♟️Chapitre 2 : Felix♟️

   Les gens m’agacent. Tous, sans exception. Que ce soit mon père, mon frère ou tous les autres. Je sais ce qu'ils pensent de moi, bien qu'ils tentent de se cacher. Que des hypocrites !

   — Prince Felix, tente une voix dégoulinante de miel.

   Je fixe le noble à qui appartient cette voix désagréable d’un regard noir qu’il ne remarque pas - ou fait semblant de ne pas remarquer.

   — Il est temps que vous pensiez au mariage. J’ai trois filles ; l’une d’elles vous conviendra peut-être...

   Avant que je ne puisse rétorquer que je ne veux en aucun cas me marier, avec qui que ce soit, mon père s’interpose :

   — Il est ravi de cette proposition et va y réfléchir. N’est-ce pas, Felix ?

   Sa voix aux intonations dures me fait tressaillir, comme lorsque j’étais enfant. Je croise son regard si semblable au mien, si semblable à toutes les personnes rassemblées en ces lieux, si semblables à toutes les personnes de ce royaume.

   — C’est important de te marier, reprend-il d’une voix plus douce, mais plus trompeuse. Ton frère...

   C’est la goutte de trop. Je me lève brusquement du fauteuil où j’étais assis, le renversant par terre. Tous les nobles tressaillent et m’observent avec un mélange de colère et de dédain. Mes propres sujets se moquent de moi ! Ils font semblants, juste pour me caser dans l’une de leurs familles, pour mieux me passer la bride autour du cou !

   Seul mon père reste calme sur son trône, m’analysant comme un animal qu’il doit chasser. Je sais qu’il cherche quelle méthode utiliser pour me dresser... Sauf que, malgré une vingtaine d’années à me torturer, il n’a toujours pas compris que je n’étais pas un animal, ni un objet, mais un homme possédant des sentiments.

   Les chuchotis prennent vie dans le pièce. Mais il finit par y en avoir trop au goût de mon père. Il lui suffit d’un murmure :

   — Assez.

   Et tous se taisent. Mon père, le roi, insipire le respect et la crainte. Quoique... Les deux vont sûrement de pair. Tout le monde sait qui n'épargne personne. Ce que tout le monde ne sait pas, c'est qu'il utilise cette règle également avec son fils. Moi.

   Mon frère, Vastian, a de la chance à ce niveau-là. La vie ne l'a pas doté d'un cerveau, mais mon père ne s'en prend pas à lui. On ne peut pas tout avoir, apparemment...

   Tous les nobles me préfèrent Vastian. Cependant, ils ne me le diront jamais en face, hypocrites comme ils sont. Mais je le sais. Je le vois bien, je l'entends bien. Les yeux, la voix... Tous ces signes ne trompent pas. Mais ça ne me fait rien. Peu importe ce qu'ils pensent de moi. Je n'en ai rien à faire.

   — Sortez. Tous.

   Je me dirige vers la porte, même si je pressens ce qui va se passer. J'en ai l'habitude.

   — Sauf toi, mon fils.

   Je hais ce prétendu surnom affectueux. Je hais qu'il m'appelle « mon fils » alors que lui et moi nous vouons une haine profonde. Je déteste les gens qui mentent ou qui font semblant. Et pourtant, ma vie est un gigantesque mensonge, je baigne dedans depuis que je suis enfant...

   Je finis par me retourner pour faire face à mon père. Je sais déjà ce qui va se passer. Je sais déjà que je n'ai pas intérêt à ouvrir la bouche. À crier. J'ai compris le truc. Cela fait des années que je me perfectionne dans l'art-de-ne-pas-hurler-quand-mon-père-le-roi-me-tabasse.

   Son bras est posé sur un des accoudoirs du trône et sa tête est appuyée sur sa main, penchée sur le côté. Il m'étudie.

   — Tu ne fais que de me décevoir, Felix.

   J'accuse le coup, en silence. Les mots de mon père me coupent la gorge. J'ai tout essayé pour avoir sa reconnaissance. Mais lui aussi, quoi que je fasse, il me préfère mon frère. Mais ce que j'apprécie (et n'apprécie pas en même temps) c'est qu'il ne se cache pas du mépris que je lui inflige. Lui, au moins, il a le courage de le montrer et de ne pas jouer à l'hypocrite. C'est la seule chose que je ne peux pas lui reprocher.

   J'ai toujours su que je le dégoûtais, contrairement à mon frère. Vastian est bête comme ses pieds, mais mon père le préfère à moi. Il ne se montre pas affectueux avec lui, mais je sais, et tout le monde sait, que Vastian recevra l'approbation de mon père pour obtenir le trône.

   Dans le royaume de Soredre, le roi désigne celui ou celle qui lui succédera dans ses descendants. Je sais que j'ai été rayé de la liste depuis bien longtemps. Et comme nous ne sommes que deux... Vastian montera sur le trône quand mon père me décidera. Car je doute qu'il meure, c'est un homme coriace... à mon plis grand désespoir. Je me suis toujours demandé ce qui le faisait tenir. Il n'aime personne. Personne. N'a jamais aimé personne. Comment peut-on vivre une vie dénuée d'amour, de tous sentiments heureux ? Je n'ai que vingt ans, je n'ai reçu aucun amour de la part de personne, pas même ma mère, et je songe sérieusement à disparaitre.

   Mais. Car il y a un « mais ». Je veux aider mon peuple, déjà sous l'emprise néfaste de mon père. Je veux les aider. Ils méritent mieux que lui. Mieux que Vastian.

   Lorsque j'étais enfant, à la suite d'une
« discussion » avec mon père, je me suis juré de le faire tomber. Par tous les moyens.

   Mes yeux trouvent ceux de mon père et s'y accrochent.

   — Est-ce que je t'ai autorisé à lever les yeux ? claque la voix froide du roi.

   — Non, je réponds.

   Mais je ne baisse pas les yeux pour autant. J'en ai assez de me soumettre, de jouer au parfait petit prince. Au parfait fils. Non, c'est vrai. Je ne suis pas son fils, pour lui. Je suis un sujet. Non, je suis un animal mal dressé, tout juste bon à se prendre des coups.

   C'EN EST ASSEZ.

   Mon père se lève et se dirige vers les fenêtres pour regarder dehors.

   — T'ai-je déjà raconté l'histoire du royaume perdu ?

   J'éclate de rire, sans pouvoir me contenir plus longtemps. Je me claque les cuisses en hurlant de rire. C'est un rire amer, cependant. Je n'ai jamais rien sincèrement.

   JAMAIS.

   Et tout cela, c'est de la faute de mon père.

   — Je ne vois pas ce que tu trouves drôle, Felix, prononce sèchement le roi.

   Je m'essuie les yeux en secouant la tête, complètement désabusé. Puis je plante mon regard dans le sien.

   — Vous me demandez ce que je trouve drôle, Votre Majesté ?

   Son regard vert brûle de fureur. Il se contient pour quelques minutes, je le sais. Ensuite, il explosera. Et c'est moi, comme d'habitude, qui prendrait tout. Je suis son jouet préféré. Je devrais peut-être m'en sentir honoré. Ça me dégoûte profondément.

   — Oui, je te le demande.

   Je lui adresse un regard narquois, qu'il n'a pas l'air d'apprécier, étrangement...

   — Vous voulez me raconter une histoire ? je dis, reprenant ses propres paroles. C'est un peu tard, vous ne pensez pas ? Vous auriez peut-être dû me raconter une histoire il y a dix-huit ans, cela aurait eu plus de succès.

   Je sens le calme de mon père se craqueler. Mais il se tourne à nouveau vers les fenêtres, sans un mot. Sa mâchoire est serrée, assez bon indicateur de sa colère. Je pense que je pourrai prendre peur au moment où une veine commencera à battre sur sa tempe. Ce sera le moment clé, le moment où il se déchaînera enfin contre moi. Mais en attendant... J'aime le pousser dans ses retranchements. J'ai découvert cette nouvelle méthode il y a quelques mois, la première fois que j'ai osé répondre, et j'ai beaucoup aimé. Je repousse ma peur, je repousse les limites. Ça m'énerve, et ça m'apporte de la satisfaction. Comme un enfant, j'ai découvert un nouveau jeu, et je ne m'en suis pas encore lassé, parce que ça fonctionne à merveille.

   — Le royaume perdu, en as-tu déjà entendu parler ?

   — Jamais.

   Une ombre de sourire s'installe sur ses lèvres. Ce n'est pas un sourire comme on peut se l'imaginer. C'est un sourire méchant, glacial. Un sourire qui présage que je vais passer un sale moment...

   — Assis.

   — Je ne suis pas un chien.

   Ma voix claque comme un fouet, comme un des fouets qui a si souvent lacéré ma peau, sèche. Mon père observe ma réaction avec satisfaction.

   — Non, c'est vrai. Tu n'es pas un chien.

   Il semble soudain pensif.

   — Assieds-toi. Maintenant.

   J'obéis.

   — Mais tu es loyal, et je sais ce que tu veux.

   Il reprend place sur son trône pour me scruter.

   — Ah oui ? Vous en êtes bien certain ? je rétorque en haussant les sourcils.

   Son horrible sourire s'allonge et il se penche vers moi.

   — Tu veux le royaume. Le trône. La place de ton frère.

   Il s'incline un peu plus, pour finir par chuchoter à mon oreille :

   — Et tu souhaites ma reconnaissance. Mon approbation. Plus que tout.

   Je frissonne et tente de m'écarter, mais il me retient par l'épaule d'une poigne de fer.

   — Je peux t'offrir tout cela. Mais il fait que tu t'en montres digne.

   Je retiens mon souffle et pose la question qui, je le sais, me perdra à tout jamais :

   — Qu'est-ce qu'il faut que je fasse ?

   Il me presse l'épaule, et je tressaille. Il sait qu'il appuie sur mes blessures d'hier, il le sait. Il le fait exprès. Je me force à ne pas grimacer.

   — Retrouve-moi le royaume perdu, et tu auras peut-être ce que tu désires.

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Nouveau chapitre, avec un nouveau point de vue, qui n'existait pas dans la version précédente ! Que pensez-vous de Felix, du roi ?

Chapitre 3 : Lundi 16 décembre à 18 heures.

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