Chapitre 82 🎵
« Si nous devons malgré tout reconnaître une qualité à la magie, c'est la beauté qu'elle apporte dans la mort : les rituels Phénix sont, à mon sens, ce qu'il existe de plus beau et de plus émouvant. »
– Ji Sangpo, De la magie.
Une interminable minute s'écoula pendant laquelle, genoux à terre, les combattants se recueillirent à la mémoire de celui qu'ils considéraient non plus comme un gardien, mais comme un héros. Les seuls sanglots de Yua lacérèrent le silence, car Jimin se contentait de verser des larmes amères sur le corps de son compagnon dans ses bras, incapable de s'en séparer.
Hyunbin, les yeux rougis et gonflés du fait du nombre de fois qu'il y avait passé sa manche, posa le second genou au sol puis leva les mains vers le ciel. Il entonna un chant dans une langue ancienne, un chant aux notes tantôt lancinantes, tantôt graves. Sa voix, maîtrisée et magnifique, surprit les Élémentaires. Les Éthéréens pour leur part reprirent tous les uns après les autres cette mélodie, ultime hommage à leur sauveur. Tandis qu'ils entamaient le dernier refrain, les Phénix concentrèrent tout le faible pouvoir qui leur restait une fois la pierre disparue, et un halo blanc se matérialisa autour de corps, qu'il enveloppa avec une tendresse touchante.
Puis ils poursuivirent, mais avec des paroles dans leur langue actuelle et avec cet accent que Jimin avait appris à adorer. Il se rappelait sa surprise les premières fois qu'il avait entendu Yoongi s'exprimer, les mensonges du jeune homme qui tentait de dissimuler son identité, et un sourire nostalgique s'étira sur ses lèvres alors qu'il caressait la joue de son fiancé et que se poursuivait la prière.
« Il a donné sa vie,
Il a sauvé les siens.
Hiemis veille sur lui,
Un héros te rejoint.
Nos larmes sur la cendre
Tracent notre douleur.
Puissent nos pensées fendre
Les cieux jusqu'à ton cœur.
Il a donné sa vie,
Il a sauvé les siens.
Hiemis veille sur lui,
Un héros te rejoint. »
Ému par cette cérémonie et parce que les notes se répétaient au point qu'il les connaissait déjà, Taehyung se mit à fredonner. Lové contre Hoseok, il désirait honorer Yoongi à la façon du peuple de ce dernier. À son tour il leva les mains... et il fut imité par son compagnon et par le lieutenant Kang à la fois. Soobin se joignit à eux, puis Yeonjun et Rure. Voyant leurs chefs suivre le mouvement, les soldats les rallièrent. Près de là, Aena, Kaana, les frères Han et tant d'autres chantèrent leur douleur, agenouillés et les bras tendus en direction des cieux.
Le champ de bataille résonnait désormais des voix du Continent entier.
Hyunbin embrassa le plateau ravagé par la guerre du regard. À cet hommage, son émotion fit vibrer sa voix de trémolos.
« Bleu, rouge, jaune et vert
Se sont enfin unis
Pour chanter de concert
La gloire d'un ami.
Il a donné sa vie,
Il a sauvé les siens.
Hiemis veille sur lui,
Un héros te rejoint.
Vos enfants rassemblés
Implorent votre pitié.
Il a donné sa vie,
Il a sauvé les siens.
Hiemis veille sur lui,
Un héros te rejoint.
Hiemis veille sur lui,
Nous pleurons un gardien. »
https://youtu.be/nH_kokXAw-k
Dans les années futures, certains affirmèrent qu'ils ne surent jamais quand le miracle s'était produit, que tout était arrivé sans raison à cet instant. En vérité, cela advint lorsque Jimin et Yua, abattus mais bouleversés par cet élan commun, entonnèrent à leur tour cet air dans un murmure étranglé – et la jeune femme remplaçait les dernières paroles par « mon frère te rejoint ».
La lueur blanche des Phénix se teinta de céruléen tandis que tous les Aigles éprouvaient une soudaine chaleur inexplicable. Le pouvoir qui se terrait au fond d'eux, trop faible pour se manifester, avait réussi cet exploit du fait de la ferveur des Arixiens qui invoquaient ce phénomène sans même s'en rendre compte. Puis ce fut au tour des Tigres de vivre cette étrange sensation, et le halo revêtit une nuance émeraude. Les Serpents frémirent quand vint leur tour : peu nombreux, ils parvinrent pourtant à colorer la lumière d'un jaune sable délicat qui se changea en un rouge écarlate lorsqu'à leur tour, les Scorpions furent traversés par leur propre magie.
Quand l'éclat se stabilisa, il était irisé des cinq couleurs des peuples, ultime signe d'unité permis par l'unique existence d'un homme : Yoongi. Les combattants mettaient tout leur cœur dans ce chant, touchés par cet arc-en-ciel qui s'était développé autour de leur allié et ami.
Yua s'en aperçut la première, quand il lui sembla que cette mélodie reformait ce bout d'âme qu'elle avait perdu, quand une chaleur délicieuse l'envahit à la manière de celle qu'elle ressentait à l'occasion d'une étreinte. Jimin s'en rendit compte peu après, lorsque, le visage tout près de celui de son compagnon, il sentit un souffle fragile lui heurter la joue. Stupéfait, ahuri, il recula, caressant du regard le corps de son aîné... de qui le torse se soulevait à un rythme paisible.
« Par les dieux, murmura-t-il, oh, Yoongi... »
Étonnée, Yua rouvrit les paupières, interrompant la mélodie sur le champ. Elle poussa un cri qui mêlait stupeur et bonheur alors qu'elle se penchait sur son jumeau.
« Yoongi ! Yoongi, nous entends-tu ? On est là, on est tous là pour toi ! »
À leur tour surpris de cette réaction, les combattants alentour cessèrent un à un leur hommage et se redressèrent, curieux. Des murmures traversèrent les groupes qu'ils formaient : le Phénix vivait. Tout alors devint confus : ils s'agglutinèrent pour voir si le miracle s'était bel et bien produit, maintenus à l'écart par Jimin et Yua qui ordonnèrent qu'on le laisse respirer.
Trop faible pour sortir tout de suite de sa léthargie, Yoongi au moins inspirait, expirait, arraché d'entre les morts par l'amour de cinq peuples qui s'étaient déchirés des siècles durant avant de s'unir, et par la volonté d'une déesse qui avait ressenti l'affection dont débordait Yoongi pour son fiancé.
Elle refusait de séparer ces deux héros.
~~~
Yoongi se sentait horriblement lourd, presque nauséeux. Il ne parvint pas à ouvrir les yeux, son corps ne lui répondait pas. Pourtant...
« Il a bougé ! Sa main a serré la mienne ! »
Il ne sut pas qui avait parlé ; il sombra de nouveau dans l'inconscience. Des souvenirs remontèrent à la surface de sa mémoire. Il se rappela la mort de son compagnon dans ses bras, puis... que s'était-il passé ensuite ? Que lui était-il arrivé ? Impossible de mettre le doigt dessus. Or, si Jimin ne vivait pas, quel intérêt de poursuivre son existence ? Sans lui, le monde devenait fade.
Lorsqu'il émergea tout à fait de sa torpeur, le Phénix jura qu'un cheval lancé au triple galop venait de le percuter. Il poussa un gémissement misérable en remuant, toujours trop faible pour contrôler ses mouvements.
« Je crois qu'il se réveille ! s'enthousiasma une voix qu'il reconnut comme celle de sa jumelle.
— Vraiment ? »
Plus lointain, ce timbre... l'incita à s'efforcer de reprendre connaissance. Il mit toutes ses forces dans ce simple clignement de paupières, et il fut bouleversé de découvrir qu'il n'avait pas halluciné : Jimin se tenait là, assis sur un siège aux accoudoirs duquel il se cramponnait, au fond d'une pièce inconnue. Incapable de garder les yeux ouverts plus longtemps, le Phénix les referma. Il demeura néanmoins alerte, si bien qu'il entendit son compagnon se précipiter à son chevet. Yua lui serrait déjà la main ; Jimin lui caressa la joue dans un mouvement aérien débordant d'amour.
Non, il ne rêvait donc pas : son fiancé vivait ! Il reconnaissait ce geste, il reconnaissait la tendresse qu'il lui témoignait ! Quel miracle avait rendu cela possible ?
Envahi par une émotion aussi vive que soudaine, Yoongi versa une larme. Il désirait se lever, crier à Jimin à quel point il le chérissait, à quel point il se moquait des coutumes de leur pays respectif, car il ne souhaitait qu'une chose : passer sa vie à ses côtés. Il souhaitait pleurer de joie dans ses bras, sentir son corps contre le sien, l'étreindre jusqu'à plus soif, l'entendre lui murmurer à quel point il l'aimait, et le lui murmurer en retour.
Il ne songea pas un instant à la guerre et à son issue : s'ils vivaient tous trois, cela signifiait qu'elle leur était favorable, et rien de plus ne comptait. Ses pensées revenaient sans cesse à Jimin, Jimin pour qui il voulait désespérément ouvrir les yeux sans y arriver.
« Tout va bien, lui promit le général d'une voix douce, prends ton temps, tu as beaucoup encaissé. Repose-toi à présent, nous ne bougerons pas d'ici. »
Sa voix le porta, le rassura, et ressembla pour lui à de véritables caresses. Il s'abandonna, conscient qu'avec davantage de repos, il parviendrait à remettre ses idées en place et surtout à communiquer. Il serra la main de sa sœur dans la sienne avant de sombrer une nouvelle fois, épuisé par tous les efforts déjà fournis.
Il lui semblait que quelques minutes à peine s'étaient écoulées depuis qu'il avait vu Jimin lorsque de nouveau Yoongi s'arracha à sa torpeur, cette fois avec la conviction qu'il réussirait à ouvrir pour de bon les paupières. Elles battirent quelques instants, et il découvrit que la nuit était tombée. Il ignorait combien de temps exactement était passé, quoi qu'il en soit il était tout à fait remis. Il s'étira dans un soupir, réveillant Yua par son mouvement – elle dormait, à moitié allongée entre la chaise et le lit. La prêtresse remua, grommela, et leva un regard fatigué sur lui.
La première seconde, elle ne réagit pas.
La deuxième, elle se jeta à son cou en hurlant un « Yoongi » qui fit sursauter son pauvre frère. Le jeune homme s'efforça de lui rendre son étreinte mais dut lui demander de calmer un peu son enthousiasme.
« Tu m'étouffes, gémit-il d'une voix abîmée.
— On s'en moque, tu es vivant !
— Plus pour longtemps si vous continuez... »
La remarque, teintée d'amusement, provenait de derrière eux. Yua relâcha son jumeau en foudroyant le général du regard. Ce dernier s'était redressé et approchait d'un pas tranquille.
« Oh pitié, vous n'allez pas encore vous y mettre ! se plaignit-elle. Voilà bientôt cinq jours que vous me tapez sur le système, laissez-moi un peu tranquille !
— Vous êtes au moins aussi insupportable que votre jumeau, aucun doute là-dessus.
— J'ai plutôt l'impression que vous le supportez bien, mon jumeau, non ?
— Disons que nous nous sommes apprivoisés.
— Je l'ai dressé, rétorqua Yoongi avec humour avant de partir dans une quinte de toux – et Yua lui tapota le dos.
— Je vais te chercher un verre d'eau, ne bouge pas. »
Il se hâta, et Yoongi se sentit peiné de constater que, sans doute du fait de la présence de sa jumelle, il n'osait pas trop approcher ni lui témoigner de façon évidente son affection. Le Phénix était bien sûr ravi de retrouver Yua, mais il avait besoin du corps et des lèvres de son fiancé contre lui. Il l'avait vu mourir d'une manière si atroce... Le cœur lourd, il observa son cadet quitter la pièce avant de reporter son regard sur sa sœur, qui s'était penchée pour tirer de sous sa chaise un sac de toile dans lequel se trouvaient un peu de pain et de viande sèche. Elle les lui tendit avec un sourire rayonnant.
« Tiens, j'ai gardé tout cela pour ton premier repas ! Ici, tout est rationné, alors c'est un peu compliqué.
— Ici ? Où sommes-nous ?
— À Hurna.
— Pardon ?
— Après ta démonstration de force, la bataille s'est achevée sur le forfait des Scorpions : ceux que tu n'avais pas tués ont rendu les armes, et nous avons été autorisés à occuper une aile de la caserne de Hurna. Beomgyu a été très gravement blessé au cours des combats, il ne s'est pas encore réveillé, de ce que l'on m'a dit, et chaque camp déplore beaucoup de morts. Mais nous avons vaincu.
— Jimin... j'ai cru qu'il était...
— Tu l'as... enfin, Hiemis l'a sauvé.
— Comment ? »
Elle commençait à peine à lui raconter les quelques jours écoulés depuis sa perte de conscience quand Jimin entra dans la pièce, un verre d'eau à la main. Il le tendit à son compagnon qui le remercia, espérant un contact prolongé. Le militaire néanmoins recula. Yoongi lisait tout son amour dans ses yeux, or il désirait aussi le percevoir dans ses gestes. Il n'osa pas le lui avouer et tenta de se concentrer sur le récit de sa sœur.
Apprendre comment les combats s'étaient achevés lui provoqua une émotion indescriptible, d'une puissance rare. Imaginer tous ces gens, dont beaucoup d'inconnus, lui rendre un si vibrant hommage le toucha. Et... savoir que c'était leur pouvoir qui l'avait sauvé le bouleversa.
« Tu es déjà en train de devenir une légende, s'amusa Yua tandis que son frère se nourrissait en silence. Partout on ne parle plus que de toi et de tes exploits ! Tu sais... je pense que grâce à toi, les gens n'auront plus peur des Phénix, car à l'avenir ils se souviendront de qui tu es, de ce que tu as provoqué : l'union de tous les peuples.
« Quoi qu'il en soit, après avoir constaté que tu étais bien vivant, nous avons paniqué : il fallait te trouver un endroit où te soigner, t'aider à te reposer tout en veillant sur toi. Les Scorpions alliés ont proposé leur village, les Scorpions ennemis ont proposé leur caserne. Nous avons hésité, mais nous nous sommes rappelé qu'eux aussi t'avaient sauvé, et que plus tôt Hiemis les avait épargnés : elle les jugeait dignes de confiance. Nous sommes ici depuis plusieurs jours à présent, et l'infâme général Park et moi te surveillons sans arrêt depuis. Dormir n'est d'ailleurs pas très confortable...
— Et le Prince ? s'inquiéta aussitôt Yoongi.
— Mincheol s'était enfui, expliqua à son tour Jimin, mais Beomgyu l'a vu et l'a poursuivi. Ils se sont battus. Beomgyu a subi une grave blessure, il était sur le point de perdre quand Hiemis a détruit l'œil : Mincheol s'est écroulé, et avant de sombrer à son tour sous l'effet de ses blessures, Beomgyu a réussi à le ligoter. Les liens ont été assez solides pour résister pendant quelques minutes : des alliés les ont retrouvés, Beomgyu inconscient, le Prince en train de se débattre faiblement, ses armes poussées au loin. Pathétique.
— Il a été jeté en prison, affirma Yua. Son procès aura bientôt lieu. Pour lors et comme il ne possède pas de famille proche, personne n'a encore été désigné pour assurer la régence voire lui succéder, mais il se murmure un nom... »
Yua jeta un regard à Jimin, qui acquiesça en reprenant la parole.
« Ils veulent confier le pouvoir à quelqu'un qui a su depuis le début quelle voie le pays aurait dû emprunter : persévérer dans la paix plutôt que de sombrer dans un désir de conquête et de vengeance. On suppose donc que si le Prince devait être démis de ses fonctions, son successeur ne serait autre que la générale devenue chef des résistants : la générale Choi, la mère de Beomgyu. Elle deviendrait Princesse sur décision juridique, ce qui n'était pas arrivé depuis des siècles – et les rares fois où cela était advenu, il s'agissait de la famille du Prince ou de la Princesse à remplacer, jamais d'une personne qui lui était étrangère. C'est un honneur qu'elle s'est dite prête à accepter si on le lui confie, mais qu'elle ne réclame pas pour autant. Son humilité l'honore, et elle était déjà une combattante émérite appréciée des siens avant cette guerre, raison pour laquelle tant de personnes l'ont suivie.
— Je suis soulagé, souffla Yoongi. Tout se termine encore mieux que je n'aurais pu le souhaiter. »
Il adressa à son compagnon un regard empli d'amour que Jimin lui rendit... jusqu'à ce que Yua se tourne vers lui : il pivota aussitôt pour observer la fenêtre, provoquant une nouvelle fois sans s'en apercevoir la peine de Yoongi. La prêtresse, levant les yeux au ciel avec une moue désespérée, se pencha vers son frère de qui elle embrassa le front.
« Plus les jours passent, plus il est frustré, lui murmura-t-elle, je crois qu'il t'aime encore plus que tu ne l'imagines. »
Elle se redressa ensuite et, sans chercher à cacher son véritable objectif, elle plaisanta : « Bon, je vais compter les planches du sol de la cantine, je reviendrai au lever du soleil, j'en ai pour un moment. À bientôt ! »
Yoongi ne répondit pas ; un large sourire s'était peint sur son visage – et Jimin songea que seul un artiste pouvait dessiner une telle merveille. Malgré tout, Yua partie, le général ne bougea pas. Il le fixait certes avec une affection débordante, mais il n'approchait pas.
« Alors... est-ce que tu ne te sens pas trop mal ? s'enquit-il. Les médecins ignoraient dans quel état tu te réveillerais, et j'avais un peu peur à vrai dire.
— Je me sens fatigué, rien de plus.
— Je vois... ta sœur a raison, je vais te laisser te reposer au lieu de...
— Embrasse-moi, je t'en supplie, l'interrompit Yoongi avec un regard désespéré. Pourquoi ne me serres-tu pas contre toi ? J'ai... j'ai besoin de ton amour. »
Touché par ses paroles, peiné de l'avoir blessé, Jimin ne répondit même pas : il se hâta au chevet de son compagnon près de l'épaule de qui il posa une main tandis qu'il se penchait pour l'embrasser de façon passionnée. Yoongi n'eut que le temps de fermer les paupières avant de ressentir une explosion de joie lorsque son fiancé plaqua ses lèvres sur les siennes. Quel bonheur de redécouvrir sa bouche charnue, chaude et délicieuse ! Il s'en régala avec une voracité qu'il n'avait jamais exprimée jusqu'à présent, osant approfondir le baiser, à la plus grande et agréable surprise de Jimin qui le laissa mener la danse.
Ce dernier en effet brûlait de désir pour lui, pour autant il craignait de lui imposer quoi que ce soit alors que le pauvre se sentait si épuisé. Il n'aimait pas imaginer Yoongi cloué au lit, il souhaitait qu'il se rétablisse au plus vite. Le savoir faible l'inquiétait, d'autant qu'il l'avait cru mort quelques instants. À présent, ce puissant mage lui apparaissait comme une poupée de porcelaine de laquelle il devait prendre soin.
Or la poupée en question venait de planter sa langue dans sa bouche. Comme Jimin se réjouissait de ressentir de nouveau la chaleur de son baiser, de ses parois buccales, et les taquineries encore maladroites de sa langue !
Pourtant, il mit lui-même fin à ce baiser débordant de passion, incitant sans brutalité son compagnon à se rallonger alors que Yoongi avait enroulé les bras autour de sa nuque afin de se redresser assez pour coller son torse au sien.
« Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi refuses-tu ? s'inquiéta-t-il. J'ai besoin de toi. »
Sentant la frustration autant que le chagrin dans sa voix, Jimin lui caressa les cheveux d'un geste aimant, le regard chargé d'affection.
« Ta sœur a raison, tu es encore très affaibli. Je ne veux pas que tu agisses de manière inconsidérée.
— J'ai besoin de toi, répéta-t-il.
— Et moi aussi. Mais... hum, et si nous dormions côte à côte ? Je pourrais t'étreindre, qu'en dis-tu ?
— Oui, s'il te plaît. »
Jimin lui sourit et, vêtu de sa tunique et d'un pantalon léger, il se glissa à côté de son compagnon qui lui laissa la moitié de son confortable matelas. Voilà des jours que le militaire dormait sur le fauteuil situé au fond de la chambre – individuelle mais meublée sobrement, elle appartenait auparavant à un des généraux morts lors de la guerre –, et s'il n'en ressentait aucune souffrance, en revanche il ne se plaignait pas de retrouver le moelleux d'un véritable lit.
Yoongi se lova aussitôt contre lui, les bras autour de sa taille, une jambe par-dessus les siennes, ravi de se complaire son étreinte. Jimin l'enlaça sans hésiter en lui embrassant le front. Son amant ferma les yeux puis soupira.
« J'ai cru que plus jamais je ne pourrais te toucher, te caresser, t'aimer...
— Tu m'as fait la même frayeur. Je n'aurais pas pu vivre dans un monde sans toi. Il a suffi que tu entres dans ma vie pour la bouleverser : n'essaie plus jamais d'en ressortir, mon amour.
— Alors fais-en de même, car je ne supporterais pas le chagrin de ta perte : ne me quitte plus.
— Je me moque de ce que dira l'Assemblée, murmura Jimin en passant une main sous sa tunique pour lui caresser le dos, je veux que tu viennes vivre avec moi à Noria. J'y retourne toujours entre deux missions. Ou bien tu pourras m'accompagner et passer tes journées avec moi au camp. Je te ferai apporter tous les livres que tu désires : tout ce que tu souhaites apprendre, tu y auras accès. Et où qu'ils décident de s'établir, nous pourrons rendre visite aux Phénix aussi souvent que tu en as envie.
— Cela me plairait en effet beaucoup, opina Yoongi. Et il me suffirait de parchemin, d'encre et d'une plume : pour lors, ce que je souhaite, c'est diffuser le savoir et la culture de mes ancêtres, remettre à l'écrit tous ces textes que j'ai appris et que le temps a détruits. Ceux d'ailleurs qui demeuraient dans la bibliothèque sont sans doute illisibles à présent, abandonnés depuis trois mois au sommet du mont Tikia. Il me faudra les rédiger aussi. Cela m'occupera des mois durant.
— Avec tes capacités et ton savoir, tu pourras devenir bibliothécaire à la capitale, songea Jimin.
— Pourquoi pas, j'y réfléchirai.
— Prends ton temps, rien ne presse. Pour lors, prends soin de toi, reprends des forces.
— À vos ordres, général Park, » s'amusa Yoongi.
Le Phénix blottit la tête contre le torse de son compagnon. Or, après quelques instants, une question lui effleura l'esprit en même temps qu'elle lui noua l'estomac. Il rouvrit les paupières.
« Jimin...
— Oui ?
— De quelle... d-de quelle couleur mes yeux sont-ils ? »
Son amant, amusé, le gratifia d'un regard attendri puis posa ses lèvres sur les siennes.
« De la plus belle couleur qui soit, bien sûr.
— Pourrais-tu développer ?
— Tu as l'œil droit noir et l'œil gauche d'un bleu glacé.
— Vraiment ?
— Souhaites-tu un miroir pour vérifier ?
— Non, non, je te crois. C'est juste... étrange. J'ai pensé un instant qu'ils resteraient noirs, ou bien qu'ils redeviendraient bleus.
— Il faut croire qu'ils n'ont pas réussi à se mettre d'accord. »
La remarque tira un ricanement au Phénix qui s'étira pour se replacer correctement contre son fiancé.
« Quelle couleur aurais-tu préférée ?
— Je ne saurais pas te dire, admit Jimin. Alors je suis plutôt content que tu aies les deux, cela te va bien.
— Oh... merci.
— Tu restes magnifique à mes yeux, si cela peut te rassurer à propos des tiens. »
Yoongi l'embrassa en guise de réponse, et il referma les paupières pour s'abandonner à ses bras. Jimin n'avait pas cessé les tendres mouvements qu'il effectuait dans son dos et qui tirèrent au Phénix des frémissements de plaisir. Il adorait être cajolé de cette façon, et les mains calleuses du militaire sur sa peau d'opale lui procuraient les sensations les plus délicates. Il se laissait aller contre lui, car plus aucun danger n'existait dans ce bas monde quand Jimin l'enserrait avec une telle intensité.
Le futur lui semblait aussi flou que le présent, qu'il peinait encore à assimiler. Or, puisqu'il venait de recevoir la confirmation que l'avenir, il le vivrait aux côtés de son compagnon, cela ne l'inquiétait pas. La chaleur de sa peau contre la sienne, la survie de son peuple, voilà tout ce qui lui importait pour l'instant.
« Est-ce que nous pourrions... retirer nos vêtements ? osa le Phénix après un temps d'hésitation.
— Tous nos vêtements ?
— Eh bien... oui... Je voudrais vraiment ressentir ta peau contre la mienne.
— Rien de plus, sommes-nous bien d'accord ? Car ne t'attends à rien de moi : tu as besoin de repos.
— Rien de plus, non. Je veux dormir, mais dormir en profitant vraiment de ton corps contre le mien.
— Alors c'est d'accord. Ne bouge pas, mon amour, je me charge de nous déshabiller. »
Yoongi acquiesça, le sourire ravi mais les yeux qui se fermaient presque. Il se força toutefois à les garder ouverts pour contempler le torse de son amant lorsqu'il se défit de sa tunique, puis ses jambes musculeuses une fois qu'il fut dénudé. Jimin, qui s'était levé du lit pour agir, se replaça sous le drap pour s'installer à quatre pattes au-dessus de son compagnon qui clignait des paupières dans l'espoir de rester éveillé assez longtemps pour l'admirer encore. Son cadet s'en amusa.
« Ne lutte pas, ferme les yeux et contente-toi de ressentir. »
Yoongi obéit, incapable de résister plus longtemps à l'écrasante fatigue. Jimin le manipula avec une délicatesse dont seul lui savait faire preuve : il lui leva les bras en les caressant alors qu'il se penchait sur son visage pour l'embrasser, et il lui retira sa tunique. Yoongi frissonna sous l'effet de la fraîcheur qui lui percuta la peau, et Jimin se hâta de le débarrasser de son pantalon sans prêter la moindre attention à son entrejambe, trop respectueux pour agir contre l'intérêt de son compagnon. Il s'autorisa juste à passer une main sur sa cuisse avant de se recoucher auprès de lui qui se lova derechef dans l'étreinte qu'il referma sur lui.
Un chaste plaisir les envahit : ils se transmettaient ainsi bien plus de chaleur, de réconfort et d'affection. Quand Jimin reprit pour sa part ses caresses dans son dos, Yoongi se sentit s'enfoncer dans un abîme de tendresse, là où il acceptait volontiers de se perdre. Sa respiration s'apaisa, heurtant chaque fois le torse puissant du militaire qui appréciait de plus en plus l'idée de son promis.
La couverture les enveloppait dans un cocon d'amour, remontée jusqu'à leur menton, de sorte qu'ils s'endormirent peu après, toujours dans les bras l'un de l'autre.
Yoongi sortit de sa torpeur à cause d'un rayon de soleil qui lui effleurait la joue. Il cligna des paupières puis se rappela son réveil au cours de la nuit... et il sursauta lorsque, au même moment, la porte s'ouvrit. Il tourna aussitôt la tête dans sa direction pour découvrir Yua, qui apportait le petit déjeuner. La jeune femme néanmoins s'immobilisa, ses yeux ronds bloqués sur les vêtements éparpillés sur le sol alors que sa mâchoire tombait sous l'effet de la stupeur. Elle dévisagea son frère, qui comprit le malentendu dans la seconde et tenta de le dissiper.
« Non, non, ce n'est pas ce que tu crois ! affirma-t-il en s'asseyant.
— Non mais je n'en reviens pas ! » pesta la prêtresse.
Elle abandonna son plateau sur la commode près de l'entrée de la pièce et se précipita à la façon d'une furie vers Jimin, que son apparition avait tiré de son sommeil sans pour autant qu'il n'ouvre les paupières, désireux de dormir encore tout contre son compagnon. Il entendit les pas courroucés de la jeune femme mais n'en tint pas compte. Puis son oreiller lui fut arraché, sa tête retomba contre le matelas et, stupéfait, il écarquilla les yeux au moment où Yua abattait une première fois le coussin sur son visage.
« Vous m'aviez promis de ne pas coucher avec mon petit frère ! hurla-t-elle en entrecoupant chaque mot d'un nouveau coup. Espèce de misérable militaire libidineux !
— Arrêtez, enfin ! s'agaça Jimin en lui retirant son arme d'un geste sec. Nous n'avons pas couché ensemble !
— Et vos vêtements ? Tombés pendant la nuit ?
— Je lui ai demandé de nous les retirer, admit Yoongi d'un ton embarrassé alors qu'il remontait la couette jusqu'à son nez. Je voulais dormir en profitant de la chaleur de son corps. Il m'avait manqué, tu comprends...
— Oh...
— Oui, "oh", vous pouvez le dire, râla Jimin en replaçant son oreiller alors qu'il refermait les yeux. Voudriez-vous bien nous laisser à présent ?
— J'espérais prendre mon repas avec mon frère, rétorqua-t-elle en croisant les bras contre sa poitrine.
— Ne voudrais-tu pas aller voir Hyunbin ? suggéra Yoongi. J'ai vraiment envie de passer ma matinée avec Jimin, mais je compte bien te consacrer mon après-midi.
— Donc maintenant je passe après ton amant !
— Nous sommes fiancés.
— Vous... oh et puis zut, j'abandonne. Reposez-vous bien. À cet après-midi, Yoongi.
— À tout à l'heure. »
Elle s'en alla en grommelant ; elle claqua la porte derrière elle. Son jumeau grimaça avant de rabaisser l'édredon sur ses épaules. Il se tourna vers son compagnon qui, les yeux clos, n'attendait que sa chaleur pour se sentir comblé. Il se recroquevilla contre lui.
« Bon sang, j'ai honte, couina-t-il en enfonçant la tête dans son cou.
— De quoi aurais-tu honte ?
— Elle sait que nous sommes nus, que nous avons dormi ainsi.
— Et ?
— Et c'est embarrassant !
— Tu l'as dit toi-même, nous sommes fiancés. Quoi d'étonnant à ce que nous aimions nous toucher ? Quoi d'étonnant à ce que la nudité nous rassure après ce que nous avons vécu ? J'ai encore du mal à croire que tu n'aies pas péri, j'ai besoin de te toucher, d'être certain que tu es près de moi.
— Moi aussi... mais cela me gêne vis-à-vis d'elle.
— Alors qu'elle s'est peut-être allongée nue contre Hyunbin tout le reste de la nuit, elle aussi.
— N'imagine pas ma sœur nue !
— Je n'y ai même pas songé. Je préfère de loin ton corps, ta présence. »
Il afficha un sourire en coin alors que, plaçant les mains contre les reins de son compagnon, il l'attirait à lui. Yoongi se laissa faire sans protester, au contraire ravi de se retrouver le corps moulé au sien. Ils entremêlèrent leurs jambes, s'autorisèrent de longs et savoureux baisers, se dérobèrent de brefs regards, et se murmurèrent de plus belle à quel point ils s'aimaient, incapables de retenir leurs sentiments après les évènements récents. Leur couple était passé à un cheveu de la tragédie, ils avaient cru se perdre pour toujours, ils en avaient ressenti un vide atroce, invivable, ils avaient souhaité disparaître à leur tour.
Plus jamais, désormais, ils ne s'éloigneraient l'un de l'autre. Telle fut une des promesses qu'ils se susurrèrent entre deux baisers.
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Je vous avais dit de vous fier à la note ^^
Petits facts à propos de la chanson qui apparaît dans ce chapitre :
- si je ne vous en ai jamais parlé, c'est pas pour un quelconque suspens, c'est littéralement parce que j'en ai eu l'idée la semaine dernière : j'ai relu ce chapitre par curiosité la semaine dernière et je me suis rendu compte qu'il était mentionné que Hyunbin chantait une prière à Hiemis, quelque chose de simple, de répétitif et de court, mais sans plus de détails. Et là cette phrase m'est venue d'un coup : « il te rejoint ». Je l'ai modifiée en « un héros te rejoint » pour avoir mes hexasyllabes, et j'ai écrit cette chanson, comme d'habitude, en quelques minutes.
- sur Suno, ça a été très rapide pour trouver quelle mélodie utiliser : j'ai généré la première partie de la chanson, et parmi les deux premiers résultats qui m'ont été proposés se trouve celui que j'ai choisi. Comment je l'ai choisi ? Pourquoi celui-là ? Je venais de relire la mort héroïque de Yoongi, et en écoutant cette chanson, j'ai pleuré (une vraie madeleine, c'est pathétique XD), alors que l'autre m'avait laissée indifférente. La chanson entière a été assez longue à générer, je voulais qu'elle soit parfaite.
- je voulais un chœur pour chanter le dernier refrain, comme si tout le monde chantait avec Hyunbin. Mais Suno a pas réussi à m'en faire un potable, alors j'ai laissé tomber. ^^'
- concernant les paroles, je voulais quelque chose qui rappelle « Debout », d'où le « Hiemis veille sur lui » qui fait écho au « Hiemis veille sur nous » de ma première chanson, et en même temps je souhaitais souligner de plus belle l'unité des soldats, comme dans « Pour la paix », d'où, comme dans cette chanson, un vers qui rappelle que toutes les couleurs sont là. Et puisque toutes les couleurs sont là, dans le pont j'ai écrit « Vos enfants rassemblés / Implorent votre pitié » : Hyunbin s'adresse à Hiemis mais aussi à Pyros.
- le petit souci qui s'est posé à l'écriture en revanche, c'est... bah le masculin, tout simplement. Pourquoi ? Parce qu'il est écrit que ce chant est le chant rituel à la mort d'un soldat, mais on sait que chez les Phénix, hommes et femmes combattent sans distinction de genre, comme chez les Élémentaires. Or, si une femme soldat meurt, on va pas chanter cette chanson. Ce qui tombe bien puisqu'il est mentionné dans l'histoire que le chant est d'abord interprété par Hyunbin en langue ancienne avant qu'il le traduise pour les Élémentaires autour de lui. Donc pour ceux qui se sont éventuellement posé la question, j'ai décidé que la langue Phénix n'avait pas de genre, c'est en traduisant qu'il l'a mis au masculin. Voilà, je fais ce que je veux avec mon roman. XD
- c'est la seule chanson intra diégétique (donc chantée dans le cadre de l'histoire, pas juste pour l'accompagner) de ce roman avec « Debout », ce qui est drôle puisque les deux morceaux sont des chansons interprétées par des Phénix et adressées à Hiemis.
- on a donc dans l'ordre une chanson chantée par Yoongi, une par Hoseok, une par Namjoon, une autre par Yoongi, une par Taehyung, une par Jimin, et une par Hyunbin. Je trouve ça équilibré, ça me plaît. ^^
- sept chansons, c'est assez pour un mini album voire un album complet, ça va réellement finir par me donner des idées.
- avec ses 110 mots dont le refrain de 18 mots qui se répète 4 fois, « Un héros te rejoint » dure 2min59. C'est la chanson la plus courte que j'aie écrite (je crois qu' « Ensemble » est la plus longue).
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