Chapitre 84
« Comment considérer comme opposées deux notions qui mènent l'une à l'autre ? La guerre n'est pas le contraire de la paix, elle est la seule condition pour l'atteindre. »
– Ji Sangpo, De la guerre.
Comme convenu, Yoongi, à son réveil, était décidé à passer l'après-midi avec Yua... et Jimin, auprès de qui il insista pour qu'il l'accompagne.
« Je pense que ta sœur n'appréciera pas trop, remarqua le général.
— Mais je veux rester avec toi, je n'aime pas l'idée de me promener dans la caserne de Hurna... tout cela m'inquiète, je serais plus rassuré si tu étais là. Et est-ce que j'ai besoin de raisons, de toute façon, pour vouloir mon fiancé à mes côtés après ce qui nous est arrivé ? Tu es prévenu : je vais te coller comme personne ne t'a jamais collé.
— Et j'avoue que j'ai très envie que tu me colles aussi, rit Jimin en l'étreignant alors qu'ils n'avaient toujours pas quitté le lit. Je veux bien rester si tu assumes auprès de ta sœur de m'avoir supplié de venir.
— Supplier est un verbe un peu fort, je... »
Il croisa le regard réprobateur de son compagnon.
« Oui, bon, d'accord, c'est vrai que je t'ai un peu supplié...
— Parfait, alors allons-y. »
Jimin rejeta la couette et se leva, surveillant ensuite son aîné. Il craignait que Yoongi, allongé depuis des jours, conscient depuis cette nuit seulement, ne se sente mal au moment de se mettre debout. Or le Phénix, plus solide que ce qu'il laissait paraître, se redressa et jeta quelques œillades autour de lui.
« Y aurait-il une tenue plus adaptée pour moi que celle-ci ?
— Ta sœur est allée voler des vêtements pour toi, elle les a laissés à la salle de bains attenante.
— Pardon ?
— Quelle partie dois-je répéter ?
— Qu'est-ce que ma sœur a osé faire ?
— Elle est allée voler des vêtements dans la buanderie de la caserne. Ah si tu avais vu cette merveille ! On venait à peine d'arriver que les médecins ont décrété qu'ils devaient t'examiner et que nous devions donc sortir de la chambre pour quelques minutes. Yua étant folle d'inquiétude, elle n'a même pas envisagé de rester bien gentiment devant la porte à patienter. Non, elle, elle a foncé au sous-sol qu'on lui avait indiqué comme l'endroit où l'on faisait le linge, et après avoir âprement injurié l'homme qui s'en occupait et qui ne voulait pas qu'on vienne chercher nous-mêmes des vêtements, elle est repartie avec une tenue complète. Désolé de te l'annoncer, Yoongi, mais ta sœur est ingérable.
— J'étais déjà au courant, si tu croyais m'apprendre quelque chose, c'est raté. Bon sang, elle n'en manque pas une. »
Dans un soupir dépité, le Phénix se dirigea vers la porte qui menait à la salle de bains. Il imaginait bien Yua s'attirer ainsi des ennuis à peine quelques minutes après son arrivée, cela lui ressemblait bien en effet, surtout si elle s'était donné pour mission de dorloter son petit frère : quiconque lui refuserait ce qu'elle souhaitait lui offrir le paierait cher.
Craignant de trouver une tunique écarlate, Yoongi fut soulagé que sa sœur ait pensé à prendre celle de l'uniforme des médecins, colorée de noir. Il n'aurait pas supporté l'impression de porter tout le sang versé si récemment. Il se nettoya à la hâte puis revêtit ce qui lui avait été apporté, plus à l'aise désormais que dans ses habits trop amples qui commençaient à sentir la transpiration.
Quand il sortit, Jimin l'attendait, prêt lui aussi. Il les mena à une chambre proche, à quelques portes à peine de la leur. Un long couloir s'étendait jusqu'à un escalier, toutes les pièces ici appartenaient à des généraux sawaï, dont un bon nombre avait péri ces deux dernières semaines.
« Hyunbin a beaucoup souffert en prison, affirma Jimin, il ne pouvait pas être rapatrié à Noria avec les autres, voilà pourquoi il a été décidé qu'il reste ici. Beomgyu possède une chambre un peu plus loin, sa mère vient souvent le voir, nous avons eu l'occasion de discuter à plusieurs reprises elle et moi. »
Yoongi opina sans répondre. Il se souvenait bien de l'état de son ami. Ils frappèrent à la porte et Yua leur donna l'autorisation d'entrer. Ils découvrirent le couple occupé à discuter, Yua assise sur une chaise, Hyunbin sur son lit, en tailleur, un livre entre les mains. Yoongi fut touché par le bandage autour de son visage qui camouflait son œil meurtri, ainsi que par tous les autres qui apparaissaient sur son corps : torse nu, habillé d'un simple pantalon ample serré aux chevilles, le guerrier était couturé de balafres qui, par chance, ne saignaient plus.
Il adressa au gardien un sourire rayonnant.
« Ah, le voilà, le héros de cette guerre ! Yoongi, comment te portes-tu ?
— Sans aucun doute mieux que toi. Quelle horreur, je suis si désolé de ce qu'ils t'ont infligé...
— Ne le sois pas, ce n'est rien, tout guérit bien. Les cicatrices finiront par s'effacer, quant à mon œil, j'en ai un second, alors il n'est pas encore nécessaire de paniquer. »
Yoongi comprenait que Yua ait fini par s'éprendre de lui : Hyunbin possédait une personnalité solaire, toujours capable de prendre la vie du bon côté. Il souriait au moins autant qu'il respirait, et bien qu'il sache se montrer sérieux quand les circonstances l'imposaient, il n'en perdait pas de vue sa philosophie pour autant. Il se leva alors que Yoongi approchait, et ils s'étreignirent un bref instant. Yoongi ensuite se tourna vers sa sœur qui l'observait avec tant d'amour que Jimin s'en sentirait presque jaloux.
Les jumeaux s'enlacèrent à leur tour, émus de se retrouver. Yua, les bras jetés autour de sa nuque, le visage dans son cou, se laissa bercer par son odeur, sa chaleur, sa présence. Les yeux clos, ils demeurèrent ainsi de longues secondes durant, communiquant sans utiliser de mots. Puis, lorsqu'ils s'écartèrent, ils échangèrent un regard accompagné d'un sourire.
« Comment te sens-tu ? s'enquit-elle en posant une main sur son front. Est-ce que tu as encore de la fièvre ? N'as-tu ressenti aucun vertige en te levant ? Les médecins étaient convaincus que tu ne sortirais pas du coma avant des semaines, j'étais morte d'inquiétude.
— Tout va bien, la rassura-t-il en entrelaçant ses doigts aux siens. Cesse de t'inquiéter pour moi.
— Je n'y arriverai jamais, sois-en sûr. Es-tu bien convaincu de ne plus rien ressentir ? Pas de fatigue, rien ?
— Non, je n'en ai pas l'impression. »
Alors le sourire maternel de Yua s'effaça, et elle foudroya son frère du regard en croisant les bras contre sa poitrine.
« Parfait, parce qu'il faut qu'on parle, espèce d'idiot ! Comment as-tu pu me faire une peur pareille ! As-tu conscience de ce que tu as failli provoquer ! pesta-t-elle. On s'est toujours promis de ne jamais jouer avec la vie de l'autre, et voilà que parce que ton amant – ou ton fiancé, je m'en moque ! – meurt, tu me fais une véritable crise, tu veux mourir aussi alors que tu le connais depuis deux mois ! Et moi ? As-tu seulement pensé une seconde au fait que si tu mourais, je mourrais aussi ! Non, bien sûr que non ! Monsieur expérimentait son premier chagrin d'amour, alors il était prêt à partir et à tirer sa sœur avec lui par la même occasion ! Rentre-toi cela dans le crâne une bonne fois pour tout : tu meurs, je meurs aussi ! Par Hiemis, mais quelle inconscience ! Tu me fatigues, Yoongi, comment puis-je être si sage et toi si stupide alors que je ne suis âgée que de quelques minutes de plus ! Est-ce que de nous deux, je suis la seule capable de réfléchir ? Je ne...
— Oh pitié, taisez-vous, il a compris, râla Jimin.
— Je. Vous. Demande. Pardon ?
— Est-ce qu'il vous semblait vraiment se contrôler à cet instant ? J'ai vu Yoongi se laisser envahir par ses émotions, et très vite il n'en était plus le maître. Je ne doute pas que s'il avait possédé toute sa conscience, il n'aurait pas joué avec sa vie de cette façon. Or, il n'était plus en capacité de gérer tout cela, ce qui peut se comprendre : c'est la faute de votre peuple s'il n'a jamais appris à utiliser ses pouvoirs, alors ne l'invectivez pas d'en perdre le contrôle quand sa douleur prend le dessus, surtout si elle permet d'éliminer en prime tous nos ennemis. S'il n'était pas resté enfermé à apprendre par cœur des textes nuit et jour, rien de cela ne serait advenu. »
Son ton, glacial, eut le mérite de couper Yua sans qu'il ait besoin de hausser la voix – furieux, il dégageait une autorité naturelle. La jeune femme, aussi fâchée que frustrée, jeta un regard à son frère qui avait trouvé refuge dans l'étreinte de son compagnon, et elle poussa un soupir résigné.
« Ce qui est fait est fait, j'imagine qu'il ne sert plus à rien de s'énerver. Mais à l'avenir, Yoongi, par pitié rappelle-toi que je souhaite vivre le plus longtemps possible.
— Je n'y manquerai pas, pardonne-moi...
— Dites-moi, comment se porte Beomgyu ? s'enquit Hyunbin pour couper court à cette conversation.
— Aux dernières nouvelles, il n'est toujours pas réveillé, affirma l'Arixien, mais son état demeure stable. Ses jambes toutefois ont été durement touchées, il ne pourra sans doute plus combattre.
— Je vois... je suis désolé pour lui. Et pour Sawa ? Que va-t-il se passer ?
— Nous l'ignorons encore. Je ne pense pas que le procès donnera raison à Mincheol : rien ne justifie une telle barbarie, aussi bien envers les Phénix qu'envers tous les autres peuples. Je ne pense pas qu'il s'en sortira. Sans compter que le procès, qui aura sans doute lieu d'ici deux ou trois semaines, le temps que les délégations Élémentaires arrivent à Hurna, le confrontera à une accusation déterminée à le faire tomber. »
Pourtant, une conviction pesait sur Yoongi : Hiemis leur avait laissé un message d'une importance colossale. Elle n'avait pas trouvé Mincheol. La déesse, incarnée en lui sur le champ de bataille, avait cherché un Prince au cœur rempli de haine, un homme mauvais et avide de vengeance, un homme prêt à décimer des peuples pour conquérir de nouveaux territoires... et elle ne l'avait pas trouvé. Elle avait réussi à ramener Jimin de la mort, elle avait éliminé tous les soldats sawaï dont le cœur était corrompu, mais elle n'avait pas blessé Mincheol.
« Le procès aura donc lieu à Hurna, songea Yoongi sans évoquer ses doutes.
— Oui, cela sera plus simple, nous ne voulions pas prendre le risque de transférer Mincheol.
— De qui les délégations seront-elles formées ?
— Une délégation doit comporter au minimum un homme politique apte à prendre la parole devant l'assemblée des Cinq peuples, et un militaire pour le défendre. De notre côté par exemple, mes amis Kim Namjoon et Kim Seokjin ont été choisis par les empereurs pour parler au nom des Arixiens, et je leur servirai de bouclier en cas de problème – ce qui explique aussi pourquoi on ne m'a pas obligé à rentrer au camp avec mes troupes. Pour ce qui est de la délégation Phénix, car tout le Continent espère la voir le jour du procès, j'espérais que tu accepterais de représenter les tiens, Yoongi, et que Yua serait d'accord pour te protéger.
— Moi ? Parler au procès de Mincheol ? balbutia Yoongi qui ne s'y était pas attendu.
— Oui. Il vous reste trois semaines au moins pour vous y préparer, rien ne presse. De tous les Phénix, tu es le plus à même de t'exprimer à ce sujet. Tu as tout vu, tout appris, et tu ne crains plus les Élémentaires ni ne les rejettes.
— Je vois... je tâcherai d'y réfléchir. Connais-tu la composition des autres délégations ?
— Non, elles sont décidées en interne et l'inscription a lieu le jour même, afin justement qu'aucun pays ne puisse exercer de pression sur tel ou tel politicien des autres nations. Je t'avoue cependant que du côté des Scorpions, je pense que Beomgyu ou sa mère s'exprimera, que pour ce qui est des Serpents, Yeonjun et Rure serviront de gardes du corps, et que du côté des Tigres... eh bien dans les jours qui viennent, cela va devenir plus compliqué.
— Dans quel sens ? s'étonna le gardien.
— Hoseok, Taehyung et Soobin, qui n'avaient pas subi de blessures vitales, ont été soignés et sont partis ensemble pour Arixium. À Noria, ils comptent laisser Taehyung se remettre de ses émotions puis marcher sans lui sur Mournan. Le chef Choi aura à peine eu le temps de préparer sa délégation qu'une armée fondra sur lui. Cette fois, les troupes sont entraînées à de véritables manœuvres militaires, Hoseok ne peut plus être considéré comme un amateur, le père de Soobin n'en a plus pour très longtemps si tu veux mon avis. »
Yoongi acquiesça, pensif. Il tentait d'assimiler tout ce qui s'était produit pendant son long sommeil. Malgré ses difficultés, il y voyait déjà un peu plus clair. À l'exception de Jimin, tous les Arixiens peu ou pas blessés avaient quitté Hurna ; dommage, le Phénix aurait souhaité remercier pour leur aide les Arixiens, en particulier Taehyun, Aena, et les frères Han, de même que les Tyfodoniens, ainsi que les Akashites. Seuls restaient Beomgyu et les siens à présent. Il ne manquerait pas d'aller échanger quelques mots avec eux, il se le promit.
Sa mine songeuse toutefois laissa place à des yeux écarquillés quand Hyunbin, taquin, prit la parole.
« Alors... de ce que Yua m'a dit, vous êtes fiancés... »
Yoongi se sentit humilié sans en saisir la raison – pourquoi être embarrassé d'évoquer celui qu'il chérissait, après tout ? Il comprit très vite que cela provenait de la pudeur habituelle des Phénix à parler d'amour, pudeur que n'avait jamais ressentie Hyunbin, tant que cela concernait les sentiments des autres, car pour ce qui était des siens, lui aussi peinait à en discuter.
« Eh oui, approuva Jimin à sa place. Je lui ai fait ma demande en bonne et due forme, et il l'a acceptée.
— Je ne vois pas d'anneau au doigt de mon frère, ni au vôtre, remarqua Yua d'un ton sceptique.
— Suis-je bête, j'ai dû l'oublier avec le bouquet de fleurs et le groupe de violonistes réunis pour l'occasion, au fin fond de la forêt où je lui ai fait ma demande.
— C'est bon, j'ai compris...
— Je ne voulais pas spécialement de bague, affirma pour sa part Yoongi avec une moue amusée. Sa promesse m'a suffi.
— Hum, je vois... Général, vous avez intérêt à prendre soin de mon petit frère, sinon je le saurais, je viendrai frapper à votre porte, puis c'est vous que je frapperai.
— Yua, par Hiemis, cesse de lui chercher des poux, je l'aime ! Voilà des mois qu'il met sa vie en danger pour protéger la mienne et sauver les vôtres, au passage. Est-ce que tu ne pourrais pas te montrer un peu plus respectueuse envers lui ? Ce n'est pas parce que je suis ton petit frère que tu as encore besoin d'être constamment sur mon dos. À présent, je peux me défendre seul, et dans le cas contraire, tu peux compter sur Jimin pour me protéger. Pourquoi te montrer aussi méfiante envers lui ? »
Soufflée par le caractère de son frère, par cette répartie acide qu'elle lui ignorait – jamais il n'avait osé lui tenir tête ! –, la prêtresse en resta coite. Conscient pour sa part que Yoongi avait raison de s'agacer de son comportement, Hyunbin ne répliqua pas. Yua déglutit. La bouche sèche, le cœur lourd, elle souffla d'une voix emplie de douleur : « Peut-être parce que nos parents ne sont plus là pour s'inquiéter pour toi, alors c'est à moi que ce devoir incombe. »
Les larmes au bord des yeux, elle fuit la chambre en trombe sous les regards à la fois peinés et perplexes des jeunes gens. Yoongi s'en voulut de lui avoir parlé avec une telle véhémence, en revanche il n'en éprouvait aucun remords : Yua devait comprendre qu'elle avait dépassé les bornes. Il soupira malgré tout et interrogea en silence les deux autres qui approuvèrent d'un acquiescement. Yoongi quitta la pièce sur les traces de sa jumelle. Il n'hésita pas longtemps, remarquant que la porte de sa propre chambre était entrouverte.
Il la poussa en douceur pour découvrir sa sœur appuyée contre le cadre de la fenêtre qu'elle avait ouverte afin de prendre l'air. Penchée, la tête entre les mains, elle se faisait discrète. Sans chercher à l'être, il la rejoignit. Yua ne bougea pas. Son frère enroula les bras autour de sa taille et moula son corps au sien, le torse contre son dos.
Elle ne protesta pas ; il ferma les paupières, le front posé contre sa nuque. Il désirait qu'elle comprenne toute l'affection qu'il éprouvait pour elle malgré ses mots durs, et qu'elle sache qu'il ne risquait plus rien à présent : après trois mois d'angoisse, il lui était enfin permis de se détendre, ce qu'elle semblait encore peiner à concevoir. Ce fut sur ce point qu'il souhaita la rassurer.
« J'ai changé, n'est-ce pas ? demanda-t-il d'un ton léger à voix basse.
— Je ne te le fais pas dire.
— J'ai rencontré Jimin la nuit où il m'a délivré des Scorpions. Il m'a tendu la main, il m'a souri, et depuis, il n'a plus cessé de le faire. Il s'est montré avec moi d'une patience exemplaire, car tu imagines bien que j'étais plutôt réfractaire à l'idée de collaborer avec des Aigles, ou même juste de leur donner ma véritable identité. Pourtant, il n'a eu de cesse de m'arracher la vérité pour m'apporter ensuite son soutien. Il a convaincu ses lieutenants puis ses soldats de nous venir en aide, et il m'a permis de mieux comprendre mon pouvoir, de le développer à ses côtés afin qu'il nous serve pour atteindre Hurna. Pour autant, il ne m'a jamais utilisé à la manière d'une arme : nous étions d'abord des camarades, puis des amis... et ensuite, je n'ai plus réussi à me voiler la face. J'étais tombé amoureux de lui.
« Pour moi – pour nous –, Jimin a mis sa vie en danger, certes, mais aussi la vie de ses soldats, son poste qu'il aurait pu perdre en déclarant la guerre. Il a défié les ordres de l'Assemblée, s'est arrangé avec un homme politique pour qu'il lui déniche des soutiens inespérés... Il a tout tenté, tout, parce qu'il savait qu'il combattait pour une cause noble, pour la justice. Quant à nos sentiments, ils sont nés après plusieurs semaines que nous avons passées presque toujours ensemble. Il m'a beaucoup appris à propos des siens, il m'a fait découvrir Noria, et il m'a transmis son envie de protéger ce peuple qu'il chérit.
« Alors oui, parfois il m'a un peu bousculé, il ne s'est pas toujours montré très délicat, mais il n'agissait ainsi que quand il comprenait que cela devenait nécessaire. Il m'a toujours encouragé à montrer mes émotions, il ne m'a pas interdit de souffrir ou de pleurer. Il est devenu l'épaule sur laquelle je me suis appuyé pour me relever après ce drame, je lui voue une confiance sans faille, et un amour tout aussi puissant. Dans ses bras, Yua, je sens que le monde pourrait s'effondrer sans que je m'en inquiète. Je t'en prie, fais un effort : tu es toute ma vie et lui aussi. Je ne supporterai pas longtemps de vous voir vous chamailler sans cesse.
— Je suis désolée. »
Sa voix étranglée le blessa. Il la serra davantage contre lui puis l'obligea à se tourner pour l'étreindre enfin en l'incitant à réfugier son visage dans le creux de son cou. Elle prit une profonde inspiration et murmura une nouvelle excuse.
« Si tu savais comme je me suis inquiétée... j'ai cru... j'ai eu si peur tout ce temps. Du matin au soir tu hantais mes pensées, et quand j'ai appris que tu t'étais échappé, j'étais si heureuse et si effrayée à la fois. Si tu savais, Yoongi, ce que j'ai accepté pour m'assurer qu'il ne te ferait rien. »
Yoongi frémit en se rappelant la nuit où il s'était réveillé en sursaut avec une sensation atroce, celle que sa sœur avait subi quelque chose d'horrible. Il tenta de ne pas se figurer ce qu'elle avait pu accepter en échange de sa vie à lui, et il lui embrassa la tempe.
« À présent, tout est fini, la rassura-t-il en lui caressant le dos. Tu n'as plus rien à craindre pour moi.
— Au contraire, les Quatre peuples savent désormais notre existence et leur loi les autorise encore à nous tuer sur le champ si nécessaire. Certes, ils nous ont aidés, tu es devenu un héros, mais quelles atrocités nous attendent encore à présent ?
— Je comprends ta méfiance, mais j'ai coopéré avec des représentants de chacun de ces peuples, et je leur fais confiance pour la suite. Ils ont changé.
— Je vois...
— Mais quelque chose d'autre te tracasse, devina-t-il.
— Vas-tu vivre avec lui ?
— J'aimerais beaucoup.
— Et que deviendra notre peuple, sans toi ? Les Phénix sont désormais un peuple en majorité âgé de dix-huit ans ou moins : ces enfants ont besoin des trois figures principales de leur village, le chef, la prêtresse et le gardien. Hyunbin est prêt à prendre la responsabilité du chef, il apprenait déjà aux côtés de son père. Nous organiserons des élections, mais il ne fait aucun doute qu'il l'emportera. En revanche, si les nôtres perdent leur gardien après une telle tragédie, si tu décides de rejoindre les Aigles... et moi, que deviendrai-je loin de toi ?
— Yua... non, tu n'as rien à craindre à ce sujet non plus, je ne vous abandonnerai jamais. Je viendrai vous voir aussi souvent que je le pourrai, je le jure, il n'est pas question de rester auprès de Jimin sans arrêt, et quand bien même, je suis convaincu que lui aussi serait ravi de vous voir. Il sait à quel point je tiens à vous, il ne m'empêcherait pas de vous rendre visite.
— J'ignore même où nous nous réfugierons. Bon sang, je déteste plonger dans l'inconnu... Tout cela m'effraie tellement.
— Mais je suis là, désormais, et je jure que plus personne ne te fera souffrir. Jimin s'en assurera, et tous ceux qui nous ont aidés plaideront notre cause auprès de leur chef – Choi Soobin, même, le deviendra, j'en suis convaincu. Ne t'inquiète plus de rien, laisse-toi porter. Je veille sur nous.
— Comme un parfait gardien, souffla Yua.
— Exactement. Alors reposez-vous sur moi.
— Je suis touchée... tu donnes de ta personne pour nous protéger, le taquina-t-elle avec un sous-entendu explicite.
— Eh oui, je suis dévoué corps et âme à notre cause. Qui d'autre que moi aurait pu obtenir la protection du plus puissant général Aigle ?
— Toi seul le pouvais, moi je l'aurais tué pendant son sommeil.
— Tu ne changeras jamais... et cela a aussi ses avantages. »
Ils s'écartèrent, souriants, et il prit son visage en coupe pour lui embrasser le front d'un geste tendre. Yoongi savait qu'ils ne craignaient plus rien, du moins plus rien en comparaison du génocide qui les avait poussés à l'exil. Des discriminations, ils en affronteraient où qu'ils se trouvent, mais l'important demeurait que l'on n'intente plus à leur vie. Ils ne demandaient qu'à s'intégrer après avoir été spoliés de leur territoire. Ils souhaitaient vivre en paix, rien de plus.
« Je t'aime, Yua. Tu m'as manqué jour et nuit. Sans toi, mon cœur me semblait arraché de sa cage thoracique. Je suis si heureux, si soulagé de te retrouver. La vie n'est plus pareille sans toi pour me gronder et me montrer le chemin.
— Et la vie n'est plus pareille sans toi pour calmer mes ardeurs et me rassurer.
— S'il te plaît, aie confiance en Jimin, il ne nous a jamais trahis jusqu'à présent, il ne le fera pas maintenant.
— Ni jamais, ajouta le général en entrant dans la pièce avec Hyunbin. Je mets mon honneur en jeu à chaque promesse que je fais, et je me souviens très bien avoir juré à votre frère de tout mettre en œuvre pour vous retrouver. Je n'étais pas convaincu d'y parvenir, mais j'étais certain de tout faire pour. Alors si aujourd'hui je vous promets que je m'assurerai que les vôtres ne souffrent plus, comprenez que je ferai jouer mes relations dans ce but, et que si qui que ce soit parmi vous est menacé par un des miens, je prendrai moi-même la situation en main.
— Quant à moi, je m'assurerai que les peuples nous voient sous notre meilleur jour, affirma Hyunbin avec détermination. Nous avons décidé de travailler ensemble pour offrir aux générations futures un monde de paix. »
Jimin et lui échangèrent un regard qui laissait deviner qu'ils avaient discuté eux aussi en l'absence des jumeaux. Ces derniers se prirent la main par réflexe, habitués à ces contacts depuis leur plus jeune âge au point qu'ils ne se rendaient plus compte qu'ils les exécutaient.
« Eh bien, j'ai l'impression que vous vous êtes déjà tous organisés, ploya Yua. Dans ce cas, soit, je m'en remets à vous pour veiller sur les Phénix encore en vie.
— Nous n'en serons pas capables sans toi, refusa Yoongi. Mais ne te tourmente pas trop, voilà tout ce que nous désirons. »
Elle opina ; son frère avait décidément beaucoup changé, en effet...
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Parce qu'aucun procès n'avait sollicité leur après-midi, Namjoon et Seokjin en avaient profité pour se promener ensemble et discuter du sujet qui les préoccupait ces temps-ci : Samran était rentré de Sawa quatre jours plus tôt avec un message du général, qui avait donc devancé le héraut arrivé ce matin même. Namjoon avait ainsi su le premier la victoire des cinq peuples sur le Prince, de même que l'audience qui adviendrait quelques semaines plus tard.
Namjoon en avait lui-même aussitôt averti les empereurs, qui l'avaient déclaré délégué d'Arixium. Le député avait demandé à ce que Jimin soit son bouclier, requête qu'ils avaient acceptée sans protester, conscients qu'en effet, il s'avérait le plus apte à remplir cette fonction. Namjoon l'en avait sur le champ informé via Samran.
Jimin en revanche, disposant d'une place réduite sur le parchemin, était allé au plus pressé, de sorte que Namjoon et Seokjin avaient appris par le héraut ce matin les détails de l'ultime bataille... ainsi que le décès du lieutenant Jeon, pour qui Jimin réclamait le passage au statut de général à titre posthume. Le couple s'était senti bouleversé par la mort précoce de cet homme courageux et talentueux.
L'exploit du général arixien sur qui personne n'aurait misé lors de cette guerre se répandait comme une traînée de poudre depuis le retour du messager. Cet après-midi en effet, sur la promenade le long de la Nabacea, les amants n'entendaient parler que de Park Jimin, de ses troupes et de tous ceux qui l'avaient rejoint avant son arrivée à Hurna. Il était question de Phénix, de magie, de mort qui n'en était pas, de miracles, etc.
« Et dire que les soldats ne sont même pas encore rentrés au camp n° 7, remarqua Namjoon. Nous n'avons pas fini d'en entendre parler.
— J'en ai bien l'impression. Cela ne me surprend pas, toutefois. Ce n'est pas tous les jours que nous entendons de telles nouvelles. À quand remonte la dernière fois que tous les peuples du Continent se sont entraidés contre une même menace ? J'ignore même si cela s'est déjà produit...
— J'en doute, en effet. Et avec des centaines de soldats en permission qui se hâteront de se vanter auprès de leur famille et de leurs amis, je ne doute pas que nous apprendrons tout dans les moindres détails.
— C'est certain. Cela pourra peut-être nous aider à décider de la ligne d'attaque à adopter pour le procès. Veux-tu vraiment que nous partions demain pour Hurna ? s'enquit Seokjin.
— Oui, plus tôt nous y serons, mieux cela vaudra : Jimin pourra nous raconter tout ce qui sera nécessaire, et de cette façon nous pourrons nous préparer directement auprès de lui et de Yoongi.
— C'est juste, je comprends. Cela vaut mieux, en effet. Mais où logerons-nous ? J'ai appris que la nourriture était devenue une denrée rare, là-bas.
— Les délégués politiques et militaires sont nourris et logés aux frais du pays hôte, déclara Namjoon. Nous pourrons quand même apporter des provisions, pour pallier toute éventuelle disette. Je pense que nous logerons au palais, c'est la procédure habituelle, et il comporte plusieurs dizaines de chambres vacantes, tout comme la villa de nos empereurs, le château de Mournan, et le palais de Vanori. C'est par ailleurs dans la salle d'audience du palais qu'aura lieu de procès, donc nous serons sur place, nous pourrons prendre notre temps sans penser au voyage pendant que nous rédigerons notre réquisitoire.
— Ma première grosse affaire, j'en suis aussi impatient que tétanisé par l'anxiété.
— Oh, dois-je considérer que me sauver la vie n'était pas pour toi une affaire si importante ?
— Au contraire, je pensais que tu savais que rien ne serait jamais si important, alors je n'ai pas pris la peine de la mentionner, répliqua le Tyfodonien avec un sourire complice.
— Bien rattrapé.
— J'ai appris du meilleur. »
Il glissa sa main dans la sienne et pressa son épaule contre la sienne dans un mouvement affectueux qui incita Namjoon à passer deux doigts sous son menton pour diriger son visage vers le sien. Il lui vola un tendre baiser qui ne dura pas, et ils reprirent leur promenade.
En apprenant que c'était Namjoon qui représenterait Arixium à Hurna – avec son ancien esclave, en plus ! –, beaucoup de députés s'étaient montrés outrés, ce qui n'avait fait ni chaud ni froid aux chefs de la nation qui avaient campé sur leur décision. Du moins... sur la décision de l'empereur Hwang, que Seo n'osait plus contredire depuis sa mise en accusation par Namjoon quelques jours plus tôt. Hwang le soupçonnait encore, mais voulait croire qu'il désirait rejoindre le droit chemin, et plus rien n'avait été tenté contre Namjoon depuis.
Rentrés chez eux une heure plus tard, Namjoon et Seokjin préparèrent leurs bagages pour leur voyage. Ils seraient accompagnés par trois soldats équipés du brassard blanc de la neutralité. Eux-mêmes étaient invités à l'enfiler, en plus du hanbok qui prouverait leur statut.
Le tout terminé, ils dînèrent en bavardant puis se changèrent et se couchèrent côte à côte dans le lit de l'Arixien. Enveloppés l'un dans l'étreinte de l'autre, ils se confondirent en baisers, en caresses, mais ne franchirent pas les limites de la pudeur : Seokjin peinait encore souvent à se dévêtir, et Namjoon ne comptait pas l'y forcer. Le Tyfodonien n'était par ailleurs pas très adepte de la masturbation, si bien que quand il ne souhaitait pas même retirer son pantalon, Namjoon savait que cela signifiait qu'il ne désirait aucune stimulation.
Ils s'assoupirent de longues minutes plus tard, comblés par l'amour qu'ils partageaient.
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