🌺 Chapitre 1 : Navier 🌺

   Les gens me dévisagent et chuchotent sur mon passage, alors que je fends la foule pour accéder à l'étal où le marchand vend ses pommes. Des messes basses me suivent continuellement, partout où je vais. Et ce, depuis que je suis haute comme trois pommes. Les villageois s'écartent aussi rapidement de moi, prenant la main de leurs enfants pour les entraîner plus loin, comme si j'étais porteuse d'une maladie contagieuse. Non, comme si j'étais maudite conviendrait mieux. Je ne suis ni l'un, ni l'autre. Je suis normale. Et très différente à la fois.

   Je tire sur mon capuchon pour tenter de masquer le plus possible mes cheveux, ainsi que mes yeux. Mais les gens m'ont déjà aperçue, je le vois dans leurs yeux remplis de peur et de dégoût. Moi, j'ai honte. Mais je le cache.

   Personne ne peut me sauver.

   Je cache mes émotions comme je tente de préserver mon visage des moqueries et des chuchotis qui me suivent partout. Je suis pitoyable. J'aimerais être forte. Pouvoir m'afficher sans avoir honte d'être différente des autres. J'aimerais en être capable. Mais voilà, je suis faible.

   Je croise mon reflet dans une vitrine. Des yeux et des cheveux clairs se cachent derrière mon capuchon. Je me détourne. Personne ne doit savoir que j'ai honte, que voir mon propre reflet me répugne.

   Le marchand à qui j'achète des pommes ne voit pas mon visage, j'y prends bien garde. Mais alors que j'attrape le panier qu'il m'a si gentiment rempli, une mèche blonde de mes cheveux si longs tombe sur mon visage. Le marchand me dévisage et jette un coup d'œil aux alentours, nerveux. Je rejette aussi rapidement que je le peux ma mèche blonde égarée, mais le mal est fait.

   — Va-t'en, fille étrange ! s'exclame le marchand.

   Fille étrange. Voici comment je suis appelée. Parce que je ne leur ressemble pas. Parce que je suis trop différente, je suis étrange, et j'inspire la terreur, alors que je n'ai rien à me reprocher.

   Je revêts mon masque d'impassibilité, pour ne pas montrer que ce commentaire me blesse. J'ai, au fil des années passées dans ce royaume, bâti une muraille autour de moi, afin de me protéger. Les gens sont cruels. Il ne faut pas leur faire confiance. Je l'ai appris à mes dépens.

   — Merci pour... les pommes.

   Je sers un sourire au marchand, et disparaît, mon panier sous le bras. Les larmes menacent de couler, mais je me retiens. Pas en public. Je ne leur ferais pas le plaisir de pleurer devant eux. Ils ne méritent pas mes larmes !

   Je m'oblige à marcher calmement. Je ne dois pas courir. Courir reviendrait à me dépêcher de me cacher pour eux.

   Mes poings se serrent. Les chuchotements continuent de me poursuivre. Alors, d'un geste brusque, je me retourne, et scanne la foule qui m'observe de mon regard étrange.

   Je lève le menton, bien haut. Hors de question que je continue à me laisser faire ainsi ! Je dois me défendre ! Prouver ma valeur !

   Je referme ma main sur le fermoir de ma cape et, d'un geste sec, l'ouvre. Ma cape tombe sur mon bras libre, libérant mes cheveux blonds du capuchon. Je lève mes yeux à la lumière et regarde tous ces gens qui me jugent sans me connaître. Puis, je prends une grande et profonde inspiration et fige mon regard sur un poteau, afin de me concentrer sur mes paroles. Je ne dois pas bégayer.

   — Oui, je suis di...différente de vous ! crié-je, la voix légèrement hachée. Je ne me laisserais pas...faire ! (Mes yeux toujours rivés sur le poteau, je prends de l'assurance.) Vous vous ressemblez tous physiquement, mais vous êtes tous différents à l'intérieur ! Pourquoi me méprisez-vous ? Je suis différente de vous, à la fois de l'intérieur et de l'extérieur !

   Je prends une longue inspiration, avalant une grande goulée d'air, comme si je venais de me noyer. Je reprends tant bien que mal mon souffle, alors qu'un homme fend la foule pour s'avancer vers moi.

   — Peu importe ce que tu dis. Ici, dans le royaume d'Umber, il n'y a pas de place pour les gens différents comme toi ! crache-t-il. Nous avons tous les yeux violets et les cheveux noirs. Tu ne fais pas partie de ce royaume ! Estime-toi heureuse que tu sois encore en vie !

   Ma mâchoire se serre.

   — Vous ne rêvez tous que...que de me tuer... Je ne mourrai pas ! C'est une promesse...

   Sur un regard noir à leur attention à tous, je m'enfuie enfin. Loin de la foule. Loin de leur colère. Loin de leurs moqueries.

   C'est seulement à l'approche de la maison de mes parents que je ralentis la cadence. Je n'ai pas pleuré. Et je ne pleurerais plus. Jamais.

   J'ouvre la porte de la maisonnette.

   — Je suis rentrée !

   Ma mère, assise dans son fauteuil à bascule, me sourit avec tendresse. Mon père doit encore être aux champs avec mes frères à cette heure-ci.

   Je pose mon panier sur la table, près de ma petite sœur. Nous avons seulement un an d'écart, mais nous ne nous sommes jamais entendues. Elle me voue une haine sans nom. Comme tous les autres. Seuls mon père et ma mère m'apprécient. Et ça me suffit amplement.

   — Je pré...prépare quelque chose ?

   — Une tarte avec les pommes que tu as achetées, s'il te plaît.

   Ma mère me sourit encore, et ma sœur me lance un regard noir.

   — Tu as retiré ta cape au village ? remarque-t-elle avec un sourire méchant.

   Le sourire de ma mère s'évanouit lorsqu'elle avise la cape sur mon bras.

   — Tu ne l'as pas portée ? Ou...

   Je suspends la cause de cette discussion au crochet et me tourne vers ma mère.

   — Je me suis sim...simplement dé...fendue, soupiré-je.

   Son regard se fait sévère.

   — Navier, tu...

   J'attrape vivement le panier et me dirige vers la cuisine. Je claque la porte pour ne pas entendre la fin des remontrances. Je pèle, puis coupe les pommes et prépare la tarte en m'empêchant de penser à autre chose.

   Un autre porte claque quelque part dans la maison. J'enfourne la tarte en vitesse et me retourne pile au moment où mes trois autres sœurs franchissent la porte de la cuisine.

   — Vous êtes ren...rentrées ?

   Ma grande sœur Isanelle me lance un regard dédaigneux et ne répond pas à ma question bête. Les jumelles m'attrapent chacune une main et me regardent avec un sourire identique.

   — C'est bien, l'école ?

   — Oui ! s'écrit Velya. Mais Isa est un peu dure avec nous..., me chuchote-t-elle, sur le ton de la confidence.

   Isanelle lève les yeux au ciel et quitte la cuisine.

   — C'est la maîtresse, en plus, donc on doit lui obéir... Je n'aime pas l'école, moi ! Je préfèrerais travailler dans les champs avec papa et Terrence ! se lamente Vigna.

   — Ou dans les vignes, la taquine gentiment sa sœur.

   Vigna lui tire la langue.

   — Ce n'est pas de ma faute si maman m'a appelée comme les vignes !

   — C'est un honneur, intervient Isanelle depuis l'autre côté de la cloison. A Umber, nous cultivons surtout les vignes...

   — Parce que c'est violet comme nos yeux ! répondent les jumelles en chœur.

   — Exact, conclut Isanelle.

   Je devine sans mal son sourire satisfait d'ici.

   — Tais-toi, et arrête de faire ta maîtresse à la maison, j'essaie de lire tranquille ! crie Riella.

   — Et moi, les filles, je voudrais pouvoir terminer ma broderie ! dit calmement notre mère. Si vous n'arrivez pas à vous tenir, sortez dehors !

   Je souris imperceptiblement, me cachant derrière mes cheveux blonds. C'est ainsi tous les jours ! J'ai une famille nombreuse, et tous ne m'aiment pas, mais je suis contente de vivre ici.

   — Velya, Vigna ! Vos devoirs ! les interpelle soudain Isanelle.

   — Oh non, Isa ! s'écrient-elles d'une voix geignarde. On doit encore aller voir les lapins et les veaux !

   — Bon d'accord, soupire l'aînée. Mais dépêchez-vous !

   Les jumelles s'enfuient aussitôt sans demander leur reste. La porte claque derrière elle.

   Isanelle est maîtresse d'école. Riella est couturière. Quant à moi...personne ne veut m'embaucher. Mais mes parents ne m'en veulent pas. J'aide aux champs, je vais faire les courses, je garde le petit dernier... Je suis redevable envers ma famille qui n'est pas réellement la mienne.

   Je ne viens pas d'ici. Je viens de nulle part. Je suis une erreur.

   Mais je suis heureuse d'être ici, même si les gens, pour la plupart, ne supportent pas de me regarder. J'ai une famille, et c'est suffisant.


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Bonjour ! Que pensez-vous de ce premier chapitre ? Du personnage de Navier, ainsi que des autres personnages ?

Chapitre 2 : Mercredi 3 décembre à 18 heures.

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