait partie : au lieu de donner le résultat au lecteur (dans l'exemple « cette ville est détestable »), l'idée est de lui permettre de parvenir seul à cette conclusion (dans l'exemple, en décrivant la ville de manière suffisamment vivante pour qu'il puisse se l'imaginer).
Je te conseille de l'utiliser lorsque tu cherches à faire éprouver une certaine émotion au lecteur, ou lorsque tu veux lui montrer ce que le personnage ressent (parfois même quand celui-ci n'en est pas conscient). C'est surtout pertinent aux moments clés de l'histoire, lorsque l'intrigue bascule : le Show, don't tell permet alors au lecteur de partager totalement l'état d'esprit du personnage, et donc de comprendre ses choix – ce qui peut être crucial dans l'histoire.
En jouant sur le vocabulaire employé, sur la longueur des phrases, en utilisant des figures de style adaptées, on peut faire en sorte que le passage colle parfaitement à l'émotion qu'il cherche à suggérer. C'est quelque chose que tu réussissais vraiment bien à la fin du texte, je trouve. Lorsque le personnage meurt et dit adieu à Ashley, le texte dégageait une véritable impression de tristesse et de fatalité. Tu n'avais pas besoin d'écrire que les personnages étaient tristes : on le ressentait grâce au ton du texte. Je te conseille de t'inspirer de ce que tu as fait dans cette fin pour appliquer cela aux autres passages.
Je pense notamment aux passages où le personnage prend une décision importante. Lorsqu'il décidait de de tuer Simon, de recueillir Ashley, de rester pour elle, ses émotions et ses pensées étaient survolées. J'ai trouvé cela dommage car c'est précisément à ces moments qu'on voudrait partager ses émotions, suivre le cours de ses pensées, afin de comprendre dans le détail ce qui motive cette décision. Lors des moments charnières comme ceux-ci, n'hésite pas à détailler, à t'attarder sur le moindre aspect des sentiments du personnage, à donner au lecteur toutes les clés pour les comprendre – ce qui ne signifie pas marteler que le personnage est triste, mais rappeler au moment adéquat les causes de sa tristesse, les décortiquer lorsque ce n'est pas évident.
À certains moments dans le texte, j'ai trouvé que cela manquait vraiment : le narrateur affirmait quelque chose, mais je n'avais pas l'impression de le voir. Ce n'était pas avec les émotions, mais avec les descriptions de paysages ou de personnage. Par exemple, lorsque le personnage s'apprête à tuer Ixnior, tu affirmes que les battements de ses ailes donnent un côté mythique à la scène. Mais puisque ce n'était pas justifié, cela faisait surtout assez vantard : rien dans le texte ne nous permettait de sentir ce côté mythique. Plutôt que de le dire, tu aurais pu ici le suggérer : parler de ses ailes déployées en donnant une idée de leur envergure, évoquer leur lent battement, ... Utiliser des phrases plus longues pour faire écho à la lenteur et à la majesté de sa marche peut aider, de même que jouer sur le vocabulaire en élevant un peu le niveau de langue – sans verser non plus dans la caricature, mais cette précaution peut être prise par la suite lors d'une réécriture.
UNE ÉCRITURE TRÈS CINÉMATOGRAPHIQUE
J'ai mis un moment à le remarquer, mais ensuite cela m'a semblé assez difficile à manquer : ta façon d'écrire a quelque chose de « cinématographique », comme si tu rédigeais le synopsis d'un film ou que tu retranscrivais ce que tu voyais à l'écran. Si je me fie à tes réponses à certains de mes commentaires, il y a en effet une certaine inspiration des animes.
Cela a de nombreux points positifs. C'est, je pense, ce qui rend tes combats immersifs : ce genre de scène « passe » généralement bien mieux à l'écran, où on peut gérer plusieurs actions simultanées, faire effectuer à son personnage des mouvements délirants sans avoir besoin de se casser la tête à les décrire, montrer un enchaînement de causes et de conséquences tout en gardant le rythme du combat et l'impression de chaos, ... Tes scènes, si elles n'échappent pas à quelques maladresses ponctuelles, ont réussi à conserver cela.
De plus, même si je ne saurais pas expliquer pourquoi, j'ai trouvé que la scène finale, lorsque le personnage disparaît, était très visuelle, j'avais vraiment l'impression de la voir se jouer devant moi. C'était vraiment réussi et cela rend cette scène assez marquante.
Cependant, cette façon d'écrire a aussi quelques désavantages. Comme au cinéma, on reste assez distant du personnage : on est derrière son épaule, pas dans sa tête ; je développerai là-dessus dans la partie suivante. Les cinéastes ont développé des astuces pour pallier cette distance ; par exemple on va faire parler un personnage à voix haute pour exposer certaines de ses pensées. C'est quelque chose que tu fais dans le chapitre 2, où le personnage prépare son attaque. Avec un personnage ordinaire, je n'y aurais rien trouvé à redire : parler à voix haute est quelque chose d'assez courant lorsqu'on veut se donner l'illusion d'une illusion. Mais ce qui me pose problème, c'est justement que ce personnage n'a rien d'ordinaire. J'ai du mal à le voir avoir besoin de simuler une discussion, sachant qu'il vit la plupart du temps dans la solitude et que c'est ainsi qu'il semble avoir été élevé. Je dois dire que je vois mal d'où il pourrait avoir tiré ce besoin de dialogue. Après on entre dans quelque chose d'assez spéculatif et je n'ai pas toutes les informations sur ton personnage, donc je préfère ne pas trop m'avancer.
Quelque chose qui m'a semblé plus dérangeant, c'est que tu retranscrivais dans l'histoire des éléments graphiques plus liés aux animes. Ce n'était pas toujours dérangeant, certains éléments donnaient plus d'originalité et de présence aux scènes – surtout encore une fois dans les combats, par exemple les plateformes que le personnage créait pour y prendre appui.
Mais d'autres éléments qui « passent bien » représentés à l'écran ne fonctionnaient plus trop à l'écrit – du moins c'est l'impression que j'ai eue. Le fait que (dans le chapitre 1) le personnage frappe le sol du poing, par exemple, est une liberté qu'on peut prendre dans un anime parce que ça « rend bien » ; mais à l'écrit, l'action paraît surtout étrange – sans une explication, difficile de comprendre pourquoi il fait cela. Tu parlais d'ascendant psychologique, mais cela me semble tiré par les cheveux : il est presque capable de tuer tous les soldats d'un geste, il n'en a pas besoin. De plus, voir quelqu'un frapper le sol du poing n'est pas spécialement effrayant – détruire quelque chose serait par exemple plus efficace.
De même, avant le combat avec Ixnior, tu dis que les cheveux de ce dernier se soulèvent. Encore une fois, ça passe plutôt bien dans un anime : c'est un détail graphique qui contribue à l'aura du personnage, mais on ne va pas y prêter assez d'attention pour chercher une explication. En revanche, à l'écrot, on va se poser des questions : comment se fait-il que ses cheveux se soulèvent, y a-t-il un courant d'air ? Pourquoi est-ce mentionné, que faut-il comprendre ?
Transposer ce qui marche à l'écran dans un texte n'est pas toujours évident. Un élément représenté au cinéma peut être anecdotique, mais renforcer l'ambiance. Le spectateur n'y prêtera pas forcément attention spécifiquement, mais il contribuera à l'impression générale qu'il retiendra de la scène. En revanche, dans un texte, tout élément mentionné attirera l'attention du lecteur au moins le temps qu'il mettra à le lire ; il y cherchera donc une explication, un intérêt... Ainsi, montrer des comportements irréalistes ou des actions impossibles parce qu'ils renforceront l'ambiance de la scène risque de ne pas fonctionner. Si certaines transpositions cinéma-littérature sont immédiates, d'autres éléments demandent une réflexion spécifique à la littérature.
Pour montrer par exemple la puissance d'Ixnior, tu disposes d'outils dont les cinéastes sont privés, ou qu'ils peuvent utiliser moins facilement. Tu peux utiliser des effets de style pour décrire sa stature, sa démarche, son apparence. Tu peux aussi plus facilement te servir de l'impact qu'il a sur les autres personnages. Je doute qu'il impressionne réellement le personnage principal, en revanche il a probablement une influence sur les soldats, qui peuvent être écrasés et/ou effrayés par sa prestance. L'écrit t'offre la possibilité de t'attarder sur un détail microscopique, de le décortiquer pour en extraire son sens, montrer en quoi il traduit une interaction entre deux personnages, une caractéristique d'un objet/personnage/lieu... Je pense que tu pourrais rendre 30 Jours plus immersive en exploitant davantage cette facette de l'écriture.
Un personnage parfois trop peu accessible
DÉVELOPPER LES ÉMOTIONS
C'est peut-être une conséquence de l'écriture cinématographique dont je parlais plus haut – on n'est pas dans la tête du personnage mais à côté de lui – : je ne me suis pas sentie proche du personnage, je le voyais de l'extérieur malgré l'emploi du « je ». En effet, ses émotions prenaient très peu de place dans le récit, on savait assez rarement ce qu'il ressentait.
Cela n'a pas que des inconvénients. Le fait que le texte reste très factuel permettait de se plonger dans ce qui doit être le véritable état d'esprit du personnage. À travers ce qu'il nous disait, je l'imaginais très détaché de lui-même, entièrement absorbé par sa tâche. L'idée d'une émotion semblait lui être étrangère, il avait l'air de nier tout ce qu'il pouvait ressentir et donnait presque l'impression de fonctionner comme un robot. Cela colle avec le but dans lequel il a été créé – lorsque notre unique raison de vivre est de tuer des gens, il vaut mieux ne pas ressentir trop d'émotions... Ainsi, le texte me montrait un personnage froid, très solitaire, avant tout dévoué à ses missions. Ce qui est sans doute assez proche de ce qu'il dégage effectivement.
Le problème, c'est que ce personnage-là, c'est ce qu'il montre – aux autres, à lui-même... Mais ce n'est pas ce qu'il est. Le concept d'émotion lui est sans doute étranger, en effet – je suppose que personne ne lui a jamais appris quoi que ce soit à ce sujet –, pourtant il en ressent, sans quoi il n'aurait pas agi ainsi avec Simon et Ashley. Le fait de ne pas décrire ses émotions nous isole de lui, surtout aux moments où il prend des décisions inhabituelles ou importantes, comme pour Simon et pour Ashley ; on ne comprend pas vraiment l'origine de ses actions et, plutôt que de vivre l'histoire avec lui, on l'observe sans y être vraiment impliqué.
Je pense donc que les émotions du personnage mériteraient d'être creusées aux passages-clés, lorsqu'elles lui font prendre des décisions qui contrastent avec ses habitudes. Cela permettrait au lecteur de mieux comprendre l'intrigue dans sa globalité et, surtout, de vivre l'histoire dans la peau du personnage, d'être emporté dans son esprit jusqu'à partager son impression que sa décision est celle qui s'impose – la seule solution viable.
Ainsi, au moment où il décide de sauver Simon, tu nous dis qu'il agit par instinct, qu'il ne comprend pas ce que veulent son corps et sa magie avant que les choses ne se fassent. C'est en effet assez pratique, pas besoin de justifier son action. Mais cette praticité a un coût : en tant que lecteur, on est moins impliqué dans cette décision. On ne la vit pas : on y assiste. Pourtant, même s'il ne le conscientise pas, il doit bien ressentir quelque chose vis-à-vis de la situation. L'impulsion de sauver Simon ne vient pas de nulle part : elle demeure contrôlée par son cerveau, même si cela se fait à un niveau inconscient. Il y a donc des éléments dans la scène à laquelle il assiste qui éveillent en lui certaines émotions, qui seront elles-mêmes à l'origine de sa décision. Je pense qu'il serait pertinent de montrer ces émotions, de les faire ressentir au lecteur. Pour cela tu n'as pas besoin de les nommer – on en revient au Show, don't tell – ; il serait même plutôt logique qu'elles restent implicites, le personnage n'en ayant sans doute pas conscience à ce moment. Ainsi, on partagerait l'urgence qu'éprouve soudain le personnage à sauver Simon. Insister par la suite sur son incompréhension face à ce geste inhabituel serait également pertinent, je pense : en plus de nous plonger dans l'état d'esprit du personnage, cela nous permettrait de comprendre l'importance qu'aura sa décision sur son évolution future.
En effet, développer les émotions ne sert pas juste à plonger le lecteur dans la scène : l'intensité des émotions ressenties sert aussi d'indicateur concernant l'importance de la scène. On se souviendra mieux d'une scène riche en émotions, où les évènements sont analysés et décrits en profondeur, que d'une scène moins subjective ou plus rapide. T'attarder sur les émotions du personnage marque le lecteur et lui indique que la scène joue un rôle important dans le récit – dans le cas du sauvetage de Simon, c'est la première fois que le personnage se montre humain et irrationnel, et ça laisse présager sa façon d'agir plus tard avec Ashley.
LES PENSÉES DU PERSONNAGE
Un autre moyen de renforcer le lien entre le personnage est le lecteur est de plonger plus profondément dans son esprit, dans ses pensées, de rendre son « fonctionnement » accessible.
En effet, les pensées « immédiates » sont très bien gérées. À tout moment, on sait ce que pense le personnage de la situation présente, ce qu'il prévoit de faire pour répondre aux enjeux immédiats. C'était vraiment visible juste avant le combat avec Ixnior où on le voyait se préparer à chaque éventualité, et cela permet de renforcer le côté mécanique qui lui sert de façade.
Néanmoins, je pense que le fonctionnement interne du personnage, ce qui se cache derrière ses pensées immédiates, aurait pu être dévoilé au lecteur. Le voir réfléchir nous permettrait de le connaître bien mieux et de nous projeter en lui. C'était un peu ce que tu faisais dans le chapitre 2, lorsqu'il préparait le meurtre d'Ixnior, et malgré les quelques défauts que j'ai trouvés à la scène, cela nous permettait de nous projeter dans son esprit et d'imaginer la scène avec lui.
Je te conseille donc de le faire réfléchir aux éléments-clés de l'histoire, de le pousser à questionner son propre fonctionnement. C'est quelque chose qu'on voit à la toute fin mais cela m'a semblé un peu rapide ; il aurait été intéressant de le voir réfléchir à plusieurs reprises au sujet de son interaction avec les autres, ce qui nous aurait permis de le voir évoluer. Ainsi, si au début de l'histoire il abordait ce même sujet – par exemple suite à une question d'un rebelle sur sa solitude –, on pourrait le voir penser d'une manière totalement différente. Développer les pensées du personnage aurait donc le double avantage de nous aider à comprendre comment il réfléchit – donc de nous rapprocher de lui –, et de nous permettre de mesurer son évolution.
De même, je pense que tu pourrais davantage jouer sur ses souvenirs. Il a vécu des centaines d'années, affronté des situations très variées, rencontré (même très superficiellement) des milliers de personnes. En bref, il s'est forgé une multitude de points de repère. Il serait donc logique de le voir repenser, lorsqu'il affronte une certaine situation, à un évènement passé, à une ancienne rencontre, à une réflexion qu'il s'était faite... qui y font écho. Cela nous permettrait de mieux le connaître : on aurait plus d'informations sur son passé et on comprendrait comment celui-ci l'a modelé. De la même façon, n'hésite pas à développer sur son enfance : je dois dire que je serais curieuse d'en savoir plus sur la façon dont il a été élevé, et je pense que c'est une information cruciale pour pouvoir le comprendre.
Il serait intéressant aussi de développer son lien avec ses prédécesseurs. Il évoque déjà à plusieurs reprises certaines de leurs actions en réponse à tel problème, mais je pense que cela pourrait être généralisé. A-t-il des souvenirs de liens entre un de ses prédécesseurs et un humain, ou ces relations sont-elles inexistantes ? Qu'en pensaient les autres enfants étoilés ? Avaient-ils parfois envie de devenir humains ? Avaient-ils conscience de ce dont ils étaient privés ? Il serait intéressant d'avoir les réponses à ces questions, d'autant que cela pourrait étayer la réflexion du personnage principal.
LE POINT DE VUE UTILISÉ
Je pense que ce point mériterait plus de réflexion. Le point de vue est souvent quelque chose qu'on choisit sans vraiment y penser, mais ici je pense que cela mériterait d'y réfléchir un peu.
En effet, l'histoire est techniquement racontée au point de vue interne – avec un narrateur qui parle à la première personne, il n'y a pas trop le choix. Techniquement, c'était respecté : on restait du point de vue du personnage principal, on ne savait ni ce qu'il se passait en son absence, ni ce que pensaient les autres personnages. Pourtant, l'histoire m'a fait l'effet d'un point de vue externe, ou plutôt omniscient mais très détaché. En effet, on connaissait les pensées immédiates du personnage principal mais une certaine distance demeurait : j'avais l'impression de le voir de l'extérieur.
Le problème est que cela créé un décalage, une incompréhension. On ne sait pas bien « où l'on se situe » par rapport au personnage. Il s'exprime au « je », on devrait être dans sa tête, pourtant on est mis à distance. C'est ce qui me fait penser que la question du point de vue mériterait ici d'être considérée.
Le point de vue omniscient a de nombreux avantages. Il permet de voir un personnage à la fois « de l'extérieur », comme si on ne le connaissait pas, puis de plonger dans son intimité. Cela peut être très efficace avec les personnages pour lesquels il y a une tension entre l'apparence extérieure et l'intériorité, puisqu'on a ainsi accès aux deux. De plus, l'omniscient facilite le recul sur les personnages : on peut plus facilement juger qu'un personnage est en tort si on n'est pas incrusté dans ses pensées. Un point de vue interne, au contraire, exigera qu'on comprenne à chaque instant les actions du personnage, qu'on sente qu'elles sont justifiées – ce qui peut être plus difficile. Les commentaires du narrateur peuvent également éclairer la situation avec plus d'efficacité en omniscient (le narrateur dit ce qu'il veut, plus de contrainte du type « le personnage doit connaître l'information et avoir une raison solide d'y penser »). Ainsi, le point de vue omniscient semblerait plutôt adapté à ton histoire.
Si j'en parle, ce n'est pas pour te dire que tu dois passer à l'omniscient – même s'il y a des raisons objectives de choisir un point de vue ou un autre, le choix reste évidemment personnel –, mais parce que j'ai l'impression que par moments le point de vue était un « omniscient déguisé », pour les raisons que j'ai citées au début de cette sous-partie. Le problème est que le décalage que cela engendrait nuisait aux avantages de l'omniscient que cette façon de faire aurait pu te permettre de récupérer ; et parallèlement, les avantages du point de vue interne (immersion dans l'esprit du personnage, dans l'intrigue, implication émotionnelle) n'étaient pas assez exploités.
Je pense donc qu'il faudrait se décider pour une option ou l'autre : soit conserver le récit au point de vue interne en tentant d'exploiter ses avantages ; soit passer à l'omniscient. Si cela te semble pertinent, n'hésite pas à te renseigner plus en profondeur sur les avantages comparatifs de ces deux points de vue : je suis restée dans des généralités mais il y a des ressources qui expliquent cela plus en détail, je peux te fournir des liens si tu veux.
Une évolution bien pensée mais trop peu montrée
UNE IDÉE DE BASE PERTINENTE
L'histoire se base globalement sur l'évolution du personnage, on sent que sa principale raison d'être est d'amener le personnage à admettre ses émotions. Je l'ai trouvée très bien organisée pour cet objectif. Les premières scènes t'offraient l'opportunité de montrer la personnalité initiale du personnage, l'endroit d'où il partait, et de nous faire sentir les points qui « posaient problème », les aspects de sa personnalité dont on pouvait supposer qu'ils allaient changer. Par la suite, les péripéties étaient tournées de façon à le pousser à évoluer sur ce point : le sauvetage puis le meurtre de Simon, la rencontre avec Ashley, le risque qu'il lui fait courir. La fin offrait l'opportunité de reprendre l'ensemble de l'intrigue pour récapituler l'évolution du personnage. Ainsi, les évènements permettaient de visualiser les étapes de l'évolution : intrigue et personnage étaient totalement corrélés.
C'est un aspect très positif, qui contraste avec pas mal d'histoires où les évènements ne sont pas « spécifiques » aux personnages et ne les affectent donc pas vraiment. Ici, chaque évènement semblait taillé pour le personnage. (À vrai dire, cela m'a même semblé un peu « trop poussé », dans le sens où je pense qu'il aurait fallu se concentrer aussi sur la cohérence de l'intrigue en tant que telle ; j'y reviendrai dans quelques parties.)
Néanmoins, je pense que tu n'as pas assez exploité ces opportunités que tu t'es ouvertes. En effet, même si elle guidait l'intrigue, l'évolution du personnage semblait se faire en arrière-plan. Je n'ai pas eu l'impression de le voir évoluer : il y avait un avant, un après, et entre les deux un élément qui pouvait expliquer la transition – mais il manquait la transition en elle-même : l'évolution des émotions du personnage, ou plutôt dans notre cas l'acceptation progressive de ses émotions.
C'est en partie lié aux points que j'évoquais dans les parties précédentes : renforcer le lien avec le personnage en décrivant ses émotions plus en profondeur permettrait de mieux percevoir cette évolution, on s'y sentirait davantage impliqué. La question du point de vue, notamment, me semble être à considérer avec attention car lorsqu'on parle d'évolution, interne et omniscient ont des avantages presque opposés. Tous deux permettent d'être assez proche du personnage, l'interne parce qu'on est quoi qu'il arrive coincé dans son esprit, l'omniscient parce que le narrateur peut choisir s'il le veut de se concentrer exclusivement sur lui. Mais là où l'interne nous plonge profondément dans l'esprit du personnage, au point qu'on peut en perdre notre objectivité, l'omniscient nous force à garder une certaine distance. Ce dernier point de vue a en revanche l'avantage d'offrir plus d'opportunités au narrateur : il peut révéler une scène du passé du personnage pour justifier une de ses actions – même si lui n'y pense pas ou l'a oubliée – ; il peut mettre la situation en parallèle avec une autre (une référence à un autre personnage ou au passé), y compris lorsque le personnage serait incapable de faire le rapprochement ; il peut même dévoiler le futur du personnage ou les conséquences de ses actions. Je te conseille donc de prendre ces diverses possibilités en compte lorsque tu feras ton choix.
Mais pour développer l'évolution du personnage, il y a également des possibilités spécifiques à ton intrigue, que je développe dans les deux parties qui viennent.
LES MOMENTS D'INTROSPECTION
Cela peut certes sembler rejoindre ce que je disais sur les émotions, mais ça n'est pas exactement la même chose. Lorsqu'on développe les émotions du personnage, on offre au lecteur un moyen de comprendre sa psychologie, mais on lui laisse le travail d'interprétation. L'introspection permet de faire faire le travail au personnage – et, naturellement, son interprétation aura des failles, qui elles aussi pourront participer au développement de sa personnalité.
Ainsi, tu peux représenter ton personnage réfléchissant à sa personnalité et à sa relation avec les autres, et montrer comment sa réflexion évolue au fil du temps. Il peut repenser à ses anciennes réflexions, relever leurs failles, essayer de les comprendre. N'hésite pas à en faire « trop » quitte à couper par la suite : il est difficile, pendant qu'on écrit, de savoir si l'introspection apportera quelque chose à l'histoire ou si elle ne fera que reprendre des éléments déjà soulevés ; avoir du recul facilite la décision.
Pour développer une introspection, il peut être pertinent de montrer le personnage évoquant des souvenirs précis, les analysant en détail et en tirant des conclusions (pertinentes ou non...). Ainsi, il peut par exemple repenser au moment où il a tué Simon et essayer de comprendre les émotions qu'il a ressenties en passant à l'acte et après : est-ce ce à quoi il s'attendait, ou aurait-il cru se montrer plus insensible ? Aimerait-il ressentir autre chose ? À présent, ses émotions ont-elles évolué ? Comment les interprète-t-il, qu'en déduit-il sur lui-même ou sur la situation qui lui a été imposée ? Montrer le personnage analysant ses propres pensées ou émotions est assez intéressant, je trouve, et permet de lui donner une véritable profondeur : il n'est pas juste un rouage de l'intrigue, il se remet en question, réfléchit à ses actions, au lieu de rester dans le rôle qui devrait être le sien.
À la toute fin, le personnage revenait sur ses précédentes missions et regrettait de ne pas s'être montré ouvert aux rencontres. Inclure ce passage est une très bonne idée, on comprend que sa relation avec Ashley lui fait réaliser ce dont il aurait pu profiter auparavant. Mais je pense qu'il manque quelque chose avant : on ne sait pas comment il a compris cela. Il dit adieu à sa sœur, repense on ne sait comment à une phrase entendue des années auparavant, puis nous livre cette réflexion.
Je pense qu'il aurait été plus pertinent de le montrer parvenant à cette conclusion : on pourrait par exemple le voir rejouer « à l'envers » sa relation avec Ashley, jusqu'à remonter à leur rencontre et réaliser que rien de tout cela n'aurait eu lieu s'il n'avait pas décidé d'aller contre son habitude. Ainsi, au lieu d'écouter simplement le personnage regretter des choses qui se sont déroulées à une époque que nous n'avons même pas connue, on pourrait participer à la scène puisqu'elle évoquerait des moments auxquels on aurait assisté, et on serait en mesure de suivre la réflexion en direct, les pensées du personnage nous sembleraient couler de source.
Au final, les moments d'introspection sont utiles car ils te permettent de montrer au lecteur en quoi les évènements que tu as fait figurer dans l'histoire étaient utiles, de lui faire réaliser que ce n'est pas juste une suite d'évènements sans lien mais qu'il y a une véritable cohérence, qu'ils convergent tous dans un seul but. Montrer le personnage réfléchir à ce qui lui est arrivé, c'est mettre en valeur le travail que tu as fourni pour construire l'intrigue.
LES MOMENTS-CLÉS
Avant tout, je tiens à souligner que je ne suis là que pour donner des conseils, que rien ne t'oblige à appliquer. Je vais essayer dans cette partie de concrétiser ce que j'ai dit plus haut en étudiant les points de « bascule » de la personnalité du personnage, mais mes suggestions n'engagent que moi.
Ainsi, je pense qu'il y a quatre moments-clés autour desquels évolue le personnage, et qu'il serait pertinent de les développer.
Tout d'abord, le moment où il sauve Simon. Je pense qu'ici il nous manque la réponse à une question cruciale : pourquoi ? Il a effectué des centaines de missions, laissé sans doute mourir plein de gens dans une indifférence apparente, mais là, alors qu'il était infiltré, il intervient. Il n'est pas obligé d'en connaître la réponse tout de suite, bien sûr ; il n'est même pas obligé de se poser la question un jour. Mais je pense qu'il faudrait inclure au texte des éléments qui permettent au lecteur d'y répondre. Qu'est-ce qui a été différent, cette fois ? Je pense que tu pourrais par exemple exploiter le fait qu'il reste cinq jours avec les rebelles pour justifier qu'un lien particulier se soit créé avec Simon. Au moment où le personnage l'a tué, il n'était pour moi qu'un nom, un figurant qui n'avait pas vraiment de personnalité propre. Je pense qu'il faudrait le caractériser davantage, lui donner des traits de caractère qui le fassent exister aux yeux du lecteur et le rendent particulier pour le personnage. Ainsi, on aurait pu voir au cours du chapitre 2 un lien se construire entre eux – sans doute uniquement du fait de Simon ; le personnage pourrait même ne pas réaliser qu'il s'est attaché à lui jusqu'à ce qu'il se retrouve à le sauver. Mais je pense qu'il est important qu'on sache pourquoi il s'est mis à apprécier particulièrement Simon – ou, si c'est pour une autre raison qu'il l'a sauvé, pourquoi il l'a fait.
Ensuite, le moment où il le tue. Je te conseille de prendre un peu de temps pour explorer sa réaction immédiate, montrer le choc peut-être, d'éventuels regrets, ou l'indifférence, mais qu'on sache ce que cela lui inspire sur le coup. Montrer comment, avant de passer à l'acte, il considère la chose me semble également pertinent : est-ce qu'il envisage vraiment les conséquences de son acte, ou est-ce que sur le coup il n'y pense pas et ne voit Simon que comme un obstacle ? Mais surtout, je pense qu'il faudrait qu'on sente l'impact de cet acte par la suite. En lisant la scène, on sent qu'elle sera cruciale dans l'évolution du personnage, qu'elle imposera un virage à sa personnalité ; pourtant, par la suite, tu ne reviens pas dessus. Je pense qu'il aurait fallu y faire référence plus tard, nous faire sentir en quoi ce meurtre a modifié sa perception des choses et son mode de décision. Il me semblerait aussi pertinent de l'évoquer à la fin : qu'en retient-il, finalement ?
Je te conseille également de développer le moment où il décide de sauver Ashley. Lorsqu'il prend sa décision, il nous dit « En temps normal, j'aurais ignoré ces situations, mais avec cette fille, quelque chose est différent ». Sauf qu'il n'explique jamais quelle est cette différence, justement... Je te conseille de développer ce passage. Plutôt que de te contenter de cette formulation qui est assez distante – le personnage n'est pas dans l'action, il prend du recul et remarque qu'il n'agit pas comme d'habitude –, il me semblerait pertinent de plonger dans l'esprit du personnage, de nous faire sentir en quoi Ashley est différente. Pourquoi le touche-t-elle davantage ? Tu peux aussi faire le lien avec la mort de Simon, en jouant par exemple sur une culpabilité inconsciente – faire comprendre au lecteur qu'il sauve Ashley pour se racheter, même si lui ne le verbalise pas. Ce n'est naturellement qu'un exemple, mais je te conseille d'utiliser la mort de Simon ici afin de renforcer la cohésion de l'histoire. Sa décision de sauver Ashley me semble être vraiment importante puisque c'est là qu'il bascule, qu'il choisit de s'arrêter et d'aider quelqu'un. (Je ne compte pas ici le sauvetage de Simon étant donné qu'il l'a tué ensuite, et surtout que c'était bien plus impulsif que pour Ashley.) Je pense donc qu'il faut vraiment le faire sentir au lecteur – peut-être que le montrer s'interrogeant par la suite sur son acte pourrait renforcer cela.
Enfin, je pense que ses émotions et ses pensées lorsqu'Ashley l'abandonne puis qu'il apprend qu'il va devoir la tuer mériteraient d'être bien mieux exploitées. En recueillant Ashley, il a pris le risque de s'attacher à elle – et c'est effectivement ce qu'il s'est produit, sans quoi il ne l'aurait pas prise pour héritière. C'est quand même un sacré coup du sort de déverrouiller son cœur après des centaines d'années, pour le voir aussitôt écrabouillé non pas une, mais deux fois... C'est une véritable épreuve que tu fais subir à la confiance de ton personnage en ses émotions, et l'issue logique serait qu'il se referme à nouveau et nie ressentir quoi que ce soit. Pourtant, ce n'est pas ce qui se produit, loin de là. Je pense que cela aurait pu créer bien plus de tension qu'il n'y en a actuellement. Ici, il semblerait logique que le personnage soit déchiré entre son affection pour Ashley et son besoin de se protéger. Je te conseille de jouer sur ce déchirement, de t'en servir pour créer de la tension : ton personnage va-t-il continuer dans l'exploration de son humanité, ou retombera-t-il dans son insensibilité de façade ? Ici, tu peux vraiment montrer le conflit en lui, nous montrer pourquoi il aime Ashley – à travers des souvenirs, des réflexions qu'il se fait –, nous faire ressentir la tension entre son besoin de se refermer sur lui-même pour ne pas souffrir lorsqu'il la tuera, et son envie de continuer à ressentir cet amour – ce qui impliquerait de nous montrer ce que ça lui a apporté : quels effets positifs voit-il dans le fait d'avoir accepté ses émotions ? L'héritage pourrait alors apparaître comme la solution ultime, le moyen d'aimer sans perdre – sans pour autant que cela soit une solution de facilité. Certes, développer cela n'est pas évident ; mais cela permet d'expliquer qu'il ne se referme pas immédiatement sur lui-même. Je pense que, fait avec subtilité, cela te permettrait d'apporter beaucoup de force à ce dénouement, de le rendre vraiment marquant.
Une trame cohérente, mais quelques défauts de réalisation
LE FIL CONDUCTEUR
Globalement, l'intrigue est logique et bien menée. Lorsque je repense à l'histoire, je la vois comme une unité, je peux articuler les péripéties entre elles pour comprendre qu'elles convergent vers le même point. J'arrive à reconstituer son déroulé et à comprendre dans les grandes lignes les enchaînements de cause à effet. L'intrigue est maîtrisée, on sent que tu as pesé les différentes directions dans lesquelles pouvait aller ton histoire et que tu as choisi le chemin le plus intéressant et significatif.
Néanmoins, au cours de ma lecture, ces considérations m'ont échappé. Je n'arrivais pas justement à comprendre où tu nous entraînais. Les évènements s'enchaînaient, mais je n'avais pas vraiment l'impression de lire une seule histoire, plutôt de suivre le personnage pendant une certaine durée : je ne voyais pas ce qui reliait tous les éléments que tu nous présentais. L'intrigue annoncée au début, par le premier chapitre, semblait être la victoire sur Ixnior ; mais voir le personnage le tuer avant même la moitié de l'histoire m'a montré que ce n'était pas ça. En fait, j'ai eu l'impression de lire deux histoires accolées : une intrigue avec Ixnior, et une avec Ashley. Ce n'est qu'à la fin que j'ai réellement perçu que ces deux histoires n'en formaient qu'une.
J'aurais tendance à te conseiller de montrer au lecteur que ton histoire possède une certaine unité. Je pense qu'il ne faudrait pas avoir à attendre la fin de l'histoire pour comprendre quel était son fil directeur. Cela risque de faire retomber la tension au milieu de l'histoire et de désorienter le lecteur, qui aura l'impression que le « pacte de lecture » a été rompu : l'intrigue annoncée au début de l'histoire est en fait résolue sans difficulté, le véritable enjeu ne nous avait pas été montré. (Je ne te dis pas de ne rien cacher au lecteur, mais il y a une différence entre les éléments d'intrigue et les « annonces » implicites que tu fais en début de chapitre, qu'il faut à mon avis respecter – à moins que le but de l'histoire ne soit justement de jouer avec les perceptions du lecteur.)
Ainsi, je pense que tu pourrais laisser entendre, dès le premier chapitre, que l'histoire tournera surtout autour du rapport du personnage aux autres et à ses propres émotions. Pour cela, je te conseille de le pousser à nous livrer sa vision de son mode de vie. Un personnage peut l'interroger à ce sujet, ou bien il peut se souvenir d'un de ses prédécesseurs qui ne voyait pas les choses de la même façon... l'important est de lui fournir un prétexte pour nous livrer sa pensée à ce sujet. On en revient à l'introspection, qui me semble réellement utile pour nous faire sentir quel est le fil rouge de l'histoire. En effet, en voyant les pensées du personnage évoluer à ce sujet, on pourra deviner que cela constituera son principal enjeu et que les péripéties tourneront autour, qu'elles serviront surtout à le mettre en valeur. Bien qu'on nous annonce la mort d'Ixnior comme but du personnage, on comprendra que cela sera surtout un cadre pour l'évolution de sa personnalité.
Il pourrait également être pertinent de laisser présager l'intrigue avec Ashley avant la mort d'Ixnior, pour qu'on sente que cet évènement ne sonnera pas la fin de l'histoire. Le personnage peut par exemple mentionner une situation similaire qui lui serait arrivée dans le passé, et à laquelle il n'aurait pas réagi ; il peut penser brièvement aux civils tués ou blessés lorsqu'il déploie ses ailes ; quelque chose qui fasse comprendre au lecteur que la mort d'Ixnior ne constituera pas la résolution ultime de l'intrigue.
QUELQUES INCOHÉRENCES
L'histoire, comme je l'ai dit, est globalement cohérente, mais j'ai relevé quelques incohérences – soit parce que c'était des points qui avaient été trop peu expliqués, soit parce qu'il y avait réellement quelque chose d'illogique, je ne peux pas en juger. J'en ai déjà cité quelques-unes au cours de cet avis, comme le fait que le personnage parle tout seul, et il est possible que j'aie évoqué des incohérences/incompréhensions directement en commentaires ; j'essaie ici de développer les principales, que j'ai trouvé les plus dérangeantes.
Je pense que le rapport de force entre Ixnior et le personnage aurait pu être mieux expliqué. En effet, ce dernier ne parvient pas à se débarrasser de lui en un clin d'œil, ils semblent au cours de leur combat avoir des capacités sensiblement équivalentes – du moins avant que le personnage ne libère ses ailes. Pourtant, lorsque le personnage veut discuter avec Simon, il n'a aucun problème à régler le problème d'Ixnior en l'enfermant dans une cage magique, et il en parle avec une désinvolture qui donne l'impression qu'il vient de chasser un moustique et pas de mettre hors d'état de nuire un ennemi puissant. Je pense donc qu'il faudrait mieux expliquer ce qu'il fait à ce moment : s'il a la puissance nécessaire pour l'enfermer dans une cage hermétique sans blesser Simon, pourquoi a-t-il autant de mal à le tuer définitivement ?
La mort de Simon m'a également semblé assez illogique. Je pense qu'il faudrait décrire davantage ce que ressent le personnage à ce moment, pour expliquer qu'il le tue si vite – il n'a pas vraiment essayé de le convaincre de partir, il n'est pas non plus pressé (du moins, pas à cinq minutes près) puisqu'il vient de dire qu'Ixnior s'épuiserait avant que sa barrière ne se brise. Mais c'est surtout le comportement de Simon qui m'a semblé illogique. En fait, je n'ai pas vraiment compris pourquoi il se mettait en colère. Le personnage lui disait de vider les lieux, de façon certes impolie, mais la raison était transparente. Il était clair qu'il n'en voulait pas directement à la vie de Simon et qu'il ne le tuerait pas s'il quittait la pièce. La réaction logique aurait été d'obéir, à la rigueur de demander une justification, mais pas de s'emporter ainsi... La phrase sur la confiance m'a semblé déplacée. Prononcée après la bataille, elle aurait eu du sens, si par exemple Simon avait reproché au personnage de ne pas le croire digne de combattre, mais dans l'urgence, ce n'était pas la priorité...
L'incompréhension a pris toute la place dans ma tête, si bien que la mort de Simon ne m'a pas affectée. Je te conseille donc de te repencher sur ce passage. Il ne serait sans doute pas facile à écrire de façon à ce que les actions des deux personnages semblent totalement logiques, mais ce n'est pas impossible non plus. Il serait pertinent d'aborder ce problème par l'aspect de la communication : si le personnage principal parvenait à exprimer clairement ses intentions, et si Simon y était réceptif, il n'y aurait pas de problème, Simon quitterait la pièce (sans doute un peu vexé, mais il est probable qu'il aurait tout de même eu envie de rester en vie). Je te conseille donc de chercher un obstacle à cette communication. Cela peut être la tension – si Ixnior menace de s'échapper par exemple. Cela peut aussi venir du personnage, ça ne me surprendrait pas qu'il se montre excessivement maladroit ; Simon pourrait comprendre, sans qu'il en ait l'intention, qu'il va se sacrifier en tentant de tuer Ixnior, ou même qu'il va s'allier avec celui-ci. Bref, ce n'est pas évident, mais il y a des façons de rendre leurs réactions mieux compréhensibles.
Il y a, enfin, quelque chose qui me perturbe avec le personnage d'Ashley. Je n'ai pas trouvé qu'elle ressemblait à une enfant, ses paroles étaient trop développées. Ce n'était pas vraiment une maturité trop importante, simplement la formulation des phrases qui ne me semblait pas coller. Cela ressemblait plus à de la narration qu'à un dialogue, les phrases étaient tournées d'une façon trop formelle. C'était particulièrement marquant lorsqu'elle décrivait l'effondrement chez elle ; une formulation plus hésitante, des phrases inachevées ou maladroites auraient mieux rendu compte de sa douleur. Après, il est bien sûr possible que ces formulations dépassionnées soient une protection (même si cela semble moins probable avec une enfant) ; mais il faudrait alors que sa douleur transparaisse dans la narration, que le personnage décrive ses expressions, mentionne une tension dans sa voix ou dans les traits de son visage.
LES FACILITÉS DE L'INTRIGUE
L'histoire était globalement réfléchie mais j'ai trouvé à certains moments qu'il y avait des facilités. Ce n'étaient pas au sens strict des incohérences, mais des passages où les choses semblaient se passer un peu trop bien, où les règles de l'univers ou le déroulé des évènements semblait excessivement bien tomber.
Ainsi, le personnage semblait énormément aidé par le scénario lorsqu'il tentait de tuer Ixnior. Il se retrouvait tout de même pile dans le groupe des soldats appelés dans la salle du trône... En fait, durant toute son infiltration, avant qu'il ne confronte Ixnior, il n'a pas à prendre la moindre décision. Il se contente de faire ce qu'on lui ordonne et c'est par pure chance qu'il parvient à ses fins.
Le problème, c'est que cela nous pousse à douter de ses compétences tactiques. Aurait-il réussi sans tous ces raccourcis ? On n'a pas vraiment de moyen de le savoir, puisqu'il ne nous a pas livré son plan de base. C'est d'autant plus dérangeant que, alors qu'il semblait montré comme un personnage compétent, très réfléchi, il faisait au cours de ce chapitre pas mal de petites erreurs difficilement compréhensibles... Il n'a pas pensé à s'assurer qu'il était à l'aise avec l'arme du soldat dont il usurpait l'identité (d'ailleurs, je pense que ce serait intéressant de voir l'impact de ce désavantage sur son combat avec Ixnior). Lorsqu'alors qu'il usurpe l'identité d'un soldat, on l'interpelle pour savoir ce qu'il fait seul, il répond par une excuse un peu bidon, qui semble sortir de nulle part. Le soldat qu'il a interrogé aurait pourtant pu, en le renseignant sur le fonctionnement de l'armée d'Ixnior, lui fournir une excuse plus crédible... Et une fois dans la salle de pause, il ne semble pas certain du tout de la démarche à suivre. Il semble finalement beaucoup compter sur sa chance pour parvenir jusqu'à Ixnior. Tous ces éléments combinés m'ont rendue assez dubitative vis-à-vis du personnage : d'accord, il sait se battre, mais il ne semble pas très sérieux dans ses plans d'infiltration...
Paradoxalement, un autre point qui m'a semblé « trop facile » avait le but contraire : mettre des bâtons dans les roues du personnage. Lorsqu'il cherchait Ashley, il demandait à son créateur de lui indiquer sa position et celui-ci acceptait, mais au prix d'un « contre-coup ». J'apprécie l'idée en elle-même : qu'un personnage parvienne à son objectif au prix d'une souffrance augmente les enjeux, ce qui permet de rendre l'histoire plus intense lorsque c'est bien traité. Néanmoins, ici, cela m'a semblé assez maladroit pour trois raisons (dont seule une a un rapport avec la sous-partie, mais si j'étais organisée ça se saurait). Tout d'abord, ce contre-coup, on ne le voyait en réalité jamais... On restait à l'état d'idée : il va souffrir plus tard, d'une façon qu'on ignore. Au final, cela n'a donc pas eu d'impact sur mon implication dans l'histoire. D'autant qu'ici, il n'était pas vraiment nécessaire de faire davantage souffrir le personnage : il ne se dirigeait pas vers une fin heureuse sans aucune ombre, mais vers une gamine qu'il allait devoir tuer, ou pour laquelle il allait se sacrifier... Les enjeux me semblent ici déjà assez élevés, si bien que l'utilité narrative de ce contrecoup ne me saute pas aux yeux : sans en savoir plus sur sa nature, on ne l'imagine pas plus élevé que la souffrance morale qu'il ressentirait en tuant Ashley, ni que sa propre mort...
De plus, cela me semblait un obstacle assez facile (on y arrive...). J'ai eu l'impression que, pour éviter la facilité qu'aurait été une intervention de son créateur sans conséquences négatives, tu tombais dans une autre facilité : l'invention, sur le coup, d'une règle assez arbitraire. Je ne prétends pas qu'il n'y a aucune raison à cette règle, mais du point de vue d'un lecteur qui n'a rien lu de toi avant 30 Jours, c'est l'effet qu'elle produit : elle semble avoir été taillée sur mesure, pour que tu puisses dresser cet obstacle sur la route du personnage. Ici, je pense qu'il aurait été pertinent d'expliquer les raisons de cette règle : qu'est-ce qui différencie Ashley d'Ixnior ? On peut imaginer pas mal de raisons qui justifient cette différence de traitement, mais il faudrait les expliciter.
C'est un peu la même chose que j'ai ressentie lorsque le personnage et Ashley parlaient de modifier ses souvenirs. La justification invoquée me semble bien trop légère. S'ils sont effectivement capables d'effacer la mémoire des civils, pourquoi ne pas le faire ? Oui, cela aura des conséquences sur leur équilibre psychique, mais bon, la mort aussi... C'est une règle qui, à nouveau, m'a semblé arbitraire, placée là parce qu'il le fallait. Une nouvelle fois, je te conseille de fournir une explication plus développée.
Ces facilités sont assez perverses car, même si contrairement aux incohérences elles n'empêchent pas de croire à l'histoire, elles nous rappellent que l'intrigue est manipulée : les règles de l'univers et le caractère des personnages ne sont pas des prérequis aléatoires à partir desquels l'histoire se déroulerait, mais des paramètres fixés par l'auteur pour amener l'intrigue dans la direction voulue. Ainsi, supprimer les facilités permettra de renforcer l'illusion de spontanéité de l'histoire, de donner l'impression qu'elle évolue de façon indépendante et « naturelle ».
LA GESTION DE LA FIN
Je me permets enfin de revenir sur la dernière scène de l'histoire. Je la trouve personnellement très bien choisie. On sent en la lisant qu'il s'agit de la fin de l'histoire, qu'on va se séparer des personnages. Le fait que le personnage s'interroge sur sa philosophie de vie, même si l'exécution m'a paru maladroite, me semble en cela très pertinent. On revient sur le thème central du récit, on y apporte une conclusion : c'était une bonne idée, d'autant que la scène finale, qui suit les réflexions du personnage, s'inscrit encore dans ce thème : il remercie Ashley pour ce qu'elle lui a fait découvrir et ses dernières pensées sont pour elle. La fin répond donc parfaitement à la « problématique » de l'histoire.
De plus, je trouve la scène en elle-même très marquante. Le seul bémol me semble être que la dernière phrase ne m'a pas semblé être une « phrase de fin » ; je pense qu'elle aurait pu être plus percutante, quitte à la scinder en deux. Je te conseille de réfléchir à l'image finale que tu veux donner à ton lecteur – Ashley qui agite la main ? ses larmes ? autre chose ? – et de réarranger la phrase pour que cette idée s'impose de façon marquante. Mais la scène en général m'a paru bien menée. Les descriptions étaient très visuelles, une véritable ambiance s'en dégageait ; on sentait la nostalgie et la gratitude envahir le personnage alors qu'il disparaissait. L'ambiance était solennelle sans virer à l'excès.
En revanche, une fois l'histoire terminée, j'ai eu l'impression que cette fin n'avait pas été complète. Pas au niveau de la narration, encore une fois c'était très bien géré de ce point de vue-là, mais pourtant, j'avais l'impression qu'il « manquait » quelque chose. Toutes les portes n'avaient pas été refermées.
Tu laissais parfois au fil du texte échapper quelques remarques qui ont attiré mon attention : j'attendais de savoir la suite, d'avoir une explication ou de voir ce que ça donnerait. Et il arrivait que le texte ne fournisse aucune réponse. Cela rend la fin assez frustrante et incomplète : j'ai eu l'impression que tout n'était pas terminé, ce qui m'empêchait de visualiser l'histoire dans son entièreté. (Naturellement, cette remarque vaut uniquement si tu conçois 30 Jours comme une histoire indépendante, qu'on n'a pas besoin de lire un autre livre pour comprendre les évènements ou pour trouver du sens à certaines remarques.)
J'ai particulièrement eu cette impression pour certains aspects de l'univers – ce que je développe dans la partie suivante –, mais aussi pour un élément d'intrigue. En effet, à plusieurs reprises, j'ai senti une tension entre le personnage et son créateur. Quand il lui reprochait la mort de ses frères et sœurs, au début du chapitre 1 ; à la fin de ce même chapitre, quand il lui pose la question sur le nombre de jours (je dois dire que je n'ai pas compris comment elle arrivait dans la conversation et qu'elle sonnait un peu comme un défi pour moi) ; au chapitre 7 lorsque le personnage défie son maître en refusant la mort d'Ashley... Tout cela m'a donné l'impression que leur relation allait être développée, qu'on allait assister à une confrontation – soit entre le personnage et son créateur, soit un conflit interne au personnage. Mais leur lien n'a jamais été remis en question dans l'histoire, ce qui finalement m'a donné l'impression que tous ces éléments avaient été lancés « pour rien ». Je te conseille d'éviter ce genre de chose, car ça peut créer un sentiment de frustration, l'impression que tout n'a pas été dit et que l'histoire n'est pas « vraiment » terminée.
De bonnes trouvailles à préciser
L'UNIVERS PRÉSENTÉ
Comme je l'ai dit au début de cette critique, j'ai été séduite dès le départ par l'univers que tu nous présentais. Le monde d'origine du personnage était un lieu bien particulier et cela se sentait tout de suite. Je trouve cet univers « entre les mondes » très bien pensé, il traduit parfaitement l'idée que le personnage vit en marge. Cette partie-là du décor est vraiment adaptée à l'histoire.
Ce monde presque onirique d'où le personnage est originaire semble en total contraste avec celui dans lequel il se rend pour sa mission. Le monde d'Ashley et d'Ixnior est toujours décrit comme un univers sombre, repoussant. Si ces descriptions étaient parfois maladroites (j'y reviendrai plus tard), l'idée derrière est tout à fait pertinente : ce contraste souligne le dépaysement du personnage, qui nous fait bien comprendre qu'il n'est pas heureux dans ce monde et n'attend que de rentrer chez lui. Cela renforce le sacrifice qu'il fait pour Ashley, d'abord en prolongeant son séjour dans un monde qu'il déteste, puis en allant jusqu'à donner sa vie. Sa décision dans le chapitre 4 n'aurait pas eu le même impact si le monde, débarrassé d'Ixnior, était devenu plus acceptable. L'univers de l'histoire semble donc tout à fait réfléchi.
En commençant le premier chapitre, j'ai de plus tout de suite remarqué l'originalité de l'histoire. Le concept des enfants étoilés, créés pour tuer les tyrans de chaque monde, m'a beaucoup intriguée, et j'ai apprécié la façon dont tu l'as enrichi à travers la façon dont ils se transmettent leurs connaissances. (Le lien du personnage avec Lola est également un plus qui m'a beaucoup plu ; c'était ce qui rendait le personnage plus humain, et les moments où il pensait à elle sont ceux où je l'ai trouvé le plus accessible. J'ai beaucoup aimé le moment où Ixnior lui parlait d'elle à la fin du combat, et la crainte finale qu'elle avait exprimée était touchante.)
Le monde dans lequel atterrit le personnage, en revanche, est moins original – un univers sombre dominé par un tyran qui n'a pas d'autre but que de tyranniser. C'est assez classique, mais cela ne m'a pas dérangée car cela reste vraisemblable. Néanmoins, quelque chose qui m'a un peu titillée est que j'ai parfois eu l'impression que tu cherchais à te dédouaner de ce manque d'originalité à travers des interventions du personnage :
▣ à propos du palais d'Ixnior, que le personnage qualifie de « cliché des méchants » ;
▣ à propos d'Ixnior lui-même, ou plutôt de sa posture décrite comme un « cliché absolu ».
Honnêtement, le cliché ne m'aurait pas marquée s'il n'avait pas été souligné ainsi. Le problème que j'y vois est que, même si théoriquement, il est possible qu'un personnage se fasse ces réflexions, j'ai surtout eu l'impression de sentir ta « voix d'auteur » derrière ces observations, qui m'ont semblé davantage adressées au lecteur que pensées par le personnage. J'avais l'impression qu'elles étaient pour toi un moyen de « t'excuser » du cliché. Cela est dû en partie au contexte wattpadien : ce mot est beaucoup employé dans les critiques, les livres de conseils, les commentaires, ce qui fait que le voir dans une histoire de la plateforme crée inévitablement l'association d'idées. Mais, sans mauvaise foi, je me serais fait la même réflexion en lisant ceci hors Wattpad, le terme « cliché » étant habituellement peu employé en fantasy ou en science-fiction.
Si tu veux éviter cela, je te conseille d'employer une tournure qui détonne moins ; un simple « Banal » pourrait faire l'affaire par exemple. Ceci étant, si le seul but de ces remarques était de montrer que tu étais conscient du cliché, ça ne me semble pas vraiment nécessaire ni souhaitable. En-dehors d'une histoire parodique, je vois mal l'utilité de le souligner, d'autant que ces deux éléments m'ont semblé plutôt anecdotiques. Si en revanche, le but était d'insister sur la lassitude du personnage, cela me semble tout à fait pertinent mais je pense qu'il serait pertinent de le rendre plus transparent, avec des remarques du style « Et encore une fois », « Ce monde n'a même pas le mérite d'être distrayant ».
Je parle beaucoup pour deux petites remarques, mais je dois dire que les lire m'a vraiment sortie de l'histoire en me poussant à questionner son originalité.
LA MISE EN PLACE DU DÉCOR
C'était une des choses sur lesquelles tu m'as demandé un retour et, de même que pour l'évolution du personnage, cela découle de pas mal de choses citées plus haut.
Pour la mise en place du décor dans le monde d'origine du personnage, mon impression est très positive. Malgré les quelques maladresses dans la description que j'ai déjà relevées plus haut, j'ai été parfaitement immergée dans le décor. Si j'ai eu quelques difficultés à me représenter précisément la disposition des objets, l'ambiance du lieu m'a emportée et je pense que, pour ce genre de lieu, c'est ce qui est important. Néanmoins, je te conseille de profiter du chapitre 8 pour le décrire davantage. Par exemple, au lieu de juste dire que les personnages s'asseyent sur des « coussins galactiques », ce qui n'est pas très évocateur, tu peux expliquer ce à quoi ils ressemblent. N'hésite pas aussi à profiter d'Ashley, qui est sans doute – une fois la stupeur passée – émerveillée par ce lieu si différent de ce qu'elle a connu, d'autant plus que cela peut te permettre de le comparer avec son monde. Cela me semblerait assez pertinent dans la mesure où le personnage est très clair, pendant les sept premiers chapitres, sur sa volonté de rentrer « chez lui ».
Pour ce qui est du monde d'Ashley et Ixnior, en revanche, je pense qu'il mériterait d'être mieux décrit. Je n'ai pas vraiment eu de mal à visualiser les lieux, mais les descriptions restaient très sommaires : on en savait assez pour comprendre ce qu'il se passait, mais trop peu pour être réellement immergé dans l'histoire. Tout dépend du but que tu vises ; mais je pense que permettre au lecteur de se projeter dans l'univers, de s'imaginer y évoluer, rendra l'histoire plus vivante en l'aidant à se représenter les scènes. Je te conseille donc de travailler là-dessus.
Lorsque j'essaie de visualiser ton univers dans sa globalité, d'en avoir une sorte de vision d'ensemble, ce que je vois est la représentation basique qui me vient lorsqu'on me dit « monde de désolation » : un amas grisâtre de bâtiments en ruine. Ce n'est certes pas un décor anodin, et il correspond à l'état d'esprit du personnage ; mais il reste très vague. Je ne peux pas m'imaginer le personnage marchant dans une rue, par exemple – ou alors la rue est floue. Je te conseille donc de décrire davantage les lieux que traverse le personnage, pas seulement en énonçant la disposition des objets ou la température, mais aussi en montrant l'impact émotionnel qu'ils ont sur le personnage. J'ai cité plus haut quelques techniques pour immerger le lecteur dans le lieu à travers les descriptions. Ainsi, on se sentirait pleinement immergé dans les scènes, on pourrait les vivre entièrement.
De plus, renforcer les descriptions du décor permettrait d'accentuer les émotions du personnage. En effet, on ne voit pas un lieu de la même façon selon qu'on soit furieux, plein d'espoir, triste, nerveux, ... Ainsi, à travers les descriptions que fait le personnage du décor, ses émotions transparaissent. Et c'est une façon très immersive de nous partager ses émotions, puisque nous voyons les choses par son regard. Par exemple, la compagnie d'Ashley peut lui faire voir ce monde qu'il déteste d'une façon plus positive ; il peut remarquer des détails qu'il apprécie et qu'il n'aurait pas relevés s'il n'avait pas été dans l'état d'esprit adéquat. Au contraire, une fois qu'elle s'est enfuie, le regard qu'il porte sur ce qu'il entoure peut être encore plus terne et pessimiste qu'auparavant.
Une dernière chose que j'ai trouvée un peu dommage, c'est les « trous » dans la construction de ton univers. Dans les deux mondes, on savait ce qu'il fallait pour suivre l'histoire sans être perdu, rien de plus. C'était efficace mais cela m'a empêchée de m'immerger dans l'univers : je n'en savais pas assez.
Ainsi, je pense que tu aurais pu dire quelques mots sur la genèse du monde d'Ixnior. Comment est-il arrivé au pouvoir, qu'y avait-il avant lui ? Et surtout, comment se manifeste sa tyrannie ? Ça n'est pas grand-chose mais ça nous permettrait de mieux comprendre le combat des rebelles et l'atmosphère qui règne entre les habitants.
Je pense aussi que l'univers du personnage mériterait quelques éclaircissements. Le système mis en place par son créateur semble développé mais sa présentation était très sommaire. Comment les enfants sont-ils créés ? Comment les souvenirs se transmettent-ils hors des cas d'Héritage ? Combien de temps s'écoule entre deux missions, et quelle conscience les enfants ont-ils de ce temps, que font-ils pendant ces périodes ? Qui forme les enfants, encore une fois hors des cas d'Héritage ? Quelle est la nature des enfants étoilés ? Y a-t-il des règles qui limitent leurs capacités ? Je ne te dis pas de répondre à toutes ces questions, mais donner les réponses à certaines d'entre elles permettrait de mieux caractériser l'univers, on pourrait se l'imaginer avec plus de précision.
(Je ne sais pas si c'est exactement ce que tu entendais par « mise en place du décor », n'hésite pas si tu as des questions !)
Mon avis en quelques mots
Pour conclure cette critique, je dirais que le fond de l'histoire est globalement maîtrisé. Il y avait certes quelques cafouillages que j'ai relevés dans cet avis, mais on sentait que tu maîtrisais ton intrigue, que tu savais où tu voulais aller et que tu construisais les péripéties dans ce but – sans pour autant que leur enchaînement ne semble artificiel. Tu développais de plus un système très intéressant avec les enfants étoilés, leur création et la transmission de leurs savoirs – même si cela maquait parfois d'explications. Cette novella a donc le potentiel pour captiver entièrement son lecteur et le plonger dans ton univers.
Néanmoins, je pense qu'un travail sur la façon de raconter permettrait vraiment de l'améliorer. L'enchaînement des actions n'a pas eu beaucoup d'effet sur moi, je ne me suis pas sentie impliquée alors que les péripéties avaient le potentiel pour m'émouvoir. Je te conseille de reprendre ton texte afin de réfléchir à un moyen de partager davantage les émotions du personnage, de nous impliquer dans son évolution. Je pense sincèrement que les idées que tu as eues pour l'intrigue de cette histoire méritent que tu retravailles le texte, afin que le lecteur puisse être embarqué dans les tourments des personnages.
Si tu décides de réécrire 30 Jours, je te dis bon courage et j'espère que les pistes que j'ai essayé de te donner dans cet avis te seront utiles !
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