Chapitre 85

« La vie continuera

Et le monde oubliera. »

– Kwon Yeonsu, Vie et mort des Cinq Peuples.


Taehyung ouvrit ce matin-là les yeux avec au ventre l'impression qu'il y pesait une large balle de métal. Voilà dix jours que la guerre était terminée, neuf jours que Hoseok, Soobin, leurs soldats et lui avaient repris la route... et aujourd'hui, ils se sépareraient. Le poète avait tenté d'insister pour participer à la reconquête du pouvoir par les deux jeunes hommes, mais Hoseok le lui avait interdit, rétorquant qu'il devait se reposer à Noria et qu'ils s'occuperaient seuls des affaires tyfodoniennes. Il se sentait mis à l'écart, repoussé par son compagnon qui le choyait bien trop à son goût : il souhaitait lutter avec lui, veiller sur lui pour poursuivre ensuite sa vie à ses côtés.

Sa plus grande peur n'était pas que Hoseok parte combattre sans lui... mais qu'il décide de ne jamais revenir le chercher. Jungkook avait piétiné ses sentiments quelques semaines plus tôt, et Taehyung ne parvenait pas encore à accorder sa pleine confiance à Hoseok. S'ils étaient tombés amoureux au cours de cette campagne, qu'est-ce qui lui garantissait que le valeureux guerrier ne trouverait pas chaussure à son pied parmi les siens lors de ce nouveau conflit ?

Il s'échappa de l'étreinte de son compagnon toujours assoupi et quitta le petit matelas sur lequel ils se serraient chaque nuit pour dormir, sous une tente offerte par l'armée sawaï qui avait récupéré les leurs abandonnées dans la chaîne des Neraï – c'était donnant-donnant, disons. Il s'éloigna du camp d'un pas morne. Le soleil se levait au loin sur les dunes du pays akashite, qu'ils surplombaient depuis les collines où ils avaient élu domicile et qu'ils suivaient depuis plusieurs jours déjà. Droit devant eux, celles de Brynel leur tendaient les bras, même si elles n'enlaceraient jamais Taehyung. Un désagréable pressentiment lui murmurait qu'il ne foulerait jamais ces étendues émeraude... qu'il ne reverrait plus Hoseok après leur séparation. Il en frémit, bouleversé à cette idée.

Pas alors qu'il venait juste de trouver son âme sœur, pitié...

L'horizon apaisé lui renvoyait une impression de fausse sérénité. Le vent mugissait sans un bruit, les oiseaux ne chantaient pas, et seules les quelques brindilles qu'il écrasait parfois gémissaient sous ses pieds. Tout autour de lui, la verdure fleurait l'humidité délicate d'un doux matin printanier, quelques arbres apportaient une ombre bienvenue, des plantes multicolores s'élevaient au-dessus de l'herbe... pourtant, il ne parvenait pas à se réjouir de cette tranquillité.

« Ce n'est pas parce que je pars aujourd'hui que nous ne nous reverrons plus. »

Taehyung, concentré sur le silence matinal que la nature n'osait pas interrompre, sursauta en faisant volte-face. Hoseok se tenait devant lui, une mine désolée sur le visage.

« Qu'en sais-tu ? répliqua le poète en enroulant les bras autour de son propre corps, comme s'il cherchait à se protéger. Rien ne te dit que tu ne seras pas tué... ou que tu ne trouveras pas quelqu'un d'autre.

— Pourquoi voudrais-je d'une autre personne alors que je t'ai, toi ?

— On croirait que tu parles de quelqu'un d'important. Je ne suis rien, je n'ai rien à t'offrir.

— Ton amour est ce qui existe de plus précieux à mes yeux, petit oiseau, » murmura le Tyfodonien en approchant d'un pas.

Désormais face à lui, trop près, il attrapa son menton de la dextre, avança son visage pour frotter avec tendresse le bout de son nez contre le sien, puis lui demanda tout bas la permission de l'embrasser, peu enclin à lui voler un baiser alors que Taehyung ne semblait pas d'une humeur lumineuse. Le poète pourtant l'y autorisa, et ils pressèrent leurs lèvres les unes contre les autres. Hoseok l'enlaça ; Taehyung n'osa pas. Il lui caressa le dos, descendit jusqu'au bas de sa tunique pour faufiler les doigts en dessous et lui cajoler les reins à même la peau. Il l'incita ainsi à se rapprocher de lui.

Or, en constatant que son compagnon ne souhaitait pas approfondir leur baiser ni ne montrait d'envie particulière de le serrer contre lui, le Tyfodonien recula, intimidé. Il leva une main dont il enveloppa sa joue, et il plongea un regard peiné dans le sien.

« Je jure sur ce que j'ai de plus précieux que je ferai tout pour toi, que je viendrai te chercher. Pour toi je combattrai, je resterai en vie, et je traverserai la frontière afin de gagner Noria et ton cœur.

— Je n'arrive pas à y croire, pardonne-moi.

— Taehyung, est-ce que tu ne me crois pas quand j'affirme que je t'aime ? Est-ce que toi, tu m'aimes réellement ?

— Bien sûr que je t'aime, c'est pourquoi je souffre tant de t'abandonner. Pourquoi faudrait-il que je retourne m'enfermer dans ma mansarde quand toi, tu pars combattre ? Ne t'ai-je pas prouvé que j'étais digne de servir en tant que soldat-médecin ?

— Si, évidemment. Mais tu m'es trop précieux, et cette guerre ne te concerne pas. Tu as été beaucoup secoué récemment, je ne veux pas t'imposer de nouveaux combats. J'ai envie de te ménager et de te protéger. Ton entraînement est encore trop récent, trop incomplet. »

Taehyung vécut comme une gifle le souvenir de Jungkook se plaçant devant lui qui n'avait pas vu ni entendu arriver le projectile qui aurait pu le tuer. Il frémit et sa gorge se serra. Il ne parviendrait jamais à chasser cet instant de sa mémoire.

« Je crois que je comprends, » admit-il d'une voix étranglée.

Ses faiblesses mettaient les autres en danger.

« Ne m'en veux pas, je t'en supplie, souffla Hoseok en l'enserrant avec tendresse.

— Même si je désirais t'en vouloir, je n'y parviendrais pas.

— Nous ferons au plus vite : nous avons vu les Arixiens et les Akashites combattre, nous avons beaucoup appris, et Choi Soobin m'a aussi enseigné ce qu'il savait de l'art de la guerre. Nous sommes désormais plus forts que le chef, et assez nombreux pour tenir tête à son armée. Nous sommes peu, certes, mais dans ses rangs, ils sont peu à le soutenir réellement. Je ne doute pas que nos effectifs grandiront tandis que les siens se réduiront.

— Je l'espère.

— Oh, je sais !

— Quoi donc ? » s'étonna Taehyung alors que le visage de son compagnon s'était illuminé.

Hoseok plongea la main sous le col de sa tunique. Il en retira une bague argentée maintenue à son cou par une chaînette. L'Arixien s'en souvenait, il lui en avait parlé lorsqu'il se trouvait encore en prison et que Taehyung était venu recueillir sa version des faits pour son poème. C'était l'alliance de sa mère...

« Cet anneau est ce que je possède de plus précieux, affirma Hoseok en contemplant le bijou au creux de sa paume avec un amour infini dans le regard. Cette promesse d'avenir devenu symbole de mon passé, j'y tiens plus qu'à ma propre vie. Et... je ne voudrais pas prendre le risque de l'abîmer au cours de la guerre qui approche, j'imagine que tu peux le comprendre. »

Taehyung hocha la tête, la gorge sèche alors qu'il tentait de déglutir. Il n'allait quand même pas...

Hoseok passa le collier autour du cou de son compagnon puis l'attacha avec habileté.

« Je te le confie. Ainsi, tu n'as plus à douter : même si je décidais de ne plus revenir auprès de toi, je reviendrais chercher l'alliance de ma mère.

— Hoseok, non, c'est... c'est trop précieux, je ne peux pas !

— Ne t'ai-je pas dit que ton amour était plus précieux encore ? Ma mère aurait voulu que cette bague me serve à promettre l'éternité à la personne de qui je m'éprendrais sincèrement, que j'aimerais pour toujours. Alors voici ma promesse, Taehyung : tôt ou tard, je le jure, nous nous retrouverons. Et ce jour-là, ce ne sera pas à ton cou, mais à ton annulaire que je glisserai une bague. D'ici là, prends-en soin, s'il te plaît.

— J'y veillerai comme sur ma propre vie, jura Taehyung en serrant l'anneau entre ses doigts. Hoseok, c'est... je suis si ému... »

Soulagé d'avoir réussi à rassurer son compagnon, le Tyfodonien lui embrassa la joue.

« J'espère que tu comprendras, dit-il ensuite, que ce collier, je préfère qu'il reste bien en sécurité à ton cou, dans ta mansarde, plutôt que sur le champ de bataille.

— Je resterai cloîtré dans ma chambre, promit son cadet avec une mine amusée. Tu nous retrouveras tous les deux le jour où tu nous chercheras.

— J'en suis heureux. J'ai déjà hâte qu'arrive ce jour où je pourrai te serrer dans mes bras sans appréhender le moment de la séparation.

— Moi aussi. Je t'aime, Hoseok, ne l'oublie pas, je t'en supplie.

— Tu seras celui à qui je penserai en ouvrant les yeux, et celui à qui je penserai en les fermant. Pas une journée ne passera sans que tu m'aies manqué.

— Et tu me manqueras tout autant. Je profiterai du temps de ma solitude pour transmettre au Continent entier tout ce que nous avons vécu, ce pour quoi nous nous sommes alliés puis battus. La légende des Phénix fera sensation, et je serai le premier à écrire à ce sujet.

— Le premier et le meilleur, je n'en doute pas. »

Réjoui par cet encouragement, Taehyung se blottit contre son compagnon qui se détendit en constatant qu'il avait enfin réussi à le rasséréner au sujet de leur relation. Le chasseur refusait de laisser son amant derrière lui avec des doutes. Lui n'en avait aucun : il reviendrait tôt ou tard frapper à sa porte avec l'espoir qu'il bondirait dans son étreinte en l'embrassant tout son content, puis ils vivraient heureux pour toujours à Tyfodon ou Arixium, peu importait tant que Hoseok pouvait se rendre de temps en temps au village de son enfance afin d'y honorer sa famille.

Il se remémora le souvenir douloureux du jour de leur mort. Il se rappelait l'exact moment où un de ses amis l'avait empêché de se jeter au feu avec les cadavres sous l'effet du désarroi. Puis il se rappela avec presque autant d'émotion le lieutenant Jeon lui ordonner de vivre alors qu'il était prêt à combattre jusqu'à la mort. Ce même homme qui, quelques semaines plus tard, avait supplié dans un dernier souffle celui qu'il aimait de trouver le bonheur dans les bras d'un autre – dans les siens. On l'avait sauvé deux fois, et il comprenait enfin pour quelle raison les dieux l'avaient gardé en vie jusqu'à présent. Il priait, désormais, pour qu'ils continuent de veiller sur lui depuis les cieux. Il ne désirait plus périr. Il désirait demeurer auprès de Taehyung.

Les deux compagnons s'embrassèrent, et cette fois l'Arixien déversa dans ces baisers toute l'affection qu'il lui portait, sans plus s'inquiéter de son départ imminent pour Noria. Il aimait Hoseok, il l'aimait de tout son être. Il n'avait certes pas ressenti l'immédiate attirance qui l'avait poussé dans le lit de Jungkook, mais il trouvait plus beau encore le fait qu'il s'était épris de sa gentillesse, de sa patience, de son humilité. Hoseok était une personne aussi sublime à l'intérieur qu'à l'extérieur, et Taehyung ne doutait pas qu'à ses côtés, il coulerait une existence heureuse, celle dont il avait toujours rêvé. Il désirait rester dans ses bras, se régaler de ses récits, apprendre à tirer à l'arc avec lui, et le chérir chaque matin s'il le souhaitait, se donner à lui jusqu'à ce que l'épuisement le gagne et qu'il se rendorme contre son corps brûlant.

Lui qui avait tant lu l'amour, à présent il espérait le vivre.

Hoseok attrapa ses hanches sous sa tunique et l'incita à rapprocher son bassin du sien. Les langues jouaient de façon savoureuse alors que les deux compagnons agissaient avec toujours plus de passion. Taehyung agrippa les épaules de son partenaire qui se mit à lui suçoter la lèvre inférieure, à la lécher de manière sensuelle. Tous ces petits riens finirent par faire grimper l'excitation en eux, et parce que les bassins se frottaient l'un à l'autre, ils s'en aperçurent immédiatement.

Taehyung alors reprit le dessus, plongeant à son tour sa langue dans la bouche de son bien-aimé pour mener la danse. Hoseok resserra son emprise sur ses hanches, enfonçant les doigts dans la peau de son cadet qui en poussa un gémissement à mi-chemin entre douleur et plaisir. Son amant s'apprêtait à s'écarter pour s'excuser, ce dont il l'empêcha en enroulant les bras autour de sa nuque pour le garder tout contre lui.

« Ne t'éloigne pas, lui murmura-t-il.

— Est-ce que tu ne voudrais pas que je me rapproche encore plus ?

— Je crois que cela me plairait beaucoup, en effet.

— Il y a une petite combe à une centaine de mètres de là. Les soldats ne se réveilleront pas avant au moins une demi-heure.

— Penses-tu vraiment que nous irons si vite ?

— Il faudra nous en contenter. Qu'en dis-tu ?

— J'en dis que je suis tout à toi. »

Ravi, Hoseok ne s'écarta que pour lui prendre la main et l'attirer à sa suite alors qu'ils s'éloignaient du camp. Il les mena dans un charmant endroit couvert par une épaisse canopée, en contrebas du lieu où ils avaient monté les tentes. Ici, quelques oiseaux sifflaient, l'herbe était bien plus humide qu'au soleil, et l'air plus frais.

« L'endroit idéal pour t'aimer comme un fou, murmura Hoseok en l'enlaçant.

— Montre-moi au lieu de le dire.

— Mais avec plaisir... »

Hoseok lui sourit et lui retira sans plus attendre sa tunique, enlevant ensuite la sienne. Ils s'enlacèrent de plus belle, ravis de la chaleur de l'autre contre eux. Le Tyfodonien demanda d'un chuchotement s'il pouvait caresser son postérieur, et Taehyung lui en donna la permission dans un soupir. Par-dessus son pantalon, Hoseok l'effleura, le cajola, et ils terminèrent étendus dans l'herbe mouillée de rosée, tous deux nus à s'aimer tout leur soûl, désespérés de se toucher une dernière fois.

Ils s'embrassèrent de façon vorace, Hoseok baladait ses mains partout sur le corps bouillant de son cadet qui gémissait tant son amour que son plaisir. Ils se laissèrent porter par leurs sentiments, et ils finirent par connaître l'extase alors qu'ils taisaient au mieux les râles qui leur venaient.

Ils se susurrèrent leur affection, et ils s'étreignirent alors que le visage de Taehyung se décomposait, bouleversé qu'il était de savoir qu'il s'agissait de son ultime relation avant un moment avec son compagnon. Du moins, pourvu qu'il survive...

Il préféra ne plus y penser, et tandis qu'ils se rhabillaient, le poète jeta un regard aimant à son aîné. Oui, il voulait croire que tout se passerait comme prévu et que d'ici quelques semaines, son beau Tyfodonien frapperait à sa porte pour le conduire jusqu'à Mournan.

~~~

Yoongi reprenait peu à peu son souffle alors que Jimin le rejoignait pour l'enlacer. Blottis l'un contre l'autre, ils s'embrassèrent tandis que le Phénix jetait un regard en direction de la fenêtre : le soleil se levait à peine. Voilà six jours maintenant qu'il s'était réveillé ici, à Hurna, et si mille tracas lui envahissaient l'esprit au quotidien, ce matin, seul un l'occupait.

« Pourquoi refuses-tu que nous fassions l'amour ? se plaignit-il en déposant un baiser sur le torse nu de son compagnon.

— Parce que les médecins qui t'ont examiné à ton réveil ont affirmé que tu avais besoin d'au moins une semaine de repos complet avant le moindre exercice. »

Alors Jimin le contentait à l'aide de ses mains et de sa bouche, agissant dans le but non de prolonger l'extase, mais de la lui procurer au plus vite afin de ne pas le fatiguer plus que de raison. Chaque fois, Yoongi essayait de le persuader de céder à ses propres pulsions, car il savait à quel point son cadet le désirait, mais impossible de faire vaciller la détermination du général. Il campait sur ses positions.

« Donc... demain, accepteras-tu... ?

— Après que les médecins t'auront examiné, s'ils donnent un avis favorable pour l'entraînement, j'estimerai que nous pouvons aussi bien... hum, nous entraîner ici.

— Comme j'ai hâte !

— Ma bouche ne te suffit-elle pas ? s'amusa le militaire.

— Par Hiemis, non. Je veux te toucher, et que tu me touches. Je veux que nous prenions notre temps, et que toi aussi, tu y prennes du plaisir.

— J'aime te faire jouir.

— Mais toi, tu ne jouis pas.

— Je n'en ai pas besoin.

— Mais j'aimerais que nos rapports soient équilibrés, maugréa Yoongi. Je suis las de ces attouchements, c'est toi tout entier que je désire.

— Demain, nous irons voir les médecins au plus tôt, je te le promets. Je suis désolé, je veux juste que tu te rétablisses au plus vite.

— Je sais... »

Tous deux torse nu, ils s'offrirent quelques chastes caresses, et une fois décidés à se lever, ils s'habillèrent avant de se rendre au même endroit que les matins précédents : au chevet de Beomgyu. La chambre était occupée par le jeune rebelle et sa mère, qui s'était installé un matelas au sol pour veiller sur son fils dès que possible. Chacun ici jugeait sa dévotion touchante, elle prenait soin de son enfant, comme elle l'appelait encore, avec un amour infini. Les alliés s'étaient beaucoup rapprochés d'elle au cours de leurs multiples visites.

Yoongi avait vu en elle une femme aussi forte que fragile, capable de soutenir la voûte céleste s'il le fallait, mais à qui les larmes montaient vite aux yeux quand l'émotion la gagnait. Il se retrouvait un peu en elle.

Ce matin-là, alors qu'il s'attendait à la trouver, comme à l'accoutumée, sur une chaise près du lit du blessé, il fut stupéfait, une fois que Jimin eut ouvert la porte, de la découvrir en train de manger avec Beomgyu, lequel s'était assis sur son matelas pour savourer un copieux repas. Il tourna son attention vers les nouveaux arrivants, et il s'illumina face aux deux jeunes gens. Malgré son teint livide, son regard cerné de fatigue et les nombreuses plaies tant sur son corps que sur son visage, il paraissait déborder de vie.

« Yoongi, général Park ! Quelle joie de vous voir en vie ! Entrez, entrez !

— Beomgyu, vous êtes réveillé ! lâcha Yoongi, stupéfait mais ravi.

— Je me suis réveillé tard hier soir, tout le monde dormait déjà et j'ai préféré ne gêner personne. Je vous attendais, justement : ma mère m'a raconté tout ce qui s'était passé, et je suis plus que soulagé de savoir que vous avez survécu à cette bataille, Pyros soit loué !

— Comment vous portez-vous ? s'enquit Jimin. Vos blessures faisaient peur à voir, qu'en pense le corps médical ?

— Je guéris bien d'après eux, et même si mes blessures aux jambes me condamneront sans doute à ne plus marcher avant des mois, au moins je peux me tenir debout quelques minutes et j'ai encore toute ma tête. Je suis reconnaissant pour tout ce qui s'est passé, peu importe ma situation. Nous avons vaincu, voilà ce qui compte le plus.

— Je suis quand même désolé pour vous, j'espère que vous guérirez vite, soupira le Phénix avant de se tourner vers sa mère. Générale Choi, avez-vous reçu des nouvelles du palais ?

— L'audience a été fixée pour dans dix jours. Tous les pays ont reçu nos messagers pour requérir l'envoi d'une délégation exceptionnelle sur-le-champ, et je ne doute pas que tous sont déjà en route. Si en revanche la veille tous les ambassadeurs ne sont pas encore arrivés, nous repousserons un peu la date. Nous savons que les Tyfodoniens risquent... de poser problème, disons. »

Avec le coup d'État qui se préparait – voire se déroulait déjà en ce moment –, aucun doute à ce sujet : la politique du peuple Tigre risquait d'être bouleversée, et dans ces conditions, choisir des ambassadeurs ne préoccuperait pas outre mesure le chef de Mournan.

« Et concernant Mincheol ? demanda à son tour Jimin.

— Il est maintenu dans une chambre, veillé jour et nuit par plusieurs résistants qui ont ordre de ne pas poser la main sur lui, mais de n'accorder aucune importance à ses mots non plus. Avec la destruction de l'œil, de toute façon, il a perdu l'essentiel de ses pouvoirs. Il n'a toujours rien tenté contre ses geôliers. »

Yoongi opina. Lorsque Hiemis avait brisé sa pierre pour reformer ensuite son véritable œil, elle avait repris ce qui permettait aux Éthéréens de maintenir leur magie génération après génération. Hyubin par exemple, soldat émérite, réussissait désormais à peine à immobiliser un adversaire, et dresser un mur de ténèbres ne lui semblait plus envisageable, car il ne percevait plus correctement le pouvoir qui coulait dans ses veines. Il parvenait toujours à illuminer une pièce, ou bien à changer la couleur d'un petit objet, mais rien de plus. Les Phénix s'étaient employés à survivre des siècles durant, ils n'avaient pas veillé à entretenir leur puissance, dont la perte était de toute façon compensée par la relique une fois au soleil, et par sa simple existence puisque même placée à l'ombre, ils en ressentaient de façon ténue l'influence.

Sans elle, les mages se retrouvaient démunis. Pour tout dire, Yoongi n'avait pas osé mesurer la maigre étendue de ses propres pouvoirs, préférant se focaliser sur sa guérison avant de s'intéresser à ses capacités.

Ils échangèrent avec la générale sawaï encore quelques nouvelles à propos de Hurna et des peuples de Sawa : à la capitale, un sentiment de soulagement planait à l'idée que la guerre ne les avait pas atteints ni ne les atteindrait à l'avenir, mais aussi à l'idée que le Prince avait été destitué par les cohortes alliées, que l'on encourageait en secret avec l'espoir que ces folies allaient cesser.

« Ils sont des milliers, aussitôt l'arrestation du Prince officielle, à avoir quitté l'armée avec notre bénédiction, affirma-t-elle. Beaucoup de jeunes gens qui combattaient avec pour seule motivation la solde perçue sont retournés auprès de leur famille. Nous allons tenter de redresser les finances du pays, mais... si je rejoins bien Mincheol sur un point, c'est celui-ci : nous sommes si enlisés dans la famine et la pauvreté que nous avons besoin d'aide. Sawa ne se sortira pas seul de ce mauvais pas, ou du moins on ne s'en sortira pas sans énormes dommages. Si nous voulons limiter les morts provoquées par les disettes à répétition et la pauvreté, il faudra que le conseil des Qua... des Cinq peuples nous accorde l'argent que Mincheol a réclamé tant de fois et qui lui a été refusé. »

Ces mêmes refus à répétition qui avaient poussé le jeune prince à choisir la voie de la guerre plutôt que celle de la paix, après le suicide de son ambassadeur et plus proche conseiller du fait de ces échecs multiples qu'il ne supportait plus d'endurer. Oui, Sawa avait besoin d'argent, et si les trois autres peuples avaient jadis fermé les yeux sur la situation, au moins aujourd'hui le combat les avait conduits à ne plus pouvoir l'ignorer. Les Scorpions étaient plongés dans une immense détresse, chacun à leur place réclamerait à grands cris des ressources financières, et chacun à leur place se désolerait du silence des seules personnes capables de leur accorder ces ressources.

« Nous pourrons évoquer le sujet lors du procès, affirma Jimin d'un ton pensif. D'une part parce que cela devient en effet très urgent, et d'autre part parce que, même si je n'aime pas l'imaginer, cela peut bel et bien constituer un argument pour défendre Mincheol et lui éviter la peine de mort. Le désespoir peut pousser à la folie même les plus résistants. Aucun chef ne supporterait de regarder son peuple mourir de faim sans agir. »

Et avant la sécheresse, s'il existait bien une certitude à propos de Mincheol, c'était qu'il aimait les siens au moins autant que son père. Il avait pris des décisions terribles, mais toujours avec de bonnes intentions pour les siens qu'il souhaitait sortir de leur misère. L'accusation en revanche ne manquerait pas de rétorquer que ses intentions envers les siens étaient certes louables, mais qu'il était aussi motivé par un profond désir de vengeance vis-à-vis des autres peuples. Il comptait les anéantir.

Yoongi aurait voulu répliquer que cette ordure avait provoqué la mort de milliers des siens, mais il se tut : lui-même, en réponse, avait provoqué la mort de milliers de Sawaï. Il existait une issue pacifique, mais Jimin l'avait affirmé des semaines plus tôt : elle existait, bien sûr, mais elle requerrait bien trop de temps, de sorte que Mincheol aurait attaqué avant, son armée de Phénix prête au combat.

Et qui sait si, dans de telles conditions, l'Assemblée n'aurait pas proposé un traité de non-agression contre Arixium en échange de Yoongi. Mincheol aurait été capable d'abandonner ses désirs de conquête vis-à-vis d'un pays s'il pouvait en obtenir deux autres sans mal. Le seul fait de se figurer une telle tournure fit frémir Yoongi, qui préféra songer que son imagination inventait n'importe quoi et que jamais les Arixiens n'auraient envisagé de le vendre contre leur tranquillité.

Si, ils l'auraient fait.

La discussion close, les deux amants quittèrent les lieux après avoir souhaité un bon rétablissement à leur ami, et ils se hâtèrent de prévenir Yua et Hyunbin que le militaire était debout. Le reste de la journée, Jimin et Yoongi le passèrent à bavarder en se promenant dans Hurna. Dès le lendemain du réveil du gardien, ils avaient commencé ces balades dans la capitale. Ils en appréciaient l'architecture originale, s'offraient des mets avec les quelques pièces fournies par la ville pour leur séjour dans l'attente du procès, et... ils cherchaient avec une touchante assiduité celui à qui ils avaient promis monts et merveille des jours plus tôt.

Enfin cet après-midi-là, au détour d'une rue, ils l'aperçurent en train de se procurer des vêtements, la bourse du militaire arixien solidement nouée à un cordon autour de sa taille.

« Kai ! » se réjouit Yoongi.

Surpris d'entendre son prénom, effrayé qu'il s'agisse des autorités – ses multiples vols lui avaient valu bon nombre de courses poursuites qu'il avait par chance toujours remportées –, il fit volte-face, prêt à décamper, avant de reconnaître le Phénix et le général. Un immense sourire se dessina sur ses lèvres alors qu'il se précipitait vers eux.

« Vous avez réussi ! se réjouit le Scorpion en se jetant dans les bras de Jimin qui, ébahi par son enthousiasme, faillit basculer en arrière. Quand on a appris la nouvelle, on était tous si heureux ! »

Il s'écarta du militaire pour serrer avec plus de douceur le mage qui lui rendit son étreinte.

« Nous te cherchions, sourit Jimin en se débarrassant de sa gêne – il n'était plus habitué aux contacts. Quelle joie de savoir que tu te portes bien !

— Oh pour me porter bien, je me porte bien ! Voilà des jours que nous mangeons à notre faim, et comme vous le voyez, je peux même acheter des vêtements neufs aux benjamins ! »

Lui était toujours habillé de guenilles, aussi maigre que la nuit de leur rencontre. Ses cheveux sales ébouriffés et son visage couvert de crasse laissaient peu de doutes quant à son altruisme : il s'occupait d'abord de ses cadets, peu inquiet de son propre état. Il rayonnait, ses récents achats enfoncés dans sa besace.

« Si je me souviens bien, enchaîna donc le général, nous t'avions promis de tout tenter pour vous aider une fois le conflit résolu. Nous sommes restés proches des résistants, dont la chef serait ravie de te rencontrer et de te remercier pour ton aide. Aurais-tu un moment de libre pour nous accompagner ?

— Dans l'immédiat, j'ai à faire, mais si demain vous avez du temps, je n'ai rien de prévu de tout l'après-midi. Nous pourrons nous retrouver ici après le déjeuner.

— Très bonne idée, nous serons là.

— Je vous attendrai. À demain ! »

Et il fila en leur adressant de grands signes, aussi rapide que l'éclair. Jimin esquissa un sourire en coin que Yoongi connaissait à présent par cœur.

« Toi, tu as une idée derrière la tête, comprit-il.

— En effet. Il faudra que je m'entretienne avec la générale à notre retour, je voudrais lui parler de Kai.

— Dois-je comprendre que je ne suis pas convié ?

— En effet. Toi, tu iras te reposer. Voilà des heures que nous marchons.

— Mais je...

— As-tu envie d'un avis favorable demain matin ? le coupa Jimin d'un air narquois.

— Hum... bien sûr que oui.

— Alors tu iras te reposer. Je viendrai te chercher pour le dîner. »

La mine boudeuse, las d'être perçu comme un pauvre petit animal fragile, Yoongi lui tourna le dos et partit dans la direction de la caserne. Amusé par son tempérament qui n'avait pas changé, le militaire se hâta de le rejoindre. Ils marchèrent côte à côte dans un silence qui devint vite agréable. Autour d'eux la ville vivait avec entrain, et Jimin se sentait ému de voir son beau Yoongi aux cheveux immaculés se promener parmi la foule sans risquer ni des regards de guingois, ni la mort. Au contraire, ceux qui prêtaient attention à sa physionomie devinaient aussitôt de qui il s'agissait : le Phénix aux yeux vairons, le héros qui avait mis un terme à la guerre tout en sauvant la vie du général arixien.

Car bien sûr, tous les soldats Scorpions avaient parlé du phénomène qui les avait épargnés, de cette ombre qui s'était débarrassée uniquement des cœurs corrompus. Ils aimaient ainsi à se décrire comme des gens élus par Hiemis elle-même pour vivre, et ils avaient pris plaisir à conter dans les moindres détails ce combat épique au cours duquel la déesse était apparue, incarnée dans le corps du plus puissant gardien ayant jamais existé.

Et lui qu'ils regardaient comme le Phénix le plus puissant, ils ne s'inquiétaient pas de sa magie, au contraire elle les rassurait. Peu importait la loi, désormais : les Élémentaires ne craignaient plus les Éthéréens.

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