Chapitre 91
« Les Élémentaires l'avaient détruit. Il possédait le pouvoir de les détruire en retour. Son cœur toutefois demeurait trop noble pour qu'il leur inflige une telle punition. Il s'éteignit dans une ultime larme de sang. »
– Source inconnue.
Le protocole s'avérait simple : une fois les jurés et le public en place, les délégations s'installaient une à une dans un box prévu à cet effet, sur les côtés de l'immense pièce. Pour l'occasion, on en avait d'ailleurs aménagé un cinquième à la hâte à côté de celui des Arixiens. La salle d'audience servait tant à des procès d'ordre mondial qu'aux réunions mensuelles entre les quatre peuples, de sorte que plusieurs de ceux qui entrèrent ce matin-là connaissaient cet endroit. Namjoon par exemple avait déjà assisté à l'une d'elles dans la salle d'audience de Noria, très similaire à celle de Hurna.
Ainsi, quand il poussa la porte, accompagné de Jimin et Seokjin, l'Arixien savait exactement où se rendre. Ils rejoignirent leur tribune sous les yeux de dizaines de curieux venus observer l'évènement de l'année, et ils repérèrent par la même occasion l'espace réservé à l'accusé, au centre de la pièce : une cage d'acier qui comportait une chaise sur laquelle le coupable était installé, silencieux, le regard fixé droit devant lui. Mincheol était vêtu de façon sobre : bien que sa tunique soit brodée d'or, il ne portait aucun bijou, et sa coiffure négligée lui donnait un air plus jeune, presque vulnérable. Ses yeux pourtant traduisaient son inflexibilité, sa détermination. Jimin fut surpris de la sentir intacte... allait-il tenter quoi que ce soit ?
Le général étudia le lieu : outre les deux ou trois box de chaque côté, qui offraient une vue plongeante puisqu'ils étaient surélevés, il se trouvait là des bancs afin d'accueillir le public. Il remarqua aussi les bureaux des avocats de la défense, près de la geôle du prévenu, et la chaire du juge, à côté de laquelle se tenait celle où les témoins parleraient. La salle en elle-même ne l'émerveilla pas outre mesure, en revanche les mosaïques au plafond représentant une ancienne scène de bataille lui coupèrent le souffle. Quelques tentures pourpres brodées avaient attiré son attention, mais elles ne valaient rien en comparaison avec ce chef-d'œuvre.
Namjoon tira un portillon qui s'ouvrit sur une volée de marches. Lui et ses deux amis grimpèrent jusqu'à leur box, second peuple à entrer après Sawa. Ils s'installèrent, et quelques instants plus tard apparurent Yeonjun, Rure et l'émissaire akashite : pour s'assurer que les ambassadeurs ne risquaient pas d'exercer la moindre pression les uns sur les autres, ils patientaient dans une pièce où on venait les chercher afin qu'ils ne se croisent pas. Il était rare en effet que les délégations n'arrivent pas le même jour, si bien qu'il était de coutume de se rendre directement dans la salle d'attente.
Les Tyfodoniens suivirent, et Jimin ne put s'empêcher de penser à Hoseok et Soobin. Il ne fut pas le seul, puisqu'en tournant les yeux vers Beomgyu qui parlerait soutenu par sa mère qui lui servait de garde, ainsi que vers Yeonjun, il s'aperçut que les deux paraissaient un peu plus agités. Rure en revanche ne laissait rien deviner de ses émotions, le regard fixé sur Mincheol qu'on la croirait en train d'assassiner par l'esprit.
Le public bavardait, échangeait des messes basses. Toutefois, à peine les Tyfodoniens installés, un lourd silence s'abattit à la manière d'une chape de plomb sur l'assemblée. Personne n'ignorait qui entrerait ensuite. Jimin retint son souffle, comme la quasi-totalité des personnes présentes. On poussa la porte. Yua parut la première, sublime dans une tunique blanche à la capuche bordée de fourrure, avec un pantalon qui mettait en valeur la finesse de ses jambes. Le menton haut, ses cheveux encore trop courts à son goût coiffés vers l'arrière, elle s'immobilisa afin que son jumeau se poste à ses côtés.
Yoongi entra, et Jimin jura que s'il n'était pas déjà tombé amoureux de lui des semaines plus tôt, son cœur aurait cédé devant sa magnificence : équipé de son armure d'apparat, il sidéra toute l'assemblée. Ses épaulières taillaient sa silhouette, les plumes desquelles elles étaient ornées rappelaient le miracle qui avait eu lieu lors de l'ultime bataille contre Mincheol et ses troupes. Ses yeux vairons attirèrent au moins autant l'attention que ses habits. On admira les deux Phénix qui s'avançaient jusqu'au portillon qui les mènerait à leur box, comme on le leur avait expliqué. Yua passa la première, suivie par son frère. Ils s'installèrent tous deux, et le calme solennel qui avait envahi la pièce se dissipa. On murmura, on jeta des regards en coin aux nouveaux arrivants, puis le procès s'ouvrit.
Yoongi se sentait plus stressé que jamais. Il n'avait pas envisagé un seul instant d'assister un jour à un tel évènement, de sorte qu'il était crispé à l'excès, droit comme un piquet sur son siège, les yeux rivés sur le juge qui présidait l'affaire et parlait sans qu'il comprenne ce qu'il dise. Il ne parvenait pas à se concentrer sur ses paroles, focalisé sur son anxiété.
Parce que Yua ressentait toutes ses émotions, devinait toutes ses inquiétudes, elle posa une main réconfortante sur sa cuisse sans même tourner la tête dans sa direction. Il se sentit plus serein sans pour autant réussir à intégrer ce qui se passait en contrebas. Inutile de blâmer l'acoustique de la salle, le problème venait des doutes qui le rongeaient, de toutes les questions qui le tourmentaient.
Il fut ramené à la réalité lorsque Namjoon, qu'il avait rencontré quelques jours plus tôt pour lui raconter la façon dont il avait vécu cette guerre, prit la parole pour la première fois.
« Nous savons tous pourquoi nous sommes ici, affirma-t-il après quelques mots pour saluer le juge et les jurés. Et il ne s'agit pas uniquement du procès contre Mincheol de Sawa : nous sommes aussi et avant tout ici parce que, alors que nous le croyions éteint voir légendaire, un peuple a rejailli de ses cendres et se trouve aujourd'hui dépourvu de terres, dépourvu même de l'assurance d'avoir le droit de vivre. »
Tous les regards basculèrent dans un même mouvement sur la délégation Phénix, et Yoongi voulut s'ensevelir six pieds sous terre. Il n'en montra rien, les yeux toujours tournés sur Namjoon de qui il ne comprenait pas le but de l'intervention. L'Arixien poursuivit : « En effet, j'ai le regret de vous annoncer que d'après la loi n° 728-43, du 12 juin 728 relative à la magie, adoptée par le conseil des Quatre Peuples, "tout citoyen surpris à faire usage de magie ou bien étant susceptible de la manier se verra condamné à une peine de prison ferme à vie. En cas d'usage dangereux de ses pouvoirs, il sera condamné à une mort immédiate et sans procès." Voilà ce qu'affirme, mesdames et messieurs, la loi que nous avons votée il y a plus de cinq cents ans et qui apparaît toujours dans le texte qui régit le Continent.
« Pourquoi donc blâmerions-nous Mincheol de Sawa ? Pourquoi lui reprocher un génocide autorisé par nos lois archaïques ? Ne devrait-on pas le remercier de nous avoir sauvés de la menace Phénix qui planait sur nous sans que nous le sachions ? Certes, il a souhaité faire des enfants des soldats de son armée, mais n'est-ce pas au contraire un geste d'une clémence extrême, sachant qu'il aurait dû se contenter de les assassiner aussi sauvagement que leurs parents ou bien de les maintenir en prison pour toujours ? Nous devrions donc applaudir cet homme, l'encourager à nous gouverner tous, comme il le souhaitait si vivement. Lui qui est si éclairé, lui qui nous a sauvés. »
Namjoon ménagea un court instant de silence afin que chacun digère ses paroles, puis il reprit.
« Pardonnez, mesdames et messieurs, le venin de mon ton. Je ne peux cependant pas m'empêcher de trouver honteux que nous ayons maintenu tant de temps dans notre loi suprême des lignes aussi horribles. Je suis furieux d'avoir constaté que ces gens de paix que sont les Phénix ne bénéficient même pas du droit fondamental de tout humain, celui d'exister. Les crimes du Prince ne doivent pas détourner notre attention de nos propres crimes, et l'accuser lui ne nous lavera pas de nos péchés : il y a cinq siècles de cela, parce que nous avions peur, parce que nous étions ignorants, nous avons condamné à mort tout un peuple qui s'est à peine autorisé à se défendre, et qui a finalement préféré nous fuir.
« Nous sommes réunis pour un procès contre Mincheol, certes, mais aussi contre les Élémentaires qui se sont permis jadis d'odieuses exactions dont ils s'étaient seuls arrogés le droit. J'aimerais donc qu'aujourd'hui, avant même d'ouvrir les débats concernant le Prince, nous rétablissions la justice : tant que la loi que je vous ai citée existera, Mincheol ne pourra pas être reconnu coupable pour ses nombreux crimes. »
Yoongi sentit son cœur s'emballer alors qu'il comprenait peu à peu où Namjoon souhaitait en venir... et il ne parvenait pas à y croire. L'Arixien se tourna vers ses voisins qui retenaient leur souffle. Il plongea son regard assuré et serein dans celui, stupéfait, de Yoongi. Les mots tombèrent, qu'il avait espérés des années durant : « Je demande que soit abrogée la cruelle loi sur la magie, et que les crimes de Mincheol soient considérés comme tels, sans incidence de cette loi misérable sur nos décisions, » déclara Namjoon d'un ton dans lequel se mêlaient une dureté et une douceur inqualifiables – la dureté de la haine qu'il éprouvait à l'encontre de cette loi, la douceur de la tendresse qu'il ressentait vis-à-vis de l'amour que se portaient Yoongi et Jimin de façon trop évidente pour qu'il passe à côté.
Pour eux, il désirait rétablir un semblant de justice, pour eux il désirait que disparaisse enfin cette menace sous-jacente, tapie dans l'ombre et prête à leur bondir dessus à la manière d'un prédateur. Car rien ne prouvait que Mincheol ne se servirait pas de cet ancien texte pour se défendre des crimes commis à l'encontre des Phénix, et comment alors l'accusation pourrait-elle répliquer ?
Namjoon demeura debout, droit et fier, même une fois sa prise de parole terminée. Il attendait que le juge lui demande de se rasseoir. L'homme, un Sawaï âgé mais aux traits cléments, ne réagit pas tout de suite, sans doute en pleine réflexion au sujet de ce que l'Arixien venait de réclamer.
Face à Namjoon, Yeonjun, de l'autre côté de la pièce, se redressa. Le visage solennel, il leva les mains devant lui et applaudit. Rure, sans montrer sa surprise, lui jeta un regard avant de se mettre debout à son tour pour l'imiter. Leur compagnon les suivit, puis Beomgyu malgré ses blessures et sa mère, ainsi que Jimin et Seokjin, la délégation tyfodonienne, puis le public : un à un, ces inconnus vêtus pour la plupart d'écarlate exprimèrent leur soutien à Namjoon.
Yoongi et Yua demeurèrent immobiles, cois, et le gardien se sentit soudain submergé par tant d'émotions qu'il échappa une larme solitaire. Il l'essuya d'un bref revers de la manche, le cœur en fête. Il avait passé son existence tout entière à maudire les Élémentaires pour cette loi atroce qui les avait autorisés à les massacrer, et voilà qu'un homme – un Élémentaire ! un Arixien ! – réclamait qu'elle soit enfin abolie.
Voilà qu'on réclamait que ceux qui avaient commis ces crimes ne soient plus considérés comme des héros, mais comme les criminels qu'ils étaient.
Yoongi serra dans son poing un pan de sa tunique, tremblant d'une joie que ternissait l'anxiété de la décision du juge. Il ignorait les coutumes et le droit du Continent : pouvait-on effacer un texte si simplement ?
Namjoon savait que oui, à une seule condition : « Je réclame une dissolution immédiate de ce texte par acclamation. »
Si tous les membres de l'assemblée des Quatre peuples témoignaient de leur enthousiasme vis-à-vis d'une proposition, alors pas besoin de scrutin, elle était adoptée. Quand se turent les derniers applaudissements, le juge jeta un regard circulaire à la pièce, aussi calme que depuis son entrée dans la salle d'audience.
Il prit la parole d'une voix puissante et claire.
« Puisque je constate que chacun a applaudi votre proposition, député Kim, je déclare le vote par acclamation approuvé. À partir de maintenant et pour toujours, la loi n° 728-43, du 12 juin 728 relative à la magie, adoptée par le Conseil des Quatre Peuples, sera considérée comme nulle et ne pouvant pas être utilisée pour une quelconque défense. »
Yoongi, ébahi, se passa les doigts dans les cheveux alors qu'il peinait à admettre ce à quoi il venait d'assister. Namjoon étira un immense sourire tandis qu'il se rasseyait aux côtés de Jimin qui posa une main reconnaissante sur son épaule, incapable de le remercier tant il se sentait ému de ce geste symbolique.
Plus aucun doute désormais : même aux yeux de la loi, Mincheol était bel et bien un assassin.
~~~
La matinée s'était déroulée sans qu'un évènement notable advienne, tout comme le début d'après-midi : les témoins s'étaient relayés pour raconter ce qui s'était passé. D'abord les personnes externes, puis les ambassadeurs, dont plusieurs avaient vécu cette guerre de l'intérieur. Jimin et Yoongi avaient développé l'un après l'autre leur interminable histoire, après quoi était venu le tour de Yua. Mincheol n'avait pas prononcé un mot depuis l'ouverture de l'audience, pas une fois il n'avait cillé. Il regarda à peine la prêtresse se placer sur la chaire face au public.
Yoongi en revanche ne put se vanter d'un tel sang-froid. Écouter sa sœur retracer son court passage en prison avant d'arriver au palais ne le dérangea pas outre mesure, l'entendre raconter sa détention le blessa sans pour autant le faire sortir de ses gonds. Mais quand sa jumelle évoqua le marché qu'elle avait accepté de conclure avec Mincheol, il se leva d'un mouvement brutal pour quitter la pièce.
Adressant un ultime regard de soutien à Yua, il s'en alla, incapable de supporter le récit de l'unique viol que lui avait infligé le Prince.
Le voilà donc en ce milieu d'après-midi de printemps assis sur un banc près de la porte à culpabiliser de laisser Yua lutter seule contre les atroces réminiscences de sa captivité. En tailleur, il appuya les coudes sur ses genoux pour enfouir le visage entre ses paumes, tentant de ne pas se figurer les horreurs subies par celle qui avait espéré que céder son corps lui permettrait de sauver le dernier membre de sa famille.
La salle s'ouvrit près de lui. Il découvrit Jimin, que l'on avait autorisé à le rejoindre. Il s'assit à ses côtés, leva un bras dans l'optique de le passer autour de lui, mais remarqua ses épaulières acérées et changea d'avis. À la place, il posa la main sur sa cuisse et la frotta à l'aide du pouce. Yoongi ferma les paupières en s'accordant une longue expiration dans l'espoir de décompresser un peu.
« Je ne peux pas, murmura-t-il d'un ton étranglé.
— Je comprends. Rien ne t'oblige à supporter cela.
— Elle doit être déçue.
— Pourquoi ?
— J'aurais dû la soutenir, l'écouter puis la réconforter.
— Ta sœur est une des personnes les plus fortes que je connaisse, un peu à ton image. Je pense qu'elle ne t'en voudra pas de refuser de l'entendre raconter ce qu'elle a subi à cet instant. Peut-être même t'en sera-t-elle reconnaissante. Tu m'as dit que ton peuple n'aimait pas parler de corporalité, de ce qui se rapporte aux relations intimes. Je doute qu'elle apprécie que tu l'écoutes. Pour l'avoir un peu côtoyée, je pense que ça l'ennuierait que tu le regardes avec pitié.
— C'est vrai...
— Que tu n'écoutes pas son témoignage ne t'empêche pas de la serrer dans tes bras aussitôt que tu seras rentré dans cette salle.
— C'est juste. »
Jimin l'incita à tourner la tête dans sa direction, une main sur sa joue, et il approcha son visage pour l'embrasser. Yoongi ne chercha pas à lui opposer la moindre résistance ; ils partagèrent un tendre baiser dont ils profitèrent aussi longtemps qu'ils le purent.
« J'ignore pourquoi, mais je te trouve beaucoup plus... vulnérable, disons, qu'avant que nous arrivions à la caserne de Hurna, admit Jimin. Est-ce qu'il y a quelque chose que tu ne m'as pas dit ? Cela est-il lié à ce qui s'est passé après ta transformation ?
— Non, sourit Yoongi avec une moue gênée. En vérité... je ne m'étais jamais montré si solide que depuis notre rencontre – pourtant je n'ignore pas que déjà je collectionnais les moments de doute et de désespoir. Or, à cet instant, je n'avais pas le temps de m'y perdre, et je savais que je devais rester aussi fort que possible. À présent, je me sens plus libre d'être moi-même. Je suis désolé si cette facette de ma personnalité ne te plaît pas, je comprends que...
— Quand ai-je dit que cela ne me plaisait pas ?
— Je... non, mais comme tu me posais la question... enfin...
— Oui, je voulais savoir si cela était lié à un quelconque mal être, rien de plus. Que tu sois plus ou moins sensible de manière générale m'importe peu, je t'aime tout autant. Je t'ai dit que j'aimais beaucoup les gens capables de montrer leurs émotions.
— C'est vrai. Alors cela ne te dérange pas...
— Non, pas tant que cela ne te dérange pas non plus. Si c'est ton caractère, alors aucun souci. Je craignais seulement que tu n'oses pas m'avouer que tu étais malheureux, ou bien que ton coma t'avait laissé des séquelles psychologiques.
— Je vois. Mais rassure-toi : je suis heureux pour l'instant.
— Pour l'instant ?
— Avec toi. »
Un instant qui ne durerait pas.
« Ne pourriez-vous pas envisager de rester maintenant que la loi interdit de vous causer le moindre tort ? tenta le général.
— J'aimerais approuver, mais je doute que Yua et Hyunbin se rangent de mon côté.
— Je comprends...
— À ce sujet : l'idée de supprimer cette loi, de qui venait-elle ?
— De Namjoon et Seokjin. Dès l'instant où ils ont commencé à réfléchir à l'accusation à prononcer contre Mincheol, ils se sont heurtés à ce vieux texte. Ils ont tout de suite compris qu'il fallait l'évincer une bonne fois pour toutes de nos lois. Je n'étais même pas au courant, pour tout te dire.
— Eux aussi aiment bien les surprises, sourit Yoongi.
— Il faut croire. Et celle-là était magnifique.
— Oui... que ce texte ait été abrogé par acclamation... je pense que c'est un symbole très fort de ce que les Élémentaires ressentent désormais envers nous.
— En effet. Il est très rare que des décisions soient prises de cette manière.
— Vraiment ?
— Oui. Les ambassadeurs – et de manière générale les hommes politiques quels qu'ils soient – détestent que des textes soient votés si vite, par simple acclamation. Il y en a toujours au moins un ou deux pour se montrer plus frileux et repousser l'idée, du moins tant que le texte n'aura pas été étudié en profondeur, de même que les conséquences de son vote. Les droits des hommes ont connu aujourd'hui une avancée spectaculaire, car enfin nous voilà tous égaux aux yeux de la loi. »
Il perçait dans la voix du jeune militaire une pointe de fierté qui toucha Yoongi. Savoir que son compagnon prenait tant à cœur le sort de son peuple ne le laissait pas indifférent.
Quelques instants plus tard à peine, conformément à ce qu'avait réclamé Jimin à un garde qui surveillait l'entrée de la salle, on vint les chercher pour leur indiquer que le témoignage de Yua s'était achevé. Ils rentrèrent et Yoongi, en rejoignant sa sœur, s'excusa tout bas avant de lui demander comment elle se sentait. Elle lui sourit, rayonnante.
« Je me sens beaucoup mieux, affirma-t-elle. Merci de n'être pas resté, je suis soulagée que tu n'aies pas entendu cela. »
Depuis ce qu'elle avait enduré, elle ressentait le besoin de plus en plus dévorant d'en parler. Or, sa pudeur ne lui avait pas permis de se décharger de son fardeau auprès de son frère ni de son compagnon. Pas auprès de personnes qu'elle connaissait si bien. Une foule d'anonymes en revanche, tous réunis pour punir celui qui lui avait causé tout ce tort... elle s'était fait une joie de leur détailler tout ce qu'elle avait subi et de lire sur les visages tantôt la consternation, le dégoût, ou bien la colère.
Et elle s'était réjouie de planter un regard acéré dans celui de Mincheol, réjouie de le voir baisser les yeux tandis qu'elle racontait comment il l'avait touchée sans son consentement.
~~~
La nuit tombée, le procès fut suspendu pour reprendre le lendemain. Tous les témoins de l'accusation étaient passés, ne manquaient plus que ceux de la défense, après quoi s'ouvriraient les débats concernant la sanction à réclamer contre l'ancien Prince.
Chaque délégation fut raccompagnée de manière séparée à une chambre du palais, afin une nouvelle fois d'éviter toute interaction... ce dont se moquaient bien Yoongi et Jimin, qui filèrent sous le nez des sentinelles. Ces dernières, conscientes du couple formé par l'Arixien et le Phénix, ne tentèrent pas de les arrêter lorsqu'elles les virent quitter l'un après l'autre leurs quartiers. Les deux amants se retrouvèrent dans une chambre inoccupée – parce qu'aucun garde ne la surveillait, ils en avaient poussé la porte qui s'était avérée ouverte.
À peine le battant refermé derrière eux, ils s'embrassèrent avec avidité en passant les mains sous leur tunique pour toucher enfin celui qu'ils chérissaient tant. Jimin perçut dans les gestes de son fiancé un empressement et une détresse qui l'incitèrent à adoucir un peu l'échange puis s'écarter.
« Tout va bien ? s'enquit-il en lui caressant la joue. Yua et Hyunbin sont-ils restés au palais ?
— Oui. Ils n'aiment pas beaucoup leur chambre, mais s'être débarrassés du poids de leurs souvenirs leur a fait du bien, ils se sentent capables de dormir ici désormais.
— Parfait. Et toi, comment te sens-tu ?
— Sans toi, vide.
— Je te remplis quand tu veux, le taquina Jimin en glissant une main sur ses reins.
— Idiot, je ne venais que pour me complaire dans tes bras.
— Dans ce cas, c'est seulement ton cœur que je remplirai de mon amour. »
Sur ces mots, il passa les mains sous les cuisses de son compagnon qui, sous l'effet de la surprise, retint sa respiration lorsqu'il le souleva. Yoongi enroula aussitôt les bras autour de sa nuque et les jambes autour de ses hanches, agrippé à lui de peur qu'il le lâche.
« Sous-estimes-tu à ce point ma force ? s'amusa Jimin alors qu'il approchait du lit qu'il distinguait malgré l'obscurité.
— Oui.
— Je n'attendais pas cette réponse.
— Tu n'en auras pas d'autres.
— Allume donc la lumière au lieu de te moquer. »
Le mage obéit, une flamme s'éleva au-dessus d'une bougie placée sur la table de chevet.
« Trop lumineuse pour être confondue avec une vraie, remarqua Jimin, mais cette fois, les couleurs sont beaucoup plus trompeuses. Tu t'es clairement amélioré, j'aurais pu confondre.
— Merci. »
Il ne diminua pas pour autant l'intensité de sa lumière : il voulait voir son fiancé, le moindre détail de son corps, la moindre lueur dans son regard. Jimin se pencha, son aîné s'accrocha davantage à lui... avant de le relâcher en sentant contre son dos le lit qui trônait au milieu de la pièce. Le militaire posa ses lèvres contre les siennes qui l'accueillirent avec joie, toutefois il les quitta peu après.
« Tu permets que je me mette torse nu ? demanda-t-il en lui caressant la taille par-dessus sa tunique immaculée qui lui seyait à merveille.
— Oui. »
Et tandis que Jimin retirait son haut, l'autre se plaçait au centre du matelas, la tête sur un oreiller moelleux. Yoongi ne se retint pas de s'extasier devant la musculature de son fiancé qui le fascinait toujours et lui donnait envie d'y passer les mains des heures durant – il admirait les efforts qu'un pareil corps requérait au moins autant qu'il aimait cette dureté chaude sous ses doigts. Comment se lasser d'une carrure aussi puissante, d'une telle sensation de protection ? Il éprouvait l'ardent besoin d'être rassuré, et le seul physique de Jimin lui offrait l'illusion que rien ne pourrait l'atteindre tant que son compagnon se trouverait à ses côtés.
Le bel Arixien lui adressa un rictus malicieux et grimpa sur le lit pour le rejoindre, à quatre pattes au-dessus de lui. Il lui embrassa le front.
« Je sais que tu adores mon corps, mais ton regard en devient embarrassant.
— Vraiment ? Je peux arrêter de te regarder, si tu le souhaites, répliqua Yoongi avec humour en tournant la tête.
— Non, j'ai changé d'avis, se rattrapa aussitôt Jimin en saisissant son menton entre deux doigts. Ne regarde que moi. »
Yoongi, amusé par ce revirement qu'il avait provoqué, attrapa les épaules de son cadet pour l'attirer à lui avec douceur et retrouver enfin ses lèvres. Jimin les lui offrit sans discuter, s'appuyant sur ses coudes afin d'une part d'apprécier la chaleur du corps de son aîné contre lui, et d'autre part de glisser une main dans ses cheveux dont la couleur le fascinait au moins autant que le jour où il l'avait découverte. Comme il aimait que le beau Phénix ne se cache plus sous une teinture brune si banale, comme il aimait qu'il arbore avec fierté ce signe d'appartenance à son peuple !
Yoongi passa un bras autour de sa taille pour l'inciter à se coller davantage à lui, de l'autre il lui effleurait le haut du dos, savourant la sensation de ses muscles contractés contre ses doigts. Les langues se rejoignirent, faisant fi du désir de Yoongi de s'en tenir à de chastes caresses : lui-même commençait à remettre ses envies en question. Jimin avait raison : désormais il souhaitait profiter de chaque instant avec lui comme s'il s'agissait du dernier, parce que le dernier approchait si vite qu'il refusait de gâcher plus longtemps les moments de passion qu'il leur était encore autorisé de s'accorder.
Sans hésiter davantage, donc, le mage souleva le bassin de sorte à le coller au sien pour lui exprimer sans le lui avouer de vive voix ce qu'il attendait de cette nuit à deux. Jimin toutefois, tant par espièglerie que par sécurité, préféra d'abord s'assurer que le Phénix se rendait bien compte de son geste.
« Tu vas me donner envie d'aller plus loin, soupira-t-il tout près de sa bouche.
— J'ai envie d'aller plus loin.
— En es-tu bien certain ? Il y a quelques instants à peine...
— Je te veux, Jimin. Je veux que nous fassions l'amour. Et toi ?
— Moi ? Il n'y a pas un jour où je ne rêve pas que nous nous possédions passionnément, mon amour. »
Sur ces mots, il se laissa choir à côté de lui, tous deux désormais sur le flanc alors qu'ils échangeaient un baiser débordant d'affection et de luxure. Leurs jambes s'entremêlèrent, et Yoongi finit débarrassé de sa tunique quelques secondes à peine plus tard, les mains de son fiancé occupées à découvrir pour la énième fois sa peau opaline que seules quelques cicatrices fendaient par endroit, lui donnant une texture différente mais que Jimin n'aimait pas moins. Il adorait tout chez lui, et il ne s'en cachait pas.
Ainsi, quittant la bouche de son aîné, il descendit la sienne sur sa mâchoire, son cou, sa clavicule – il savait que Yoongi raffolait d'être mordillé ici, si bien qu'il insista dans cette zone –, puis il échoua sur son abdomen dont il grignota le fin épiderme. Yoongi, une main dans ses cheveux pour le garder contre lui, l'autre sur son épaule car il souhaitait conserver un contact avec sa peau, appréciait ce traitement le souffle court, tremblant de désir. Il avait écarté les jambes de sorte que son cadet se glisse entre, et le voir rejoindre peu à peu son bassin l'enflammait déjà.
Jimin lui jeta un regard empli de malice et, les mains sous ses genoux, remonta jusqu'à ses cuisses. Il en profita pour lui effleurer les fesses : en dépit de son pantalon, Yoongi en gémit de plaisir, trop impatient de ressentir enfin une véritable stimulation des parties les plus intimes de son anatomie. Son amant néanmoins s'éloigna de ses jambes pour lui caresser la taille de façon si tendre que Yoongi en éprouva la sensation que son cœur sursautait. D'émouvantes minutes passèrent ainsi, pendant lesquelles le général se contenta de toucher son abdomen, ses hanches, ses bras, tout en embrassant son visage et son torse de manière innocente.
« Jimin...
— Oui ?
— Est-ce que tu ne voudrais pas... que l'on se déshabille ?
— Plus tard, oui.
— Pourquoi ?
— Pourquoi quoi ?
— Pourquoi pas tout de suite ?
— Est-ce que tu n'aimes pas que je prenne mon temps ? s'enquit le militaire.
— Si, beaucoup. À toi de répondre à présent.
— Je pourrais supporter d'oublier la façon dont nous faisions l'amour. Je pourrais supporter d'oublier la sensation de mon sexe en toi, et celle de ton sexe en moi. Mais quoi qu'il arrive, je refuse d'oublier ta peau contre la mienne, et mes lèvres partout sur ton corps. Je... je n'accepte pas... »
Ému, Yoongi l'attira tout contre lui. Ils s'étreignirent sans s'embrasser, leur soif d'affection repue par la sensation de leur cœur qui cognait contre leur cage thoracique. Ils ignoraient ce que l'avenir réservait à leur couple. Une chose toutefois demeurait sûre : ils décidaient du présent, et ce présent, ils comptaient bien en profiter tout leur content, quitte à arriver épuisés dans la salle d'audience le lendemain.
Le monde pouvait bien les juger, plus rien d'autre que leur amour ne leur importait désormais.
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